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Examen de la relation entre les antécédents de mauvais traitements et les comportements à risque chez les adolescents
Ian G. Manion 1 Susan Kaye Wilson2

1-Départements de psychiatrie et de psychologie, Hôpital pour enfants de l'est de l'Ontario, Ottawa (Ont.) Canada
2-Centre d'étude de l'enfant, Université d'Ottawa, Ottawa (Ont.) Canada

Ce projet a été subventionné en vertu d'un contrat par la Unité de la prévention de la violence familiale de Santé Canada. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les opinions officielles de Santé Canada. Il est interdit de reproduire ce guide à des fins commerciales, mais sa reproduction à toutes autres fins est encouragée, à condition que la source en soit citée. Nous sommes reconnaissants envers les responsables du programme «Jeunesse en relance» qui ont permis que les adolescents inscrits à ce programme participent à notre recherche.

Notre mission est d'aider les Canadiens et les Canadiennes à maintenir et à améliorer leur état de santé.
Santé Canada

Also available in English under the title:

An Examination of the Association Between Histories of Maltreatment and Adolescent Risk Behaviours

Cat. H72-21/139-1995F

ISBN 0-662-80541-0

Table des matières

Liste des tableaux 4

Liste des figures 5

Aperçu 7

Examen de la documentation 7

  • Formes de mauvais traitements 7
  • Formes de mauvais traitements 7
  • Violence physique 7
  • Négligence 7
  • Exposition à la violence conjugale 8
  • Violence psychologique 8
  • Exploitation sexuelle 8
  • Conséquences des mauvais traitements 8
  • Mauvais traitements et délinquance 9
  • Fonctionnement de la famille 9
  • Mesure des mauvais traitements 10
  • Victimisation multiple 10
  • Résumé et avenues de recherche 10

Méthode 11

  • Participants 11
  • Méthode 12
  • Mesures 12
  • Antécédents de mauvais traitements 12
  • Compétences sociales et problèmes de comportement 12
  • Estime de soi 12
  • Antécédents familiaux et comportements à risque 13
  • Fonctionnement de la famille 13
  • Autres événements de la vie 13

Résultats 14

  • Antécédents de mauvais traitements 14
  • Données démographiques 14
  • Antécédents de mauvais traitements et antécédents familiaux 18
  • Antécédents de mauvais traitements et événements de la vie 18
  • Antécédents de mauvais traitements et fonctionnement de la famille 18
  • Antécédents de mauvais traitements et fonctionnement individuel des jeunes 21
  • Antécédents de mauvais traitements et comportements à risque 23
  • Victimisation simple ou multiple et comportements à risque 28
  • Formes de mauvais traitements et comportements à risque 28
  • Relation entre les différentes formes de mauvais traitements 31
  • Relation entre les différents comportements à risque 31
  • Antécé familiaux et comportements à risque 31

Commentaires 35

  • Mauvais traitements 35
  • Antécédents familiaux 35
  • Adaptation des adolescents 35
  • Comportements à risque 36
  • Limites de l’étude 36
  • Avenues de recherche 36
  • Conséquences sur la pratique clinique 38

Bibliographie 39

Liste des tableaux

Tableau 1: Comparaisons entre les adolescents maltraités et les adolescents non maltraités, selon les variables démographiques 17

Tableau 2: Comparaisons entre les adolescents maltraités et les adolescents non maltraités, selon le cheminement scolaire 18

Tableau3: Comparaisons entre les adolescents maltraités et les adolescents non maltraités, selon les antécédents familiaux 20

Tableau 4:: Comparaisons entre les adolescents maltraités et les adolescents non maltraités, selon le fonctionnement de la famille 21

Tableau 5: Comparaisons entre les adolescents maltraités et les adolescents non maltraités, selon leur fonctionnement individuel 23

Tableau 6: Comparaisons entre les adolescents maltraités et les adolescents non maltraités, selon les comportements à risque 24

Tableau 7: Risques relatifs significatifs pour les jeunes ayant subi une ou plusieurs formes de mauvais traitements d'adopter divers comportements à risque, comparativement aux jeunes qui n'ont pas subi de mauvais traitements (groupe de référence) 29

Tableau 8: Risques relatifs significatifs pour les jeunes ayant subi diverses formes de mauvais traitements d’adopter différents comportements à risque, comparativement aux jeunes qui n’ont pas subi de mauvais traitements (groupe de référence) 29

Tableau 9: Corrélations entre les comportements à risque des adolescents et leurs antécédents des mauvais traitements 30

Tableau 10: Corrélations entre les différentes formes de mauvais traitements 31

Tableau 11: Intercorrélations; des comporte ments à risque et corrélations entre les comportements à risque et les aspects du fonctionnement individuel 32

Tableau 12: Risques relatifs significatifs pour les jeunes ayant des antécédents familiaux négatifs d’adopter différents comportements à risque, comparativement aux jeunes n’ayant pas cegenre d’antécédents (groupe de référence) 33

Tableau 13: Corrélations entre les comportements à risque des adolescents et leurs antécédents familiaux 34


Liste des figures

Figure 1: Antécédents de mauvais traitements Échantillon total (n = 142) 15

Figure 2: Formes de mauvais traitements Échantillon total (n = 142) 15

Figure 3: Formes de mauvais traitements subis par les garçons et les filles 16

Figure 4: Type de famille 16

Figure 5: Antécédents familiaux 19

Figure 6: Fonctionnement individuel des adolescents 22

Figure 7: Consommation de cigarettes 26

Figure 8: Consommation d'alcool 26

Figure 9: Consommation de drogue 27

Figure 10: Comportements à risque des adolescents 27


Aperçu

La présente étude avait pour objet d'examiner le lien entre cinq formes de mauvais traitements (violence physique, exploitation sexuelle, négligence, exposition à la violence conjugale et violence psychologique) et les comportements à risque chez les adolescents. Nous nous attendions à ce que les adolescents ayant subi des mauvais traitements soient plus susceptibles que les autres d'avoir des comportements à risque. Au total, 142 élèves de niveau secondaire inscrits à un projet de prévention du décrochage scolaire ou dans des classes ordinaires ont participé à l'étude. Ces adolescents ont rempli des questionnaires sur les mauvais traitements dont ils avaient été victimes, leur niveau actuel d'adaptation comportementale et sociale, leurs comportements à risque, leurs antécédents familiaux et leur milieu familial. Soixante et un pour cent des répondants ont déclaré avoir déjà été victimes de mauvais traitements. Les deux tiers de ceux-ci avaient subi plusieurs formes de mauvais traitements. On a constaté l'existence de relations significatives entre les antécédents de mauvais traitements et les comportements à risque. En particulier, les mauvais traitements sont associés à un plus grand risque de fugue et de consommation de cigarettes, d'alcool et de drogue. Ils sont également associés à des problèmes d'adaptation comportementale et à des idées suicidaires plus fréquentes parmi les adolescents. La relation est plus forte chez les adolescents qui ont été victimes de plusieurs formes de mauvais traitements que chez ceux qui n'ont été exposés qu'à une seule forme de mauvais traitements. Enfin, les adolescents qui avaient subi des mauvais traitements étaient plus nombreux à signaler des antécédents familiaux de maladie mentale, de toxicomanie et d'infractions criminelles.

Examen de la documentation

Formes de mauvais traitements

L'expression «mauvais traitements» désigne de nombreux comportements qui diffèrent quant à leur nature, à leur intensité et à leur durée. Cinq formes de mauvais traitements ont été retenues pour la présente étude et nous les décrivons brièvement ci-dessous.

