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Les sanctions communautaires :
le point de vue des victimes d'actes criminels

Julian V. Roberts et Kent Roach

le 31 mars 2004

  1. 5.0 Réactions des victimes d'actes criminels
    1. 5.1 Dégré de connaissance
    2. 5.2 Participation de la victime à l'audience de détermination de la peine
    3. 5.3 Apport de la victime aux conditions imposées et contacts avec la Couronne
    4. 5.4 Contacts avec les représentants du Programme d'aide aux victimes et aux témoins
    5. 5.5 Réactions de la victime à des conditions données
    6. 5.6 Sources d'insatisfaction concernant la peine
       

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5.0 Réactions des victimes d'actes criminels

Chaque victime de crime a une expérience et des opinions uniques. Comme l'a noté un avocat-conseil de la Couronne, les réactions des victimes dépendent d'une grande variété de facteurs, dont la gravité de l'infraction, la durée de l'action en justice, le traitement reçu des avocats et agents parajuridiques, et bien d'autres. Le défi du chercheur consiste donc à dégager les préoccupations communes. Les entrevues et les discussions en groupe ont permis d'en inventorier quelques-unes. Nous commençons par la question des réactions générales des victimes aux sanctions communautaires, pour passer ensuite à la question primordiale du degré de connaissance au sujet de la peine infligée.

Les victimes qui ont participé à la présente étude n'étaient pas nécessairement opposées au concept de sanction communautaire ou de condamnation avec sursis. Il n'est pas surprenant de constater que la perception de la sanction varie d'une victime à l'autre. Plusieurs estimaient qu'une condamnation avec sursis peut être efficace pourvu qu'elle soit suffisamment sévère et appliquée comme il se doit. En revanche, d'autres victimes pensaient que ce type de peine devrait être réservé aux infractions mineures. Une victime a indiqué qu'une peine de ce genre devrait être infligée aux adolescents, un peu comme quand on les punit par des interdictions de sortie. À Ottawa, deux victimes ont indiqué qu'elles étaient satisfaites de la condamnation avec sursis infligée dans leur cas parce qu'il s'agissait d'une première infraction, et que la condamnation était en soi une punition suffisante car le délinquant en éprouvait de la honte. Une autre victime jugeait la condamnation avec sursis appropriée parce qu'elle pensait que le délinquant avait besoin d'aide, et que l'emprisonnement ne serait bénéfique ni au délinquant ni à la collectivité. Il s'agit là d'un exemple de soutien aux principes de justice réparatrice.

De même, dans les cas où une condamnation avec sursis avait été infligée, les victimes n'avaient pas mal réagi à l'idée que le délinquant n'était pas en prison, bien qu'elles aient des inquiétudes au sujet d'un manquement possible aux conditions imposées. Dans l'un des cas de probation, la victime a jugé la peine équitable, mais a exprimé également le désir d'être informée des allées et venues du délinquant (voir ci-dessous). Deux victimes ont affirmé que la présence du délinquant dans la collectivité les forçait à rester chez elles : elles craignaient de rencontrer le délinquant dans le voisinage.

5.1 Degré de connaissance

Malgré les efforts déployés par les avocats-conseils de la Couronne et le personnel du PAVT, les complexités du système de justice laissent les victimes perplexes. Il n'est pas surprenant de constater que bon nombre des participantes trouvaient le processus pénal difficile à comprendre, y compris la phase de la détermination de la peine. L'une d'elles nous a apporté une copie d'un compte rendu de son expérience écrit de sa main. Voici quelques-unes de ses réflexions : « [traduction] J'étais complètement perdue […] de voir comment les gens peuvent changer d'avis, de plaidoyer à la dernière minute; c'est dur d'essayer de comprendre le système judiciaire ». Une autre a dit avoir eu le sentiment de « rentrer dans un tout autre monde ». Une participante a noté que c'était « totalement nouveau » pour elle. Une victime a affirmé qu'elle ne savait toujours pas, au moment de l'entrevue, ce qu'elle pouvait ou ne pouvait pas demander. Plusieurs victimes ont dit se sentir dépassées et ne savaient pas si l'on répondrait jamais à leurs questions.

