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Commentaire N° 32

L'espionnage économique

M. S. Porteous

Mai 1993
Non classifié

Précis : L'auteur analyse le problème de l'espionnage économique et ses effets sur le Canada, et conclut en examinant les avantages et des désavantages de l'intervention du gouvernement dans ce secteur d'activité. Mai 1993. Auteur : M. S. Porteous.

Note du rédacteur : Dans cette discussion de l'espionnage économique, Samuel Porteous, analyste stratégique à la Direction de l'analyse et de la production du SCRS, soulève plusieurs points qui révèlent pourquoi, selon une récente déclaration de la CIA, cette activité est «la question la plus brûlante de la politique en matière de renseignement». Les questions se posent ainsi: Un gouvernement étranger doit-il être impliqué pour que les services de renseignements du pays visé soient justifiés d'agir? Comment le projet d'accord du GATT sur la propriété intellectuelle influe-t-il sur les options et les obligations des États membres qui s'adonnent à l'espionnage économique? Est-ce que la protection de certains intérêts du secteur privé de la part du gouvernement revient à leur fournir une subvention? Comme l'auteur le note dans la conclusion, les réponses à plusieurs de ces questions dépendront de l'attitude qu'adopteront les gouvernements face à la concurrence internationale.

[Commentaire N° 46 - L'ESPIONNAGE ÉCONOMIQUE (II)]

Avertissement : Le fait qu'un article soit publié dans Commentaire ne signifie pas que le SCRS a confirmé l'authenticité des informations qui y sont contenues ni qu'il appuie les opinions de l'auteur.


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Introduction

L'époque où la question de la sécurité primait sur les préoccupations d'ordre économique dans les relations internationales est bien révolue. L'interdépendance et la concurrence économiques à l'échelle de la planète se sont accrues et se révèlent comme des sources importantes de tensions et de conflits possibles entre États. De plus, la récession, la pauvreté relative et l'agitation sociale engendrées par ces changements représentent, aux yeux de nombreux pays, des préoccupations de premier ordre.

Dans ce climat d'incertitude, les pays développés, déterminés à maintenir leur niveau de vie, et les pays en développement, tout aussi décidés à améliorer le leur, sont poussés à employer n'importe quel moyen à leur disposition pour améliorer la productivité et assurer la sécurité économique. Parmi ces moyens, on compte l'espionnage économique. Cette activité est, selon R. James Woolsey, directeur de la CIA, «la question la plus brûlante de la politique en matière de renseignement».

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Données

Étendue du problème

Aux estimations de milliards de dollars de pertes et aux histoires, publiées dans la presse, de services de renseignements étrangers espionnant des sociétés s'ajoute la déclaration faite en 1992 par les directeurs du FBI et de la CIA, lors d'un exposé commun devant un comité du Congrès. Ils avaient alors dit qu'une vingtaine de nations étaient soupçonnées de se livrer à l'espionnage économique aux États-Unis. D'autres représentants officiels ont donné les noms des pays en cause (la Russie, la Chine, la Corée du Nord et le Viêt-nam) et reconnu que des pays pourtant dits «amis» s'y livraient aussi. La même constatation s'applique au Canada et à d'autres pays développés.

L'espionnage économique est l'activité par laquelle des entités étrangères tentent de se procurer, par des moyens clandestins ou coercitifs, des informations économiques relatives au commerce ou à la politique. Des faits rapportés récemment montrent toute l'étendue du problème. (Voir la liste d'événements ci-dessous)

