Ministère de la Justice Canada / Department of Justice CanadaGouvernement du Canada
Éviter le premier menu Éviter tous les menus
   
English Contactez-nous Aide Recherche Site du Canada
Accueil Justice Plan du site Programmes et initiatives Divulgation proactive Lois
Page d'accueil, Recherche et statistiques
Recherche et statistiques, image graphique

Publications

Les sanctions communautaires :
le point de vue des victimes d'actes criminels

Julian V. Roberts et Kent Roach

le 31 mars 2004

  1. 4.0 Jurisprudence récente au sujet de la condamnation avec sursis et des intérêts de la victime
    1. 4.1 Résumé
       

Page précédente | Table des matières | Page suivante

4.0 Jurisprudence récente au sujet de la condamnation avec sursis et des intérêts de la victime

On a examiné les arrêts publiés depuis R. c . Proulx ([2000] 1 R.C.S. 61) en accordant une attention particulière à l'analyse judiciaire des intérêts de la victime, à l'interprétation des principes relatifs à la reconnaissance et à la réparation du tort causé aux victimes et à la collectivité dans la détermination de la peine, et aux conditions dont les condamnations avec sursis sont assorties à l'appui des préoccupations et des intérêts des victimes.

R. c. R.A.R. ((2000) 140 C.C.C.(3d) 523) était une décision complémentaire à l'arrêt-clé R. c. Proulx dont on a débattu plus haut. Elle concernait un délinquant condamné pour agression sexuelle et pour voies de fait (deux chefs d'accusation ) à l'endroit d'une jeune femme qui travaillait dans sa ferme. Le juge de première instance a condamné l'accusé à un an de prison et à 12 000 $ d'amende. La Cour d'appel du Manitoba a imposé une condamnation avec sursis de neuf mois assortie de conditions de détention à domicile, de travail communautaire et de participation à des programmes de réadaptation. Le tribunal était influencé par le fait que l'accusé avait, après sa condamnation, versé à la plaignante la somme de 10 000 $ en règlement d'une plainte relative aux droits de la personne.

Dans une décision partagée, la Cour suprême aurait rétabli la peine d'emprisonnement compte tenu de l'importance accordée à l'exemplarité de la peine et à la dissuasion de la violence sexuelle. La juge L'Heureux-Dubé s'est prononcée en ces termes au nom de la majorité :

« Quoique la cour n'ait tiré aucune conclusion indiquant que l'intimé manifestait volontairement des signes de remords ou reconnaissait sa responsabilité pour les actes qu'il avait commis, elle a souligné que, depuis le prononcé de la peine initiale, l'intimé avait versé la somme de 10 000 $ à la plaignante en règlement de la procédure engagée par celle-ci devant la Commission des droits de la personne du Manitoba relativement aux mêmes événements. Ce fait militait en faveur de la poursuite d'objectifs de justice corrective et, par conséquent, en faveur du prononcé d'une peine d'emprisonnement avec sursis […]. À mon avis, toutefois, ce facteur n'était pas important au point d'écarter le besoin d'infliger une peine d'incarcération d'un an afin de dénoncer et dissuader suffisamment ce genre de crime tel que déterminé par le juge du procès(au paragraphe 30) ».

Dans cette affaire, les juges expriment des réserves quant à l'effet dissuasif et à la valeur d'exemple de la condamnation avec sursis, mais reconnaissent également que la réparation, et peut-être aussi d'autres actions et conditions axées sur la victime, peuvent remplir les objectifs de la détermination de la peine en matière de réparation qui sont énoncés aux alinéas 718e) et f) du Code criminel. Aux termes de ces dispositions qui ont été ajoutées au Code criminel en 1996, les juges sont tenus d'infliger des sanctions justes qui visent à « assurer la réparation des torts causés aux victimes » et à « susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité ». La décision rendue dans l'affaire R. c. R.A.R. laisse entendre également que les objectifs de la détermination de la peine en matière de reconnaissance et de réparation ne se limitent pas nécessairement à des dommages-intérêts pécuniaires faciles à calculer.

Dans R. c. Bratzer ((2001) 160 C.C.C. (3d) 272), la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a rejeté un appel interjeté au sujet d'une condamnation avec sursis pour vol à main armée dans trois stations d'essence. L'accusé était d'accord pour rencontrer les victimes mais « [traduction] comme on pouvait s'y attendre, les victimes ne voulaient pas participer. M. Bratzer a écrit et présenté à la cour une longue lettre d'excuses à chacune des trois victimes (paragraphe 31) ». La Cour d'appel a pris en compte la déclaration des victimes, mais avec circonspection, comme le tribunal dans l'affaire R. c. Sweeney le recommandait. La condamnation avec sursis de deux ans moins un jour était décrite comme étant basée sur de « strictes conditions » dont la détention à domicile, mais sans être liée expressément aux intérêts des victimes.