Violence physique

Dans une étude américaine sur la violence familiale, menée à l'échelle nationale en 1985 par Straus et Gelles (1988), on a utilisé deux définitions de la violence physique faite aux enfants. Dans la première définition, on considère qu'un enfant a été victime de violence physique s'il a reçu un coup de pied ou un coup de poing, s'il a été mordu, battu, brûlé ou ébouillanté, s'il a été menacé au moyen d'un couteau ou d'une arme à feu, ou s'il a été attaqué avec un couteau ou une arme à feu. D'après cette définition, les chercheurs ont constaté un taux de violence physique de 24 cas par 1 000 enfants. Lorsqu'à cette définition on a ajouté le critère «frappé avec un objet», ce taux est passé à 110 cas par 1 000 enfants. Parmi un grand échantillon d'adolescents d'une ville du Midwest américain interrogés par Hibbard, Ingersoll et Orr (1990), 9 p. 100 ont déclaré avoir été victimes de violence physique et 14,2 p. 100 de violence physique accompagnée d'une autre forme de mauvais traitements (p. ex. l'exploitation sexuelle).

Négligence

La négligence psychologique et la négligence physique sont considérées comme des actes d'omission. La négligence a été définie par Dean (1979, cité dans Brière, 1992) comme un acte d'omission découlant souvent de l'ignorance ou de l'indifférence des parents. Ainsi, l'enfant ne reçoit pas de stimulation ni de soutien psychologique positif. Les parents donnent peut-être les soins physiques nécessaires à leur enfant, mais ils le laissent dans son lit pendant de longues périodes de temps, le caressent ou lui parlent rarement, ou ne lui témoignent pas d'encouragement ni de compliments. De même, Kaufman et Cicchetti (1989) ont établi qu'un enfant était négligé si ses besoins en matière de surveillance, d'alimentation ou de soins médicaux n'étaient pas comblés. La fréquence des cas de négligence est difficile à déterminer, puisque la négligence est souvent englobée dans les cas de violence physique ou de violence psychologique.

Exposition à la violence conjugale

La violence conjugale a été définie comme étant tout acte d'agression commis par un homme envers une femme avec laquelle il a une relation intime (Dutton, 1988, p. 1). L'agression envers la femme peut être verbale ou physique. L'outil dont on se sert le plus souvent pour mesurer la violence conjugale est l'échelle «Conflict Tactics Scale», qui a été élaborée par Straus et ses collègues (Straus, 1979). Straus et Gelles (1988) ont utilisé cette échelle dans le cadre d'une enquête menée aux États-Unis en 1985, et ils ont trouvé que 11,3 p. 100 des participants avaient eu recours à la violence physique à l'égard de leur femme. On a obtenu des résultats presque identiques en analysant un échantillon canadien. Kennedy et Dutton (1989) ont constitué un échantillon représentatif de participants de régions rurales et de régions urbaines dans la province de l'Alberta. En se servant de la même échelle que Straus, ils ont obtenu un taux de violence conjugale de 11,2 p. 100.

D'après l'enquête nationale de Statistique Canada sur la violence envers les femmes, trois Canadiennes sur dix qui sont mariées actuellement ou qui l'ont déjà été ont subi au moins un acte de violence physique ou sexuelle commis par leur conjoint (Rodgers, 1994, p. 1).

Bien que toutes ces études aient surtout porté sur la violence entre adultes, des chercheurs se sont aussi penchés sur les cas de violence conjugale dont des enfants ont été témoins. Ainsi, Bard (1970) a constaté que des enfants étaient présents dans 41 p. 100 des querelles domestiques ayant nécessité une intervention policière. De même, Leighton (l989) a examiné 2 910 cas de violence conjugale et il a déterminé que des enfants étaient présents dans 68 p. 100 des cas. Selon les résultats de l'enquête nationale de Statistique Canada, les enfants sont témoins d'actes de violence infligés à leur mère dans près de 40 p. 100 des mariages violents (Rodgers, 1994, p. 1).

Violence psychologique

La violence psychologique est habituellement considérée comme un acte de commission. On peut donner comme exemples d'actes de violence psychologique le rejet, l'intimidation, l'isolement, l'exploitation, l'humiliation, la corruption et l'absence de réponses affectives (Claussen et Crittenden, 1991).

Exploitation sexuelle

Par exploitation sexuelle, on entend généralement l'exploitation sexuelle des enfants et cette forme de violence peut comprendre des comportements comme l'agression sexuelle, les attouchements sexuels, l'incitation à des attouchements, les actes d'exhibitionnisme ou les formes d'exploitation comme la prostitution ou la pornographie. Dans l'étude communautaire menée auprès d'adolescents américains par Hibbard et ses collaborateurs (1990), on a constaté un taux de 4,3 p. 100 d'exploitation sexuelle et un taux de 9,5 p. 100 d'exploitation sexuelle accompagnée d'une autre forme de mauvais traitements (p. ex. la violence physique). Parmi ces adolescents, on a observé une différence significative dans les résultats selon le sexe des répondants, un plus grand nombre de filles ayant déclaré avoir été victimes d'exploitation sexuelle.

Conséquences des mauvais traitements

On ne croit pas que les mauvais traitements entraînent un retard général de développement chez les enfants qui en sont victimes, mais plutôt des problèmes dans des domaines précis et à des stades précis du développement. Ainsi, les mauvais traitements ont été associés à un grand éventail de difficultés d'adaptation. Les enfants victimes de mauvais traitements ont des rapports beaucoup plus agressifs avec leurs parents ou leurs pairs que les enfants qui proviennent de milieux non violents (Cummings, Pellegrini, Notarius et Cummings, 1986). Les enfants victimes de mauvais traitements ont également été décrits comme présentant un plus grand nombre de symptômes d'intériorisation (p. ex. ils sont solitaires, dépressifs) (Jaffe, Wolfe et Wilson, 1990; Reid et Crisafulli, 1990). Les enseignants de ces enfants les décrivent comme étant plus agressifs et ayant besoin de plus de discipline que les autres (Reidy, 1977; Hoffrnan-Plotkin et Twentyman, 1984).

Mauvais traitements et délinquance

Le sujet principal de notre étude est la relation entre les mauvais traitements subis durant l'enfance et les comportements délinquants ou à risque durant l'adolescence. Diverses études montrent qu'il existe une relation entre ces deux phénomènes. Ainsi, selon Smith et Thornberry (1993), les adolescents qui ont été victimes de mauvais traitements pendant l'enfance sont en général plus susceptibles de commettre des actes de délinquance. Cette relation était constante, que les renseignements sur les actes délinquants aient été obtenus directement des répondants ou recueillis dans des rapports officiels. De plus, la relation entre les mauvais traitements et la délinquance était plus forte pour les cas graves de délinquance que pour les cas mineurs. D'après les auteurs, environ 15 à 30 p. 100 des enfants victimes de mauvais traitements deviennent délinquants. De même, dans une étude prospective, Widom (1989) a apparié des échantillons de personnes ayant été victimes de violence et de personnes n'en ayant pas été victimes, en fonction de l'âge, du sexe, de la race et de la classe sociale, et elle a regardé lesquelles de ces personnes avaient eu, à l'âge adulte, un comportement criminel et délinquant. Elle a trouvé que 29 p. 100 des adultes qui avaient été victimes de violence et de négligence pendant leur enfance avaient un casier judiciaire pour des infractions autres que des infractions au code de la route, tandis que c'était le cas pour 21 p. 100 des adultes sans antécédents de mauvais traitements. En moyenne, les adultes qui avaient subi de la violence et de la négligence dans leur enfance avaient commencé plus jeunes à commettre des infractions et ils en avaient commis un plus grand nombre.

Le fait d'avoir subi des mauvais traitements pendant l'enfance aurait aussi un effet sur la nature des infractions commises plus tard. Ainsi, d'après Howing et ses collaborateurs (1990), les adolescents qui ont subi des mauvais traitements pendant leur enfance risquent davantage que les autres de commettre des crimes violents, comme des agressions.

Fonctionnement de la famille

Dans les familles violentes, on retrouve souvent aussi des problèmes fonctionnels autres que les comportements violents. Il faut donc tenir compte aussi bien des autres aspects du fonctionnement de la famille que des facteurs liés à la violence lorsqu'on étudie les comportements à risque chez les adolescents. Ainsi, d'après Dembo et ses collaborateurs (1992), parmi les familles qui donnent du soutien affectif et psychologique à leurs enfants, qui leur offrent des modèles de rôle traditionnels, qui exercent un certain contrôle social sur leur comportement et où il existe un attachement étroit entre parents et enfants, les taux de délinquance ont tendance à être moins élevés que dans les autres familles.