Sur le chapitre de l'information reçue au sujet de la peine infligée, il convient de noter que presque toutes les victimes avaient reçu copie de l'ordonnance de probation ou de sursis, le plus souvent par la poste. Seulement deux avaient reçu copie des motifs de la décision, mais les victimes ont toutes exprimé le souhait d'obtenir les deux documents. En revanche, la plupart des participantes ont effectivement reçu l'ordonnance du tribunal, mais n'y ont pas compris grand chose. Elles en ont appris davantage sur les conditions imposées et sur les conséquences probables d'un manquement à ces conditions par leurs contacts avec le personnel du PAVT (ou la Couronne) que par la lecture du document lui-même. Une participante ne savait pas si la peine était une condamnation à l'emprisonnement avec sursis ou une période de probation.

Une autre victime était satisfaite dans l'ensemble de la peine infligée (une condamnation avec sursis accompagnée d'une ordonnance de probation), mais reconnaissait que la durée de la période de probation n'était pas totalement claire pour elle. (Elle n'avait pas reçu copie de l'ordonnance par la poste, mais elle a indiqué lors de l'entrevue qu'elle aurait souhaité en recevoir une copie.) Parmi les victimes qui avaient reçu copie de l'ordonnance, plusieurs ont indiqué qu'elles auraient aimé qu'un avocat ou un représentant du PAVT leur explique le contenu, particulièrement les conditions liées à la victime comme la non-communication. Une autre victime a dit que l'ordonnance qu'elle a reçue par la poste au sujet de la condamnation avec sursis était « pleine de jargon juridique ». Une autre a indiqué qu'elle avait reçu copie de l'ordonnance de probation par la poste, mais qu'elle « n'en avait pas compris un mot ».

Plusieurs victimes ont, de leur propre initiative, apporté à l'entrevue une copie de l'ordonnance de sursis [l]. L'examen de ces ordonnances a eu tôt fait de révéler pourquoi les victimes étaient déconcertées par leur contenu et les conditions imposées. Il manquait des éléments d'information déterminants dans plusieurs ordonnances. L'une d'elles qui concernait une condamnation avec sursis était en fait une ordonnance de probation à laquelle avait été incorporée une condamnation avec sursis, sans la moindre indication quant à la durée de celle-ci. La victime en l'occurrence avait entendu dire que le délinquant était « couvert pour cinq ans » mais n'en savait pas plus. En réalité, le délinquant avait été condamné à deux ans moins un jour d'emprisonnement avec sursis, suivi d'une période de probation de trois ans. Il s'agit là des périodes maximales dont disposent les juges pour ces sanctions, et la victime aurait dû en être informée. La documentation fournie aux victimes est souvent totalement insuffisante.

Le formulaire de condamnation avec sursis n'a pas été conçu pour fournir à un profane des renseignements généraux au sujet de la sanction; il s'agit plutôt d'un document juridique créé pour d'autres fins. Il est donc peu utile comme moyen d'informer la victime au sujet de la peine infligée au délinquant dans l'affaire qui la concerne. Il est primordial que la victime comprenne bien le contenu de l'ordonnance du tribunal. Vu les termes utilisés, il faudrait que les explications soient données en personne par un représentant du PAVT ou un avocat.

Il est important de fournir aux victimes de dommage à la personne de l'information au sujet de la condamnation à l'emprisonnement avec sursis, la nature paradoxale de la sanction (une peine de détention purgée à la maison) pouvant donner lieu à des malentendus. Par exemple, dans un cas, le délinquant avait été mis en détention avant le procès. Le tribunal l'avait condamné finalement à une peine d'emprisonnement avec sursis. Du point de vue de la victime, il avait été emprisonné (alors qu'il était présumé innocent), puis renvoyé chez lui après avoir été reconnu coupable [2] . La déclaration de culpabilité avait rendu au délinquant sa liberté, même si elle était restreinte. Ces paradoxes apparents sont limpides pour les professionnels de la justice pénale, mais ils devraient être expliqués aux victimes d'actes criminels et aux membres de la collectivité.

Dans un autre cas, le délinquant avait été mis en liberté sous caution, moyennant conditions, avant le procès et, selon la victime, avait violé certaines de ces conditions. La condamnation avec sursis qui lui a été infligée était assortie de conditions qui ne semblaient pas différentes de celles imposées sous caution, d'après la victime. Celle-ci a déclaré : [traduction] Dans notre cas, nous croyons que justice n'a pas été faite. Une peine non privative de liberté a été infligée assortie de conditions de probation (caution) semblables à celles qu'il a enfreintes avant d'être condamné, avant le procès. Alors qu'est-ce qui m'inciterait à penser qu'il va les observer maintenant? Une autre victime confrontée à la même situation l'a décrite en ces termes : [traduction] Le juge s'est contenté de lui donner ce qui lui avait déjà été donné. Plusieurs victimes ont indiqué qu'elles ne voyaient ou ne comprenaient pas la différence entre la probation et la condamnation avec sursis.

