Étude de cas d'Al-Pac
Première partie :
Objectifs de gestion
Daniel
Farr, Biota Research
Steve
Kennett, Institut canadien du droit des ressources
Monique
M. Ross, Institut canadien du droit des ressources
Brad Stelfox, Forem Technologies
Marian
Weber, Alberta Research Council
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Cette étude de cas a été commandée
comme recherche de base pour La Conservation du capital naturel
du Canada: Le programme de la forêt boréale.
Les opinions exprimées dans l’étude de
cas sont celles des auteurs et ne représentent pas
nécessairement celles de la Table ronde nationale,
de ses membres ou des membres du Groupe de travail du programme.
Juillet
2004
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Objectifs de gestion pour favoriser la
conservation du capital naturel
Les objectifs de gestion définis dans cette
étude de cas offrent un cadre conceptuel pour une analyse
subséquente des obstacles d’ordre réglementaire
et fiscal qui entravent la conservation du capital naturel, et de
diverses politiques possibles pour surmonter ces obstacles. Ils
sont tirés des critères et indicateurs de gestion
durable des forêts définis par le Conseil canadien
des ministres des forêts (CCMF, 2000), condensés et
modifiés en fonction de la zone de cette étude de
cas. Ces objectifs représentent une série de mesures
qui favoriseraient une ou plusieurs valeurs de conservation, dont
la diversité biologique, l’état et la productivité
de l’écosystème, les ressources pédologiques
et hydriques, les cycles écologiques à l’échelle
mondiale, ainsi que les avantages économiques et sociaux.
Les tendances passées et envisageables dans l’avenir
pour les indicateurs essentiels, et une analyse des incidences importantes
de l’utilisation des terres ont pour but de favoriser la compréhension
des difficultés que comporte la réalisation de chaque
objectif de gestion.
Les objectifs de gestion élaborés pour
cette étude de cas s’énoncent comme suit :
- maintenir l’ensemble du couvert forestier;
- maintenir les forêts anciennes;
- maintenir le régime de perturbation naturelle;
- maintenir les principaux éléments
aquatiques et hydrologiques;
- reconnaître et protéger les zones
qui font l’objet d’utilisations et de valeurs traditionnelles
pour les Autochtones;
- créer des zones dans la forêt aménagée
où les incidences humaines sont interdites ou fortement
réduites;
- réduire la densité de la perturbation
linéaire et gérer l’accès humain;
- maintenir les stocks et les puits de carbone terrestre.
Maintenir l’ensemble
du couvert forestier
Valeurs prônées
Le couvert forestier compte parmi les caractéristiques
écologiques les plus déterminantes de la ZGF d’Al-Pac,
qui s’étend sur environ 2,4 millions d’hectares,
soit 41 p. 100 de la zone d’étude. Le maintien du couvert
forestier favoriserait la conservation de la biodiversité
en assurant l’habitat des espèces qui dépendent
des forêts. Il favoriserait également la conservation
des ressources pédologiques qui sont indispensables à
la production de fibre ligneuse; les sols jouent également
un rôle écologique important pour filtrer et régler
le débit des eaux de surface et des eaux souterraines, et
pour le cycle des éléments nutritifs. D’autres
écoservices comprennent l’élimination des polluants
atmosphériques et la modération du climat local. Comme
ce sont les forêts qui abritent la plus grande part de la
biomasse terrestre du carbone biotique de la région, le maintien
du couvert forestier favoriserait également le stockage du
carbone. Les avantages économiques et sociaux liés
au couvert forestier sont nombreux. Ils découlent de la foresterie,
de la chasse et du piégeage de la faune forestière,
de la pêche, des activités de loisirs et du respect
des valeurs culturelles et spirituelles, notamment de celles des
Autochtones (Anielski et Wilson, 2001).
Incidences de l’utilisation
des terres
Le déboisement est un problème d’importance
mondiale qui a aussi une pertinence locale considérable,
en raison de la dépendance des collectivités locales
envers l’emploi et les revenus associés à la
production du bois et à la valeur des services écologiques
décrits ci dessus. Les causes du déboisement dans
la zone de l’étude comprennent les routes et jetées
forestières, les éclaircies du secteur énergétique
(p. ex. puits, pipelines, routes, profils sismiques, mines à
ciel ouvert), les émissions industrielles et la coupe à
blanc liée à l’expansion agricole et à
la récolte du bois juste au Sud de la zone d’étude.
Le changement climatique pose une autre menace au couvert forestier,
avec la hausse des températures et la plus grande sécheresse
du sol qui sont censées entraîner dans l’avenir
un remplacement progressif des communautés boisées
par des herbages (Bergeron et Flannigan, 1995).
Tendances des indicateurs
Le couvert forestier dans la zone d’étude
a diminué d’environ 3 p. 100 au cours des dernières
décennies (Illustration 8), en raison des éclaircies
industrielles liées aux activités des secteurs forestier
et énergétique. La majeure partie (80 p. 100) de l’empreinte
industrielle actuellement présente dans la région
consiste dans des aménagements linéaires (p. ex routes,
pipelines, profils sismiques), le reste étant composé
de puits, de mines de sables bitumineux et de jetées de blocs
de coupe (Illustration 9). Si l’expansion industrielle se
poursuit au cours des prochaines décennies, l’empreinte
industrielle augmenterai de plus de 150 p. 100 pour atteindre environ
380 000 hectares par rapport aux 144 000 hectares actuels. Cette
augmentation est surtout censée être liée aux
mines de sables bitumineux, aux pipelines et aux routes (Illustration
9). La perte nette de couvert forestier au cours de cette période
est censée atteindre environ 4 p. 100 (Illustration 8). Dans
cette projection, certains éléments (p. ex routes
principales) sont censés durer indéfiniment, tandis
que d’autres (p. ex. lignes de profils sismiques) sont censés
être de beaucoup plus courte durée.
Illustration 8. Tendances passées
et projetées dans le couvert forestier de la ZGF d’Al
Pac.
Illustration 9. Changements projetés
dans l’empreinte industrielle à l’intérieur
de la ZGF d’Al Pac, 2000 2050. Les zones légèrement
ombrées indiquent la zone en 2000 ; les zones fortement ombrées
représentent la partie qui viendra s’ajouter en 2050
selon un scénario d’activité modérée
du secteur énergétique.
