Armoiries Cour suprême du Canada
Sautez toute la navigationSautez la navigation principale English Contactez-nous Aide Recherche Side du Canada
Accueil À propos de la Cour Visites de la Cour Jugements Communiqués
Renseignements sur les dossiers de la Cour Bibliothèque Loi et Règles FAQ Plan du site
Cour suprême du Canada

Rôle de la Cour

Le système judiciaire canadien

Édifice de la Cour

Création et débuts de la Cour

Juges de la Cour

À propos des juges

Les juges actuels

La juge en chef et ses prédécesseurs

Les juges puînés et leurs prédécesseurs

Discours

Administration de la Cour

Mandat et objectifs de la Cour suprême du Canada

Bibliographie sur la Cour

Occasions d'emplois

Documents de planification

Rapports sur le rendement

Divulgation proactive

À propos de la Cour

Juges de la Cour

Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
La civilisation de la différence*
Le 7 mars 2003

Mesdames et Messieurs, distingués invités, j’ai l’immense honneur de prononcer devant vous ce soir le discours d’ouverture du quatrième symposium annuel Lafontaine-Baldwin. Dans ses activités d’écriture, le juge est le plus souvent encadré par des faits et des règles qui délimitent son propos, mais Son Excellence John Ralston Saul ainsi que l’Institut du Dominion m’offrent ici un terrain d’expression beaucoup moins balisé. Ceux qui m’ont précédée à cette tribune - un journaliste, un homme politique et un philosophe - ont partagé avec vous, sans contraintes, leurs valeurs les plus profondes. Je voudrais faire de même ce soir.

Une question en particulier domine, plus que toute autre, l’histoire de l’humanité : celle de savoir comment traiter les personnes qui sont différentes de nous. Les êtres humains partagent un large éventail de caractéristiques communes. Nos différences génétiques sont négligeables; les femmes sont tout aussi créatives et capables que les hommes; les individus que nous qualifions de malades, de vieux ou de handicapés n’en sont pas moins vertueux, méritants et capables d’un apport valable que les autres; les personnes venant de toutes cultures et de toutes sociétés aspirent de la même façon à la sécurité, à l’amour et à l’accomplissement personnel. En résumé, les similitudes qui unissent les êtres humains l’emportent largement sur leurs différences.

Pourquoi alors nos différences dominent-elles notre discours dans tous les domaines -politique, juridique, social et domestique? Il suffit de lire les manchettes : L’Est contre l’Ouest pendant la guerre froide; les Serbes contre les Croates dans les Balkans; les Hutus contre les Tutsis au Rwanda et au Burundi. À peine ces crises viennent-elles d’être résolues qu’un nouvel affrontement fait les gros titres - l’Islam intégriste contre le monde occidental. Dans les domaines juridique, social et domestique, nous discutons de nos différences avec passion, qu’il s’agisse du droit des femmes à l’équité salariale, de la légitimité des familles homoparentales ou de la place de la religion dans la vie publique.

Je me propose ce soir d’explorer cette question avec vous. Pourquoi cette prépondérance de la différence? Comment pouvons-nous mieux gérer la différence? Le Canada, comme d’autres pays, est confronté à ces questions. Nous y avons parfois répondu en choisissant l’exclusion et la violence. Cependant, même tout à fait au début, une autre réponse apparaît : le respect, l’inclusion et l’accommodement. L’accommodement, dans ce contexte, signifie plus que des concessions parcimonieuses. L’accommodement, au sens fort où je l’entends, veut dire mettre fin à l’exclusion, encourager et cultiver l’identité de l’autre et célébrer les bienfaits de la différence. C’est cette attitude qui a fini par donner forme au Canada moderne; c’est elle qui façonne notre mode de pensée et nos politiques à l’égard des femmes, des membres des Premières nations et des nombreuses races et cultures qui composent le Canada du 21e siècle.

Je reviendrai plus tard à l’expérience canadienne. Mais permettez-moi d’abord de prendre quelques instants pour examiner la dynamique sous-jacente de la différence.

La dynamique de la différence

Pourquoi, malgré nos similitudes évidentes, sommes-nous portés à définir notre monde en fonction de nos différences, réelles ou présumées, et à les laisser dominer notre discours et notre conduite? Les philosophes étudient ce phénomène depuis longtemps. Jean-Paul Sartre parle de « l'autre » comme du concept par rapport auquel chacun se définit. Dans son livre sur l'identité et le langage, Soi-même comme un autre, Paul Ricoeur évoque le « travail de l'altérité au coeur de l'ipséité »1. Michael Ignatieff parle de façon émouvante de « l'étranger parmi nous » dans son livre The Needs of Strangers, retraçant la dialectique de la différence et du besoin dans l'histoire et la littérature. Malgré leurs perspectives et leurs contextes distincts, tous sont d'accord quant au rôle essentiel de la différence dans l'expérience humaine.

L'inéluctable besoin de l'homme de construire sa propre identité dans un contexte social explique en partie pourquoi nous accordons autant d'importance à nos différences. Même si nous célébrons l'individualisme depuis quelques décennies, il demeure que l'homme est un être social. Selon un aphorisme africain , « une personne ne devient une personne qu'à travers d'autres gens ». Être humain, c'est communiquer, parler, interagir avec d'autres êtres humains. Comme nous le rappelle Charles Taylor, la vie en groupe est un préalable à l'humanité dans toute sa plénitude. Cette interaction avec les autres nous met cependant en présence de la différence et, face à cette différence, nous sommes portés à prendre conscience de ce qui nous rend uniques physiquement, historiquement et culturellement. En fait, nous avons besoin de ce sentiment identitaire pour donner un sens à notre univers. Néanmoins, l'identité ne demeure pas purement personnelle; l'identité elle-même devient sociale. Au fur et à mesure que nous découvrons les attributs qui nous distinguent - les éléments de notre personnalité, de notre histoire et de notre culture qui nous tiennent à coeur - nous tissons des liens avec les autres personnes qui possèdent aussi ces attributs et ces valeurs. Dans ce processus, chaque personne devient un faisceau d'identités de groupe définies en fonction de sa race, son origine ethnique, sa langue, son sexe, sa religion et une multitude d'autres appartenances.

L'identité de groupe est une bonne chose. Elle nous engage vers un horizon façonné par une histoire et une mémoire communes qui nous permet de nous orienter et de donner un sens à notre vie. Elle nous dit qui nous sommes et nous rassure quant à notre valeur. Et c'est cela qui constitue la base de nos cultures - l'ensemble des normes, des accomplissements et des institutions qui sont propres à un peuple. Tant que l'identité de groupe est axée sur les valeurs communes, elle est enrichissante et constructive.

Mais l'identité de groupe peut être une mauvaise chose. Le revers des éléments communs, c'est la différence. Affirmer que je fais partie d'un groupe, c'est aussi affirmer que je ne fais pas partie d'un groupe différent. De là à considérer que le groupe qui est différent est inférieur au groupe auquel nous appartenons, il n'y a qu'un pas. Ce que nous voyons dans l'autre et non en nous peut sembler étrange et méprisable. à s'enorgueillir des attributs de notre groupe, on en vient rapidement à nier les attributs des autres groupes; l'affirmation de l'identité d'un groupe mène à l'affaiblissement de l'identité d'un autre groupe. L'affirmation positive « Nous sommes bons » fait place au superlatif « Nous sommes les meilleurs », ce qui implique que ceux qui sont différents de nous ont moins de valeur et donc moins droit à la plénitude de la dignité humaine et du respect. Les différences, même imaginées, sont amplifiées pour vanter les mérites du groupe dominant. Dans sa manifestation ultime, cette distorsion de la morale de groupe conduit à la déshumanisation des personnes qu'on juge différentes. On ne les considère plus comme des êtres humains, mais comme des êtres de moindre valeur dont on peut bafouer les droits impunément.