Selon le tribunal qui siégeait dans cette affaire, dans certains cas, les victimes ne souhaitent pas rencontrer le délinquant, même si celui-ci veut leur faire des excuses et tenter de réparer le tort causé. L'affaire démontre que les juges respectent la volonté de la victime et laisse entendre que certaines victimes d'actes criminels graves ne souhaitent pas participer à des rencontres avec les délinquants. Or, on ne sait pas si des ressources ont été dépensées en quantités suffisantes en l'espèce ou si elles existent en général pour préparer le terrain en prévision de rencontres entre victimes et délinquants. De plus en plus, on reconnaît que la justice réparatrice ne se produit pas spontanément et qu'elle nécessite un travail à forte intensité de ressources pour préparer les délinquants, les victimes et la collectivité à d'éventuelles rencontres.

Comme on l'a mentionné précédemment, certaines des questions les plus difficiles au sujet des sanctions communautaires se posent lorsque ces sanctions sont infligées dans des cas de violence grave. Comme seulement un sous-ensemble de jugements est rapporté ou porté en appel en matière de condamnation avec sursis, les cas graves sont susceptibles d'y être surreprésentés. Néanmoins, cette jurisprudence offre un bon moyen de discuter de certaines des difficiles questions que posent les sanctions communautaires et leurs effets sur les victimes.

La condamnation avec sursis a été envisagée dans un certain nombre de cas de violence sexuelle. Dans R. c. C.R. P. ((2001) O.J. No. 1595), une condamnation de 15 mois avec sursis a été prononcée à l'endroit d'un délinquant autochtone qui avait agressé sexuellement sa nièce à quatre reprises lorsqu'elle avait entre 8 ans et 14 ans. La victime indiquait dans sa déclaration que « [traduction] la honte, la culpabilité et la colère la tourmentaient. « Le juge de première instance a dit :

[Traduction] « La réparation due à la victime et la responsabilisation de l'accusé seraient favorisées si C.R.P. présentait ses excuses et admettait ses torts, même par ordonnance du tribunal. L'accusé devra, avec l'aide de son surveillant, rédiger une lettre d'excuse à l'intention de J.W. en admettant les torts causés et en lui demandant pardon pour le mal qu'il lui a fait. La lettre peut être envoyée au bureau du procureur de la Couronne à Sault Ste. Marie, qui la fera parvenir à J.W. (paragraphe 15) ».

D'autres conditions étaient imposées : participation à un programme de traitement pour agresseurs d'enfants; 100 heures de travail communautaire; détention à domicile; non-communication avec la victime et avec des enfants non surveillés de moins de 14 ans. Cette affaire soulève la question de savoir si une lettre d'excuses est utile pour ce qui est de reconnaître le préjudice causé à la victime. Elle soulève également la question de savoir si une lettre d'excuses présentée sur ordonnance d'un tribunal constitue un geste sincère et véritable de remords. Il faudrait étudier plus avant les perceptions des victimes d'actes criminels sur les excuses présentées à leur endroit.

Dans R. c. Longboat ((2003) O.J. no 598), deux délinquants autochtones qui avaient agressé sexuellement une femme dans son sommeil ont été tous deux condamnés à une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour avec sursis. Dans sa déclaration, la victime se dit très malheureuse, effrayée de sortir. Elle a des maux de tête. Elle parle du sentiment d'insécurité qu'elle éprouve et de l'effet néfaste que cela a sur sa relation et sur sa vie (paragraphe 6). Le juge s'est dit préoccupé du fait que certaines déclarations faites par les familles des délinquants indiquaient qu'elles n'avaient pas reconnu la culpabilité des accusés ni accepté cette culpabilité et qu'elles n'avaient pas d'empathie pour la victime. La victime doit être reconnue. En l'occurrence, une femme a été agressée sexuellement dans son sommeil, non par un homme, mais par deux hommes, un acte abject et impardonnable. Un acte qui aura nécessairement des conséquences graves à long terme sur la vie de la victime, comme en témoigne le ton triste de sa déclaration (paragraphe 14). Le juge a imposé une condition interdisant au délinquant de se trouver à moins de 50 mètres de la victime, que ce soit à son domicile, à l'école ou sur son lieu de travail. Cette ordonnance était valable pour la durée de la condamnation avec sursis et pour une période supplémentaire de probation de deux ans. Une autre condition exigeait que chacun des délinquants verse 1 000 $ dans l'année à un refuge pour femmes battues autochtones dans la réserve Six Nations (paragraphe 71).