Maintenir le régime
de perturbation naturelle
Valeurs prônées
La perturbation naturelle, aspect déterminant
de la forêt boréale, a constitué dans le passé
l’influence la plus forte sur la structure et la composition
de la végétation dans la zone étudiée.
Les incendies de forêt et d’autres phénomènes
naturels tels que les pullulations d’insectes, les vents violents
et la dynamique des trouées dans le couvert forestier ont
fortement influé sur la biodiversité forestière
et les processus écologiques à un certain niveau d’échelles
spatiales. Les régimes de perturbations naturelles boréales
se distinguent surtout par leur variabilité; les perturbations
sont très variables en taille, en fréquence et en
intensité (Eberhart et Woodard, 1987; Cumming, 1997; Johnson
et al., 1998; Stelfox et Wynes, 1999). Le maintien d’un régime
de perturbation naturelle dans la région favoriserait la
conservation des espèces qui exigent des habitats pionniers
et des structures créées par les incendies; il s’agit
entre autres des pics-bois (Hobson et Schieck, 1999), des scolytes
et des végétaux pyrophytes tels que la vergerette
du Canada. Les perturbations naturelles favorisent également
la productivité de l’écosystème en émettant
les éléments nutritifs que contient la végétation
vivante et en la restituant au sol. Certains éléments
nutritifs sont ensuite transportés dans d’autres masses
d’eau par le flux souterrain et de surface. En outre, tandis
que les incendies de forêts émettent du carbone biotique
pendant la combustion, une bonne part de ce carbone demeure sous
la forme de troncs d’arbres qui se décomposent lentement.
En outre, des stades de succession écologique plus jeunes
créés par le feu piègent le carbone à
des taux plus élevés que les peuplements plus anciens
qu’ils remplacent.
À l’échelle des peuplements forestiers
individuels, les forêts perturbées par les phénomènes
naturels contiennent un vaste éventail de structures résiduelles
(Stelfox, 1995; Lee et Crites, 1999). Par exemple, les peuplements
qui ont poussé après un incendie retiennent en général
la plupart de la biomasse qui existait avant le brûlage (Eberhardt
et Woodard, 1987). Ces structures résiduelles, sous forme
d’arbres morts sur pied, de billes abattues et d’arbres
vivants qui ont survécu à l’incendie, offrent
un habitat à de nombreuses espèces. Accroître
la proportion de peuplements abattus qui contiennent une structure
résiduelle favoriserait ainsi la conservation de la biodiversité.
Incidences de l’utilisation
des terres
Les méthodes modernes de lutte et de suppression
des incendies sont appliquées dans le Nord Est de l’Alberta
depuis les années 1960 (Murphy, 1985), quoique le degré
selon lequel ces activités aient réussi à réduire
la superficie brûlée ne soit pas clair (Cumming, 1997,
2001). Même si la superficie brûlée est peut-être
plus petite, nombre de zones qui brûlent sont soumises à
la réexploitation. La réexploitation réduit
l’héritage de perturbations naturelles dans la forêt
future en éliminant les arbres morts sur pied utilisés
par des espèces telles que les pics-bois et les scolytes
(Lindenmayer et al., 2004).
L’exploitation conventionnelle (non complémentaire)
touche également les peuplements forestiers en éliminant
une bonne part de la structure qui demeurerait autrement après
un incendie. En Alberta et ailleurs dans la forêt boréale
du Canada, la coupe à blanc est la principale méthode
d’exploitation. Al-Pac a instauré une coupe à
blanc modifiée pour accroître la rétention de
la structure résiduelle (Al-Pac, 1999). En moyenne, environ
5 p. 100 du volume commercialisable est retenu dans les peuplements
surtout feuillus exploités par Al-Pac. Même si ceci
représente une amplitude relativement restreinte de variabilité
par rapport à la perturbation naturelle, l’éclaircie
structurée favorise la conservation des espèces qui
sont tributaires de ces structures. Toutefois, le peuplement conifère
récolté par des détenteurs de contingents ne
contient, en général, pour ainsi dire aucun volume
commercialisable retenu.
Tendances des indicateurs
Environ 900 000 hectares ont été brûlés
par le feu dans la ZGF d’Al-Pac de 1970 à 2003 (Illustration
10), soit un taux annuel moyen d’incendie d’environ
0,5 p. 100, ou 27 000 hectares par an. D’après les
archives, avant 1950, les incendies étaient plus fréquents
(Andison, 2003), ravageant au moins 1 p. 100 des forêts par
an. Il est possible que la lutte contre les incendies au cours des
dernières décennies ait réduit l’incidence
du feu dans la zone de l’étude. Ou bien, les conditions
météorologiques et les facteurs d’attisement
ont peut-être, récemment, été moins propices
aux incendies qu’il y a plusieurs décennies.
Illustration 10 : Répartition
des incendies à l’intérieur et autour de la
ZGF d’Al Pac, 1970 2003. Source : Al Pac.
L’étendue de la réexploitation
dans la zone d’étude est variable mais, au cours de
la dernière décennie, on estime qu’environ un
quart de la forêt commercialisable qui a brûlé
a ensuite été réexploitée (D. Pope,
comm. pers.). Un sommaire de la réexploitation des peuplements
brûlés en 1999 a révélé qu’il
y avait des plans de réexploitation pour 56 p. 100 de la
forêt commercialisable qui avait brûlé cette
année-là, même si une partie de cette zone s’est
par la suite avérée impossible à exploiter
(Al-Pac, 2004). Les facteurs qui influent sur l’étendue
de la réexploitation ont trait à l’accès
routier et au volume récupérable de bois restant.
En outre, les peuplements mûrs qui contiennent un volume relativement
important de bois réexploitable par hectare sont plus susceptibles
d’être réexploités que les peuplements
brûlés plus jeunes.
L’étendue future de la réexploitation
(et ainsi, des zones naturellement perturbées) est difficile
à prévoir parce que l’étendue future
des incendies de forêt est incertaine. Si le taux des incendies
demeure à un taux semblable à celui d’avant
1950 (1,25 p. 100 par an, Andison, 2003), une moyenne de 7 500 hectares
de forêt serait alors réexploitée chaque année.