Les aspects négatifs de l'identité de groupe ont tendance à se renforcer eux-mêmes. Traiter les autres comme si leur valeur et leur capacité étaient moindres nous donne le sentiment d'être plus forts, plus vertueux et plus puissants. Nous nous sentons doublement valorisés, d'abord par nos liens avec les autres membres de notre groupe « supérieur »; ensuite, par les faiblesses présumées des personnes qui ne font pas partie de notre groupe. Il est beaucoup plus difficile de traiter avec respect et dignité ceux que l'on considère comme différents ou que l'on ne comprend pas.

On ne doit pas nier la force de cette dynamique de la différence; il faut y faire face dans toute sa réalité historique. Comme le dit John Ralston Saul dans sa conférence Lafontaine-Baldwin de l'an 2000, « le passé n'est pas le passé. C'est le contexte. Le passé, c'est-à-dire la mémoire, est un des outils les plus puissants, les plus pratiques que possède une démocratie civilisée ».2 L'histoire des êtres humains est l'histoire de l'oppression fondée sur la différence, réelle et imaginée. Les Athéniens ont inventé la démocratie, mais ne reconnaissaient pas les femmes et les esclaves comme membres de la cité. Les Romains traitaient les peuples conquis comme des esclaves. Les Chrétiens du Moyen-Âge menaient des croisades contre les infidèles. Des sociétés, comme les sociétés russe et indienne, reléguaient les gens ordinaires au rang sous-humain de serfs ou d'intouchables, à qui elles niaient les droits les plus fondamentaux et toute chance d'améliorer leur sort. Et au 20e siècle, une atroce distorsion de l'identité de groupe a provoqué la déshumanisation calculée et l'élimination des Juifs, des Tziganes et des personnes ayant une déficience physique ou mentale. On ne peut ignorer ces aspects de l'histoire qu'à nos risques et périls.

Ce passé n’est pas notre passé; il fait toujours partie de notre présent. La société moderne condamne l’esclavage, et pourtant des femmes et des enfants en sont encore victimes. La communauté internationale décrie la discrimination; cependant des gens se trouvent toujours dévalorisés à cause de leur race, de leur origine ethnique, de leur sexe, de leur religion ou de leur handicap. Au Canada, nous vantons notre société multiculturelle, même si le racisme, l’antisémitisme et l’intolérance religieuse se tapissent dans l’ombre, prêts à surgir. Le monde moderne promet ouvertement l’inclusion, mais pratique en fait l’exclusion : l’exclusion des réfugiés chassés de leur foyer; l’exclusion des femmes et des groupes minoritaires des institutions en place; et même, dans un registre plus proche de la vie courante, l’exclusion imposée par les petits tyrans dans les cours d’écoles. Nous proclamons le droit de tout être humain à la vie, mais tant que nous aurons en mémoire les événements du 11 septembre 2001, nous ne pourrons nier que beaucoup se sont fixé comme objectif inébranlable d’éliminer ceux qui sont différents.

Ce qui est à faire semble clair. L’observation du président Wilson selon laquelle « rien ... ne risque davantage de troubler la paix mondiale que le traitement ... que l’on peut infliger aux minorités » est tout aussi juste aujourd’hui qu’en 1920.3 Si nous ne voulons pas perpétuer les tragédies du passé, nous devons réprimer le côté obscur de la différence. Mais comment? Il y a deux solutions.

La première solution est de regarder l’histoire du monde : on y voit qu’on ne peut compter sur les êtres humains pour traiter d’une manière décente et digne les personnes qui sont différentes et on en conclut que la seule solution consiste à séparer les groupes au sein d’États-nations autonomes. Michael Ignatieff, dans The Needs of Strangers, soutient que les groupes ethniques « ne peuvent compter sur la protection incertaine et intermittente d’une conscience mondiale qui les défend comme des exemples de l’homme universel abstrait »4, et qu’il faut par conséquent leur assurer « un espace où vivre qui leur soit propre ». La réorganisation de l’Europe selon des critères ethniques et la création d’Israël après la guerre reflètent cette approche, qui a tout de même du bon. Comme l’a expliqué Georges Erasmus dans sa conférence Lafontaine-Baldwin de 2002, l’autogestion confère un certain respect et favorise l’autonomie et la dignité. Le sentiment de sécurité acquis grâce à l’autodétermination d’une communauté est particulièrement important dans le cas où, au fil de l’histoire, les pays se sont révélés incapables ou ont refusé de répondre aux besoins de certains groupes minoritaires.

Néanmoins, si attrayante soit-elle, la solution qui consiste à trouver un foyer ethnique pour chaque peuple du monde ne résout pas entièrement le problème. Premièrement, dans un monde où la plupart des États-nations comprennent des minorités ethniques et où la mobilité de la population à l’échelle de la planète est la norme, il est difficile de maintenir un État-nation défini selon des critères ethniques.

Deuxièmement, même si on réussissait à créer et à maintenir un État-nation défini selon des critères ethniques, cela n’empêcherait pas les affrontements entre les groupes d’États et les blocs ethniques qui ont marqué notre histoire récente. Troisièmement, la solution d’un État-nation ethnique ne règle qu’une partie du problème - son aspect politique. Elle n’enraye pas et menace même de cacher d’autres formes de discrimination et d’exclusion à l’intérieur de l’État-nation, car elle reste silencieuse sur le respect ou la valeur essentielle de l’être humain. Enfin, pour reprendre la mise en garde d’Alain Dubuc dans sa conférence Lafontaine-Baldwin de 2001, le nationalisme « s’il est exalté, [. . .] peut devenir un outil d’exclusion plutôt qu’une fenêtre sur le monde »5. Nous ne devons pas abandonner l’idée de l’État-nation comme moyen de nous attaquer au problème des conflits au sein d’une démocratie pluraliste; n’oublions pas, comme le dit John Ralston Saul dans sa conférence de 2000, que « [l]a démocratie a été et continue d’être construite à l’intérieur de la structure de l’État-nation »6. Pourtant, si notre but est de trouver une solution aux effets négatifs de l’identité de groupe, la solution de l’État-nation ne va tout simplement pas assez loin.

Cela nous amène à la deuxième façon de considérer les aspects négatifs de la différence - promouvoir le respect mutuel et l’accommodement à l’intérieur de l’État-nation. Cette approche s’appuie sur une seule prémisse - la valeur intrinsèque de chaque être humain. Dans une perspective historique, cette idée est révolutionnaire. Tout au long de l’histoire de l’humanité, les puissants et les privilégiés ont traité comme des êtres inférieurs ceux qu’ils considéraient comme différents. Quand les historiens étudieront la deuxième moitié du 20e siècle et le début du 21e siècle, ils décriront la notion d’égalité de tous les êtres humains comme l’une des idées novatrices qui ont marqué notre époque.