Cette affaire est un exemple de l'utilisation courante de conditions de non-communication comme moyen de reconnaissance des intérêts de la victime. Comme on l'a indiqué précédemment, il faudrait évaluer l'efficacité de telles conditions pour ce qui est de calmer les craintes et les angoisses des victimes. Contrairement à la décision rendue dans R. A.R., le paiement devait être fait, non pas directement à la victime, mais à une organisation qui fournit des services à d'autres victimes de la violence masculine.

Plusieurs jugements publiés en matière de condamnations avec sursis concernaient la violence conjugale. Dans R. c. M.S.R. ((2002) B.C.J. No. 845), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a invalidé une peine de trois ans d'emprisonnement pour voies de fait graves perpétrées par un homme autochtone contre son ex-conjointe. Elle a imposé une condamnation avec sursis de 21 mois suivie d'une période de probation de deux ans assortie de conditions facultatives - s'abstenir de boire de l'alcool, participer à un programme de maîtrise de la colère, assister à des cérémonies culturelles, aider la collectivité dans un forum sur la violence familiale, faire 240 heures de travail communautaire et respecter des heures de rentrée.

La juge d'appel Prowse a insisté sur un nouvel élément de preuve : l'accusé avait surmonté son problème d'alcool, et la collectivité avait exprimé la volonté de contribuer à la réalisation de la peine. Elle a ajouté : « [traduction] J'accorde également du poids au fait que la victime de cette infraction a déclaré qu'elle ne se sentait plus menacée par sa présence dans la collectivité. Ce sont là des faits qu'ignorait le juge chargé du prononcé de la peine (paragraphe 29) ». Au moment du prononcé de la peine, le délinquant avait apparemment blâmé la victime pour ses actes, dont l'utilisation d'un instrument contondant (paragraphe 27). L'arrêt M.S.R. démontre l'attention accordée à l'opinion de la collectivité et de la victime dans la décision de savoir si une condamnation avec sursis est valable dans un cas de violence conjugale. Il soulève aussi la question de savoir si une victime n'hésiterait pas à s'opposer à une sanction communautaire à laquelle la collectivité est favorable.

Dans la décision rendue dans l'affaire R. c. MacDonald ((2003) 173 C.C.C. (3d) 235), la Cour d'appel de la Nouvelle Écosse a cassé une condamnation avec sursis de deux ans moins un jour assortie d'une condition de traitement pour alcoolisme, pour voies de fait graves à l'endroit d'un conjoint. La victime avait réclamé l'indulgence et une peine non privative de liberté pour le délinquant en indiquant son intention de continuer de vivre avec ce dernier. La Cour d'appel a imposé une peine de 22 mois d'emprisonnement suivie d'une période de probation de trois ans. Elle a souligné la nécessité d'infliger une peine exemplaire et dissuasive, mais s'est également inquiétée au sujet de la sécurité de la victime. Le juge d'appel Bateman a déclaré : « [traduction] Il est contre-intuitif de permettre à un délinquant violent de continuer de cohabiter avec la victime, même avec le consentement de celle-ci. Cela reviendrait certainement à saper la confiance dans l'administration de la justice (paragraphe 41) ». Par ailleurs, la Cour d'appel a conclu que » [traduction] l'expression de remords du délinquant sonne faux dans le cas de cette deuxième agression à l'endroit de la même victime (paragraphe 50) ». Cet arrêt témoigne d'une volonté de ne pas se soumettre à la volonté de la victime dans un cas de violence conjugale, mais également de se soucier de sa sécurité.