Presque toutes les victimes ont exprimé le souhait d'être mieux informées sur un point ou sur un autre, que ce soit relativement à la peine infligée, à son administration ou au délinquant. Elles auraient aimé qu'on leur dise si le délinquant observait les conditions qui lui étaient imposées, s'améliorait, suivait des programmes; à quelle date la peine prenait fin; etc. Elles auraient aimé recevoir copie des motifs justifiant le prononcé de la peine - raisons pour lesquelles le juge n'avait pas opté pour l'emprisonnement; durée de la condamnation avec sursis; nature des conditions dont l'ordonnance est assortie.

Les critères de décision du tribunal en laissaient plusieurs perplexes. Une participante avait été victime d'un crime grave à Toronto impliquant deux coaccusés. L'un n'avait pas de casier judiciaire tandis que l'autre était un récidiviste. Pourtant, le tribunal avait infligé la même peine aux deux délinquants. La victime ne comprenait pas pourquoi, étant donné que leur profil était différent.

5.2 Participation de la victime à l'audience de détermination de la peine

Presque toutes les participantes avaient rempli une déclaration de la victime, mais rares étaient celles qui avaient assisté à l'audience de détermination de la peine, et aucune n'avait présenté de vive voix sa déclaration. Peu d'entre elles savaient qu'elles avaient le droit de présenter leur déclaration à l'audience. Une participante a indiqué qu'elle n'avait pas présenté de déclaration par peur de représailles de la part du délinquant s'il n'était pas mis en prison. Plusieurs ne sont pas venues à l'audience parce qu'elles craignaient de rencontrer le délinquant « dans l'ascenseur ou dans le stationnement », pour reprendre les mots de l'une d'entre elles. Les victimes ont exprimé des sentiments d'insécurité au sujet de leur participation à l'audience, mais ont indiqué clairement qu'elles auraient été présentes si elles s'étaient senties plus à l'aise. Elles avaient demandé à un membre de leur famille d'y assister à leur place.

Dans un cas, deux victimes avaient voulu assister à l'audience de détermination de la peine, mais celle-ci avait été reportée. Elles n'ont pas été avisées de la nouvelle date et, de toute façon, l'audience a été reportée de nouveau. Cette fois, elles ont refusé d'y assister, ce qui est compréhensible. Ces reports (et le fait qu'elles n'ont pas été avisées de la seconde date) ont grandement perturbé les victimes. Pour couronner le tout, leurs déclarations ne sont jamais parvenues au tribunal, en raison d'une défaillance apparente du système. Elles avaient rempli chacune une déclaration de la victime et voulaient manifestement que le juge en prenne connaissance puisqu'elles avaient pris la peine de les envoyer au tribunal par messager. Le fait qu'elles n'ont jamais été remises à la Couronne et qu'elles n'ont donc pas été prises en compte à l'audience a grandement déçu les deux victimes.

5.3 Apport de la victime aux conditions imposées et contacts avec la Couronne

Les conditions imposées aux délinquants visés par une condamnation avec sursis ou une ordonnance de probation sont déterminantes à bien des égards, mais particulièrement en ce qui a trait aux intérêts de la victime. C'est pourquoi nous avons examiné la mesure dans laquelle les victimes ont pu se faire entendre auprès de la Couronne au sujet des conditions susceptibles d'être proposées par la poursuite à l'audience de détermination de la peine.

À la lumière des résultats de recherches antérieures, nous avions supposé que les victimes se diraient déçues de la quantité et peut-être aussi de la qualité de leurs contacts avec la Couronne. Toutefois, à deux exceptions près, toutes les victimes ont été satisfaites de leurs contacts avec la Couronne. La plupart (mais pas toutes, à en juger par leurs commentaires) avaient reçu et rempli un formulaire sur les observations de la victime. Dans ce formulaire, la victime indique si elle entend soumettre une déclaration et réclamer une condition de non-communication et si sa sécurité est menacée. Le représentant du PAVT remet ensuite ce formulaire à l'avocat-conseil de la Couronne chargé de l'affaire.