Pourtant, la morale du respect et de l’accommodement a des origines très anciennes. On en trouve l’écho dans les préceptes des religions occidentales voulant que l’homme ait été créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». L’Europe des lumières a contribué à la création du concept profane de la valeur fondamentale de l’être humain en célébrant l’universalité de la raison; Emmanuel Kant a insisté sur la nécessité de ne jamais traiter l’être humain seulement comme un moyen, mais aussi comme une fin. Le Romantisme a consolidé la notion de l’authenticité individuelle, basée sur l’idée que chaque personne détient un potentiel unique et fondamentalement précieux qui serait révélé par l’expression véritable. Ces courants de pensée, et d’autres encore, ont convergé et ont été mis à l’épreuve par les horreurs commises au cours de la première moitié du 20e siècle.

Il en a résulté une fusion des différentes conceptions de la valeur intrinsèque de tous les êtres humains et le net sentiment que la reconnaissance sociale et politique de cette notion était essentielle. John P. Humphrey, l’un des grands collaborateurs canadiens au projet de reconnaissance des droits de l’homme, a témoigné de cette vérité historique quand il a déclaré que, même si les droits de la personne n’étaient pas apparus plus tôt sur la scène internationale, « [e]n 1945, [. . .] le contexte historique avait changé et des références à ces droits apparaissent constamment en filigrane dans la Charte des Nations Unies »7. On peut constater aujourd’hui que le produit final de l’effort auquel a participé Humphrey, c’est-à-dire la Déclaration universelle des droits de l’homme, affirme avec éclat que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

Cette conception nouvelle de l’égalité fondamentale des êtres humains trouve son expression dans la langue du droit, à travers la reconnaissance des droits de la personne. L’égalité emporte avec elle le droit de chacun à la liberté. L’égalité n’existe que dans le respect de chaque individu. Il est facile d’énoncer des droits. Il est plus ardu de transposer et d’appliquer des droits qui n’existeraient autrement que sur papier pour que des personnes biens réelles en bénéficient concrètement.

Les déclarations formelles d’égalité ne suffisent pas pour éliminer la discrimination et l’exclusion. En fait, elles peuvent même les perpétuer. L’égalité formelle correspond à un traitement « séparé mais égal ». Le groupe est circonscrit, qualifié de « différent »; on dit à ses membres qu’ils sont égaux, mais avec une restriction importante : ils sont égaux dans leur propre milieu. Masquée derrière la façade de l’égalité formelle, la différence de groupe perpétue l’inégalité. Il n’est pas difficile d’en trouver des exemples. L’égalité formelle a permis que les Afro-Américains vivent pendant des décennies dans la ségrégation forcée. Aux yeux de beaucoup, elle justifie encore que les femmes soient traitées différemment. « Vous avez la même valeur », dit-on à ces groupes, « mais vous êtes différents ». Pour parvenir à la véritable égalité, il est essentiel de comprendre et de respecter la différence. Mais quand les différences sont fabriquées, exagérées ou non pertinentes, au bout du compte, on perpétue l’inégalité. La véritable égalité exige une évaluation honnête des similitudes et des différences réelles - une compréhension du contexte dans lequel l’être humain est dévalorisé. Pour que l’égalité devienne réalité, on ne peut se contenter de « discours sur les droits » pour reprendre les propos de Michael Ignatieff. Il faut dépasser les mots et voir la réalité, ou le contexte de l’individu et du groupe, pour comprendre l’autre dans la plénitude de son humanité. Cela requiert une ouverture d’esprit, une honnêteté intellectuelle et la volonté de combler l’écart entre les groupes avec empathie. Ce n’est qu’en considérant le membre d’un groupe différent sous cet angle qu’on peut assurer l’égalité et la dignité promises.

Perçus ainsi, les droits, tout comme l’État-nation, créent au sein de la société un espace protégé pour la différence; un espace où les communautés de diverses cultures peuvent se constituer et s’épanouir au coeur de la société civile qui les abrite. Cela s’applique aux droits « individuels » traditionnels qui permettent aux individus de former et de maintenir les groupes qui composent la société civile, d’adapter ces groupes au gré des circonstances et de promouvoir leurs points de vue et leurs intérêts auprès de l’ensemble de la population. Selon Will Kymlicka, « [o]n ne saurait surévaluer l’importance de la liberté d’association, de religion, de parole, de circulation et d’organisation politique pour la protection des différences de groupe »8. Mais une deuxième sorte de droits - les droits collectifs - sont aussi importants. Ce sont les droits inhérents que possède l’individu non pas en tant qu’individu, mais en tant que membre des groupes dont il fait partie, telle la protection de la langue ou de la religion des minorités. « Sans ces droits qui tiennent compte des différences entre les groupes, les membres des cultures minoritaires n’auraient pas la même possibilité, que les membres des cultures majoritaires prennent pour acquise, de vivre et de travailler dans leur propre langue et leur propre culture »9. Combinés, les droits individuels et les droits collectifs contribuent à établir une morale de respect de la différence et d’inclusion véritable des multiples « autres » dans une société diversifiée.

Les droits qui reconnaissent les individus comme membres d’un groupe ne mènent pas à la fragmentation de l’État. Certes, ces droits jouent un rôle important pour les communautés qu’ils protègent. Mais ils nous aident aussi à franchir les frontières qui séparent les groupes et à établir une communauté civile qui rassemble des groupes parfois foncièrement différents. Le langage des droits peut devenir le langage commun de la compréhension. Martha Minow, professeur de droit à Harvard, dit que « les droits fournissent un langage qui découle des liens entre les êtres humains, et qui en est l’expression, au moment même où les individus demandent aux autres de reconnaître leurs intérêts distincts »10.

Nous devons faire face au côté obscur de la différence entre les êtres humains. Nous devons reconnaître le coût de la marginalisation de l’autre parmi nous - un coût qui se paie avec la monnaie de la guerre, de la souffrance et du potentiel humain irréalisé. Nous devons offrir un refuge à nos minorités - le refuge physique de l’État-nation protecteur et le refuge conceptuel du respect et de l’accommodement incarnés dans le principe selon lequel toutes les personnes, quel que soit le groupe dont elles sont issues ou auquel elles sont associées, sont aussi méritantes et dignes du même respect. C’est la seule façon de combattre la discrimination et l’exclusion qui ont entaché une si grande partie de l’histoire de l’humanité.

L’expérience canadienne

Avec ce tableau en fond de scène, je voudrais maintenant parler de l’expérience canadienne en ce qui a trait à la dynamique de la différence et de ce qu’elle signifie pour nous, les Canadiens, à l’aube du 21e siècle. Le Canada, formé à partir de groupes puissants qui n’avaient pas les mêmes attributs linguistiques, religieux et culturels, a reconnu dès ses débuts la nécessité de faire entrer le respect et la tolérance dans les habitudes et de les enchâsser dans la législation sous forme de droits. Pour former une nation, les Canadiens ont dû composer avec la différence en apprenant à respecter les autres groupes culturels et linguistiques et en manifestant leur engagement à cet égard par l’octroi de droits. Toutefois, le Canada est né à une époque où régnaient le nationalisme ethnique, l’intolérance religieuse et linguistique, le racisme et l’inégalité des sexes. Ces aspects de notre passé se sont traduits en pratiques d’exclusion, d’assimilation et de discrimination à différents moments de notre histoire. Nous devons aussi regarder ces aspects sombres de notre passé et en tirer une leçon d’humilité. Un examen attentif de l’histoire du Canada peut nous dévoiler à la fois les solides assises d’une morale de tolérance et d’inclusion, et le côté obscur de l’appartenance à un groupe qui prend la forme de l’intolérance. Je veux examiner ces deux aspects de notre patrimoine, en espérant démontrer en fin de compte qu’au fur et à mesure du développement du Canada et de sa croissance en tant que nation, nous avons adopté et cultivé la première de ces traditions, celle de la tolérance, pour mieux affronter la seconde. Nous avons appris à valoriser et à inscrire dans nos institutions la morale du respect de la différence comme moyen de combattre la pensée de l’exclusion.