D'après la théorie de l'attachement, les enfants qui ont établi des liens solides avec un parent se créent une «s_image» du parent type. Ils le voient comme une personne réceptive et accessible et ils se voient eux-mêmes comme dignes d'être aimés (Bowlby, 1973; Bretherton, 1987). Les enfants victimes de mauvais traitements auraient plus de difficulté à établir des liens solides avec les principales personnes qui s'occupent d'eux et à se forger un modèle positif d'eux-mêmes (Egeland et Sroufe, 1981; Schneider-Rosen, Braunwald, Carlson et Cicchetti, 1985). Les enfants qui ont un attachement précaire à leurs parents seraient moins capables que les autres de nouer des liens avec leurs semblables ou avec d'autres adultes (Cicchetti et Olsen, 1990). Quand l'attachement est précaire, l'enfant ne peut pas intégrer les valeurs parentales et sociétales liées à l'obéissance et au travail, et il manque de contrôle intérieur (Patterson, DeBarysche et Ramsey, 1989).

Le modèle parental de résolution des conflits est un autre facteur important qui influence les enfants : ceux-ci ont tendance à utiliser des méthodes semblables à celles de leurs parents lorsqu'ils se trouvent eux-mêmes en situation de conflit (Hart, Ladd et Burleson, 1990). Si les enfants sont exposés à des comportements agressifs fréquents à la maison, ils ont alors davantage l'occasion d'observer et d'imiter ces comportements (Wahler et Dumas, 1986). Ils placent les réactions agressives à la tête de leur répertoire et ils en viennent à considérer ces réactions comme efficaces (Dodge, Baies et Pettit, 1990).

Mesure des mauvais traitements

La définition des diverses formes de mauvais traitements et l'obtention de renseignements valides constituent deux difficultés particulières qu'on rencontre dans la recherche sur les mauvais traitements à l'égard des enfants. Ces difficultés tiennent au fait que les mauvais traitements peuvent se produire sur une longue période de temps et qu'ils peuvent prendre différentes formes (Jaffe, Wolfe et Wilson, 1990; Mash et Wolfe, 1991). Des erreurs de mesure peuvent provenir des diverses sources d'information en raison d'effets réactifs, d'un biais ou d'une distorsion dans les réponses, de réponses non spécifiques et de la pression sociale (Mash et Wolfe, 1991). Malgré ces difficultés, Smith et Thornberry (1993) ont constaté que l'évaluation des mauvais traitements au moyen d'une mesure globale était généralement aussi efficace que les mesures de la fréquence, de la gravité, de la durée et du nombre des différentes formes de mauvais traitements. De plus, les résultats qu'ils ont obtenus montrent un effet de seuil : tout acte de violence assez grave pour être porté à l'attention d'un organisme de protection de l'enfance entraîne chez l'enfant un risque de développer plus tard un comportement délinquant. Une fois ce seuil dépassé, les autres incidents de violence ou même les cas plus graves de violence n'entraînent pas de hausse considérable du risque de délinquance.

Dans bon nombre des travaux de recherche, on n'a pas fait de distinction entre les diverses formes de mauvais traitements bien que chaque forme de mauvais traitements ait été associée à des séquelles particulières (Claussen et Crittenden, 1991). Ainsi, on a laissé entendre que les enfants qui ont été victimes de violence physique risquent davantage de commettre des infractions avec violence et que, par ailleurs, les enfants qui ont été victimes de négligence risquent davantage de commettre des infractions contre les biens (Brown, 1984; Kaufman et Cicchetti, 1989).

Victimisation multiple

On sait que les enfants peuvent être victimes de plus d'une forme de mauvais traitements. Ainsi, le chevauchement des cas d'exposition à la violence conjugale et de violence physique est évalué à 30 à 40 p. 100 (Hughes, 1988; Straus, Gelles et Steinmetz, 1980). Peu de chercheurs ont examiné directement le lien entre la victimisation multiple durant l'enfance et les comportements à risque à l'adolescence. On croit que le fait d'avoir été exposé à plus d'une forme de mauvais traitements augmente les probabilités d'un comportement à risque.

Résumé et avenues de recherche

Il a été établi qu'il existe une relation entre les mauvais traitements reçus pendant l'enfance et la délinquance à l'adolescence. Toutefois, les conséquences propres à chaque forme de mauvais traitements ou à la victimisation multiple sont moins claires. On a aussi laissé entendre qu'en plus des facteurs liés aux mauvais traitements, d'autres facteurs liés au fonctionnement de la famille auraient un lien avec l'adaptation des adolescents.

À la lumière des considérations formulées ci-dessus, la présente étude avait pour objet d'examiner les questions suivantes

1) Les conséquences des mauvais traitements sur le fonctionnement personnel des adolescents : nous nous attendions à ce que les adolescents qui avaient été victimes de mauvais traitements aient davantage de problèmes de comportement (intériorisation et extériorisation) ainsi que des lacunes sur le plan des compétences sociales.

2) La relation entre les antécédents de mauvais traitements et les comportements à risque chez les adolescents : nous nous attendions à ce que les adolescents qui avaient été victimes de mauvais traitements aient davantage de comportements à risque que les autres.

3) La relation entre certaines formes de mauvais traitements (p. ex. la violence physique) et certains comportements à risque (p. ex. la consommation de drogue) : vu le nombre limité de travaux effectués à ce jour dans ce domaine, nous n'avions fait aucune prévision quant à la relation entre ces variables.

4) Les conséquences de la victimisation multiple sur l'adoption de comportements à risque : nous avions prévu que les adolescents qui avaient été victimes de plus d'une forme de mauvais traitements auraient davantage de comportements à risque que ceux qui n'avaient pas d'antécédents de mauvais traitements ou qui n'avaient subi qu'une seule forme de mauvais traitements.

5) La relation entre les mauvais traitements et les facteurs liés au fonctionnement de la famille : nous nous attendions à ce que les familles violentes soient caractérisées par des modes de fonctionnement moins sains (p. ex. plus hauts niveaux de conflit, plus faibles niveaux d'organisation) que ceux qu'utilisent les familles non violentes. De plus, nous prévoyions qu'un plus grand nombre de familles violentes auraient des antécédents de maladie mentale, de toxicomanie, de mauvais traitements et d'infractions criminelles.

Méthode

Participants

Au total, 142 adolescents (n = 64) et adolescents (n = 78) ont participé à l’étude. Ces jeunes avaient de 14 à 18 ans, l’âge moyen étant de 15,3 ans (È.t. = 0,48). Ils étaient divisés en deux groupes. Le premier groupe (n = 49) était composé d’adolescents inscrits au programme «Jeunesse en relance (JER)». Ce programme, don’t les activités se déroulent à Ottawa et à Cornwall, vise les adolescents qui sont considérés comme des dérocheurs potentiels. Les jeunes sont dirigés vers le programme par divers intervenants comme les conseillers d’orientation scolaire, les enseignants et les professionnels de la santé mentale. Le travail auprès des jeunes commence en été; on les fait participer à l’activité proprement dite. À l’automne, les jeunes participent à des séances de groupe hebdomadaires axées sur l’éducation et le soutien.