Ceci part de l’hypothèse que les taux futurs de réexploitation
demeurent constants à 25 p. 100, ce qui est probablement
un chiffre prudent du fait que l’expansion du réseau
routier accroît la proportion des zones brûlées
accessibles. Comme la réexploitation vise de manière
disproportionnée les peuplements mûrs qui contiennent
un volume de bois relativement élevé, l’étendue
future des peuplements qui présentent un héritage
structurel important serait limitée.
L’étendue future de l’exploitation
traditionnelle (c.-à-d. non complémentaire) est plus
facile à prévoir que celle de la réexploitation.
La superficie des peuplements exploités de manière
conventionnelle dans la zone d’étude est actuellement
d’environ 250 000 hectares (Illustration 3). D’ici 2050,
on prévoit que 500 000 hectares de plus auront été
récoltés. Si Al-Pac demeure le seul exploitant qui
laisse la structure résiduelle sur ses blocs de coupe, environ
30 p. 100 de tous les blocs de coupe (c.-à-d. dans les peuplements
à dominante coniférienne) ne contiendra alors pour
ainsi dire aucune structure résiduelle.
Une implication connexe de la perturbation naturelle
future est la difficulté de maintenir un approvisionnement
constant de fibre ligneuse. Les niveaux viables de récolte
dans la forêt boréale du Canada ne tiennent généralement
pas compte des pertes futures causées par l’incendie,
parce que l’incidence future des incendies de forêts
est incertaine (Armstrong et al., 1999). Au contraire, les niveaux
de récolte sont en général recalculés
après les pertes importantes causées par l’incendie.
D’après une analyse des quantités disponibles
de bois réalisée pour la ZGF d’Al-Pac, dans
laquelle les pertes annuelles causées par l’incendie
sont prises en compte, les niveaux actuels de récolte (2,7
millions de m3 de bois feuillu et 2,0 millions de m3 de bois résineux
par an) seraient difficiles à maintenir pendant plus de 40
à 60 ans, après quoi des pénuries importantes
de fibre de bois résineux et de bois feuillu sont prévues
(Illustration 11). Les pénuries causées par les pertes
découlant des incendies accroîtraient la dépendance
des entreprises envers la réexploitation, ce qui réduirait
d’autant plus l’étendue des aires naturellement
perturbées.
Illustration 11. Tendances projetées
du volume de récolte jusqu’à l’an 2100
dans la ZGF d’Al Pac selon trois scénarios possibles
de fréquence des incendies : faible (0,83 % par an); modérée
(1,25 % par an); élevée (2,5 % par an).
Maintenir les
forêts anciennes
Valeurs
prônées
Les vieux peuplements forestiers contiennent
généralement le nombre le plus élevé
d’espèces végétales et animales de toutes
les étapes du cycle écologique dans la forêt
boréale. Ceci est dû à la grande diversité
des conditions d’habitat qui se sont instaurées au
fil du temps : arbres relativement vieux, grands et de large diamètre,
arbres morts encore sur pied ou abattus, microtopographie diversifiée
du tapis forestier (fosse et butte), trouées créées
dans le couvert forestier par les arbres abattus, et vaste éventail
d’âge et de taille d’arbres causé par le
recrutement constant dans les trouées du couvert forestier
(Stelfox, 1995). De nombreuses espèces atteignent le summum
de l’abondance à des stades de succession écologique
ultérieurs (Angelstam et Mikusinski, 1994; Schieck et al.,
1995; Kirk et al., 1996). Ainsi, le maintien des forêts anciennes
à une certaine amplitude de variabilité naturelle
favoriserait la conservation des espèces qui exigent ce genre
de conditions. Il favoriserait également la conservation
du carbone aérien, du fait que le volume du carbone stocké
a tendance à augmenter au fur et à mesure que les
peuplements vieillissent. Les forêts plus vieilles sont également
prisées pour leur taux élevé de productivité
primaire et secondaire, ainsi que pour leur attrait esthétique.
Incidences
de l’utilisation des terres
L’exploitation forestière et l’incendie
sont les causes premières de la réduction prévue
dans la zone de peuplements forestiers plus vieux de la région
étudiée. L’exploitation touche tout particulièrement
la partie de la forêt plus ancienne parce que les peuplements
plus vieux sont récoltés avant les plus jeunes (ce
qui augmente la quantité de bois disponible à long
terme). La production de bois atteint un sommet vers 70 ans pour
les peuplements à prédominance feuillue, et de 90
à 100 ans pour les peuplements à dominante résineuse.
La diminution de la superficie de peuplements plus
vieux menace la persistance des espèces qui ont besoin de
ces peuplements. Les effets de la perte de l’habitat sur certaines
espèces sont aggravés par leur réaction négative
au morcellement. Par exemple, la densité des parulines à
gorge noire est moins forte dans les petits îlots forestiers
que dans les grands (Schmiegelow, données non publiées).
Dans cette région, les taux d’incendie
sont censés augmenter en raison du changement climatique
mondial (Bergeron et Flannigan, 1995; Bhatti et al., 2002), tendance
qui menacerait davantage la superficie disponible de peuplements
forestiers plus anciens.
Tendances des indicateurs
Environ 40 p. 100 de la forêt commercialisable
de la zone d’étude, soit 10 p. 100 de la superficie
totale, est couverte de peuplements forestiers plus anciens (Illustration
12). Dans le passé, la superficie de la forêt ancienne
de la région a probablement fluctué considérablement
à l’intérieur d’une vaste amplitude de
variabilité naturelle, et la quantité, à quelque
moment que ce soit, donne ainsi un bref aperçu de nombreuses
quantités possibles. Dans une analyse de la superficie disponible
de forêt ancienne pour la ZGF d’Al-Pac, Andison (2003)
a évalué l’amplitude de variabilité naturelle
dans les vieux peuplements entre 8 et 33 p. 100 du territoire.
Illustration 12. Tendances prévues
dans la zone de forêt ancienne de la ZGF d’Al Pac selon
trois taux d’incendie possibles. (Mêmes taux d’incendie
qu’à l’Illustration 11).