Le Canada est l’un des rares pays qui ait, dès ses débuts, abordé la question des minorités et des sous-groupes en recourant au mécanisme bidimensionnel de l’État-nation et de la pratique du respect et de la tolérance envers les minorités à l’intérieur de l’État-nation. La plupart des pays se sont développés à partir du modèle de l’État-nation ethnique et continuent d’y adhérer, souvent en présence de groupes ethniques divers à l’intérieur même de leurs frontières. Des nations européennes comme l’Allemagne et la France s’accrochent encore - de plus en plus difficilement, il faut le dire - à l’idéal du nationalisme ethnique.

L’histoire du Canada est bien différente. D’autres pays commencent à peine à prendre conscience de l’importance cruciale de la façon dont ils traitent « les autres ». Le Canada, au contraire, s’est vu forcé de composer avec cette réalité depuis ses tout débuts. Par les accords de paix qui ont mis un terme à cent ans de guerres entre l’Angleterre et la France à la fin du 18e siècle, l’Angleterre a obtenu la possession des anciennes colonies françaises en Amérique. Deux des plus importantes - le Québec et les Maritimes - se trouvaient dans le territoire qui allait devenir le Canada. Les habitants de ces terres parlaient une langue et pratiquaient une religion différentes de celles de leurs nouveaux dirigeants. L’Angleterre a traité ces deux colonies distinctes de deux façons différentes.

La première se résumait à une approche d’exclusion basée sur l’origine ethnique des minorités. L’Angleterre a exigé que les francophones des Maritimes, les Acadiens, s’intègrent, du moins en prêtant le serment d’allégeance à la Couronne britannique. Le refus, réel ou présumé, des Acadiens de s’intégrer a entraîné leur déportation vers ce qui allait devenir les États-Unis et vers les contrées lointaines de l’Europe. Beaucoup d’entre eux ont fini par revenir, mais profondément marqués les séparations et les souffrances, qui découlent forcément de telles dispersions. Le traitement infligé aux Acadiens est l’exemple typique d’une politique exclusionniste de l’État-nation.

Pour sa part, la population française du Bas-Canada était trop nombreuse et trop solidement implantée pour être déracinée et expulsée de cette façon. L’Angleterre ne souhaitait pas s’engager dans un conflit avec ses colons du Bas-Canada. Pour résumer une histoire longue et complexe, l’Angleterre a finalement accédé aux demandes du gouverneur Carleton, qui passa trois ans à Londres à insister pour que la population francophone du Québec puisse conserver sa langue, sa religion et sa tradition de droit civil. Le résultat, bien que motivé en grande partie par des considérations pragmatiques, s’est traduit par un engagement en faveur de l’accommodement, incorporé dans l’Acte de Québec de 1774 - le respect et la tolérance, concrétisés par l’octroi de droits. Un demi-siècle plus tard, le mécontentement face aux contraintes coloniales a donné naissance à des mouvements en faveur de la démocratie et à une rébellion tant au Haut-Canada qu’au Bas-Canada. Lord Durham fut dépêché d’Angleterre pour trouver des solutions. Dans son rapport de 1840, Lord Durham tourna le dos à la tradition canadienne d’accommodement et de tolérance et recommanda le retour à des politiques d’assimilation qui donnaient priorité à l’Angleterre et aux traditions anglaises. Mais sous le leadership de Lafontaine et de Baldwin, les colons rejetèrent la vision de Lord Durham d’un État-nation unitaire assimilé. Les anciennes colonies du Haut et du Bas-Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick qui s’unirent en 1866 et 1867 pour fonder notre pays, le Canada, avaient appris une leçon essentielle : la seule façon pour ce nouveau pays de réussir était de se doter d’une constitution qui garantissait le respect mutuel et la tolérance. C’est ainsi que le Canada est né, non pas du nationalisme, mais de la nécessité pragmatique d’accepter la différence.

Ce début créa l’espace où les colonies, auxquelles allaient bientôt se joindre celles de la Colombie-Britannique et de l’Île de Vancouver, l’Île-du-Prince-Édouard, les provinces des Prairies et, plus tard, Terre-Neuve et le Labrador, ont pu s’unir et croître. La Confédération et les droits garantis par la Constitution fournirent un mécanisme permettant la poursuite du dialogue de l’accommodement - un dialogue qui se perpétue encore aujourd’hui sur toute une série de sujets, depuis la prestation des soins de santé par l’État et les vues fédérales-provinciales sur l’environnement jusqu’aux droits des minorités sexuelles et aux revendications territoriales des Autochtones.

L’une des questions les plus discutées au Canada en ce qui touche les différences de groupe est celle de la protection des droits linguistiques des minorités. La langue, au même titre que toute autre caractéristique, identifie la minorité dans sa différence par rapport à la majorité, car la langue est le fondement de la communication. Les êtres humains semblent considérer instinctivement ceux qui ne parlent pas leur langue comme ne faisant pas partie de leur groupe culturel. Il n’est donc pas surprenant que, malgré la réalité multilingue de nombreux pays, une langue commune unique soit encore pour beaucoup le facteur de cohésion essentiel sans lequel une nation se désintègre. C’est ainsi que l’éminent historien américain Arthur Schlesinger Jr avance, dans The Disuniting of America, qu’il serait sottise pour les États-Unis d’accorder à l’espagnol quelque statut officiel que ce soit. Schlesinger déclare que « le bilinguisme institutionnalisé ferme des portes. Il favorise la ghettoïsation volontaire et la ghettoïsation favorise à son tour l’antagonisme racial [. . .] L’utilisation d’une autre langue que l’anglais condamne les gens au statut de citoyens de deuxième classe dans la société américaine »11.

Dans les faits, cependant, on peut répliquer que l’expérience du bilinguisme au Canada a prouvé le contraire - dans les États aux prises avec de profondes différences linguistiques, la reconnaissance du droit d’utiliser des langues minoritaires consolide l’unité nationale. La protection de la langue et de la religion des minorités au Canada continue de servir son objectif initial - celui de garantir aux citoyens issus des minorités que la majorité respectera leur identité. Les droits linguistiques reconnus aux membres des minorités leur servent de rempart contre la crainte d’être marginalisés, leur permettent de jouer pleinement leur rôle de citoyens à part égale, confortés par l’assurance de ne pas être exclus en raison de leur identité linguistique. Les avantages de l’inclusion l’emportent largement sur les coûts économiques des services bilingues. Rappelons ce que dit le juge en chef Dickson à cet égard au nom de la Cour Suprême du Canada en 1990 : « toute garantie générale de droits linguistiques [. . .] est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est plus qu’un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle. C’est le moyen par lequel les individus se comprennent eux-mêmes et comprennent le milieu dans lequel ils vivent »12. Placer les intérêts linguistiques sous la protection de l’État constitue donc un moyen pour la société d’exprimer son engagement en faveur de l’intégrité des cultures et du respect de la dignité des individus.

