le 15 janvier 2006 Volume
32 Numéro
02
Compte rendu d'un atelier visant à élaborer un cadre
de recherche sur les politiques enmatière d'innocuité microbienne
des aliments - Ottawa, 7-8 mars 2005
[Table des matières][Prochaine]
Introduction et contexte
Une politique relative à l'innocuité microbienne des
aliments (IMA) a essentiellement pour objectif d'améliorer la
santé publique en réduisant le risque de maladies d'origine
alimentaire. Au Canada, la politique en matière d'IMA repose sur
une démarche scientifique, mais fait aussi intervenir d'autres
sphères de recherche ou « concepts » qui ont une incidence
sur l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques. Dans son
rapport sur la salubrité de la viande en Ontario, publié en
2004, le juge Haines souligne que : « Bien que la science soit
un élément important pour développer une politique
de salubrité des aliments, elle n'est pas la seule considération à prendre
en compte. Les valeurs sociales, l'éthique, la demande des consommateurs,
les considérations économiques et politiques ainsi que
d'autres facteurs auront également une incidence sur ces décisions
stratégiques(1) ».
Le Comité sur l'innocuité des aliments et la nutrition
de Santé Canada et de l'Agence canadienne d'inspection des aliments
souscrit à l'idée que « Bien que la protection de
la santé publique en soit le principal objectif, les recommandations
enmatière de politiques alimentaires prendront en considération,
au besoin, des facteurs économiques et d'autres facteurs légitimes(2)».
Ainsi, plus ça va, plus il est admis que des concepts n'appartenant
pas exclusivement au domaine de la biologie ont leur place dans l'élaboration
de divers aspects des politiques : ordre de priorité, options
etmise en oeuvre.
Un atelier a été tenu en vue de jeter les bases d'un
cadre de recherche multidimensionnel sur les politiques en matière
d'IMA. L'atelier visait les objectifs suivants :
- Réunir des scientifiques, des décideurs et des participants à la
recherche et aux politiques relatives à l'IMA, du Canada et
de l'étranger.
- Trouver et faire ressortir les terrains d'entente et les divergences
de vue des divers organismes et groupes d'intervenants sur les divers
concepts et l'importance de chaque concept pour l'établissement
d'un ordre de priorité, l'élaboration, la mise en oeuvre
et l'efficacité de politiques relatives à l'IMA.
- Trouver des sphères de recherche qui intégreraient
divers concepts à une politique relative à l'IMA et diffuser
auprès des organisations des éléments d'information
qui émanent de divers concepts.
- Amorcer la création d'équipes intergouvernementales
et interdisciplinaires qui intègrent une expertise acquise dans
divers champs conceptuels.
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Méthodes
L'atelier de 2 jours a eu lieu les 7 et 8 mars 2005 à Ottawa.
Les participants ont été choisis en fonction de la diversité des
connaissances qu'ils possédaient dans diverses disciplines liées à la
recherche et à la prise de décisions en matière
de politiques. Les 42 personnes réunies possédaient des
connaissances et une formation dans des disciplines telles que : l'économie,
la sociologie, la psychologie, l'épidémiologie, l'anthropologie,
la microbiologie et la technologie alimentaire. Il s'agissait de chercheurs
et de décideurs issus des milieux universitaire et gouvernemental.
Vingt-cinq d'entre eux appartenaient au milieu universitaire; les
17 autres représentaient les milieux fédéraux et
provinciaux responsables de la santé publique et de l'agriculture.
Ils venaient de quatre provinces du Canada, des États-Unis et
des Pays-Bas.
Une première série d'exposés a mis en contexte
les politiques relatives à l'IMA au Canada, passé en revue
les objectifs de la politique en matière d'innocuité des
aliments au Canada et à l'échelle internationale, présenté des
concepts liés à une stratégie de recherche complexe
et fourni des exemples de l'apport de secteurs autres que la biologie
aux politiques relatives à l'IMA. Il a été question
d'une démarche axée sur la santé de la population
qui intègre l'éventail complet de déterminants de
la santé. Les répercussions de l'absence d'une telle démarche
ont été illustrées au moyen d'exemples. L'atelier
comprenait des exposés, des discussions en petit comité et
des séances plénières au cours desquelles les idées
soulevées en petits comités ont été résumées.