Les activités d’exploitation forestière
dans l’avenir dans la zone d’étude réduiraient
considérablement la superficie disponible de forêt
ancienne au cours des prochaines décennies (Illustration
12). Ceci cadre avec la politique de rendement maximal soutenu selon
laquelle les peuplements qui ont atteint une maturité excessive
réduisent la capacité de production de fibre ligneuse
du territoire (Alberta Environmental Protection, 1994a, 1996). D’ici
la fin de la première rotation (c.-à-d. après
plusieurs décennies), les forêts anciennes seraient
réduites à des peuplements commercialisables qui n’auraient
pas atteint le stade d’exploitation (p. ex. zones riveraines,
pentes abruptes) et à des peuplements non commercialisables.
Les effets de l’incendie qui viendraient s’y ajouter
accéléreraient le rythme de cette perte (Illustration
12), les perturbations combinées de l’exploitation
et de l’incendie réduisant la superficie disponible
de vieux peuplements en deçà de l’amplitude
de variabilité naturelle au cours des prochaines décennies.
Comme les incendies ravagent les peuplements à la fois commercialisables
et non commercialisables, on ne peut s’attendre à ce
que les zones qui ne sont soumises à aucune exploitation
fournissent des superficies substantielles de vieux peuplements,
surtout si les taux d’incendie augmentent en raison du changement
climatique.
Maintenir les principaux éléments
aquatiques et hydrologiques
Valeurs prônées
La forêt boréale assure de nombreux
services hydriques, dont le recyclage de l’eau dans l’atmosphère
(par la voie d’évaporation et d’évapotranspiration),
ainsi que la filtration de l’eau qui coule en surface et à
travers le sol (Thormann et al., 2004). Des masses d’eau de
surface telles que les milieux humides, les lacs et les cours d’eau
fournissent un habitat à de nombreuses espèces, dont
celles qui sont véritablement aquatiques (p. ex. poissons,
huards) et celles qui ont besoin de l’habitat aquatique pendant
une tranche de leur vie
(p ex. grenouilles, castors, pélicans).
Une influence aquatique dominante dans la zone d’étude
se situe dans la vaste région des terres humides. Ce sont
des terres saturées par l’eau depuis assez longtemps
pour favoriser les phénomènes aquatiques ou les processus
propres aux terres humides qui se manifestent par exemple sous la
forme de sols mal drainés, d’une végétation
tributaire de l’eau, et divers types d’activités
biologiques adaptées à un milieu humide. Une combinaison
de facteurs environnementaux, dont une topographie plate, une abondance
de dépôts glaciaires mal drainés et un climat
froid et humide, ont entraîné la création de
vastes étendues de terres humides dans l’ensemble de
la forêt boréale de l’Alberta (Vitt et al., 1996;
Thorman et al., 2004). Dans la zone d’étude, les terres
humides sont le type dominant de communauté naturelle, et
couvrent un peu plus de la moitié du territoire de six millions
d’hectares. La plupart des terres humides de la région
sont des tourbières (p. ex. basses et hautes) qui se distinguent
par des peuplements d’épinette noire dispersés
et à croissance lente, et par des habitats sans arbres dominés
par des herbes, des carex et des mousses. Les écoservices
importants qu’assurent les terres humides comprennent la filtration
de l’eau, le stockage et la régulation des régimes
d’écoulement, le piégeage du carbone et l’habitat
faunique.
La réduction des effets négatifs sur
la qualité et la quantité de l’eau, outre la
réduction du rythme d’élimination ou de détérioration
des terres humides, favoriserait la conservation de la diversité
biologique et des ressources foncières et hydriques, et le
bilan du carbone.
Incidences de l’utilisation des terres
Dans le Nord-Est de l’Alberta, de nombreuses
terres humides et masses d’eau sont alimentées par
des sources souterraines qui sont parfois sensibles aux activités
industrielles telles que le pompage de l’eau souterraine jusqu’à
des puits de sables bitumineux in situ (Alberta Environment, 2003)
et l’assèchement des aquifères près des
mines de sables bitumineux (Griffiths et Woynillowicz, 2003). Les
routes perturbent parfois aussi le mouvement de l’eau, ce
qui entraîne une retenue des eaux de surface qui modifie la
répartition des eaux de surface et des eaux souterraines
(et des communautés végétales associées)
près de la route (Poff et al., 1997; Thormann et al., 2004).
Enfin, le retrait de l’eau de l’Athabasca dans la région
des sables bitumineux risque d’entraîner une faiblesse
non souhaitable du débit, surtout pendant l’hiver lorsque
le débit naturel est souvent faible.
L’exploitation forestière risque de modifier
temporairement les régimes hydrologiques locaux en modifiant
la dynamique de décharge-recharge des nappes souterraines,
la position de la nappe phréatique et l’écoulement
fluvial (Thormann et al., 2004), quoique les effets de l’exploitation
forestière sur les régimes hydrologiques semblent
s’apparenter à ceux d’autres perturbations telles
que le feu (Carignan et al., 2000; Prepas et al., 2001, 2003). La
récolte de la végétation riveraine fait parfois
augmenter la température de l’eau du cours d’eau
et l’exposition au rayonnement ultraviolet, ce qui risque
de modifier les communautés d’invertébrés
du cours d’eau et d’augmenter la prolifération
d’algues (Thormann et al., 2004).
Les menaces pour la qualité de l’eau
dans la zone d’étude ont trait à la pollution
à la source ponctuelle par l’usine de pâtes à
papier d’Al-Pac et d’autres usines du même type
qui se trouvent en amont de l’Athabasca. Les résidus
de l’usine de pâtes à papier sont toxiques pour
de nombreux organismes aquatiques ou non (y compris pour les êtres
humains), et la décomposition des matières organiques
en aval de l’usine pendant les périodes de faible débit
(c.-à-d. en hiver) risque d’appauvrir l’oxygène
à un niveau qui menace la survie du poisson. L’eau
contaminée qui est utilisée pendant l’extraction
du bitume des sables bituminés risque également de
fuir à partir des bassins de décantation des résidus.
Dans le passé, l’exploitation forestière et
la construction de routes se sont avérées causer l’érosion
et le dépôt de sédiments dans les cours d’eau.
Toutefois, les règlements ont presque entièrement
éliminé cet effet néfaste dans la plupart des
régions (Plamondon 1982, dans Thormann et al., 2004).