En somme, la protection constitutionnelle des deux langues officielles au Canada souligne le rôle essentiel de la langue dans la conception que chacun se fait de son identité. Elle souligne en même temps le caractère primordial, pour notre société, de l’intégrité des cultures et du respect de la dignité de chaque personne qui s’exprime à travers des caractéristiques culturelles aussi riches que diversifiées.

Les fondements du Canada sur une morale de respect et de tolérance ont fourni aux citoyens de deux cultures distinctes l’espace nécessaire pour résoudre leurs différences politiques, linguistiques et religieuses dans un climat d’adaptation mutuelle. Cependant, cela ne veut pas dire que les vieux réflexes d’exclusion n’ont pas persisté. Malheureusement, en contrepoids à notre remarquable histoire d’accommodement et de respect, le premier siècle de l’histoire du Canada a été marqué par la morale de l’assimilation et de l’exclusion de peuples classés dans des groupes spéciaux - ses premiers habitants, les Peuples autochtones, les immigrants de races dites « différentes » — c’est-à-dire d’origine ni française, ni anglaise — et les quelque 52 % de la population, qui étaient des femmes.

La politique de notre pays à l’égard des habitants ancestraux du territoire canadien, les Peuples autochtones, oscille, au cours de notre histoire, entre l’exclusion et l’assimilation, d’une part, et l’acceptation respectueuse, d’autre part. Avant la Confédération, les groupes autochtones étaient souvent traités comme des nations autonomes. En fait, les Hurons et les Mohawks ont joué un rôle important, dans les camps opposés, pendant les guerres franco-britanniques qui se sont déroulées sur le territoire qui allait devenir le Canada. Mais au 19e siècle, à mesure que la colonisation progressait, l’exclusion, le confinement et l’assimilation ont fini par dominer la politique canadienne. La plupart des gens conviennent maintenant que le résultat est, au mieux, un échec et, au pire, une tragédie. Ce n’est que dans les dernières décennies que les Premières nations ont commencé à réclamer leur identité de groupe et la place qui leur revient de droit dans notre pays.

Le rapport de 1996 de la Commission royale d’enquête sur les Peuples autochtones a mis à nu une histoire qu’on peut sans exagérer qualifier de discrimination institutionnalisée. La Proclamation royale de 1763 reconnaissait le droit des Peuples autochtones à leurs terres et stipulait qu’elles ne pouvaient leur être retirées à moins d’un consentement négocié avec la Couronne. En realpolitik du 19e siècle, cela signifiait le système de traités, par lequel les Sauvages, comme on les appelait, renonçaient à leur droit à un territoire plus grand en échange d’une parcelle de terre réservée plus petite - la réserve - et de cadeaux mineurs. En Colombie-Britannique, il n’y a pas eu de traités; les Premières Nations ont simplement reçu des parcelles de terre pour y vivre.

Il était clair que les Peuples autochtones n’étaient alors que des citoyens de seconde classe. En 1857, le Haut-Canada a adopté la loi intitulée Act to encourage the gradual Civilization of the Indian Tribes in the Province, qui prévoyait l’octroi du droit de vote aux Indiens « de bonne réputation », lesquels seraient alors reconnus comme des « non-Indiens ». L’idée était claire. Les Peuples autochtones étaient considérés comme des « sauvages non civilisés ». La seule solution était d’en faire des « non-Indiens » ou, pour reprendre les propos du premier ministre John A. MacDonald, « d’en finir avec le système tribal et d’assimiler totalement les Indiens au reste de la population du Dominion ». Après l’adoption de la première loi sur les Indiens, l’Acte des Sauvages, en 1876, les institutions culturelles et pratiques religieuses autochtones firent l’objet d’attaques. Sur la côte ouest, la cérémonie du « potlatch » a été interdite. Dans les Prairies, on a appelé la police pour interrompre la danse du soleil, une cérémonie lourde de signification culturelle pour les Peuples autochtones de la région.

Dans une sorte d’enchaînement illogique, les politiques d’assimilation étaient jumelées à des pratiques d’exclusion dans le système largement répandu des réserves. Avec l’adoption, en 1885, par le ministère des Affaires indiennes du système de laissez-passer, ceux-là même dont les dirigeants déclaraient qu’ils devaient être assimilés devinrent pratiquement prisonniers dans leurs réserves. Le système de pensionnats pour les enfants autochtones, qui a vu le jour en 1849 à Alderville, en Ontario, et plus tard s’est étendu, reproduisait les mêmes tendances à l’exclusion et à l’assimilation, avec les conséquences souvent tragiques qui commencent à peine à être mises au jour. Les politiques du début du 20e siècle n’étaient guère meilleures. Le modèle assimilation-exclusion s’est poursuivi. En ce qui a trait à l’exclusion, ce n’est que dans les années 50 et 60 et au prix d’une renonciation à leur statut d’Indiens que les Autochtones canadiens ont obtenu le droit de vote. Pour ce qui est de l’assimilation, Duncan Campbell Scott, surintendant adjoint des Affaires indiennes, déclare en 1920 que la politique du gouvernement est de « continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé dans la société, qu’il n’y ait plus de question indienne ni de ministère des Affaires indiennes ».

La poursuite simultanée de l’exclusion et de l’assimilation a entraîné l’acculturation, la marginalisation et la tragique perte de l’identité et de l’estime de soi. La politique d’exclusion a nié aux Peuples autochtones l’égalité des chances. Par ailleurs, la politique d’assimilation les a privés de leur histoire, de leur langue et de leur culture collectives, minant ainsi leur identité en tant que groupe. Les aspects positifs de la dynamique de groupe - une identité solide ancrée dans l’histoire et la culture de l’individu - s’en trouvaient affaiblis; les aspects négatifs - l’isolement, l’aliénation et le manque de perspectives d’avenir - s’en trouvaient renforcés. Malgré les objectifs souvent louables de personnes bien intentionnées, il est difficile, en rétrospective, de concevoir une approche à autrui plus problématique.

On ne peut que déplorer la perte qu’ont représentée, pour notre pays, l’exclusion et la dévalorisation des cultures autochtones. J’ai grandi dans une petite communauté du sud-ouest de l’Alberta. À quelques milles de l’école où j’allais, se trouvait la réserve de la Première nation de Peigan, une tribu de la confédération des Pieds-Noirs, qui avait pendant des siècles dominé les plaines de l’Ouest, région faisant maintenant partie du Canada et du nord des États-Unis. À part les gens qui venaient de temps à autre travailler au ranch, je connaissais peu de choses de la vie sur la réserve. Mes amis étaient les enfants de mon école. Les enfants de Peigan fréquentaient l’école de la réserve. Égaux, peut-être. Mais très évidemment séparés.

Lors de ma dernière année à l’école secondaire, deux élèves de la réserve se sont joints à nous. Ils avaient de bonnes notes, étaient les étoiles de l’équipe de basket et excellaient en art. Ils voulaient tous les deux aller à l’université. L’un d’eux en particulier, George, voulait devenir avocat. Je me souviens qu’il me parlait de son rêve; dans le temps, une vocation aussi élevée ne m’était pas encore venue à l’esprit pour moi-même.