Exemples récents de tentatives visant l'acquisition d'information économique

  • En avril 1993, la société Hughes Aircraft a décidé de ne pas participer au Salon aéronautique du Bourget après que la CIA eu informé son président que la société figurait sur la liste des 49 firmes américaines ciblées par les Français.
  • Selon des rapports, la Chine se sert de membres de délégations et de programmes d'échanges pour pratiquer l'espionnage économique aux États-Unis, au Canada et dans d'autres pays développés.
  • À Montréal, deux membres de la Stasi, l'ancienne police secrète est-allemande, ont expliqué comment ils utilisaient de faux dossiers d'employés fournis par des «sociétés compréhensives» pour obtenir un emploi dans les compagnies canadiennes ciblées.
  • Les gens d'affaires ont été avertis, en 1992, de ne pas voyager par Air France, parce que l'on avait découvert que le service français du renseignement posait des micros dans les sièges d'avion et mêlait des agents aux passagers et au personnel de bord.
  • En 1991, le service de renseignements ouest-allemand a été accusé d'intercepter les communications d'une société étrangère et de communiquer les informations aux concurrents allemands.
  • Dans les années 80, des agents de renseignements japonais ont été soupçonnés de mener, de connivence avec des multinationales japonaises, des opérations secrètes contre des firmes de haute technologie de la Silicon Valley, en Californie.
  • Une entreprise sud-coréenne aurait versé un million de dollars par an à un employé de General Electric pour obtenir les secrets de fabrication du diamant synthétique.

Conséquences

Quelques faits frappants sont parvenus à la connaissance des médias, mais l'analyse de l'incidence que l'espionnage économique a sur l'ensemble de l'économie s'est heurtée à la réticence des sociétés de discuter du problème. De fait, la General Accounting Office (agence générale comptable), l'organe d'enquête du Congrès américain, a dû renoncer à étudier l'ampleur et les conséquences de l'espionnage visant les sociétés américaines lorsqu'elle a compris que celles-ci avaient peu envie d'en parler. Plusieurs raisons expliquent cette réticence. D'abord, outre le fait qu'elles détestent d'instinct discuter de leurs problèmes avec des gens de l'extérieur, elles craignent que les révélations ne provoquent des représailles de la part des gouvernements en cause. Ensuite, elles doivent penser au risque de fuite des informations révélées et à celui de perdre ainsi la confiance des actionnaires.

Ces obstacles empêchent les spécialistes de chiffrer exactement le phénomène. Toutefois, les représentants du monde des affaires et du gouvernement s'entendent généralement pour établir le coût de l'espionnage économique à plusieurs milliards pour les firmes elles-mêmes et pour l'économie des pays hôtes. Marshall Phelps, un vice-président d'IBM, une des rares firmes à rendre publiques ses pertes financières imputables à l'espionnage économique, arrive au même calcul. Il a déclaré, devant un comité du Congrès américain enquêtant sur la question, que les gouvernements cherchant à soutenir les fleurons de l'industrie du pays ont contribué de façon notable aux pertes de milliards de dollars que IBM a essuyées à cause du vol d'informations exclusives.

Un autre exemple montre bien l'ampleur des pertes que peut provoquer l'espionnage économique. En 1985, le gouvernement français a obtenu clandestinement de l'Inde des informations concernant un achat de matériel militaire. Il aurait eu connaissance du contenu de l'offre d'une firme américaine rivale pendant la dernière phase des négociations qui portait sur la vente de nouveaux chasseurs à réaction. Les informations ont été communiquées à une société française, ce qui lui aurait donné l'avantage voulu pour l'emporter. La firme américaine a perdu, dans l'affaire, un contrat d'un milliard de dollars. De toute évidence, il ne faudrait pas beaucoup d'incidents de ce genre pour convaincre un pays de la menace que constitue l'espionnage économique.

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Le gouvernement à la défense des entreprises privées

Les dangers possibles de l'espionnage économique pratiqué par des entités étrangères ont conduit la plupart des observateurs à dire que les services de renseignements ont un rôle légitime défensif à jouer contre ce type d'activité. Toutefois, même un rôle défensif de leur part pose plusieurs difficultés.

Implication obligatoire d'un gouvernement étranger

Si les services de renseignements doivent accroître leur rôle de défense des entreprises privées contre l'espionnage économique, il leur faut un mandat clair quant à l'adversaire à contrer. La question se pose ainsi : Un gouvernement étranger doit-il être impliqué dans un acte d'espionnage économique (en étant l'auteur ou en le facilitant) pour que les services de renseignements du pays visé soient justifiés d'agir? Cela serait commode dans l'affirmative, puisque les services de renseignements fixent et mènent déjà leurs activités relativement à des États-nations. Ou bien suffit-il qu'une entité étrangère — gouvernement ou entreprise privée — pose un acte d'espionnage économique pour que les services de renseignements interviennent?