L’exploitation minière des sables bitumineux
et, dans une plus faible mesure, des tourbières est la cause
majeure de l’élimination des milieux humides dans la
zone d’étude. Comme la tourbe s’accumule très
lentement dans les milieux humides, c’est en fait une ressource
non renouvelable (Pembina Institute, 2001). En outre, le succès
des efforts déployés pour créer des milieux
humides sur des sites miniers remis en état n’a pas
été prouvé.
Les effets indirects de l’activité industrielle
sur les terres humides (c.-à-d. la modification des régimes
hydrologiques) sont parfois plus importants que la disparition de
terres humides causée directement par les éclaircies
industrielles. Tel que mentionné précédemment,
les routes construites à travers les terres humides risquent
d’entraver le débit des eaux de surface et des eaux
souterraines, ce qui accroît la quantité d’eau
de surface accumulée d’un côté d’une
route, tout en réduisant le volume d’eau de l’autre
côté. Ceci peut, par ricochet, faire mourir la végétation
et modifier les habitats près de la route (Poff et al., 1997;
Thormann et al., 2004). Les facteurs qui influent sur le type et
la gravité des effets des routes sur les terres humides comprennent
l’emplacement des routes par rapport au mode de débit
d’eau de surface, l’abondance et la taille des ponceaux,
et la porosité des matériaux qui servent à
construire la plate-forme de la route.
L’élimination des eaux souterraines pendant
la production de pétrole in situ et l’assèchement
des aquifères locaux pendant l’exploitation des mines
de sables bitumineux risquent également de perturber les
terres humides qui sont tributaires de la recharge des nappes souterraines
(Griffiths et Woynillowicz, 2003). Un autre effet possible est la
contamination locale des terres humides par des déversements
industriels et des résidus miniers. La végétation
terrestre dans les terres humides est parfois particulièrement
sensible aux émissions industrielles et aux précipitations
acides, incidence qui se limite probablement à la région
nord de la zone d’étude où les raffineries et
d’autres végétaux qui sont source d’émission
sont concentrés.
Tendances des indicateurs
Environ 3 p. 100 de la superficie des terres humides
de la région a été convertie à d’autres
utilisations du territoire au cours des dernières décennies
(Illustration 13). Au cours des prochaines décennies, on
estime que 4 p. 100 de plus des terres humides auront disparu, surtout
en raison de l’exploitation minière des sables bitumineux
(Illustration 13). Les tendances liées aux effets indirects
de l’activité industrielle sur les terres humides sont
difficiles à quantifier, mais l’expansion constante
du réseau de transport dans la région risquerait de
porter atteinte aux vastes étendues de terres humides.
Illustration 13. Tendances passées
et prévues dans la région des terres humides de la
ZGF d’Al Pac selon un scénario de développement
modéré du secteur énergétique. Source
: Al Pac.
Reconnaître et
protéger les zones qui font l’objet d’utilisations
et de valeurs traditionnelles pour les Autochtones
Valeurs prônées
Cet objectif de gestion est censé procurer
des avantages sociaux, économiques et culturels aux Autochtones,
tout en favorisant la conservation du capital naturel dans l’ensemble
de la ZGF.
Les Autochtones forment un élément important de la
population qui vit dans la zone de cette recherche. En fait, l’ensemble
de la ZGF d’Al-Pac est composé de terres qui ont été
beaucoup exploitées par les divers groupes autochtones pendant
maintes générations. Par exemple, les terres traditionnelles
des Premières nations de Fort McKay dans le Nord Est de la
ZGF s’étendaient sur environ 38 000 km2 (Premières
nations de Fort McKay, 1994). Le territoire traditionnel des Cris
de Bigstone couvre la partie ouest de la ZGF d’Al-Pac, du
lac Peerless au nord jusqu’au lac Calling au sud. Leur mode
de vie traditionnel, surtout basé sur la chasse, la pêche,
le piégeage et la cueillette, s’est maintenu jusqu’aux
années 1960 ou 1970 selon la région. Le respect et
la bonne gestion du territoire constituaient les fondements de leur
relation avec la forêt. Les Autochtones exploitaient la terre
avec parcimonie et en « exploitaient » les produits
à bon escient. La protection des zones qui font l’objet
d’utilisations et de valeurs traditionnelles pour les Autochtones
et leur participation aux décisions de gestion des terres
et des ressources favoriseraient le respect de tous les objectifs
de conservation définis ci-dessus.
Incidences de l’utilisation
des terres
L’exploitation traditionnelle du pétrole
et du gaz dans les années 1940, des sables bitumineux dans
les années 1970 et des ressources forestières à
plus grande échelle dans les années 1990 a eu des
répercussions profondes sur le mode de vie traditionnel des
collectivités autochtones de la ZGF d’Al-Pac. La plupart
des incidences biophysiques de l’utilisation des terres qui
ont été analysées ci-dessus ont eu des répercussions
directes sur la terre et les ressources dont les Autochtones étaient
tributaires pour leur subsistance. Dans bien des régions,
les activités basées sur la terre et les ressources
sont maintenant matériellement impossibles (en raison par
exemple de la coupe à blanc) ou ont aussi subi les effets
néfastes de l’extraction des ressources sur les populations
fauniques, ainsi que sur la qualité et la quantité
d’eau. Dans la région de Fort McKay, par exemple, la
plupart des gens ont cessé de pêcher dans l’Athabasca
en raison de la détérioration des ressources halieutiques
et des préoccupations relatives à la pollution industrielle.
Néanmoins, le lien avec la terre demeure solide et crucial
sur le plan culturel, et plusieurs Autochtones maintiennent un mode
de « vie de brousse » actif.
Les collectivités autochtones ont commencé
à relever sur des cartes leurs terres traditionnelles dans
les années 1980, grâce à l’aide financière
de l’industrie et du gouvernement. Les études de l’occupation
traditionnelle des terres sont maintenant achevées pour plusieurs
collectivités dans la ZGF. Ces études définissent
les zones d’importance traditionnelle et actuelle pour ceux
qui recourent à l’économie de brousse pour la
chasse, le piégeage, la pêche et la cueillette, ainsi
que pour les utilisations spirituelles et historiques. Elles illustrent
également la richesse des connaissances de la terre chez
les Autochtones. Ce savoir est précieux pour les gestionnaires
et les exploitants des ressources, car il les aidera sans doute
à mieux comprendre l’incidence du développement
industriel sur les écosystèmes forestiers et à
envisager l’exploitation du territoire et des ressources de
manière plus durable.