Le second groupe était composé de 93 adolescents d’une école secondaire de Cornwall considérés comme représentatifs de la population générale des adolescents. Aucune différence significative quant à l’âge, au niveau scolaire, au sexe ou au statut socioéconomique de la mère (mesuré au moyen des échelles de Blishen, 1987 n’a été observée entre les deux groupes. Cependant, le statut socioéconomique de père (mesuré au moyen des échelles de Blishen, 1987) était significativement plus élevé chez les adolescents de l’école secondaire (Moy. = 48, 75, È.t. = 20,50) que chez les adolescents du programme JER (Moy. = 41, 15, È.t. = 12,19; t (95) = 2,67, p<0,01). Le type de famille aussi différait dans ce deux groupes; les adolescents du programme JER étaient plus nombreux à être issus d’une famille monoparentale (28,6 p. 100) que ceux de l’école secondaire (8,6 p. 100) et ils étaient moins nombreux à être issus d’une famille biparentale (65,3 p. 100 contre 87,1 p. 100; c 2(1,n = 142) = 10,39, p<0,01). Malgré ces différences, les deux groupes ont été considérés en général comme comparables sur le plan démographique et ils ont donc été regroupés en un seul grand groupe pour les fins de l’analyse des données.

Méthode

Nous avons obtenu le consentement éclairé de tous les adolescents avant qu'ils ne remplissent les questionnaires. Dans le cas des adolescents du programme «Jeunesse en relance», nous avons insisté sur le fait que le refus de participer au projet de recherche n'aurait aucune conséquence sur leur participation au programme. Parmi les adolescents inscrits à ce programme, seulement deux ont refusé de participer, les deux parce qu'ils avaient de la difficulté à lire. Les participants ont rempli les questionnaires en une seule séance d'une durée d'une heure à une heure et demie. Nous avons examiné les réponses aux questionnaires pour détecter les cas de mauvais traitements à déclarer et les risques de suicide.

Mesures

Nous avons choisi des instruments de mesure permettant d'évaluer une variété de cas de mauvais traitements, de comportements à risque chez les adolescents et d'aspects du fonctionnement psychosocial des adolescents. Toutes ces mesures ont été faites à partir des réponses fournies par les adolescents. L'ensemble des mesures a permis de faire une étude assez large, mais non exhaustive, de chacun des domaines. Les instruments de mesure qui sont décrits dans la présente section ne permettent pas une évaluation en profondeur de l'un ou l'autre des domaines faisant l'objet de l'étude.

Antécédents de mauvais traitements

Les renseignements sur les antécédents de mauvais traitements ont été tirés des réponses que nous avons recueillies au moyen de l'échelle «Ratings of Past Life Events (Part A)» (McGee, 1993). Pour chaque forme de mauvais traitements, les adolescents devaient indiquer sur une échelle de quatre degrés allant de «aucunement» à «gravement» s'ils avaient été victimes de cette forme de mauvais traitements de la part de leur mère, de leur père ou d'une autre personne. Pour les fins de la présente étude, nous avons considéré victimes de mauvais traitements les adolescents qui ont répondu qu'ils avaient été «légèrement» à «gravement» victimes d'une forme ou d'une autre de mauvais traitements. Nous avons déterminé de cette façon la présence d'antécédents de mauvais traitements pour chacune des formes de mauvais traitements.

Compétences sociales et problèmes de comportement

Nous avons recueilli les commentaires des adolescents au sujet de leurs compétences sociales et de leurs problèmes de comportement au moyen du questionnaire «Youth Self-Report» (Archenbach, 1991). Dans cet outil de mesure, on demande aux adolescents d'évaluer leur niveau de compétences sociales (p. ex. rendement scolaire, activités) et leurs problèmes de comportement (p. ex. agressivité, dépression). Les réponses sont cotées par ordinateur et les résultats sont compares à un échantillon normatif de jeunes du même âge et du même sexe. Dans la présente étude, nous donnons les scores normalisés pour les facteurs du 2e ordre comme les compétences sociales, les problèmes liés à l'intériorisation (p. ex. l'anxiété, la dépression) et les problèmes liés à l'extériorisation (p. ex. jouer la comédie, agressivité). De plus, nous avons inclus deux éléments du questionnaire constituant des comportements à risque («Je fais des fugues», «Je songe à me suicider»).

Estime de soi

Nous avons mesuré l'estime que les adolescents avaient d'eux-mêmes au moyen d'une version modifiée du questionnaire «Self-Description Questionnaire II» (Marsh, 1990). Dans ce questionnaire, on demande aux répondants d'évaluer sur une échelle de six degrés dans quelle mesure les énoncés formulés constituent une description d'eux-mêmes. Par économie de temps, nous n'avons pas posé toutes les sous-questions du questionnaire original. Nous avons évalué l'estime de soi par rapport aux points suivants : apparence physique, personnalité générale, honnêteté et fiabilité, et relations avec les parents.

Antécédents familiaux et comportements à risque

Les adolescents ont fourni des renseignements sur leurs antécédents familiaux, leur cheminement scolaire et leurs comportements à risque dans le «Student Questionnaire». Ce questionnaire a été élaboré par les auteurs et il comprend quelques questions du «High School Student Questionnaire» (Caputo, 1993) et d'une enquête sur la maladie mentale, «Canadian Youth Mental Health and Illness Survey» (Davidson et Manion, 1993). Parmi les renseignements demandés sur la famille, mentionnons le type de famille, le statut socioéconomique et les antécédents de dépression, de consommation d'alcool ou de drogue, de violence physique ou sexuelle, de maladie mentale, d'activités criminelles et de fréquentation scolaire. Les adolescents ont fourni des renseignements sur leur propre fréquentation scolaire, leur cheminement scolaire et leurs projets d'étude. Enfin, nous avons recueilli des données sur les comportements à risque comme l'école buissonnière, les fugues, les infractions criminelles et la consommation de drogue. On peut se procurer un exemplaire du questionnaire en en faisant la demande aux auteurs.

Fonctionnement de la famille

Nous avons administré aux participants une version modifiée du questionnaire «Family Environment Scale» (Moos et Moos, 1986) pour évaluer les relations, la croissance personnelle et les aspects du maintien de la vie familiale à l'intérieur de la cellule familiale. Par économie de temps, nous n'avons pas posé toutes les sous-questions du questionnaire original. Les points que nous avons évalués sont les suivants: la cohésion (le degré d'encouragement, d'aide et de soutien que les membres de la famille se donnent les uns aux autres), l'expressivité (la mesure dans laquelle les membres de la famille sont encouragés à agir ouvertement et à exprimer leurs sentiments), les conflits (la colère, l'agressivité et l'opposition qui sont exprimées ouvertement parmi les membres de la famille), l'indépendance (le degré de confiance en eux-mêmes et d'autonomie des membres de la famille et leur capacité de prendre leurs propres décisions), l'orientation vers les réalisations (la mesure dans laquelle les activités comme les études et le travail sont intégrées dans un cadre orienté vers les réalisations ou la compétition), l'organisation (l'importance accordée à une organisation et une structure claires pour la planification des activités et des responsabilités) et enfin le contrôle (la mesure dans laquelle on utilise des règles et des méthodes préétablies pour gérer la vie familiale).

Autres événements de la vie

Pour détecter les effets possibles d'événements négatifs autres que les mauvais traitements, nous avons demandé aux adolescents de remplir le questionnaire «Life Events Checklist» (Johnson et McCutcheon, 1980). Les adolescents devaient indiquer quels événements étaient survenus dans leur vie au cours de l'année précédente, préciser si l'événement était positif ou négatif pour eux et évaluer sur une échelle de trois degrés les conséquences que cet événement avait eues sur leur vie (0 = aucune conséquence, 1 = peu de conséquences, 2 = des conséquences importantes). À partir de ces réponses, nous avons calculé une cote de changement négatif en additionnant les cotes attribuées aux conséquences des événements considérés comme négatifs. Nous avons retenu cette méthode d'évaluation des événements négatifs de la vie en raison du haut degré de fiabilité de la méthode du test-retest obtenu par les chercheurs qui ont utilisé des méthodes semblables (p. ex. Johnson et Sarason, 1979). De plus, les cotes attribuées aux événements négatifs de la vie se sont avérées être hautement prédictives des difficultés scolaires et des niveaux d'anxiété et d'inadaptation des enfants (Johnson et Sarason, 1979).