Les tenants de l'intervention des services de renseignements en cas d'implication d'un gouvernement étranger invoquent l'effet déstabilisateur qu'ont, sur la concurrence, un service étranger et toutes ses ressources. Dans cette optique en effet, l'espionnage économique pratiqué par un gouvernement étranger fausse les règles du jeu, de sorte que le service de renseignements du pays visé est justifié d'intervenir pour rétablir l'équilibre. Par contre, l'espionnage industriel entre sociétés, avec ou sans implication d'un gouvernement étranger, fait tout simplement partie de la dure loi du monde des affaires, et les services de renseignements ne devraient donc pas intervenir.

Plus facile à dire qu'à faire cependant. Si l'idée de l'implication inévitable d'un gouvernement étranger semble, en théorie, simple, il en va tout autrement dans la pratique. En effet, il est souvent très difficile d'établir si les individus impliqués dans une opération d'espionnage économique sont dirigés ou aidés par un gouvernement étranger.

L'idée de l'implication inévitable d'un gouvernement étranger ne tient pas non plus compte d'un point très important : les conséquences possibles d'une opération précise d'espionnage économique. On peut dire que les activités de grandes multinationales, bien pourvues en ressources sur le plan du renseignement, peuvent faire peser une plus grande menace sur la sécurité économique d'un pays que les tentatives maladroites de petites entités mal pourvues que sont certains États-nations. L'influence et la portée générale toujours grandissante de certaines multinationales les placent à égalité avec les nations les plus puissantes. Un exemple en est la Pfizer Corporation et le groupe de multinationales qu'elle a organisé pour que les questions de propriété intellectuelle soient abordées aux négociations du GATT. Pendant l'Uruguay Round, les multinationales en question ont eu plus de poids sur le contenu de l'ébauche Dunkel (les dispositions concernant la propriété intellectuelle) que tous les États réunis, à quelques exceptions près.

La condition préalable de l'implication d'un gouvernement étranger ne tient pas non plus quand on sait que les services de renseignements interviennent déjà dans certains domaines, qu'un gouvernement soit impliqué ou non. Ainsi, en général, les terroristes ne sont pas dirigés ou soutenus par des gouvernements étrangers. Pourtant, les pouvoirs publics n'ont aucun scrupule à utiliser leurs organes de renseignements pour lutter contre le terrorisme, car ils jugent ses conséquences suffisamment sérieuses pour que leurs services interviennent. Les autorités aux prises avec l'espionnage économique doivent déterminer si les pertes économiques possibles et leurs conséquences doivent recevoir la même priorité que la sécurité physique des citoyens.

Anciennes et nouvelles alliances

Les services de renseignements ont longtemps travaillé dans un monde d'États-nations divisé en deux camps bien définis : les amis et les ennemis. Cette division sécurisante ne vaut plus dans le domaine, difficile au plan diplomatique, de l'espionnage économique. En effet, les adversaires économiques éventuels d'un pays pourraient bien être ses alliés militaires et politiques. Lorsque les intérêts économiques divergent des intérêts militaires et politiques, les services de renseignements, comme les entreprises d'aujourd'hui, sont amenés, dans le cadre de l'espionnage économique, à se faire concurrence et à coopérer tout à la fois. L'opposition possible entre les intérêts commerciaux d'un État-nation et ses intérêts politiques et militaires explique en partie la vive inquiétude et la résistance des services de renseignements dans le domaine de l'espionnage économique.

Cette nouvelle conception de l'ennemi risque de remettre en question les réseaux traditionnels d'échange de renseignements. Dans un monde où les affaires doivent prendre le pas sur l'idéologie de la guerre froide et où certains perçoivent les pratiques commerciales déloyales comme l'équivalent économique d'un acte de guerre, un pays ne peut plus partager aussi librement ses renseignements à valeur économique avec ses alliés militaires et politiques.