Créer des zones
dans la forêt aménagée où les incidences
humaines sont interdites ou fortement réduites
Valeurs prônées
Créer des zones protégées supplémentaires
dans la région de l’étude favoriserait la conservation
de la diversité biologique de diverses manières.
Contribution au
savoir
Les limites de la compréhension scientifique
et de la faisabilité économique empêcheront
toujours les gestionnaires des ressources de mener leurs activités
sans produire d’effets écologiques néfastes.
La création d’autres aires protégées
contribuerait à régler cette question en favorisant
une meilleure connaissance des effets des activités humaines
sur la flore et la faune régionales. En fait, plusieurs autorités
prétendent que les aires protégées, où
l’activité industrielle est soit interdite, soit fortement
restreinte, sont un élément crucial de la gestion
durable des forêts (Environnement Canada, 1994; Sous-comité
du Sénat sur la forêt boréale 1999; TRNEE, 2003b).
En comparant les conditions écologiques des zones protégées
(ou de référence) à celles du reste du paysage,
les chercheurs peuvent calculer dans quelle mesure les objectifs
de conservation ont été atteints dans le paysage exploité.
Comme les conditions écologiques sont géographiquement
variables, la multiplication des aires de référence
dispersées dans l’ensemble du paysage exploité
offrirait des comparaisons plus fiables, surtout si ces zones ne
sont pas très dispersées. Une représentation
adéquate des diverses zones écologiques est également
considérée comme un critère important pour
la sélection des aires protégées (Kavanaugh
et Iacobelli, 1995).
Conservation de
la diversité biologique
La création d’aires protégées
favoriserait la conservation de la biodiversité en offrant
un refuge aux espèces et aux collectivités (telles
que les peuplements plus vieux) qui sont sensibles aux activités
humaines. Elle permettrait également la présence d’individus,
de semences, de pollen et de spores à introduire dans le
paysage exploité si les efforts de conservation s’avéraient
vains à cet endroit. De même, de vastes zones protégées
favoriseraient la persistance des régimes de perturbation
naturelle, tels que les incendies de forêt, et offriraient
une protection contre les fluctuations environnementales causées
par le changement climatique. Les couloirs où seule une utilisation
restreinte des terres sensibles est permises pourraient également
favoriser la connectivité entre les aires protégées
et faciliter le mouvement de certaines espèces fauniques
(Harrison, 1992).
Amélioration
de l’accès aux marchés pour les entreprises
forestières
Les entreprises forestières doivent démontrer
que leurs tenures contiennent des aires protégées
si elles veulent être à la hauteur de certaines normes
de certification du marché, telles que celle du Forest Stewardship
Council (FSC, 2000). Comme la certification rehausse l’image
sur le marché international, la création d’aires
protégées facilite l’accès au marché
aux entreprises certifiées. La demande de certification FSC
d’Al Pac est en cours (S. Dyer, comm. pers.). Dans un plan
détaillé d’aménagement forestier antérieur,
Al-Pac avait proposé la protection du bassin hydrographique
de la Liege dans la partie nord ouest de la ZGF (Al-Pac, 1999).
Al Pac voyait dans cette proposition, qui aurait ajouté 140
000 hectares d’aires protégées à l’intérieur
ou à proximité de la ZGF, une stratégie lui
permettant d’atteindre son objectif de maintenir toutes les
espèces dans la ZGF, objectif qui cadre avec l’orientation
provinciale du maintien de la diversité des espèces
(Alberta Environmental Protection, 1998a).
Contribution au
mode de vie traditionnel
Enfin, la création d’un plus grand nombre
d’aires protégées permettrait de mieux répondre
aux besoins de base des collectivités autochtones et de préserver
les zones qui sont cruciales pour leur identité culturelle.
Incidences de l’utilisation
des terres
Au total, 96 000 hectares (1,5 p. 100) de la zone
d’étude sont désignés comme protégés
en vertu des lois provinciales ou des désignations conformes
aux règles fondamentales de la foresterie (p. ex zones-tampons)
(Illustration 14). (Certains types d’activité industrielle
sont parfois permis dans une partie de ces régions.) L’ensemble
de l’aire protégée dans la région passerait
à 4,7 p. 100 si les trois grandes zones protégées
qui bornent la zone de l’étude (Illustration 14) étaient
incluses dans le total.
Illustration 14. Carte indiquant l’emplacement
des aires protégées à l’intérieur
et autour de la ZGF d’Al Pac en 2003. Source : Al Pac.
Le Sous-comité du Sénat sur la forêt
boréale (1999) a recommandé qu’un maximum de
20 p. 100 de la forêt boréale du Canada soit réservé
comme aire protégée, y compris les zones de forêt
boréale ancienne, les zones qui servent traditionnellement
au piégeage autochtone, les aires écologiques représentatives
et les aires qui comportent un habitat faunique important. Environ
12 p 100 de la région naturelle de la forêt boréale
d’Alberta est protégé, quoique plus de 90 p.
100 de cette zone se trouve à l’intérieur du
parc national Wood Buffalo dans le Nord de la province. Le programme
provincial Special Places a eu entre autres pour résultat
de renforcer la protection des topographies sous représentées
et des sous-zones écologiques (dites thèmes d’histoire
naturelle) en Alberta à au moins 2,75 p. 100 de chaque thème
d’histoire naturelle (Alberta Environmental Protection, 1998b).
Schneider (2002) a recommandé l’ajout de trois grandes
aires protégées (500 000 ha) à l’intérieur
et à proximité de la ZGF d’Al Pac (collines
Birch, rapides d’Athabasca, lac Cold) et d’autres aires
protégées plus petites pour conserver les caractéristiques
uniques du paysage telles que les ensembles de dunes de sable et
les régions très fertiles telles que les grands couloirs
fluviaux.
Une analyse des aménagements linéaires
dans la région naturelle de la forêt boréale
de l’Alberta en dehors du parc national Wood Buffalo (Alberta
Environmental Protection, 1998b) a conclu qu’environ 13 p.
100 de la région ne comportait aucune route. D’après
une analyse subséquente du bassin sédimentaire de
l’Ouest menée par ForestWatch Alberta, la plupart de
la ZGF d’Al-Pac FMA se situait à un kilomètre
d’un couloir d’accès (y compris les profils sismiques)
(Illustration 15).