On a fait appel à une série de questions pour favoriser
la discussion et jeter les bases d'un cadre de recherche sur les politiques
relatives à l'IMA. Plus précisément, les participants
se sont penchés sur les cadres conceptuels dont on a besoin pour étudier
les objectifs enmatière d'innocuité des aliments, les contraintes
liées à la production d'aliments sûrs, les sources
de données et les lacunes sur le plan des connaissances, ainsi
que les occasions à saisir. Le dernier après-midi a été consacré à l'élaboration
d'un cadre de recherche sur l'IMA. Dans le contexte de cet atelier, le
terme de « politique » renvoyait non seulement à un
règlement en bonne et due forme, mais aussi à des politiquesmoins
officielles, comme des pratiques de gestion exemplaires.
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Résultats et analyse
Un certain nombre de champs conceptuels susceptibles d'avoir une incidence
sur l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques en matière
d'IMA ont été relevés, à savoir :
- La perspective biologique (bio-environnementale). Ce secteur emploie
des éléments d'information tirés de la recherche
en laboratoire, de la surveillance, de l'épidémiologie,
de l'évaluation du risque et d'autres données scientifiques
pour prendre des décisions et/ou étayer l'élaboration
de politiques. L'inclusion de l'environnement dans la définition
atteste l'existence de facteurs biologiques et leur interaction avec
l'environnement physique.
- La perspective économique. Ce secteur englobe les considérations
financières et économiques, notamment, la durabilité des
exploitations agricoles, les débouchés extérieurs,
les enjeux commerciaux et leurs répercussions sur le secteur
agroalimentaire. Il s'intéresse aussi au risque évalué à la
lumière des contraintes économiques.
- La perspective socioculturelle. Ce secteur a trait à des
facteurs cognitifs, comme la perception qu'ont les individus du risque
et les valeurs individuelles qui sous-tendent les points de vue sur
le risque et la réduction du risque. Il touche aussi aux facteurs
sociaux, tels que les habitudes culturelles, ethniques et comportementales.
- La perspective politique (géopolitique). Ce secteur tient
compte des considérations politiques de premier niveau, comme
les plans d'action ou les positions d'un individu ou d'un groupe, les
pressions politiques, le positionnement sur les marchés et le
contexte dans lequel s'inscrit l'enjeu de l'innocuité des aliments.
- La perspective éthique. Ce secteur englobe les codes de conduite
moraux et éthiques.
Les participants ont aussi reconnu l'importance du rôle joué par
la gouvernance (y compris les lois et les règlements), les systèmes
de santé et la communication/l'éducation. Ils ont souligné que
les champs conceptuels sont dans bien des cas interreliés. L'idée
de définir les champs conceptuels procède d'une volonté,
non pas de « ranger des idées dans des cases », mais
plutôt de favoriser un débat sur la grande diversité des
secteurs dont la contribution pourrait être importante.
Les contraintes et les limites qui ont été associées à l'élaboration
et à la mise en oeuvre d'une politique relative à l'IMA
concernaient à la fois les connaissances et le processus. Les
participants ont reconnu que l'absence de données essentielles
en biologie représentait une contrainte importante, mais ont souligné que
bon nombre des contraintes relevaient d'autres domaines. Au nombre des
principales contraintes signalées figuraient : le manque de financement,
le manque de coordination/de communication à l'intérieur
des disciplines et entre celles-ci, la complexité des structures
de l'industrie, les questions de responsabilité, les contraintes
de temps, l'incompatibilité des exigences des divers ordres de
gouvernement, l'absence de point de vue éthique bien défini
dans la politique relative à l'IMA et les problèmes de
communication et d'éducation observés tant dans la population
générale qu'à toutes les étapes du continuum
qui va « de la ferme à la table ».