Il est en outre intéressant de se demander si les réseaux traditionnels d'échange de renseignements militaires et politiques auront bientôt leurs pendants dans le domaine du renseignement économique. D'entrée de jeu, le champ d'action de ce nouveau type de réseaux englobera les ententes entre grandes régions économiques, entente de la Communauté européenne et Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) par exemple. À court terme, il est concevable que le Royaume-Uni partage plus de renseignements économiques avec ses partenaires européens qu'avec le Canada ou les États-Unis. À l'inverse, les États-Unis partageraient les leurs plus vraisemblablement avec leurs partenaires dans l'Accord de libre-échange et dans l'ALENA.

La Communauté européenne étant la plus ancienne et la plus vaste région unie par une entente économique, c'est probablement d'elle que viendront les premières pressions pour des changements de cette nature. Dans le domaine des négociations commerciales internationales, par contre, les échanges de renseignements économiques reflètent déjà cette division entre l'Amérique du Nord et la Communauté européenne.

Avec le temps, toutefois, il se peut que même les réseaux d'échange de renseignements économiques des grandes régions commerciales paraîtront trop rigides. Certains États-nations, et peut-être même des zones économiques intérieures précises, pourraient se tourner vers des alliances de nature tactique plus limitées dans le temps et axées sur des buts qui nécessiteront des ententes plus souples en matière de renseignements économiques.

Dans l'un comme l'autre cas, toutefois, les alliances nouvelles et renforcées, fondées avant tout sur l'intérêt économique, mettront à dure épreuve la solidité des anciennes alliances militaires et politiques. Une alliance politique ou militaire ne peut en effet manquer d'être affaiblie si les parties appartiennent chacune à un réseau d'échange de renseignements économiques qui représente des régions commerciales rivales. Il est donc justifié, dans ce contexte, de surveiller l'émergence de la Chine comme l'un des grands moteurs de la croissance économique de l'Asie et du monde, ainsi que la nature ultime de ses relations avec le Japon.

Sociétés apatrides et confinement des avantages

Il ressort de presque toutes les analyses portant sur l'espionnage économique que l'intervention des services de renseignements est peut-être une perte de temps et d'argent, vu la nature «apatride» des multinationales. Ceux qui pensent ainsi ne voient aucune raison à ce qu'un État-nation les aide, car elles n'ont d'engagement envers aucun pays et se servent de tout moyen de défense ou de tout renseignement qui leur est fourni pour optimiser la productivité de tout leur réseau. Tout avantage qu'en retire l'État-nation qui les renseigne ou les protège est purement accidentel.

Cet argument ne tient néanmoins pas compte d'un fait: l'on n'a jamais attendu des entreprises à la recherche du profit qu'elles fassent passer l'intérêt du pays où elles investissent avant le leur. En outre, pour les tenants du rôle défensif des services de renseignements face à l'espionnage économique, les sociétés qui fournissent des emplois et contribuent à la prospérité économique nationale valent la peine d'être protégées, même si elles sont apatrides. Qui plus est, le pays qui les protège se trouve à favoriser un climat propice à l'investissement. Si le bruit se répand qu'un État a relativement relâché sa vigilance face à l'espionnage économique, son climat d'investissement risque d'être perturbé, car les investisseurs courent un plus grand risque.

L'existence de nouvelle ententes commerciales régionales et de réseaux d'échange de renseignements qui en sont issus pose toute la question du confinement des avantages. Les schémas commerciaux actuels semblent montrer que les grandes activités (recherche et développement notamment) de la plupart des multinationales sont concentrées dans certaines régions au lieu d'être réparties à l'échelle du monde. Cela signifie que les avantages qu'une multinationale tire de l'espionnage économique défensif ou offensif demeureront probablement dans la région d'origine au lieu de profiter à une autre région du monde. Donc, les réseaux d'échange de renseignements économiques bâtis sur les grandes régions commerciales qui fourniraient des renseignements aux multinationales centrées dans ces régions seraient relativement sûrs que les avantages demeureraient en très grande partie dans ces dernières. L'échange de renseignements économiques à l'intérieur de réseaux s'appuierait donc sur la croyance que le sort économique de chaque nation membre est lié à celui de la région.