Illustration 15. Densité des
routes, des profils sismiques et des autres perturbations linéaires
en Alberta en 1995 1999. Source : Smith et Lee (2000).
Tendances des indicateurs
Les options de création d’autres
aires protégées diminuent dans la ZGF d’Al-Pac
au fur et à mesure que les activités d’exploitation
des ressources continuent à réduire la zone de paysages
intacts (voir Illustrations 3 à 7). La création de
zones protégées dans les paysages non aménagés
se complique davantage par les décisions d’affectation
des ressources, car elles stimulent les désirs rivaux d’appropriation
entre les utilisateurs industriels et ceux qui favorisent les zones
protégées. Plus de 80 p. 100 des cantons de la région
abritent un ou plusieurs puits de pétrole (substituts d’autres
activités industrielles), tandis que le reste des cantons
fait l’objet d’une certaine forme de tenure des ressources
(Cumming et Cartledge, données non publiées). Comme
il n’existe actuellement aucune exigence de création
d’aires protégées supplémentaires dans
la ZGF d’Al-Pac et peu d’incitatifs dans ce sens, la
zone future de terres protégées demeurera inchangée
si le régime d’aménagement demeure le même.
Un obstacle majeur à la création des
aires protégées s’explique par le fait qu’elles
risqueraient d’imposer des contraintes aux activités
des secteurs forestier et énergétique. Par exemple,
supprimer une tranche supplémentaire de 10 p. 100 de forêt
commercialisable dans les terres disponibles pour la récolte
du bois au delà des aires protégées déjà
existantes aggraverait la pénurie de bois résineux
(mais pas en bois de feuillus) (Illustration 16). (Cette projection
part de l’hypothèse voulant que les pertes futures
causées par l’incendie soient minimales; les incendies
sont censés accentuer les pénuries futures de fibres.)
Illustration 16. Tendances projetées
de volume de récolte selon l’importance de l’ajout
d’aires protégées dans la ZGF d’Al Pac.
Faible : 0 %; modéré : 10 %; important : 20 % de réduction
de la zone forestière commercialisable disponible à
des fins de récolte. La réduction supplémentaire
des quantités de bois disponibles liée aux incendies
n’est pas prise en compte dans ces projections.
Réduire la densité
de la perturbation linéaire et gérer l’accès
humain
Valeurs prônées
Les routes et autres aménagements linéaires
sont considérés comme comportant de nombreux effets
écologiques néfastes (Reed et al., 1996; Forman et
Alexander, 1998; Trombulak et Frissell, 2000), et la réduction
du morcellement par des aménagements linéaires dans
la ZGF d’Al-Pac favoriserait la conservation de la diversité
biologique. Certaines espèces fauniques telles que le caribou
des forêts sont également sensibles à la perturbation
humaine le long des couloirs linéaires, et la gestion de
l’accès humain contribuerait à protéger
ces espèces d’un déclin ultérieur de
leur population. La réduction de la superficie de forêts
éclaircies à des fins d’aménagement linéaire
favoriserait également la conservation du carbone aérien,
ainsi que les valeurs économiques en réduisant le
taux selon lequel les terres sont éliminées du territoire
producteur de forêts. La réduction de la perturbation
du débit des eaux de surface et des eaux souterraines (qui
accentuerait l’émission de carbone dans l’atmosphère
en raison de la décomposition et de la méthanogénèse)
favoriserait encore davantage la conservation du carbone aérien
et souterrain.
Incidences de l’utilisation
des terres
Les effets négatifs de l’aménagement
linéaire sur la biodiversité dans la ZGF d’Al
Pac frappent sans doute surtout le caribou des forêts. Les
aménagements linéaires détériorent l’habitat
du caribou parce que cet animal a tendance à éviter
ces éléments, probablement en raison du risque accru
de prédation par le loup (Curatolo et Murphy, 1986; James
et Stuart-Smith, 2000; Dyer et al., 2001). La qualité de
l’habitat d’environ 48 p. 100 du parcours principal
du caribou dans le Nord de l’Alberta a diminué en raison
de la proximité des aménagements linéaires
et d’autres éléments industriels tels que l’emplacement
des puits (Dzus, 2001). La mortalité du caribou des forêts
près des routes et des profils sismiques risque de s’accroître
en raison du braconnage et de la chasse autochtone (Dzus, 2001).
Les effets des aménagements linéaires
sur d’autres espèces ne sont pas aussi bien documentés
mais, d’après les preuves préliminaires, l’abondance
de plusieurs oiseaux néotropicaux est peut-être réduite
dans les zones où la densité de l’aménagement
linéaire est élevée (Schmeigelow et Cumming,
données non publiées). D’après les recherches
connexes, la prédation des nids des oiseaux qui nichent près
des aménagements linéaires, surtout près des
larges emprises de pipelines (Anderson et al., 1977; Fleming, 2001)
s’est aggravée. Certaines preuves attestent également
que les modes de déplacement de certaines espèces
de mammifères, y compris les écureuils volants et
la martre d’Amérique, peuvent être perturbés
par des aménagements linéaires (Marklevitz, 2003).
Les passages de cours d’eau à l’intersection
des routes qui sont mal construits ou mal entretenus obstruent parfois
le mouvement des poissons en créant des ponceaux suspendus,
des obstacles à la vélocité ou des barrages
à basse chute (M. Sullivan, comm. pers.). Ces obstacles empêchent
le poisson d’accéder aux zones de fraie en amont ou
de recoloniser de vastes étendues après des catastrophes
naturelles telles que la sécheresse ou la destruction par
l’hiver. Ils risquent aussi d’isoler ou de fragmenter
les populations, menaçant ainsi la viabilité à
long terme d’espèces sensibles telles que l’ombre
de l’Arctique (Thormann et al., 2004). Les routes, les profils
sismiques et d’autres aménagements linéaires
qui facilitent l’accès motorisé sont considérés
comme accroissant la pression de la pêche, surtout au passage
des cours d’eau. Les populations de poisson boréal
sont parfois beaucoup plus sensibles à la pression accrue
de la pêche causée par l’accès routier
que par le changement d’habitat qu’engendrent l’exploitation
forestière et d’autres formes d’utilisation du
territoire (Post et Sullivan, 2002).