Dans la décision rendue dans l'affaire R. c. Nensi ((2001) O.J. No 5655 (C. J. Ont.), une condamnation avec sursis a été infirmée dans une affaire de violence conjugale, de voies de fait causant des lésions corporelles, de menaces de mort et de voies de fait à main armée. Le juge a déclaré que « [traduction] une condamnation avec sursis mettrait en danger la sécurité de la victime et d'autres partenaires éventuels, et par le fait même la sécurité de la collectivité (paragraphe 45) ». La peine d'emprisonnement de six mois imposée serait suivie d'une période de probation de deux ans assortie de conditions liées à la victime - non-communication avec la plaignante (qui avait divorcé de l'accusé) ou sa famille, et counseling. Dans une affaire de harcèlement criminel à l'endroit d'une ex-conjointe, un autre juge a établi qu'une condamnation avec sursis ne convenait pas en l'espèce, la sécurité de la victime demeurant menacée. Il a ajouté qu'une telle peine ne respecterait pas l'esprit de l'alinéa 718f) du Code criminel en ce qui a trait à la responsabilisation du délinquant, notamment par la reconnaissance du tort causé à la victime et à la collectivité. La peine infligée était donc une peine d'emprisonnement de cinq mois suivie d'une période de probation de trois ans assortie d'une ordonnance de non-communication avec la victime, si ce n'est pour prendre des nouvelles par téléphone des enfants issus du mariage, et de paiement de 200 $ en don à une maison de transition (R. c. Simms ((2002) N.J. No 3 (Prov. Ct.)). Là encore, la réparation est destinée, non pas directement à la victime, mais à une organisation fournissant des services aux victimes dans la même situation. En outre, il s'agit d'une contribution symbolique, comparativement à la somme de 10 000 $ versée à la victime dans l'affaire R.A.R. ou des 1 000 $ à payer au refuge pour femmes battues par ordonnance du tribunal dans l'affaire Longboat.

Ces affaires démontrent que la condamnation avec sursis est rejetée dans les cas de violence conjugale, et que les conditions de non-communication en période de probation ultérieure sont utilisées dans le prononcé de la peine comme moyens de reconnaître les intérêts de la victime. Le dernier arrêt précité démontre également que le versement d'une contribution symbolique à une organisation qui fournit des services aux victimes est utilisé comme moyen d'atteindre les objectifs de la peine en matière de reconnaissance et de réparation.

La condamnation avec sursis est également envisagée dans des jugements publiés concernant des affaires de conduite dangereuse ou avec facultés affaiblies causant la mort ou des lésions corporelles. Dans sa décision dans l'affaire R. c. Duchominsky ((2003) 171 C.C.C. (3d) 526), la Cour d'appel du Manitoba a infirmé la condamnation avec sursis, sans conditions liées à la victime, qui avait été rendue par le tribunal de première instance par une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour pour deux chefs d'accusation de conduite dangereuse causant la mort et trois chefs de conduite dangereuse causant des lésions corporelles. Dans une autre affaire récente, un juge de la cour provinciale de l'Alberta a ordonné une condamnation avec sursis de deux ans moins un jour à l'endroit d'un enseignant déclaré coupable de conduite dangereuse causant la mort. Le délinquant éprouvait manifestement énormément de remords, et le juge de première instance lui a imposé des conditions nombreuses et innovatrices. Aucune, toutefois, n'était liée aux intérêts de la famille de la victime. Le juge d'appel a néanmoins fait précéder les nombreux motifs de sa décision des remarques suivantes :

[traduction] « […] aucune peine ne peut égaler la perte de la vie de Kristen, ni votre propre perte. Peut-être allez-vous penser que mes propos sont sans commune mesure avec la tragédie de sa mort. Cela ne diminue en rien dans mon esprit la portée des paroles que j'ai entendues au sujet de Kristen ou des conséquences de sa disparition. La peine qui est la vôtre, la dévastation causée par sa mort absurde est proprement inimaginable. Toute tentative en vue d'établir un rapport entre la peine que je m'apprête à infliger et cette perte reviendrait à tourner celle-ci en dérision. Il ne saurait exister de rapport digne de ce nom entre les deux réalités - quelle que soit la peine infligée (R. c. Iftody ((2003) A.J. No 100 (Prov. Ct.), paragraphe 2) ».

Ces affaires indiquent que les juges aboutissent parfois à la conclusion que les conditions imposées ne peuvent constituer une forme de reconnaissance ou de réparation satisfaisante pour les familles affligées par la mort des victimes.

Dans l'arrêt R. c. Sandreswaren ((2001) O.J. No 3933), une condamnation avec sursis a été jugée inappropriée à l'endroit d'un conducteur ivre déclaré coupable de négligence criminelle causant la mort. Le juge a infligé une peine de deux ans d'emprisonnement en partie pour permettre au délinquant de suivre des programmes communautaires de sensibilisation aux dangers de l'alcool au volant. Le juge Cole a jugé qu'une période de 240 heures de travail communautaire était une solution de remplacement équitable à une peine d'emprisonnement supplémentaire d'un an.

[traduction] « À la lumière de tous les faits dont je dispose au sujet de l'accusé, je suis tout à fait prêt à accepter l'idée qu'il veuille sincèrement réparer les torts incalculables qu'il a causés. Il me semble que le dialogue en cours au sujet de la justice réparatrice au Canada - du moins dans le cas des délinquants adultes - privilégie nettement le devoir ou l'obligation du délinquant de fournir réparation à la collectivité (paragraphe 63) ».