Résultats

 

Antécédents de mauvais traitements

Il n'y avait pas de différence statistiquement significative entre les proportions de jeunes des deux échantillons qui ont déclaré avoir subi des mauvais traitements sous une forme ou sous une autre (69,4 p. 100 de l'échantillon du programme «Jeunesse en relance» contre 57,0 p. 100 de l'échantillon de l'école secondaire). Parmi l'échantillon total composé de 142 adolescents, 87 (61,3 p. 100) avaient subi une ou plusieurs formes de mauvais traitements à un certain moment dans le passé. De ce nombre, un tiers des jeunes ont mentionné une seule forme de mauvais traitement, alors que deux tiers ont mentionné des formes multiples (deux ou plus) de mauvais traitements (figure 1).

Les mauvais traitements subis se répartissent de la façon suivante : 14,8 p. 100 des jeunes ont été témoins de violence conjugale, 15,5 p. 100 ont été victimes d'exploitation sexuelle, 20,4 p. 100 de négligence, 38,7 p. 100 de violence physique, et 40,8 p. 100 de violence psychologique (figure 2). Ces taux correspondent à la fréquence de chaque forme de mauvais traitements, qu'ils aient été accompagnés ou non d'une autre forme de mauvais traitements. Le total des taux énumérés ci-dessus excède 100 p. 100 étant donné que la majorité des adolescents ont mentionné avoir subi plusieurs formes de mauvais traitements.

Dans l'ensemble, la proportion des garçons qui ont subi des mauvais traitements ne diffère pas beaucoup de celle des filles. Lorsqu'on compare la fréquence des diverses formes de mauvais traitements, selon le sexe, on constate que les filles ont été davantage victimes d'exploitation sexuelle (28,2 p. 100 contre 0 p. 100),c 2 (1,n = 142) = 19,26, p<0,001, et de violence psychologique (48,7 p. 100 contre 31,3 p. 100), c 2(l,n = 142) = 4,44, p<0,05, que les garçons. La fréquence des diverses formes de mauvais traitements, selon le sexe, est présentée à la figure 3.

Pour les autres analyses, nous avons comparé les jeunes qui ont subi des mauvais traitements (adolescents maltraités) avec ceux qui n'en ont pas subi (adolescents non maltraités).

Données démographiques

Les adolescents qui ont été victimes de mauvais traitements ne diffèrent pas de façon significative des autres selon l'âge, selon la proportion de filles par rapport à celle des garçons ou selon le type de famille (c.-à-d. famille monoparentale ou famille biparentale) (figure 4 et tableau 1). Le statut socioéconomique fondé sur le code de profession du père (Blishen, 1987) ne diffère pas d'un groupe à l'autre; par contre, les mères des adolescents ayant subi des mauvais traitements ont des codes de profession inférieurs à ceux des mères des autres jeunes.

Les données sur le cheminement scolaire sont présentées au tableau 2. Les deux groupes de jeunes sont comparables quant à leur niveau de scolarité et au nombre d'écoles qu'ils ont fréquentées. On constate un taux nettement plus élevé d'adolescents maltraités qui ont suivi des classes spéciales (40,7 p. 100 contre 18,5 p. 100). Fait intéressant, malgré les difficultés scolaires apparentes, il n'existe pas de différence notable entre les projets d'étude formulés par les jeunes, la grande majorité des deux groupes (au-delà de 85 p. 100) souhaitant faire des études collégiales ou universitaires.

Figure 1


Figure 3

Tableau 1

Tableau 2

 

Antécédents de mauvais traitements et antécédents familiaux

Les données sur les antécédents familiaux mentionnés par les adolescents sont présentées à la figure 5 et au tableau 3. Pour chaque catégorie d'antécédents, les adolescents ont mentionné si l'un de leurs parents ou de leurs frères et soeurs avait déjà vécu ce problème. Fait important, un plus grand nombre des adolescents ayant subi des mauvais traitements avaient un membre de leur famille qui avait souffert d'une maladie mentale, qui avait été toxicomane, qui avait été maltraité ou qui avait commis des infractions criminelles. On ne relève aucune différence entre les deux groupes quant au nombre de répondants dont un frère ou une soeur a abandonné l'école.

Antécédents de mauvais traitements et événements de la vie

Les adolescents ayant été victimes de mauvais traitements ont obtenu des points significativement plus élevés (9,86 contre 4,85) sur l'échelle des événements négatifs de la vie (Johnson & McCutcheon, 1980) (tableau 3). Il n'y avait aucune différence entre les deux groupes dans les points accordés aux événements positifs.

Antécédents de mauvais traitements et fonctionnement de la famille

Les résultats obtenus sur l'échelle «Family Environment Scale» (Moos et Moos, 1986) sont présentés au tableau 4. Il y a des différences significatives entre les deux groupes de jeunes dans plusieurs domaines du fonctionnement familial. Dans la famille des jeunes ayant subi des mauvais traitements, il y a moins de cohésion, d'indépendance et d'organisation et plus de conflits.

Figure 5

Tableau 3

Tableau 4

Antécédents de mauvais traitements et fonctionnement individuel des jeunes

Les données sur le fonctionnement individuel des jeunes sont présentées à la figure 6 et au tableau 5. On a évalué quatre dimensions de la perception qu'ont les adolescents d'eux-mêmes, à l'aide du «Self-Description Questionnaire II» (Marsh, 1988) : l'apparence physique, l'honnêteté et la fiabilité, les relations avec les parents et la personnalité générale. Les adolescents qui ont subi des mauvais traitements, par rapport à l'autre groupe, ont obtenu des résultats qui laissent supposer que leur estime de soi est largement inférieure en ce qui concerne leur personnalité générale et les relations avec leurs parents.

On a également évalué trois dimensions du fonctionnement psychosocial général à l'aide du «Youth Self-Report» (Achenbach, 1991) : les compétences sociales, les problèmes liés à l'intériorisation (p. ex. l'anxiété, la dépression, la somatisation), et les problèmes liés à l'extériorisation (p. ex. la délinquance, l'agression). Bien que l'on ne constate aucune différence entre les deux groupes de jeunes sur le plan des compétences sociales, les jeunes qui ont subi des mauvais traitements connaissent plus que les autres des problèmes liés à l'intériorisation ou à l'extériorisation.

En outre, les jeunes qui ont subi des mauvais traitements ont reçu des soins médicaux sous une forme ou une autre dans une proportion deux fois plus élevée que les autres adolescents (57,6 p. 100 contre 26,0 p. 100) (tableau 5).

Figure 6

Tableau 5

Antécédents de mauvais traitements et comportements à risque

Outre le fonctionnement psychosocial, on a évalué sept comportements à risque: la consommation de cigarettes, la consommation d’alcool et la consommation de drogues, fréquentation scolaire irrégulière (ècole buissonnière), infractions criminelles, fugues, idées suicidaires (tableau 6).

On a obtenu des résultats semblables pour les trois formes de toxicomanie (cigarette, alcool et drogue) (figures 7-9). Bien que des jeunes des deux groupes en aient fait l’expérience (c.-à-d. «essayé quelquefois», une plus grande proportion des jeunes ayant subi des mauvais traitements ont consommé des cigarettes de façon occasionnelle ou fréquente, et de l’alcool de façon occasionnelle, dans une proportion supérieure aux autres. Par rapport à la consommation de cigarettes ou d’alcool, beaucoup moins de jeunes ont déclaré avoir déjà essayé des drogues. Toutefois, les jeunes qui ont subi des mauvais traitements sont plus susceptibles que les autres d’avoir consommé des drogues.

En ce qui a trait à la fréquentation scolaire irrégulière, aux suspensions scolaires ou au fait d’avoir été accusé pour une infraction criminelle, il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes de répondants, bien que les taux de ces variables soient plus élevés dans le groupe de jeunes qui ont été victimes de mauvais traitements (figure 10).