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L'espionnage économique offensif à l'aide du secteur privé

L'idée selon laquelle un État-nation doit défendre sa sécurité économique face aux menaces que l'espionnage économique fait peser sur le secteur privé soulève, certes, des questions d'ordre conceptuel intéressantes, mais semble acceptée, même si elle l'est, à tout le moins, de mauvaise grâce. Les opinions sont par contre autrement plus partagées lorsqu'il s'agit de savoir si l'espionnage offensif est désirable pour aider le secteur privé.

Arguments contre l'espionnage économique offensif

Encore une autre forme d'intervention gouvernementale?

Nombreux sont ceux qui pensent, en Amérique du Nord surtout, que l'intervention du gouvernement en vue d'aider l'industrie du pays est toujours malavisée. Après analyse économique traditionnelle du phénomène, les opposants de l'espionnage économique offensif mené en faveur du secteur privé qualifient les «renseignements» fournis à ce dernier de mesure analogue à une subvention. L'analogie faite, il leur est facile de citer la liste de tous les inconvénients inhérents aux subventions en général pour critiquer le recours à l'espionnage économique.

Ils font valoir que les gouvernements qui s'y livrent peuvent être accusés d'ajouter aux imperfections du marché au lieu de les corriger, de récompenser la duplicité et non l'innovation, de favoriser les producteurs inefficaces au détriment des consommateurs et de voir dans la concurrence internationale une menace pour la sécurité nationale au lieu d'un facteur nécessaire et favorable à la croissance économique.

Les entreprises en déclin et non compétitives accueilleraient bien cette nouvelle forme d'aide gouvernementale, l'espionnage économique en l'occurrence. Tout comme elles ont aisément accepté des subventions et autres formes de protection étatique, elles seraient heureuses d'avoir des informations acquises par le gouvernement ainsi que d'autres services dispensés par l'appareil du renseignement. Elles formeraient même des groupes de pression pour les obtenir. Pour l'économie du pays toutefois, les résultats à long terme ressembleraient vraisemblablement à ceux des autres tentatives désastreuses en matière de politique industrielle : des producteurs nationaux non compétitifs qui y gagnent et des consommateurs qui y perdent, des ressources rares mal affectées et des industries affaiblies et non compétitives devenant encore plus dépendantes de l'État.

Des alliés transformés en adversaires

Selon un autre argument, ceux qui s'opposent à l'espionnage économique soulignent que les pays qui s'y livrent risquent de perturber sérieusement les relations entre eux et leurs alliés. La question devient d'autant plus grave que la guerre froide est terminée. Les États-Unis ne sont plus disposés à composer avec l'espionnage économique pratiqué par des pays alliés tel qu'ils l'ont accepté tacitement à une époque donnée, au nom de l'alliance contre la menace soviétique; ils ont cessé de le faire depuis que l'Union soviétique a cessé d'exister. Cela expliquerait dans une certaine mesure pourquoi les autorités américaines font connaître depuis peu, nommément ou par des fuites, les pays amis incriminés.

Un autre signe de durcissement à l'endroit des pays coupables d'espionnage économique transparaît dans le système commercial international. Il est proposé, dans l'actuelle ébauche Dunkel du projet d'accord du GATT, d'instituer un mécanisme qui obligerait les États membres à respecter les dispositions touchant la propriété intellectuelle. Celles-ci visent, notamment, la protection des secrets industriels, souvent la cible de l'espionnage économique. Fait révélateur, les pouvoirs et les représentants publics ne seront pas soumis aux mesures correctives appropriées, en cas de violation de l'accord, s'ils ont agi «de bonne foi». Or, l'espionnage économique est rarement mené de bonne foi.

L'ébauche Dunkel pourrait entraver les activités d'espionnage économique offensif de certaines nations, mais son incidence est incertaine. Le GATT est un accord commercial, et l'Uruguay Round porte sur des problèmes commerciaux. L'espionnage économique étant une question délicate, les pays concernés pourraient être réticents à prendre des dispositions en matière de propriété intellectuelle. Si la communauté internationale veut réellement s'attaquer au problème de l'espionnage économique, il serait préférable qu'elle négocie à l'OCDE un code en traitant directement.