George se butait, cependant, à un obstacle redoutable. À cette époque, en Alberta, pour l’admission à l’université il fallait un crédit en seconde langue. Les seules langues acceptées étaient le français, le latin et l’allemand. George parlait couramment deux langues - le Pied-Noir et l’anglais. Malgré de très bonnes notes dans toutes les autres matières, il n’a pas réussi l’examen de français. Il n’est donc pas allé à l’université, comme moi, à l’automne. Il est allé à Calgary pour suivre des cours de français. J’ignore ce qu’est devenu George, mais je sais qu’il n’a jamais réalisé son rêve de devenir avocat. Pourquoi? Parce que, pour revenir à ce que je disais plus tôt, la morale de l’égalité formelle ne pouvait pas comprendre sa réalité et lui reconnaître toute sa valeur et toute sa dignité. Le perdant, ce n’est pas seulement lui, mais c’est aussi nous.

Les Peuples autochtones ont répondu à la politique d’assimilation-exclusion par une « résistance constante », comme l’explique Georges Erasmus dans sa conférence de 200213. Ces dernières années, nous avons assisté à la renaissance de la communauté. Les Peuples autochtones ont entrepris une démarche de redécouverte de leurs traditions et de leurs valeurs, reconstruisant leur communauté, explorant et partageant leurs cultures. Les protections constitutionnelles ont été étendues à la communauté autochtone, permettant ainsi l’épanouissement des intérêts de ses membres. Chez les non-Autochtones, le paternalisme et l’exclusion sont de plus en plus remplacés par le respect et l’accommodement. Citons une fois de plus Georges Erasmus : « La reconnaissance des droits des Autochtones par les cours de justice et dans la Constitution a été cruciale pour que les Peuples autochtones redeviennent des agents dynamiques dans l’orientation de notre vie collective »14.

L’histoire canadienne d’exclusion des minorités et de marginalisation de ceux qui appartiennent à des groupes considérés comme « différents » ne se limite pas à la communauté autochtone. Les Canadiens d’origine chinoise sont venus au Canada pour aider à construire nos chemins de fer. Leur tâche accomplie, ils ont dû subir l’oppression de lois répressives et discriminatoires. On leur a imposé un droit d’entrée au pays. Des mesures empêchant l’immigration des femmes ont été adoptées. Le manque de femmes chinoises, qui en est résulté a provoqué la crainte non fondée que les hommes chinois ne jettent leur dévolu sur des femmes blanches. On a donc interdit aux hommes chinois d’embaucher des femmes blanches.

Les Canadiens de race noire ont eux aussi souffert de l’exclusion et du racisme. Entre 1782 et 1785 , environ 3 500 Noirs, dont la plupart étaient des anciens esclaves qui avaient combattu au côté de la Grande-Bretagne en échange de leur liberté, ont fui vers ce qui est maintenant la Nouvelle-Écosse et le Nouveau- Brunswick à la fin de la Révolution américaine. Une fois dans les Maritimes, ils n’ont pas obtenu les terres qu’on leur avait promises; ils ont été forcés de travailler dans des projets publics de voirie et on leur a refusé un statut égal à celui des Blancs. Déçus, 1 190 hommes, femmes et enfants ont quitté Halifax sur 15 bateaux pour la Sierra Leone. Soixante-cinq sont morts en cours de route. En 1796, six cents Marrons - des gens connus pour avoir longtemps résisté à la domination coloniale européenne - sont arrivés dans les Maritimes pour subir le même sort misérable que les Loyalistes noirs affranchis. Eux aussi, ils sont partis pour la Sierra Leone. En 1814-1815, environ 3 000 Noirs américains réfugiés de la guerre de 1812 se sont installés dans les Maritimes, et dans les années 1920, des centaines d’immigrants des Antilles, qu’on appelait des « arrivants tardifs », sont venus à l’île du Cap-Breton pour travailler dans les mines et les aciéries. Le Québec et l’Ontario ont connu des immigrations semblables, et des colonies noires se sont établies à l’ouest du Canada. Les Noirs sont venus au Canada en s’attendant à y trouver respect et accommodement. Ils ont trouvé bien peu de l’un et de l’autre. Malgré l’abolition de l’esclavage en 1833, les Canadiens de race noire ont été exclus des écoles, des églises, des restaurants, des hôpitaux et des transports publics, et on leur a refusé un traitement égalitaire dans les domaines de l’habitation et de l’emploi.

La liste des groupes raciaux qui ont subi l’exclusion et la discrimination est sans fin. Les Canadiens d’origine ukrainienne ont été internés pendant la Première Guerre mondiale. Les Canadiens d’origine japonaise, tout comme ceux d’origine allemande ou italienne, ont été envoyés dans des camps pendant la Seconde Guerre mondiale. En plein 20e siècle, les Canadiens juifs ne pouvaient, à cause de l’antisémitisme, accéder à la propriété à certains endroits désignés. Et par une grave expression d’intolérance et de manque de respect pour « l’autre », qu’on étiquette comme étant différent, il y a eu au milieu du 20e siècle une loi autorisant la stérilisation des personnes considérées comme des déficients mentaux.

L’exemple à la portée la plus considérable qu’on puisse citer de la pensée régie par l’exclusion est notre histoire du traitement des femmes. Celles-ci forment 52 % de la population canadienne. Et pourtant, pour le plus clair de l’histoire du Canada, elles ont été reléguées à un statut social inférieur. Pourquoi? Une fois de plus, c’est l’argument familier - les femmes sont différentes. L’évidente différence biologique entre hommes et femmes a été extrapolée pour s’appliquer à toutes les formes de comportement féminin. Les femmes avaient un cerveau plus petit et elles étaient moins douées. Elles étaient congénitalement plus faibles. Elles agissaient par émotion; seuls les hommes pouvaient penser. Il n’y avait de là qu’un pas à franchir pour conclure que les femmes ne devraient pas avoir le droit de voter ni de pratiquer la médecine ou le droit, et qu’elles devraient être exclues des charges publiques. Les conséquences de cette culture illogique des stéréotypes ont été de refuser aux femmes le statut de première classe. Leur identité en tant qu’êtres humains réfléchis et responsables a été mise en doute, leur humanité a été niée. Elles étaient des individus, certes, mais sûrement pas des personnes à part entière.

Comme ailleurs en Occident, les femmes au Canada ont commencé à remettre en question ces hypothèses à la fin du 19e siècle. Elles se sont battues pour que leurs droits soient reconnus par la loi et elles ont obtenu gain de cause. Cela a pris du temps. Ce n’est qu’en 1920 que les Canadiennes ont obtenu le droit de vote aux élections fédérales. Et ce n’est qu’en 1929, dans la célèbre affaire « personne », que les femmes ont été reconnues, en droit, comme des personnes pouvant occuper une charge publique.

Tout comme lors de la lutte des Autochtones, l’égalité des femmes devant la loi ne s’est cependant pas transformée en véritable égalité. Les vielles idées ne disparaissent pas du jour au lendemain. Dans l’esprit de bien des gens, les femmes demeuraient des êtres humains fondamentalement différents, avec les limitations fondamentales correspondantes. Elles avaient des aptitudes pour les tâches domestiques, pour devenir secrétaires ou infirmières ou pour d’autres rôles d’adjointes. Elles n’étaient cependant pas aptes, de toute évidence, à occuper des postes prestigieux. Cette mentalité d’exclusion était étayée par des attitudes profondément ancrées qui voulaient que la première place des femmes fût au foyer avec les enfants. Les femmes qui voulaient faire du droit, de la médecine ou de la politique pouvaient toujours tenter leur chance, mais elles pouvaient rarement accéder au sommet à cause des attitudes qui dominaient à l’époque. Leurs difficultés ont suscité des déclarations comme celle de la journaliste française Françoise Giroud : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente »15.