Cette décision montre la volonté des juges de faire en sorte que les conditions de probation favorisent la reconnaissance du tort causé à la collectivité, par opposition au tort causé à la victime. Comme dans les arrêts précédents, le fait que la reconnaissance des torts causés s'adresse à la collectivité (et non à la victime) semble être fondé sur l'admission implicite selon laquelle les conditions ne peuvent réparer le mal causé aux familles qui ont perdu un proche, victime de crime. Cela reflète également la perception sans doute juste selon laquelle la famille de la victime ne veut aucun contact avec le délinquant.

Bon nombre de décisions publiées en matière de condamnation avec sursis concernent des infractions avec violence ou dommages graves, mais certaines autres concernent des crimes contre les biens. Dans l'affaire R. c. MacAdam ((2003) 171 C.C.C. (3d) 449), la Cour d'appel de l'Île-du-Prince-Édouard a prononcé une condamnation avec sursis dans une affaire de fraude, sans conditions de réparation. Elle infirmait ainsi une peine d'emprisonnement et une ordonnance de probation qui exigeait du délinquant qu'il dédommage les victimes (auxquelles il avait vendu des véhicules usagés dont il avait reculé l'odomètre). La majorité des juges de la Cour d'appel ont fait valoir des problèmes liés à quantification des dommages causés aux victimes et le risque que le délinquant ne soit accusé de manquement aux conditions de la probation s'il n'avait pas les moyens de dédommager les victimes.

Un juge dissident dans l'affaire MacAdam se serait rendu à l'avis du juge d'appel qui avait fait valoir l'absence de remords de l'accusé et le fait qu'il avait omis d'indiquer qu'il n'avait pas les moyens de dédommager les victimes. La préoccupation au sujet du risque d'inculpation pour manquement aux conditions d'une sanction communautaire comme une condamnation avec sursis ou une ordonnance de probation faute d'avoir les moyens de dédommager les victimes est légitime, mais l'on pourrait y remédier en modifiant les conditions imposées ou en reconnaissant que le fait de ne pas disposer des fonds nécessaires peut être une raison valable justifiant le non-respect des conditions de réparation (Manson, 2001).

Dans l'affaire R. c. Watkinson ((2001) 153 C.C.C. (3d) 561), la Cour d'appel de l'Alberta a également infirmé une peine d'emprisonnement dans une affaire de fraude et a opté pour une condamnation avec sursis. Elle a indiqué que des conditions de travail communautaire et de counseling en matière de toxicomanie peuvent être ajoutées à l'appui des objectifs de réparation. Dans ces deux affaires de fraude, la condamnation avec sursis ne prévoyait pas de réparation à l'endroit des victimes. Nous évoquerons plus loin dans le présent rapport les réformes susceptibles d'inciter les juges à ordonner plus souvent la réparation pour les victimes.

4.1 Résumé

Les décisions publiées depuis R. c. Proulx témoignent de diverses approches relativement aux intérêts des victimes et aux condamnations avec sursis. On note une certaine volonté de la part des tribunaux, à commencer par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R.A.R, de reconnaître les vertus réparatrices des sommes versées aux victimes ou aux organisations fournissant des services aux victimes. Or, les décisions publiées au sujet de crimes contre les biens ne démontrent pas que la condamnation avec sursis est utilisée à l'appui de la réparation financière. On s'inquiète du fait que la condamnation avec sursis n'est pas conçue pour favoriser le dédommagement des victimes d'actes criminels (Roach, 1999b). Certaines des affaires dénotent une volonté de favoriser les marques de reconnaissance non financières du tort causé, notamment par des lettres d'excuses, mais d'autres démontrent un respect des décisions des victimes d'éviter tout contact avec les délinquants.

Dans les affaires de violence conjugale, les cours d'appel adoptent différents points de vue, les unes acceptant la condamnation avec sursis en partie parce que la victime n'y est pas opposée, les autres concluant que les préoccupations au sujet de la sécurité de la victime devraient l'emporter sur la volonté de la victime que le délinquant purge sa peine dans la collectivité. Dans les cas où les victimes ont subi la perte d'un proche, les juges tendent à privilégier la reconnaissance et la réparation des torts causés à l'égard de la collectivité en posant en principe qu'aucune condition ne peut remplir les objectifs à cet égard à l'endroit des victimes elles-mêmes.

Page précédente | Table des matières | Page suivante

 

Haut de la page Avis importants