La recherche sur l'IMA a une incidence sur la qualité des politiques,
d'où l'importance de la fiabilité et de l'accessibilité de
l'information et des données. Il est important de déterminer à la
fois l'utilisation qui est faite des données actuellement disponibles
et les problèmes qui s'y rattachent. Cette démarche permettrait
de repérer les « lacunes » qui, si elles étaient
comblées, entraîneraient une amélioration des politiques
relatives à l'IMA. Les participants ont relevé un grand
nombre et une grande diversité de sources de données possibles
de tous les domaines. Ils ont toutefois fait remarquer que certaines
des données recueillies ne sont pas valides, pas accessibles ou
pas exploitées de manière optimale, ou ne concernent qu'un
domaine précis au lieu de présenter un intérêt
réellement pluridisciplinaire. Les lacunes relevées avaient
trait à la fois à des données propres à un
domaine précis et à des données touchant plusieurs
champs conceptuels.
Les participants ont défini un certain nombre de moyens de faire
avancer la recherche sur la politique en matière d'IMA, notamment
: la création de groupes interdisciplinaires et intergouvernementaux
chargés d'intégrer les diverses perspectives à une
démarche commune. Ils ont établi qu'il s'agissait là d'une
occasion non seulement de faire progresser la recherche, mais aussi d'améliorer
la communication et de créer des possibilités de formation.
Plusieurs des possibilités qui ont été dégagées
consistaient à élargir les perspectives de recherche existantes,
comme l'évaluation et la surveillance du risque, de manière à ce
qu'elles englobent non seulement des enjeux biologiques et économiques,
mais aussi des considérations socioculturelles et politiques.
Les participants ont laissé entendre que l'on pourrait tirer des
leçons d'autres domaines de la santé et d'expériences
menées dans d'autres pays. La diversité de l'expertise
des participants pourrait être exploitée dans le cadre de
comités consultatifs ou au moyen de la création d'un registre
d'experts.
Le dernier après-midi de l'atelier a été consacré à l'élaboration
d'un cadre de recherche sur les politiques relatives à l'IMA.
Deux démarches ont été définies. L'une, axée
sur le système, vise à définir la structure qui
sous-tend la production d'aliments et la politique en la matière,
et les liens entre les composantes de cette structure. L'autre, axée
sur le processus, décrit la contribution nécessaire de
la recherche à la prise de décisions en matière
de politiques.
Les participants ont déterminé les niveaux organisationnels
où se prennent des décisions politiques dans un cadre systémique, à savoir
: les processus physiques (les microbes), le personnel, la gestion, l'entreprise,
l'organe de réglementation et le gouvernement. Dans le cas précis
de l'IMA, il y a aussi un continuum de la production alimentaire, qui
comprend des secteurs distincts (de la ferme à la fourchette).
Chacun de ces secteurs comprend les niveaux organisationnels. On obtient
ainsi une matrice complexe, comme le montre la figure
1.
Ainsi, le système de production alimentaire peut être
perçu non seulement comme un continuum, mais également
comme une matrice de « cellules organisationnelles », où l'on
observe une organisation verticale des cellules à l'intérieur
de chaque secteur, et une organisation horizontale des cellules au même
niveau organisationnel dans les divers secteurs du continuum de la production
alimentaire. Ce cadre fait ressortir la complexité des liens possibles
entre diverses initiatives politiques et aide à comprendre en
quoi les décisions qui ont une incidence sur l'IMA à un
niveau d'une cellule à l'intérieur du système peuvent
rejaillir sur d'autres cellules, indirectement liées. Par exemple,
une mesure biologique amorcée dans une entreprise agricole à l'échelle
des travailleurs peut sembler efficace à l'étape du processus
physique et au niveau du personnel, dans le secteur agricole, ainsi qu'aux
diverses étapes du processus physique jusqu'au niveau du consommateur,
mais s'avérer irréalisable, en raison de contraintes économiques
imprévues observées au niveau de l'entreprise, dans le
secteur de la transformation. La décision d'appliquer une mesure
relative à l'IMA au niveau de l'entreprise, dans le secteur de
la transformation, pourrait avoir des répercussions non seulement
aux niveaux organisationnels du détaillant et du consommateur,
mais aussi à divers niveaux organisationnels, dans le secteur
agricole. Une définition et une compréhension de ces interactions
complexes faciliteront la sélection et l'évaluation de
politiques relatives à l'IMA.