Les avocats-conseils de la Couronne ont peu d'occasions, et encore moins le temps, de fournir de l'information aux victimes d'actes criminels au sujet du processus de détermination de la peine ni de les préparer à celle qui sera probablement infligée. Néanmoins, ceux qui ont été interrogés ont souligné qu'ils faisaient leur possible pour expliquer leur position relativement à la détermination de la peine et pour demander son avis à la victime (lorsque cela était justifié) au sujet des conditions à ajouter dans l'éventualité où une sanction communautaire est infligée. La restriction la plus souvent réclamée est que l'on interdise au délinquant de s'approcher du domicile ou du lieu de travail de la victime. Parce qu'elles se font entendre dans les discussions relatives aux conditions imposées, les victimes ont le sentiment qu'on les écoute et que l'on prend en considération ce qu'elles ont à dire. Les avocats-conseils interrogés ont ajouté avoir avisé les victimes du fait que le choix des conditions est laissé en dernier ressort à la discrétion du tribunal, non de la Couronne. Ils ont tenté, dans la mesure du possible, d'expliquer pourquoi le tribunal inflige telle ou telle peine.

Dans un cas exceptionnel, la victime avait eu des contacts avec plusieurs avocats-conseils de la Couronne au fil d'une action en justice ayant traîné en longueur. Dans un autre, la victime avait eu une mauvaise expérience de l'audience de détermination de la peine; elle a indiqué qu'à la demande de l'avocat du délinquant, la Couronne lui avait suggéré de renoncer à assister à l'audience, et la peine imposée était bien loin, en durée du moins, de ce que la Couronne lui avait laissé espérer.

5.4 Contacts avec les représentants du Programme d'aide aux victimes et aux témoins

Toutes les victimes interrogées ont commenté en termes favorables le soutien que leur avait fourni le personnel du PAVT [3]. La plupart étaient en contact avec la même personne, qui avait manifestement su gagner leur confiance. En revanche, certaines victimes se sont dit déçues du fait que ces contacts aient pris fin après l'audience de détermination de la peine. Elles auraient aimé un certain « suivi ». Les victimes interrogées semblaient au courant du fait que cela n'était pas possible en raison des ressources limitées affectées au Programme d'aide aux victimes et aux témoins.

5.5 Réactions de la victime à des conditions données

Comme on l'a indiqué précédemment, les conditions ajoutées à une condamnation avec sursis définissent le contenu de l'ordonnance. Une condamnation à l'emprisonnement avec sursis peut être relativement inoffensive ou terriblement rigoureuse, selon le nombre et la sévérité des conditions discrétionnaires dont elle est assortie. (Voir à l'annexe A la liste des conditions obligatoires applicables à tous les délinquants visés par une condamnation avec sursis.) Dans l'arrêt Proulx, la Cour suprême a souligné que des heures de rentrée strictes ou la détention à domicile devrait être une condition standard de toutes les ordonnances de sursis [4] . Plusieurs victimes ont souligné que les heures de rentrée imposées au délinquant condamné dans leur affaire n'étaient pas rigoureuses. Dans un cas, par exemple, elles étaient fixées entre 21 h et 6 h du matin, ce que la victime jugeait proche de la normale et donc trop clémentes [5].

Détention au chalet?

Sans doute la plus troublante des conditions de « détention à domicile » relevée dans le cadre de cette étude se résumait à imposer au délinquant de rester dans sa maison ou son chalet pendant un certain nombre d'heures [6] . Selon la victime, le délinquant avait passé le plus clair de son temps à son chalet à recevoir des amis, situation qui influait sur sa perception de la sanction. Un séjour dans une résidence secondaire peut difficilement être considéré comme étant l'équivalent d'une peine de prison. Aucune des participantes ne pensait qu'une condamnation avec sursis équivalait à une peine d'emprisonnement.

Une condition en particulier, celle de l'abstention d'alcool, a suscité des commentaires de la part de plusieurs participantes, qui la jugeaient«" risible » parce qu'elle n'était pas exécutée ni même exécutoire, les délinquants n'étant pas soumis à des tests. Plusieurs ont fait des réflexions à propos de la condamnation avec sursis, par exemple sur le fait que le délinquant n'était pas privé de télévision. Mais il importe de souligner que les victimes ne semblaient pas préconiser une surveillance ni des conditions plus strictes simplement pour punir le délinquant. Ces déclarations aboutissaient souvent à la conclusion que c'était la seule façon de s'assurer que le délinquant suit un traitement. Le désir de conditions plus strictes était motivé par la nature et la gravité du crime commis : deux victimes préconisaient des conditions plus strictes et une surveillance et une application plus rigoureuse, mais surtout pour les délinquants condamnés pour infractions sexuelles.