D’autres effets écologiques des routes
comprennent notamment la perturbation du débit des eaux de
surface (Jones et al., 2000), qui risque d’entraîner
l’augmentation du degré d’humidité en
amont et l’assèchement en aval, outre le changement
d’habitat et l’émission de carbone biotique qui
les accompagnent. Les routes ont, dans le passé, causé
l’érosion et accru le flux de sédiments dans
les cours d’eau, mais cet effet a été réduit
par le renforcement des normes de construction et de conception.
Tendances des indicateurs
Actuellement, la ZGF d’Al-Pac compte plus de
100 000 km d’aménagements linéaires. Deux tiers
de ces éléments sont des profils sismiques, le reste
étant composé de routes, de pipelines et de lignes
de transmission (Illustration 17). Ceci représente une densité
moyenne de 1,8 km/km2 dans l’ensemble de la ZGF, quoique la
densité de l’aménagement linéaire varie
considérablement d’une partie à l’autre
de la ZGF (Illustration 15).
Illustration 17. Tendances projetées
de la longueur et de la composition des aménagements linéaires
dans la ZGF d’Al Pac. Les lignes figurant dans les deux graphiques
du haut représentent les tendances prévues selon trois
scénarios de développement du secteur énergétique
(faible, modéré, important). Dans le graphique du
bas, les zones légèrement ombrées indiquent
la longueur en 2000, tandis que les zones fortement ombrées
représentent la longueur supplémentaire en 2050 selon
un scénario de développement modéré
du secteur énergétique.
Si l’exploitation forestière persiste
aux niveaux actuels, et si l’expansion du secteur énergétique
se poursuit au rythme prévu (D. Pope, comm. pers.), la densité
moyenne des aménagements linéaires dans la ZGF d’Al-Pac
dépassera bientôt 5 km/km2 (Illustration 17). Le secteur
forestier a besoin d’un plus grand nombre de chemins d’exploitation
et de chemins temporaires à l’intérieur des
blocs; quant au secteur énergétique, il a besoin de
chemins, de pipelines et de profils sismiques supplémentaires.
C’est peut être le caribou des forêts
qui est le plus durement frappé par les effets de cette intensification
des aménagements linéaires. Les populations dans l’ensemble
du Nord de l’Alberta ont probablement diminué au cours
des dernières années (Dzus, 2001), et les recherches
récentes révèlent certaines tendances démographiques
négatives. La baisse de la qualité de l’habitat
causée par l’évitement des aménagements
linéaires a été citée comme cause majeure
de cette tendance. Un modèle d’habitat mis au point
par le Comité du caribou boréal sous-entend que la
qualité de l’habitat a diminué de 23 p. 100
au cours des 50 dernières années, et qu’il faut
s’attendre à ce que cette tendance se poursuive (Illustration
18).
Illustration 18. Tendances passées
et projetées de la qualité de l’habitat du caribou
dans la ZGF d’Al Pac selon un scénario de développement
modéré du secteur énergétique. Les valeurs
inférieures à 1 représentent les conditions
démographiques qui entraîneraient un déclin
des populations.
Tel que signalé ci-dessus, les aménagements
linéaires risquent également de provoquer la fragmentation
des cours d’eau. On compte actuellement environ 2 500 passages
de cours d’eau dans la ZGF, et la longueur moyenne du cours
d’eau entre le passage de ponceaux suspendus qui obstruent
le mouvement des poissons est de 380 km. D’ici à 2030,
la longueur moyenne du cours d’eau entre les ponceaux suspendus
serait de 40 km, niveau qui entraverait le mouvement naturel des
poissons et qui augmenterait sensiblement la facilité d’accès
humain au réseau des cours d’eau de la région
(Illustration 19).
Illustration 19. Tendances projetées
de la fragmentation des cours d’eau dans la ZGF d’Al
Pac, 2000 2010. Les lignes représentent les tendances projetées
selon trois scénarios de développement du secteur
énergétique (faible, modéré, important).
Maintenir les stocks
et les puits de carbone terrestre
Valeurs prônées
Le stockage du carbone est un élément
crucial du cycle du carbone à l’échelle mondiale,
qui règle le climat de la Terre. À ce titre, le stockage
du carbone est l’un des écoservices vitaux qu’assure
la forêt boréale. L’importance potentielle du
changement climatique mondial associée à l’augmentation
du carbone atmosphérique a été bien documentée.
Dans la forêt boréale, la plupart du carbone stocké
est souterrain, les tourbières causant l’accumulation
de grandes quantités de carbone souterrain en raison de la
lenteur de la décomposition dans les sols froids et saturés.
La réduction des émissions de carbone par la végétation
et les sols perturbés favoriserait la conservation du capital
naturel sous la forme de carbone stocké.
Incidences de l’utilisation
des terres
Lorsque la végétation forestière
est perturbée ou rasée (pour le bois, les routes,
l’implantation d’usines, les mines, les puits et d’autres
utilisations), la végétation terrestre se décompose
plus rapidement, augmentant le rythme auquel le dioxyde de carbone
est émis dans l’atmosphère. En outre, un agent
majeur de piégeage du carbone (les arbres) disparaît.
La récolte forestière entraîne également,
tout particulièrement, la conversion des peuplements plus
vieux et riches en carbone en peuplements jeunes qui contiennent
moins de carbone, ce qui peut temporairement causer également
une saturation du sol jusqu’à ce que la végétation
se rétablisse. Les sols saturés et la végétation
submergée qui sont enfermés par les routes sillonnant
les terres humides peuvent également émettre du carbone
par la méthanogénèse; les zones de terres humides
privées de sources hydriques anciennes risquent d’émettre
du carbone par la décomposition organique.
Tendances des indicateurs
D’après les projections simulées,
la quantité de carbone aérien et souterrain diminuera
au d’environ 22 millions de tonnes cours des 50 prochaines
années (Illustration 20). Cette tendance risque de s’accélérer
en raison de la croissance des taux d’incendies causée
par le changement climatique
Illustration 20. Tendances projetées
pour le carbone aérien dans la ZGF d’Al Pac, 2000 2010.
Les lignes représentent les tendances projetées selon
trois scénarios de développement du secteur énergétique
(faible, modéré, important).
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