Arguments en faveur de l'espionnage économique

Politique commerciale stratégique et espionnage économique

Tout le monde ne considère pas l'espionnage économique parrainé par le gouvernement comme un gaspillage de ressources. En fait, selon les critères de la politique commerciale stratégique (PCS) — une façon relativement nouvelle et de plus en plus populaire de voir les relations économiques —, les arguments à l'encontre de l'espionnage économique s'appuient sur une perception vieillie et simpliste de l'économie mondiale et de son fonctionnement.

D'après la PCS, la structure des échanges internationaux, dans sa forme actuelle, est autant sinon plus à l'image des avantages temporaires que des avantages permanents sous-jacents dont bénéficient les pays exportateurs. Les avantages temporaires sont ceux qui découlent d'une compétition imparfaite, d'économies d'échelle, des expériences accumulées ou d'une avance technologique. Comme bon nombre de ces avantages reposent sur les connaissances, ils sont facilement transférables d'un pays à l'autre.

Selon les tenants de la PCS, dans un monde où les domaines de spécialisation d'un pays dépendent souvent de son avance technologique et où certaines industries peuvent réaliser des bénéfices exceptionnels et produire des retombées positives, les gouvernements peuvent et doivent agir pour profiter de ces contextes favorables. Pour cela, il leur faut aider les entreprises nationales jugées stratégiques par des subventions correctement ciblées. En réduisant ainsi leurs coûts, les gouvernements leur permettent, en théorie, de générer davantage de bénéfices exceptionnels et de retombées qui profitent à l'ensemble du pays. Le consortium européen Airbus est souvent cité comme un bel exemple d'application de la politique commerciale stratégique.

Les tenants de l'espionnage économique, pour leur part, soutiennent que communiquer de précieux renseignements économiques à des entreprises stratégiques revient à leur fournir une subvention. Ces renseignements leur permettent en effet de réduire leurs coûts et donc, peut-être, d'accroître leur part du marché avec tous les avantages que cela comporte pour l'économie du pays.

La structure de l'économie d'un pays et son attitude face à l'intervention de l'État dans le secteur privé jouent un rôle essentiel dans la réussite d'une politique qui fait appel à l'espionnage économique. En effet, un pays qui possède une longue tradition d'intervention étatique dans l'industrie est peu susceptible de voir le caractère sacré du libre marché comme un trop grand obstacle à l'espionnage économique. De même, un pays où existe une étroite relation entre gouvernement et industrie et où de grandes sociétés pourraient être jugées comme des fleurons nationaux risque fort d'adopter une politique commerciale stratégique faisant une place à l'espionnage économique.

Les gouvernements des pays qui ne possèdent pas de grandes sociétés mais qui veulent malgré tout se livrer à l'espionnage économique offensif pourraient considérer les consortiums comme de bons substituts. Les renseignements, à l'image des subventions et des transactions lucratives, peuvent passer par eux, ce qui supprime le problème difficile auquel se heurte tout gouvernement qui doit décider à quelle société iront les renseignements.

Il faut noter toutefois que si la politique commerciale stratégique peut, en théorie, servir à justifier le recours à l'espionnage économique, plusieurs facteurs viennent, dans la pratique, compliquer les choses. Il est connu que lorsque plusieurs pays adoptent une politique commerciale stratégique, et par voie de conséquence, l'espionnage économique, pour se faire concurrence, ils peuvent finalement se retrouver dans une situation pire encore. Ils risquent de faire face à une sorte de «dilemme du prisonnier», dans lequel les intérêts des différents gouvernements s'opposent et coïncident tout à la fois, et la recherche de l'intérêt individuel dans un contexte de libre concurrence ne sert pas l'intérêt collectif.

Une pratique relativement bon marché et loyale

Un autre avantage de l'espionnage économique est son bon rapport efficacité/prix. Quelques opérations bien dirigées peuvent, à relativement peu de frais, renflouer les coffres de pays à court d'argent, comme s'ils avaient reçu une importante subvention.