Il est maintenant largement admis qu’il n’y a aucune raison de s’adonner à des généralisations négatives à l’emporte-pièce sur la capacité et le caractère des femmes. Il est admis que les femmes agissent et peuvent agir tout aussi efficacement dans tous les milieux. Et il est admis - par beaucoup sinon par tous - que la cuisine et le soin des enfants ne sont pas des dons proprement féminins; les hommes peuvent eux aussi y prendre plaisir et exceller dans ces domaines. Pourquoi avons-nous donc persisté si longtemps à croire que les femmes étaient fondamentalement inaptes à travailler sauf aux tâches domestiques et pour aider les hommes à réaliser de plus grands idéaux? La réponse nous ramène à la dynamique de la différence. Plutôt que d’évaluer honnêtement et avec un esprit ouvert les différences entre les hommes et les femmes, les gens ont exagéré ces différences et en ont tiré des conclusions qui n’avaient rien à voir avec les talents véritables des femmes et qui ne respectaient en rien leur droit de choisir les orientations de leur vie. En un mot, les stéréotypes se sont transformés en sagesse populaire, donc inattaquable. Un mythe qui a évacué la réalité et exclu les femmes.

Pourquoi le mythe des insuffisances féminines a-t-il duré si longtemps? Pourquoi détient-il encore maintenant un pouvoir persistant sur nos attitudes et sur nos actions? Pourquoi ne pouvons-nous pas reconnaître, comme cela est en train de se passer pour les minorités ethniques, que les différences biologiques entre les hommes et les femmes ne devraient pas limiter la place de ces dernières dans la société? Pourquoi, en un mot, ne pouvons-nous pas, en ce qui concerne les femmes, évoluer d’un esprit d’exclusion vers un esprit d’inclusion? Les réponses sont complexes. Il est possible que les institutions sociales et religieuses, et peut-être les structures mêmes de nos institutions, appuient une mentalité d’exclusion.

Par exemple, de nombreux bureaux et lieux de travail canadiens continuent de fonctionner selon le modèle édouardien d’il y a cent ans. On s’attend à ce que le gagne-pain de la famille - on suppose que c’est Papa - soit disponible en tout temps pour aller travailler ou pour voyager. Cela est rendu possible parce que la maîtresse de maison - on suppose que c’est Maman - consacre ses efforts exclusivement à la maison et à la famille. Ce modèle ne correspond plus à la réalité des familles canadiennes, où de plus en plus les deux parents doivent travailler à l’extérieur du foyer pour gagner les revenus nécessaires et où les deux parents participent aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants. Nous commençons à explorer les diverses manières d’amener l’organisation du travail à s’harmoniser avec la réalité de nos vies - garderies de jour sur le lieu d’emploi, programmes de services de garde d’enfants, horaire flexible et télétravail, autant d’options qu’on explore actuellement. Tant que les milieux de travail fonctionneront d’après les repères de l’époque édouardienne, les femmes seront, au mieux, stressées et, au pire, elles retomberont dans le rôle implicite de seule personne chargée des enfants et des tâches domestiques, renforçant par là les anciennes attitudes.

L’organisation du milieu de travail est importante. Mais la culture du milieu de travail l’est aussi. Récemment, l’associé principal d’une entreprise nationale me disait : "Pourquoi est-ce que tant de femmes quittent l’entreprise après seulement quelques années? Elles comptent parmi nos plus brillantes jeunes recrues. Nous investissons dans leur formation. Nous leur permettons d’avoir un horaire flexible. Et pourtant elles sont plus nombreuses à partir que leurs confrères, habituellement pour un autre emploi tout aussi prenant. Nous savons où elles vont, mais nous ne savons pas pourquoi."

Ce serait présomptueux de ma part d’essayer de répondre à cette question honnête et importante. Pourtant, une observation que j’ai entendue récemment m’a frappée : pour être heureux au travail il faut avoir des amis et au moins un mentor. Nous voici devant un autre aspect de la nécessité de trouver dans les institutions de la majorité dominante une place pour les minorités, qu’il s’agisse de minorités raciales, religieuse ou sexuelles. La personne minoritaire peut trouver hostile la culture du milieu de travail ou pour le moins ne pas s’y sentir à l’aise. Le harcèlement sexuel, qui était courant et toléré dans la culture organisationnelle, est devenu légalement et socialement tabou. Et pourtant, les employés minoritaires peuvent se sentir dévalorisés de plusieurs manières plus subtiles. Les gens ont besoin de soutien. Les gens ont besoin de mentors. Les membres d’un groupe minoritaire au travail trouvent peut-être moins d’appui et de mentors que ceux de la majorité. Il n’est pas étonnant qu’ils recherchent un environnement plus accueillant. La leçon est claire. L’interdiction n’est pas la seule manière d’exclure. Ceux qui sont différents parmi nous peuvent être exclus ou marginalisés de diverses façons plus subtiles.

Si le Canada n’a pas gagné la guerre contre l’exclusion des femmes, nous avons mené les premières batailles les plus importantes. Nous avons rejeté les politiques d’exclusion qui rendaient jadis inaccessibles aux femmes les leviers d’influence, de pouvoir et de participation entière à la vie de la société. Nous montrons l’exemple à d’autres nations en ouvrant, pour les femmes, de nouvelles perspectives. Nous comptons plus de femmes parmi nos juges de rang élevé, nos professeurs d’université et nos médecins en exercice que bien d’autres pays occidentaux. Personnellement, je pense que dans ma propre profession, la pratique du droit, il est plus facile pour une femme de réussir au Canada que presque partout ailleurs. Et pourtant, malgré ces accomplissements - et ils ne sont pas négligeables - nous avons encore du travail à faire. Les questions relatives à l’égalité des femmes continuent d’être d’actualité. Peu de femmes occupent des postes supérieurs dans les domaines de la politique et du commerce. Statistique Canada révèle que nous n’avons pas réalisé l’équité salariale16. Et le problème de la violence contre les femmes persiste.

Le bilan du Canada en ce qui touche le traitement des Peuples autochtones, des minorités raciales et des femmes - sans mentionner les gays et les lesbiennes - nous apprend que, même si notre nation est fondée sur une morale de tolérance et d’accommodement, nous se sommes pas immunisés contre la pensée de l’exclusion et ses conséquences néfastes. La tendance naturelle de la majorité et des puissants à voir la minorité et les moins puissants comme inférieurs et moins en droit de participer à toutes les facettes de la vie du pays, refait constamment surface au Canada. Nous avons dévalorisé les Peuples autochtones, les minorités ethniques, les personnes handicapées et les femmes, autant que d’autres ailleurs les dévalorisent. C’est une réalité qu’il ne faut pas minimiser. Et pourtant, à partir de cette histoire complexe et préoccupante, nous avançons progressivement vers une société où la valeur de tous sera pleinement reconnue, quels que soient leur race, leur religion ou leur sexe. Depuis la Seconde Guerre mondiale et la reconnaissance internationale de la valeur égale de tous et du droit au traitement égal qui en découle, le Canada a progressé plus rapidement que bien d’autres pays vers un modèle de société plus inclusif et plus respectueux.