Plusieurs des participantes pensaient que le délinquant qui les avait victimisées ne prenait pas au sérieux une condamnation avec sursis dont il pouvait violer les conditions relativement impunément. Les conditions laxistes ou non exécutoires jettent le discrédit sur l'administration de la justice. Les victimes et les défenseurs de leurs intérêts ont évoqué la condition d'interdiction d'utilisation de l'Internet. Elle avait été imposée à l'endroit d'un délinquant sexuel. La force exécutoire d'une telle condition suscite beaucoup de scepticisme. La plupart des membres du public sont peu susceptibles d'avoir connaissance de conditions de ce genre; les victimes d'actes criminels, en revanche, y attachent beaucoup d'importance lorsqu'une sanction communautaire est infligée.

Le manquement aux conditions de l'ordonnance, qu'il soit réel ou perçu comme tel, perturbait manifestement certaines victimes. Une femme qui avait subi des blessures graves lors d'une agression brutale avait appris par un parent du délinquant que ce dernier avait négligé de suivre un programme de maîtrise de la colère comme il était prescrit dans son ordonnance. Elle s'est dit anéantie par cette nouvelle : pour elle, le délinquant s'en fichait complètement. Comme l'ont déclaré bien d'autres victimes, loin de vouloir punir simplement le délinquant, cette femme pensait qu'un traitement pour la maîtrise de la colère était sa seule chance d'éviter la récidive.

5.6 Sources d'insatisfaction concernant la peine

Lenteur de l'administration de la justice

Les participantes se sont dit frustrées de la lenteur du système et du manque d'information reçue. L'une d'entre elles jugeait inacceptable le délai écoulé entre l'inculpation et la détermination de la peine. La durée de l'ordonnance en a surpris plus d'une. Il semble que les victimes s'attendaient à ce que le délinquant soit sous surveillance dans la collectivité pendant une période beaucoup plus longue.

Absence de surveillance électronique

Plusieurs victimes d'actes criminels à Toronto (mais pas à Ottawa) ont été surprises du fait que le délinquant n'était pas soumis à une surveillance électronique. Ces victimes avaient subi des blessures très graves. Il est clair qu'elles auraient été beaucoup plus tranquilles en sachant que le délinquant était soumis à une surveillance électronique pendant la durée de son ordonnance de sursis.

Surveillance des délinquants dans la collectivité

L'exécution des sanctions communautaires est une question qui préoccupe les victimes depuis longtemps. Une étude effectuée il y a vingt ans pour le ministère de la Justice aboutit à la même conclusion, selon laquelle l'insatisfaction exprimée au sujet des tribunaux réside plus souvent dans le fait que la peine n'est pas exécutée comme il se doit que dans la nature même de la peine (ministère de la Justice, 1984). Toutes les victimes, à deux exceptions près, ont exprimé de l'appréhension au sujet des conditions de la surveillance du délinquant dans la collectivité.

La plupart des participantes ne pensaient pas que la condamnation avec sursis était exécutée comme il se doit et ne savaient pas exactement quelles seraient les conséquences, si tant est qu'il y en ait, d'un manquement aux conditions imposées [7]. Seulement deux participantes pensaient qu'un manquement pouvait être puni d'emprisonnement; les autres n'avaient pas été informées des conséquences d'un manquement, et une victime croyait que le délinquant s'en tirerait indemne. Parce qu'elles avaient le sentiment que les conditions n'étaient pas exécutées comme il se doit, les victimes interrogées étaient en colère et inquiètes pour leur sécurité.

Plusieurs victimes ont rencontré ou vu dans leur quotidien le délinquant impliqué dans leur affaire, le plus souvent parce que ce dernier habitait à proximité, et non parce qu'il avait violé une condition d'interdiction d'approcher du domicile de la victime. Toutefois, deux victimes ont affirmé que le délinquant avait violé une condition ou plusieurs. L'une d'elles avait signalé à la police ce qu'elle pensait être un manquement aux conditions de l'ordonnance pour se faire dire qu'on allait s'en occuper; mais elle n'en avait plus jamais entendu parler, ni par la police ni par aucun autre professionnel de la justice pénale [8] . Elle ignorait si l'on avait pris des mesures à l'endroit du délinquant. On comprend que ces victimes soient préoccupées par ces violations présumées et par l'inactivité apparente des autorités. Nous avons également entendu parler de victimes vivant dans de petites collectivités dans lesquelles bien des gens pouvaient témoigner de manquements aux conditions d'ordonnance.