Plusieurs exemples le montrent. Des représentants officiels russes ont prétendu, dans des rapports publiés, avoir fait épargner des millions de dollars en coût de développement à des sociétés du pays. De même, selon des agents français, quelques opérations d'espionnage économique ont permis à la France de réaliser des bénéfices supérieurs au coût de fonctionnement de son service de renseignements. Il est, bien sûr, difficile de savoir dans quelle mesure ces affirmations et d'autres du même genre sont vraies, mais cela indique que certains services de renseignements et les gouvernements dont ils relèvent ont une idée de ce que peut rapporter l'espionnage économique.

Il faut aussi garder à l'esprit que ce type d'activité ne vise pas simplement le domaine complexe de la technologie de pointe. Il peut aussi viser des objectifs d'apparence plus banale, comme des plans d'usine et des soumissions. Cette forme plus simple du renseignement produit des résultats plus sûrs et plus immédiats que l'acquisition d'une technologie dont on ne sait pas toujours si elle sera comprise ou utilisable. À titre d'exemple, une firme qui obtient les données de la soumission d'une rivale dispose aussitôt d'un atout définitif sur les autres concurrents. C'est pourquoi les pays qui jugent que l'espionnage économique est peu susceptible de contribuer au maintien de leur avance technologique peuvent néanmoins s'y livrer pour ses avantages possibles à court terme.

En outre, les implications morales de ce type d'activité troublent peu ces pays. Pour eux, sécurité économique et sécurité militaire s'équivalent; l'on doit être prêt à faire pour l'une ce que l'on est disposé à faire pour l'autre. Passent pour naïfs à leurs yeux ceux qui font une distinction entre ce qui est acceptable face aux questions traditionnelles de sécurité et ce qui l'est pour les questions de sécurité économique.

L'ancien directeur du service français du renseignement, Pierre Marion, a résumé ainsi l'attitude des pays qui se livrent à l'espionnage économique auprès de leurs alliés militaires et politiques : «Nous sommes des alliés il est vrai, mais dans le domaine de l'économie et de la technologie, nous sommes des concurrents». Stansfield Turner, le directeur du renseignement sous l'administration Carter, lui fait écho en ces termes : «Si la puissance économique doit être aujourd'hui reconnue comme un élément essentiel de la sécurité nationale, au même titre que la puissance militaire, pourquoi l'Amérique devrait-elle s'alarmer du vol et de l'utilisation des secrets économiques?».

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Perspectives

Le fait d'intervenir davantage dans le secteur privé, et donc d'interagir plus avec lui, posera des difficultés à la fois nombreuses et nouvelles aux services de renseignements. Quant à savoir s'il est désirable qu'ils jouent ce nouveau rôle, la décision incombera à des autorités extérieures à l'appareil du renseignement. Les gouvernements devraient, dans l'ensemble, favoriser une forme de contre-espionnage économique, mais en ce qui concerne l'espionnage économique lui-même, leur position est plus ambiguë. Ce sera moins un réflexe défensif que leur attitude face à la concurrence économique internationale qui déterminera s'ils se livreront à cette activité controversée. En effet, les gouvernements qui voient les relations commerciales internationales comme une lutte semblable à une lutte militaire, pourraient se sentir attirés par l'espionnage économique offensif, malgré ses difficultés et ses pièges. Par contre, ceux qui voient en elles un facteur comme un autre, incontournable toutefois, de l'expansion économique qui, tout à la fois, bénéficie aux consommateurs et oblige les producteurs du pays à rester compétitifs, sont moins susceptibles de s'engager dans cette voie.

Dans cette optique, la question de l'espionnage économique, et par extension, de la sécurité économique, peut être perçue comme partie intégrante du débat qui porte actuellement sur la nature des relations économiques internationales. La position des pays face à cette question risque d'être déterminée, en grande partie peut-être, par leur réponse à cette interrogation : «Des concurrents économiques sont-ils des ennemis?».

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Commentaire est publié régulièrement par la Direction de l'analyse et de la production du SCRS. Si vous avez des questions sur la teneur du document, veuillez vous adresser au Comité de rédaction à l'adresse suivante:

Les opinions susmentionnées sont celles de l'auteur qui peut être joint en écrivant à l'adresse suivante:

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Date de modification : 2005-11-14

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