Les jeunes ayant subi des mauvais traitements ont déclaré, dans une proportion nettement supérieure aux autres, qu’ils avaient commis des fugues à un moment ou à un autre et qu’ils avaient des idées suicidaires. Les résultats concernant les idées suicidaires sont tout à fait surprenants: parmi les 41,2 p. 100 de jeunes ayant subi des mauvais traitements qui ont mentionné avoir déjà eu l’idée de se suicider, 40 p. 100 ont déclaré avoir souvente ce genre de pensée. En revanch, seulement 11,5 p. 100 des autres jeunes ont déclaré avoir des idées suicidaires (figure 10).

Tableau 6

Tableau 6 suite

Figure 7 et 8

Figure 9 et 10

Tableau 7 et 8

Victimisation simple ou multiple et comportements à risque

Une série d’analyses de chi carré n’ont révélé aucune différence significative entre les taux de jeunes ayant eu l’un ou l’autre des comportements à risque selon qu’ils avaient ètè victimes d’une ou de plusieurs formes de mauvais traitements. Même si ces données ne sont pas statistiquement significatives, à l’exception des comportements liés aux infractions criminelles et aux compétences sociales, la fréquence de tous les comportements à risque est supérieure chez les adolescents ayant subi plusieurs formes de mauvais traitements, par rapport aux adolescents n'ayant subi qu'une forme de mauvais traitements.

On a effectué des analyses de risques relatifs afin de déterminer le risque relatif pour les jeunes d'adopter divers comportements à risque selon qu'ils ont été victimes ou non de mauvais traitements dans le passé. Dans chaque cas, on a utilisé comme groupe de référence le groupe de jeunes n'ayant pas subi de mauvais traitements pour calculer le risque relatif. Chaque catégorie de comportement à risque a été dichotomisée en fonction de la pertinence du point de vue clinique. À titre d'exemple, la variable «consommation de cigarettes» a été dichotomisée selon les catégories «n'a jamais essayé ou a essayé quelquefois» et «fume à l'occasion ou régulièrement». La variable «consommation de drogue» a été dichotomisée selon les catégories «n'a jamais essayé» et «a essayé quelquefois ou consomme des drogues à l'occasion ou souvent». Les seuils (cas limites et cas cliniques) suggérés par Achenbach (1991) ont été utilisés pour l'analyse des données sur le fonctionnement individuel provenant du «Youth Self-Report».

Les risques relatifs significatifs (p <0,05) qui ont été établis pour les adolescents ayant été victimes d'une forme ou de plusieurs formes de mauvais traitements sont présentés au tableau 7. Les seuls comportements à risque auxquels semblent être plus exposés - de façon significative - les jeunes ayant déclaré une seule forme de mauvais traitements, par rapport à ceux n'ayant pas subi de mauvais traitements, sont la consommation de cigarettes et de drogue (3,68 fois plus pour la cigarette et 3,81 fois plus pour la drogue). Notons que les risques relatifs sont largement influencés par la taille de l'échantillon et que la proportion des répondants ayant subi une seule forme de mauvais traitements était assez faible.

Les jeunes ayant subi plusieurs formes de mauvais traitements sont plus susceptibles que les jeunes non maltraités d'adopter cinq des sept comportements à risque, c'est-à-dire la consommation de cigarettes, la consommation d'alcool et la consommation de drogues, les fugues et les idées suicidaires. Les risques relatifs se situent entre «3,3 fois plus» pour la consommation d'alcool et «6,9 fois plus» pour les idées suicidaires. Ces mêmes adolescents ne sont pas plus susceptibles que les jeunes du groupe de référence d'avoir des problèmes de fréquentation scolaire ou d'avoir été accusés d'infraction criminelle. En revanche, comparativement au groupe de référence, ils sont plus portés à avoir un fonctionnement qui les place dans les cas limites ou les cas cliniques quant aux problèmes liés à l'intériorisation et à l'extériorisation.

Formes de mauvais traitements et comportements à risque

On a également calculé les risques relatifs afin d'établir une relation entre les comportements à risque, le fonctionnement individuel et les diverses formes de mauvais traitements. Là encore, les jeunes qui n'avaient subi aucune forme de mauvais traitements ont servi de groupe de référence. Comme on peut le voir au tableau 8, à quelques exceptions près, les risques relatifs significatifs (p <0,05) sont assez semblables pour l'ensemble des comportements à risque et les aspects du fonctionnement individuel, bien que l'importance des liens varie selon la forme de mauvais traitements.

Les jeunes ayant subi une forme ou une autre de mauvais traitements sont plus susceptibles - et de façon significative - de consommer des cigarettes, de l'alcool ou de la drogue. Les risques relatifs vont de «2,83 fois plus» pour la consommation d'alcool, si l'adolescent a été victime de violence physique, à « 11,14 fois plus» pour l'usage de drogues, s'il a été témoin de violence conjugale. L'exposition à la violence conjugale semble être associée aux risques relatifs les plus élevés pour toutes les catégories de toxicomanie qui ont été évaluées.

Tableau 9

Pour toutes les formes de mauvais traitements, les risques relatifs sont particulièrement élevés en ce qui concerne les fugues et les idées suicidaires. Les jeunes ayant subi une forme ou une autre de mauvais traitements sont au moins cinq fois plus susceptibles que ceux qui n'en ont pas subi d'avoir des comportements à risque. Ceux qui ont été négligés sont 11, 31 fois plus susceptibles de commettre des fugues. Ceux qui ont été négligés et ceux qui ont été témoins de violence conjugale sont 8,43 fois plus portés à avoir des pensées suicidaires. La relation entre les diverses formes de mauvais traitements et les comportements à risque est démontrée également dans les corrélations présentées au tableau 9.

Les jeunes ayant été victimes d'exploitation sexuelle sont ceux qui semblent avoir le plus rencontré de problèmes de fréquentation scolaire (école buissonnière) alors que ceux qui ont été témoins de violence conjugale semblent être les seuls à être plus susceptibles d'avoir été accusés d'une infraction criminelle (4,0 fois plus).

Lorsqu'il s'agit de Fonctionnement individuel, indépendamment de la forme de mauvais traitements subis, les adolescents ne sont pas plus susceptibles d'avoir rencontré des difficultés cliniquement significatives dans le domaine des compétences sociales. Toutefois, pour chaque forme de mauvais traitements, les jeunes sont plus susceptibles (deux à quatre fois plus) d'avoir vécu des problèmes liés à l'intériorisation ou à l'extériorisation que ceux qui n'ont vécu aucune forme de mauvais traitements. Sauf dans le cas des adolescents qui ont été victimes de négligence, les risques relatifs d'avoir des problèmes liés à l'extériorisation sont supérieurs aux risques d'avoir des problèmes liés à l'intériorisation.

Tableau 10

 

Relation entre les différentes formes de mauvais traitements

Comme on peut le voir au tableau 10, il existe une intercorrélation significative entre toutes les formes de mauvais traitements qui ont été examinées dans le cadre de la présente étude. Les coefficients de corrélation varient de 0,14 à 0,50. En outre, il existe une corrélation significative entre chaque forme de mauvais traitements et les mauvais traitements combinés (c.-à-d. la somme des coefficients de toutes les catégories de mauvais traitements). La corrélation entre l'exploitation sexuelle et les autres formes de mauvais traitements est la plus faible, sauf dans le cas de la négligence (0,32).

Relation entre les différents comportements à risque

Comme l'illustre le tableau 11, il existe une corrélation significative entre plusieurs comportements à risque ou entre les comportements à risque et divers aspects du fonctionnement individuel. Il n'est pas étonnant de constater une forte intercorrélation entre les différentes formes de toxicomanie (la cigarette, l'alcool et la drogue), les coefficients variant entre 0,33 et 0,59. Remarquons également la corrélation significative entre, d'une part, les «fugues» et la fréquentation scolaire irrégulière («école buissonnière») et, d'autre part, les toxicomanies. Il y a une forte corrélation entre les «infractions criminelles» et la «consommation de cigarettes», les «fugues» et les «problèmes liés à l'extériorisation». En général, on observe une forte corrélation entre les «problèmes liés à l'extériorisation» et tous les comportements à risque, sauf dans le cas des compétences sociales»; celles-ci présentent une corrélation modérée avec la «consommation de drogue» et les «problèmes liés à l'intériorisation». C'est avec les «problèmes liés à l'intériorisation», la «consommation de drogue» et les «problèmes liés à l'extériorisation» que les «idées suicidaires» ont la plus forte corrélation.