Nature et moment du plaidoyer

Dans tous les cas où le délinquant avait plaidé coupable, il l'a fait au dernier moment avant le procès. Les victimes en éprouvaient du ressentiment, tout en sachant que cela leur avait évité de devoir témoigner [9]. Toutes les administrations de common law accordent une atténuation de la peine en cas de plaidoyer de culpabilité. Toutefois, le moment choisi pour plaider coupable est d'une importance vitale : présenté dès le départ, il peut valoir au délinquant une réduction de peine substantielle; présenté au dernier moment, il devrait avoir beaucoup moins de poids comme circonstance atténuante.

Plusieurs victimes ont indiqué avoir beaucoup apprécié le fait que le délinquant ait plaidé coupable au début du processus. Dans un cas, le délinquant l'a accompagné de l'expression de ses remords, ce qui a beaucoup touché la victime qui s'est trouvée « remplie de compassion à son endroit ».

Dédommagement

Dans plusieurs cas, la victime avait subit des blessures graves (et permanentes dans un cas) qui leur avaient occasionné des dépenses; pourtant, la question du dédommagement ne retient pas beaucoup d'attention. Sur les conseils de leur avocat, ces personnes avaient intenté une action au civil contre le délinquant (qui était en cours au moment des entrevues avec les victimes). Plusieurs rencontres entre avocats avaient déjà eu lieu, et il était clair que l'action au civil était stressante pour les victimes. En outre, dans une certaine mesure, ces victimes avaient intenté une action au civil pour compenser la sanction qui avait été infligée au criminel. Dans un cas, aux dires de la victime, le délinquant était très riche et n'aurait aucune difficulté à la dédommager.


[l] Ce seul fait atteste de l'importance que les victimes d'actes criminels attachent aux conditions de la peine lorsque le délinquant purge cette peine dans la collectivité.

[2] Dans les cas de ce genre, le temps purgé en prison avant le procès est crédité. Il n'est pas certain que l'on ait attiré l'attention des victimes d'actes criminels sur cette pratique ou expliqué la « règle du deux pour un ».

[3] Comme elles nous avaient été renvoyées par le personnel du PAVT, toutes les participantes à l'étude avaient eu des contacts avec des services aux victimes. Toutefois, les défenseurs des intérêts des victimes ont souligné que certaines n'avaient pas été contactées par le PAVT, pour une raison ou pour une autre. Nous n'avons pu contacter de victimes dans cette catégorie, mais il y a lieu de s'inquiéter du fait que des victimes de dommage grave à la personne ne soient pas contactées par le PAVT.

[4] Les conditions comme la détention à domicile ou des heures de rentrée strictes devraient être la norme plutôt que l'exception (paragraphe 36).

[5] Les conditions imposées ne sont pas nécessairement punitives ou axées sur le traitement; certaines visent à inciter le délinquant à mener une vie plus rangée. Les conditions sont là pour assurer la bonne conduite du délinquant et l'empêcher de commettre de nouveau la même infraction ou de commettre d'autres infractions (alinéa 742.3(2)).

[6] Les chercheurs ont pu vérifier cette condition, effectivement présente dans l'ordonnance de condamnation à l'emprisonnement avec sursis que la victime a apportée à l'entrevue.

[7] En cas de manquement présumé à une condition de l'ordonnance, une audience a lieu. Lorsque le tribunal constate que, selon la prépondérance des probabilités, l'ordonnance a été violée sans justification, il peut donner un simple avertissement au délinquant, modifier les conditions de l'ordonnance ou incarcérer le délinquant pour le reste de la durée de l'ordonnance (ou toute autre période). La directive de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Proulx est claire : un délinquant qui a violé les conditions de l'ordonnance doit être incarcéré pour le reste de la durée de l'ordonnance.

[8] Nous n'avons pu déterminer si la police avait enquêté à ce sujet pour conclure que l'allégation n'était pas fondée. Peu importe le résultat de l'investigation, la victime devrait en être informée.

[9] À l'inverse, certaines victimes se sont dit frustrées parce que le plaidoyer de culpabilité les avait empêchées de témoigner.

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