Le droit, tout en ne suffisant pas à lui seul, a joué un rôle crucial dans cette progression. Au Canada, le Parlement et les législatures ont réagi rapidement après la Seconde Guerre mondiale et les horreurs de l’holocauste afin de protéger les droits des minorités. En 1944, l’Ontario a adopté la Racial Discrimination Act, qui interdit la publication et la dissémination de documents racistes ou discriminatoires à l’égard d’une religion. En 1947, la Saskatchewan Bill of Rights Act a amorcé une révolution législative qui visait à une large protection des droits et des libertés civiles. Ces innovations législatives s’harmonisaient avec le mouvement engagé au niveau international dans le cadre de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En 1962, le premier Ontario Human Rights Code reconnaît « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables [conformément] à la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par les Nations Unies ». La Nouvelle-Écosse a édicté la Human Rights Act l’année suivante. Puis ce fut le tour de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard. En 1973, toutes les provinces avaient promulgué une loi sur les droits de la personne et en 1976, le gouvernement fédéral fit de même.

Par son adoption en 1982, la Charte des droits et libertés a élevé les droits fondamentaux, les droits des Autochtones et le droit à l’égalité au rang de loi suprême. C’est par rapport à la Charte que toute action gouvernementale et toute législation doivent être jugées. La Charte est l’expression ultime et profondément canadienne de la primauté accordée à la liberté et à la dignité humaine.

La Charte a eu un impact monumental sur le droit canadien et même sur le droit d’autres pays, dans ce que Kent Roach a appelé « un important commerce d’exportation de la Charte »17. Mais la Charte est plus qu’un instrument de plaidoirie ou un texte juridique destiné aux avocats. Un coup d’oeil sur nos journaux prouve à quel point les Canadiens adhèrent à la Charte et aux valeurs et principes qu’elle incarne. Alain Dubuc affirme que la rapidité et la facilité avec lesquelles les Canadiens se sont attachés aux droits consacrés dans la Charte s’expliquent par l’éternelle insécurité que nous éprouvons en tant que nation à l’égard de notre identité18. Je préfère penser que la Charte témoigne d’une morale de respect et d’inclusion qui fait partie du tissu social du Canada depuis le début de son existence et que la manière dont les Canadiens se rallient à la Charte indique bien son harmonie avec l’identité de notre pays. Comme j’ai tenté de le démontrer, il y a au Canada une histoire culturelle et politique unique qui est inextricablement liée à la morale universelle du respect et de l’accommodement. L’histoire constitue nos racines et nous montre la voie que nous avons parcourue en tant que nation. La morale, elle, élargit la perception que nous avons de nous-mêmes en incluant l’engagement à respecter tous les types de différences dans un avenir imprévisible. L’une et l’autre forment maintenant des aspects immuables de l’identité de notre pays, et les deux se reflètent dans la Charte.

Ainsi, la Charte, plus que tout autre document, exprime la morale canadienne, le sentiment du pays par rapport à lui-même. La Charte nous offre à tous, quelle que soit notre race, notre religion ou notre sexe, un lieu sûr où réaliser nos aspirations. Enfin, le langage de la Charte nous fournit un vocabulaire commun grâce auquel nous pouvons exprimer nos diverses perspectives, afin que tous les Canadiens aient accès au débat public où quelques-uns des problèmes les plus difficiles et les plus controversés sont discutés. La Charte n’a pas créé de consensus. Mais en exprimant nos valeurs les plus fondamentales -- avant tout le respect que nous éprouvons envers autrui quelles que soient les différences -- elle nous a fortifiés et nous a donné à chacun un lieu qui nous est propre. En nous donnant le vocabulaire commun des droits, elle nous a permis de comprendre les circonstances propres aux uns et aux autres et de trouver les accommodements essentiels à une société diverse et multiculturelle.

La Charte protège la différence. Mais indépendamment des droits spécifiques, le respect des minorités est devenu un élément inséparable de notre tissu constitutionnel. Le 20 août 1998, la Cour Suprême du Canada a prononcé son jugement dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec19. En soulignant notre longue tradition de protection des droits des minorités, la Cour a reconnu cette protection, au même titre que le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, comme l’un des principes fondamentaux qui sous-tendent notre architecture constitutionnelle.

Le Canada, en tant que nation enracinée dans la différence et le respect, a érigé une structure juridique impressionnante pour protéger la différence. Mais cette structure n’est pas simplement le droit. Ce n’est pas un ordre juridique imposé de l’extérieur. C’est une structure qui exprime notre histoire de respect des minorités et notre engagement toujours plus fort à promouvoir des politiques d’inclusion et d’accommodement et la croyance en la valeur et la dignité fondamentales de chaque être humain. On ne peut atteindre l’inclusion et l’égalité seulement en établissant des droits. Mais quand les droits reflètent les valeurs d’une nation et sont acceptés comme instrument pour résoudre nos différends et trouver des compromis, ils acquièrent une profonde importance. Si l’on ajoute à cet ensemble des attitudes de tolérance, de respect et de générosité - attitudes que les Canadiens possèdent dans une grande mesure - l’avenir est lumineux pour la société inclusive dont nous rêvons. Dans The needs of Strangers, Michael Ignatieff écrit « L’amour ... est peut-être le plus désespéré et le plus pressant des besoins humains. Et pourtant, nous ne pouvons forcer quelqu’un à nous aimer. Il est impossible de revendiquer l’amour comme un droit de la personne. »20

Mon espoir est le suivant. Si nous ne pouvons revendiquer l’amour, il faut viser le respect et l’accommodement. Comme ambitions nationales, ce n’est pas si mal.

_____________________

Notes

1. P. Ricoeur, Soi-même comme un autre, (Paris : Éditions du Seuil, 1990) p. 368.

2. http://www.operation-dialogue.com/lafontaine-baldwin/f/2000_discours.html.

3. Séance plénière. 31 mai 1920 : HWV Temperley, A History of the Peace Conference of Paris, vol 5 (London/New York : Oxford University Press, 1969).

4. M. Ignatieff, The Needs of Strangers (London : Penguin, 1984) p. 53.

5. http://www.operation-dialogue.com/lafontaine-baldwin/f/2001_discours.html

6. Précité, note 2.

7. J.T.P. Humphrey, Human Rights & The United Nations: A Great Adventure (Dobbs Ferry, NY : Transnational Publishers, 1984) p. 12.

8. W. Kymlicka, Multicultural Citizenship (Oxford : Oxford University Press, 1995) p. 26.

9. Id, p. 126.

10. M. Minow, Making All the Difference (Ithaca and London : Cornell University Press, 1990) p. 296.

11. A. Schlesinger, The Disuniting of America: Reflections on a Multicultural Society (New York and London : W.W. Norton & Co., 1998) p. 113.

12. Mahe c. Alberta, (1990) 1 R.C.S. 342, par. 32

13. J.R. Saul, A. Dubuc, G. Erasmus, The Lafontaine Baldwin Lectures: A Dialogue on Democracy in Canada, vol. 1, sous la direction de R. Griffiths (Toronto : Penguin, 2002) p. 118.

14. Id, p. 104-105.

15. Le Monde, 11 mars 1983.

16. Statistique Canada, Gains moyens selon le sexe et le régime de travail, basé sur CANSIM II, tableau 202-0102

17. K. Roach, The Supreme Court on Trial: Judicial Activism or Democratic Dialogue (Toronto : Irwin Law, 2001) p. 60.

18. Précité, note 5.

19. [1998] 2 R.C.S.217.

20. The Needs of Strangers, précité, p. 18-19.

*Discours également disponible sur le site LaFontaine-Baldwin.

Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
Symposium LaFontaine-Baldwin, Halifax, Nouvelle-Écosse
Le vendredi 7 mars 2003

 
   
Date de modification : 2004-03-19
Avis importants