Antécédents familiaux et comportements à risque

On a également effectué des analyses de risques relatifs pour déterminer la force de la relation entre les comportements à risque et la présence d'antécédents familiaux négatifs (c.-à-d. les problèmes vécus par un des parents ou par un frère ou une soeur). Comme on peut le voir au tableau 12, certains types de problèmes vécus par un autre membre de la famille sont associés à une forte probabilité pour le jeune d'adopter différents types de comportements à risque. Aucun des antécédents familiaux n'est associé à une probabilité plus forte pour le jeune de démontrer des problèmes cliniquement significatifs en ce qui a trait à ses compétences sociales. Par contre, tous les antécédents familiaux négatifs sont associés à une plus grande probabilité pour le jeune d'avoir des problèmes liés à l'intériorisation ou à l'extériorisation. En particulier, notons que les adolescents qui ont des antécédents familiaux d'infractions criminelles risquent 6,32 fois plus que ceux qui n'ont pas ce genre d'antécédent familial d'avoir des problèmes liés à l'extériorisation.

Tableau 11

Tableau 12

 

Les «fugues» sont le seul comportement à risque associé aux antécédents de maladie mentale. Les adolescents qui ont mentionné des problèmes de toxicomanie chez un membre de leur famille sont plus susceptibles que les autres, et de façon significative, d'adopter tous les comportements à risque qui ont été analysés, à l'exception des infractions criminelles. Remarquons en particulier que l'antécédent familial «frère ou soeur ayant abandonné l'école» est le seul facteur qui semble être associé à l' «école buissonnière» (fréquentation scolaire irrégulière), le risque étant 6,09 fois plus grand chez ceux dont un frère ou une soeur a abandonné l'école de faire l'école buissonnière que chez ceux qui n'ont pas cet antécédent. Contrairement aux résultats sur les différentes formes de mauvais traitements présentés plus tôt, peu de variables liées aux antécédents familiaux ont un lien significatif avec les «idées suicidaires».

La relation entre les antécédents familiaux et les comportement, à risque est également illustrée au tableau 13, dans lequel on présente les corrélations entre ces variables.

Tableau 13

Commentaires

Avant de commenter les divers résultats de notre recherche, rappelons au lecteur qu'en raison de la conception de l'étude, il ne nous est pas possible d'établir s'il existe une relation de cause à effet entre les mauvais traitements subis durant l'enfance et l'adoption ultérieure de comportements à risque. La cooccurrence d'antécédents de mauvais traitements et de divers comportements à risque a toutefois des conséquences sur la pratique clinique, la recherche scientifique et l'établissement de politiques dans le domaine du travail auprès des adolescents.

Mauvais traitements

Il est frappant de constater que dans l'échantillon des répondants, 61 p. 100 des adolescents déclarent avoir subi des mauvais traitements. La violence psychologique et la violence physique sont les formes de mauvais traitements dont les jeunes ont été le plus souvent victimes, suivies de la négligence, de l'exploitation sexuelle et de l'exposition à la violence conjugale. On a constaté une forte relation entre les diverses formes de mauvais traitements déclarés par les adolescents. Ainsi, une plus grande proportion d'adolescents ont subi plus d'une forme de mauvais traitements. En effet, les deux tiers des adolescents qui ont déclaré avoir été victimes de mauvais traitements avaient subi plusieurs formes de mauvais traitements. De plus, les adolescents qui avaient été victimes de plusieurs formes de mauvais traitements étaient plus susceptibles d'adopter des comportements à risque et d'avoir des problèmes cliniquement significatifs de fonctionnement individuel que ceux qui n'avaient signalé qu'une seule forme de mauvais traitements.

Ces résultats donnent à penser que les antécédents de mauvais traitements augmentent les probabilités qu'un adolescent adopte des comportements à risque et que l'exposition à plus d'une forme de mauvais traitements augmente encore davantage les probabilités. De plus, si on sait qu'un adolescent est victime d'une forme de mauvais traitements, il serait important de faire une évaluation pour dépister les autres formes de mauvais traitements dont il pourrait également être victime.

Antécédents familiaux

Les caractéristiques de la famille des adolescents qui avaient subi des mauvais traitements différaient sur plusieurs points de celles de la famille non violente. Comparativement aux autres adolescents, les adolescents qui ont été victimes de mauvais traitements étaient plus susceptibles d'avoir des antécédents familiaux (touchant un parent, un frère ou une soeur) de maladie mentale, de toxicomanie, de mauvais traitements ou d'infraction criminelle. De plus, ces adolescents ont défini leur milieu familial comme étant caractérisé par un faible degré de cohésion, un niveau élevé de conflits, un faible niveau d'indépendance et d'organisation. Les relations de ces jeunes avec leurs parents se sont aussi avérées être un point faible dans leur estime de soi. Les divers aspects de la vie familiale constituent une importante source d'information qui permet de comprendre le fonctionnement des adolescents. La participation de la cellule familiale reste un élément important pour la détection et l'intervention.

Adaptation des adolescents

Les mauvais traitements déclarés par les adolescents étaient associés à plusieurs problèmes d'adaptation. Les adolescents qui avaient subi des mauvais traitements ont été plus nombreux à déclarer des problèmes liés à l'intériorisation (p. ex. anxiété, dépression) et à l'extériorisation (p. ex. agressivité, délinquance), et des problèmes d'estime de soi par rapport à leur personnalité générale et aux relations avec leurs parents.

Comportements à risque

Les adolescents qui avaient subi des mauvais traitements étaient également plus nombreux que les autres à avoir adopté certains comportements à risque. Plus précisément, ils avaient plus souvent commis des fugues, été accusés d'une infraction criminelle, eu des idées suicidaires et consommé des cigarettes, de l'alcool ou de la drogue. Bien que les antécédents de mauvais traitements aient été associés à de plus grandes probabilités de consommer des substances intoxicantes, la relation était plus forte pour la consommation de drogue et de cigarettes et un peu plus faible pour la consommation d'alcool. Cette différence peut s'expliquer par le fait que les expériences de consommation d'alcool ont tendance à être généralisées parmi les adolescents, qu'ils aient ou non été victimes de mauvais traitements; la consommation d'alcool constitue donc une question importante à elle seule. La prévalence des idées suicidaires parmi les adolescents ayant subi des mauvais traitements est particulièrement troublante (42,2 p. 100), si on les compare aux autres adolescents (11, 5 p. 100).

On a trouvé une forte relation entre les divers comportements à risque examinés dans l'étude. Lorsqu'un adolescent déclarait avoir un comportement à risque, il déclarait souvent aussi d'autres comportements à risque. Mentionnons encore une fois que lorsque l'on travaille auprès d'adolescents dont on sait qu'ils ont un comportement à risque, on devrait chercher à détecter les autres comportements à risque qu'ils pourraient avoir.