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Figure 1. Recherche sur les politiques relatives à l'IMA
: cadre systémique
![Figure 1. Recherche sur les politiques relatives à l'IMA: cadre systémique](/web/20061212012831im_/http://www.phac-aspc.gc.ca/publicat/ccdr-rmtc/06vol32/images/cdr3202_fig1.gif)
![haut de la page](/web/20061212012831im_/http://www.phac-aspc.gc.ca/gfx_common/up.gif)
L'approche axée sur le processus, qui vise à faire en
sorte que la recherche sur l'IMA contribue à la prise de décisions
en matière de politiques, est exposée ci-dessous :
- L'enjeu précis concernant l'IMA est défini et mis
en contexte.
- Les chercheurs de divers domaines se réunissent pour donner
leur avis sur les recherches nécessaires aux fins de l'évaluation
du risque et de l'élaboration et de la mise en oeuvre de politiques.
- Le public-cible des résultats de la recherche (les personnes
auxquelles les résultats devraient être communiqués)
est explicitement défini.
- L'équipe pluridisciplinaire détermine les angles de
recherche sous lesquels l'enjeu doit être abordé.
- Les méthodes de recherche nécessaires à l'étude
des enjeux et des problèmes sous tous les angles pertinents
sont déterminées. Il peut s'agir de méthodes propres à un
domaine (p. ex., une analyse économique de rendement), ou encore
de méthodes empruntées à des champs conceptuels
multiples.
- On trouve les éléments d'information existants dont
on a besoin pour étudier l'enjeu et on en fait une synthèse
pertinente. On relève les lacunes sur le plan de l'information
et on détermine quelles sont les recherches à entreprendre
pour y remédier.
- On détermine quels sont les meilleurs moyens de diffuser
les résultats des recherches (autrement dit, comment communiquer
ces résultats).
Ce processus est suffisamment souple pour pouvoir s'adapter à l'étude
de n'importe quel sujet de recherche sur les politiques relatives à l'IMA,
dans le respect des principes de transparence, d'inclusivité et
de responsabilisation.
Les deux démarches peuvent être intégrées à un
seul cadre. L'approche axée sur le processus s'applique aux initiatives
de recherche prises au niveau des cellules organisationnelles dans le
cadre de l'approche systémique. Elle peut aussi servir à déterminer
les liens entre les cellules organisationnelles.
Ce cadre représente un premier jet que l'on devra améliorer
pour valider les niveaux organisationnels et les secteurs applicables à l'approche
systémique et étendre à l'approche axée sur
le processus les enseignementsméthodologiques tirés de
l'expérience. L'application du cadre à l'étude des
enjeux liés à l'innocuité des aliments permettra
une validation des modèles etmontrera l'intérêt qu'ils
présentent pour le processus d'élaboration de politiques.
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Remerciements
Cet atelier a bénéficié d'une contribution financière
dans le cadre du Programme de recherche sur les politiques en matière
de santé, Santé Canada (Accord de no 6795-15-2004 / 6590001).
Les opinions exprimées ici ne représentent pas nécessairement
la politique officielle de Santé Canada.
Références
- Haines R J. 2004. Ferme à la fourchette : une stratégie
intégrale pour la salubrité des viandes en Ontario.
Rapport d'examen de la réglementation et de l'inspection des
viandes. 2004. Accessible à l'adresse suivante : <http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/about/pubs/meatinspectionreport/
>.
Consulté le 20 juillet 2005.
- Comité sur l'innocuité des aliments et la nutrition
de SC-ACIA, 2003. Accessible à l'adresse suivante : <
http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/pubs/hpfb-dgpsa/fd-da/terms-cadre_f.html
Consulté le
20 juillet 2005.
Source: Comité organisateur de l'atelier
: JM Sargeant, Department of Clinical Epidemiology and Biostatistics,
Université McMaster; S Read et A Rajic, Laboratoire de lutte
contre les zoonoses d'origine alimentaire, Agence de santé publique
du Canada; J Farber, Bureau des dangers microbiens; P Colvin et D
McCall, Division de la politique, Santé Canada.
Pour obtenir des copies de la version intégrale du compte
rendu de l'atelier, il suffit de s'adresser à Jan M. Sargeant,
Department of Clinical Epidemiology and Biostatistics, HSC 2C15, Université McMaster,
1200 Main St. W., Hamilton (Ontario) L8N 3Z5 ou sargeaj@mcmaster.ca
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