Limites de l'étude

La présente étude comporte plusieurs limites dont il faut tenir compte, car elles ont des conséquences sur l'interprétation des résultats. Premièrement, la taille de l'échantillon était trop petite pour permettre des analyses en profondeur au sein des divers groupes. Ainsi, il n'a pas été possible d'effectuer des analyses complètes comparant les adolescents victimes de plusieurs formes de mauvais traitements avec ceux qui n'avaient été victimes que d'une seule forme de mauvais traitements. Deuxièmement, le fait d'avoir combiné deux groupes différents de participants (programme «Jeunesse en relance», classes de niveau secondaire) peut avoir eu un effet sur certains résultats, particulièrement sur les taux de base des divers comportements et des antécédents faisant l'objet de l'étude. Troisièmement, les informations sur les antécédents de mauvais traitements ont été recueillies exclusivement par autodéclaration. Les renseignements obtenus de cette façon peuvent être biaisés. Ainsi, dans la présente étude, aucun répondant de sexe masculin n'a déclaré avoir été victime d'exploitation sexuelle. Cependant, les renseignements qui ont été donnés ne reflètent probablement pas toute l'ampleur des problèmes, ce qui rend les résultats de l'étude encore plus frappants. Quatrièmement, les comportements à risque, les antécédents familiaux et le fonctionnement individuel ont également été mesurés exclusivement à partir des réponses des adolescents. Il serait utile de consulter des sources d'information indépendantes comme les rapports de police, les dossiers scolaires, etc. pour mieux comprendre les questions liées aux mauvais traitements.

Avenues de recherche

Nous suggérons les avenues suivantes pour les recherches ultérieures qui porteront sur les conséquences des mauvais traitements sur les comportements à risque des adolescents.

1. En raison de la façon dont nous avons choisi l'échantillon dans la présente étude, il ne nous est pas possible d'établir des taux normatifs pour la prévalence des antécédents de mauvais traitements ou des comportements à risque. Il faudrait pour les travaux ultérieurs obtenir un vaste échantillon normatif d'adolescents pour évaluer avec une plus grande précision la prévalence de ces problèmes. L'étude sur les jeunes Canadiens face au SIDA (1988) portait sur les comportements à risque, mais les chercheurs n'ont pas lié leurs résultats aux mauvais traitements subis dans l'enfance. Aux États-Unis, on a effectué de vastes études où on combinait l'analyse des antécédents de mauvais traitements et l'analyse des comportements à risque (Hibbard et coll., 1990), mais de telles études n'ont pas encore été entreprises au Canada.

2. Bien qu'on ait déterminé que les mauvais traitements subis dans l'enfance sont probablement liés à l'adoption de comportements à risque à l'adolescence, une étude longitudinale permettrait d établir cette relation avec plus de précision.

3. Dans le cadre de la présente étude, nous avons obtenu des cotes globales pour cinq différentes formes de mauvais traitements. Nous avons eu recours à cette méthode en partie pour que les questionnaires puissent être administrés en milieu scolaire. Pour en savoir davantage sur la nature, l'intensité et la durée des mauvais traitements, il faudrait élaborer un questionnaire plus détaillé. On pourrait demander aux jeunes qui ont déclaré avoir été victimes de mauvais traitements de remplir ce questionnaire. Ainsi, dans des travaux ultérieurs, on pourrait faire la distinction entre les mauvais traitements infligés par des membres de la famille immédiate et ceux qui ont été infligés par d'autres personnes. Les travaux de Manion, Firestone, McIntyre, Ensom et Wells (1994) ont souligné les conséquences que la violence extrafamiliale peut avoir sur le fonctionnement des enfants et des adolescents et sur celui de leur famille.

4. On a décelé des différences entre les sexes dans la prévalence des diverses formes de mauvais traitements déclarées. Dans des travaux ultérieurs avec notre ensemble de données ou avec d'autres échantillons, il faudrait examiner les différentes tendances dans les comportements à risque selon le sexe et par rapport à diverses formes de mauvais traitements. Par exemple, selon des travaux de Widorn (1989), les femmes risquent moins que les hommes de se faire arrêter par la police, mais les femmes victimes de violence risquent davantage que les autres femmes d'être arrêtées.

5. Il serait important de vérifier si les comportements à risque déclarés correspondent aux comportements réels. Par exemple, si un adolescent a déclaré participer à des activités criminelles, on pourrait examiner son casier judiciaire. Ce genre de preuves permettrait de mieux comprendre les comportements à risque des adolescents. On estime cependant qu'il est probable que les comportements à risque déclarés dans le cadre de la présente étude constituent une sous-estimation de la réalité.

6. Dans la présente étude, nous avons évalué la relation directe entre les mauvais traitements et les comportements à risque des adolescents. Les résultats ont montré que les adolescents ayant été victimes de mauvais traitements n'ont pas tous adopté des comportements à risque. Ces résultats sont en accord avec ceux de Smith et Thornberry (1993) qui ont constaté que la majorité des enfants maltraités de leur étude n'avaient pas commis d'actes délinquants. Des éléments protecteurs comme un réseau de bonnes relations, la force de caractère ou des événements positifs peuvent atténuer chez l'enfant les conséquences des mauvais traitements et empêcher l'adoption de divers comportements à risque. Il pourrait s'avérer particulièrement pertinent à cet égard d'examiner les variables relatives à la famille et au réseau social. Il faudrait intégrer dans les échantillons de participants d'études ultérieures des adolescents ayant été victimes de mauvais traitements qui se sont bien adaptés, afin de mieux comprendre le processus d'adaptation au stress causé par les mauvais traitements.

7. Dans la présente étude, nous avons trouvé des relations significatives entre les comportements à risque des adolescents et certaines variables relatives à la famille comme la présence de maladie mentale, de consommation de drogue, d'un comportement criminel et de mauvais traitements. Dans des travaux ultérieurs, il faudrait tenir compte d'autres variables que les antécédents de mauvais traitements qui peuvent aussi causer des problèmes d'adaptation à l'adolescence et augmenter les probabilités que les jeunes adoptent des comportements à risque.

8. Dans la présente étude, nous n'avons pas trouvé une forte corrélation entre les antécédents de mauvais traitements et la fréquentation scolaire ou les projets d'étude, peut-être parce que tous les participants fréquentaient encore l'école et que ceux qui risquaient davantage de décrocher l'avaient probablement déjà fait. Pour mesurer plus efficacement la relation entre les mauvais traitements et le décrochage scolaire, il faudrait inclure dans l'échantillon des adolescents ayant déjà quitté l'école. Un autre facteur qui peut expliquer la faible relation entre les deux phénomènes est le type d'information qui a été recueillie sur la fréquentation scolaire et sur le risque de décrochage. Même les adolescents qui ont déclaré avoir des difficultés à l'école n'ont pas parlé de projet de quitter l'école prématurément. Rappelons-nous leurs réponses à propos de leurs projets d'étude. Pour obtenir une mesure plus directe de la situation réelle des jeunes à l'école, il faudrait demander directement à l'école des renseignements sur le rendement et la fréquentation scolaires.

Conséquences sur la pratique clinique

Les conclusions de la présente étude montrent qu'il serait nécessaire de mettre en place des programmes de prévention et d'intervention précoce. Tout effort orienté vers la prévention ou le dépistage précoce de la violence à l'égard des enfants et des jeunes peut avoir un effet direct sur la prévention des comportements à risque ou sur l'adoption de ces comportements à l'adolescence. De même, les interventions précoces auprès d'adolescents qui ont des comportements à risque assez marqués peuvent aider à enrayer l'évolution de ces comportements avant qu'ils ne deviennent solidement établis. Les interventions précoces risquent d'être plus efficaces et moins coûteuses que des programmes visant à enrayer des dysfonctions établies au sein des cellules familiales et des comportements mésadaptés solidement ancrés.

Les interventions auprès des adolescents qui ont des comportements à risque sont également d'une grande importance. Ces jeunes ont habituellement plusieurs problèmes et ils risquent de continuer à adopter des comportements déviants. Les intervenants doivent être particulièrement sensibles à la cooccurrence des comportements à risque et ils devraient procéder à une évaluation pour dépister les autres comportements à risque lorsque l'un d'entre eux est présent.

La présente étude montre l'importance de considérer les mauvais traitements ainsi que les antécédents familiaux de comportements à risque et de problèmes d'adaptation comme des facteurs importants de la manifestation de comportements à risque à l'adolescence. Les programmes qui viseront les enfants et les jeunes à risque élevé et leur famille sur une période de temps suffisante pourront aider à diminuer les facteurs de stress qui sont présents dans leur vie et à favoriser des relations interpersonnelles saines

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Dernière mise à jour : 2002-12-06