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des matières]
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Volume: 24S3 - juillet 1998
Lignes directrices pour la lutte contre la diphtérie
au Canada
GÉNÉRALITÉS
Renseignements cliniques et bactériologiques
La diphtérie est causée par des souches toxigènes du bacille Corynebacterium
diphtheriae de biotypes gravis, mitis ou intermedius.
La maladie se transmet par contact direct et sa période d'incubation dure
en moyenne de 2 à 5 jours (intervalle de 1 à 10 jours). Elle
intéresse surtout les voies respiratoires supérieures (amygdales, pharynx,
larynx et nez) et parfois d'autres muqueuses et la peau; la diphtérie
cutanée est plus fréquente dans les pays en développement, en particulier
dans les régions tropicales. Le signe caractéristique de la diphtérie
est la présence d'une fausse membrane grisâtre et adhérente s'accompagnant
d'une inflammation des tissus environnants et associée, dans les cas de
diphtérie respiratoire, à une adénopathie cervicale. Dans les cas sévères
de diphtérie respiratoire, on observe un oedème sévère du cou, responsable
du classique «cou de taureau».
Les diverses formes cliniques de la diphtérie ont été décrites de façon
très détaillée(2-4). Elles sont causées par une exotoxine produite
par des souches toxigènes du bacille; toutes les souches toxigènes produisent
une toxine identique. Celle-ci est produite après l'infection d'une souche
de C. diphtheriae par un bactériophage porteur du gène tox.
Les souches non toxigènes peuvent également provoquer une affection bénigne
localisée qui ressemble à celle causée par les souches toxigènes. Après
2 à 6 semaines, la toxine diphtérique peut diffuser dans les tissus
et les organes, entraînant en particulier des paralysies caractérisées
par une atteinte des nerfs crâniens et une atteinte sensitive et motrice
des nerfs périphériques, ainsi qu'une myocardite. Les complications tardives
sont souvent sévères. Un taux de létalité de 5 % à 10 % a été
enregistré pour les cas de diphtérie non cutanée, les très jeunes et les
personnes âgées affichant les taux les plus élevés. Bien que l'infectivité
du bacille ne semble pas être liée au biotype, le biotype gravis
est celui qui est le plus souvent associé à une issue fatale de la maladie(3).
Les infections silencieuses sont en général plus nombreuses que les
cas cliniques, et les souches toxigènes de même que les souches non toxigènes
de C. diphtheriae peuvent coloniser le rhinopharynx, la peau
et d'autres sites chez les porteurs asymptomatiques. Deux modes d'infection
ont été décrits : la transmission directe de souches toxigènes, ou
la transmission indirecte par transfert du bactériophage d'une souche
toxigène présente chez une personne infectée à une souche non toxigène
chez un porteur(2,5). L'importance relative de ces mécanismes
pathogènes demeure obscure(2). Toutefois, on a avancé l'hypothèse
que l'infection serait vraisemblablement transmise directement aux personnes
très réceptives alors que la conversion de souches non toxigènes en des
souches toxigènes serait le mode de transmission le plus probable chez
les personnes immunisées. Ce dernier mécanisme permettrait probablement
à la maladie de se propager mais de façon limitée, à moins que le nombre
de personnes réceptives soit assez important(5). Ainsi, l'introduction
d'une souche toxigène de C. diphtheriae dans une communauté
peut entraîner une éclosion par transfert du bactériophage aux souches
non toxigènes circulant dans la communauté.
Immunité contre la diphtérie
L'immunité contre la diphtérie est médiée par des anticorps. L'immunité
est surtout antitoxique plutôt qu'antibactérienne; les personnes immunes
peuvent donc toujours héberger le germe. La production de l'antitoxine
diphtérique (principalement de classe IgG) peut être induite par la toxine
naturelle durant l'infection clinique ou le portage, ou par l'administration
de l'anatoxine diphtérique. Les anticorps formés après une infection naturelle
ou une immunisation active sont identiques et ne peuvent être distingués.
On trouvera ci-dessous une description du dosage en laboratoire de l'antitoxine
diphtérique, et plus particulièrement des différentes méthodes et de la
façon d'interpréter les résultats.
La réaction de Schick, utilisée dans le passé comme méthode standard
pour déterminer la réceptivité d'un sujet à la toxine diphtérique, a été
en grande partie remplacée par des techniques sérologiques plus modernes.
Même si elle était peu coûteuse et était bien corrélée avec les concentrations
sériques d'antitoxines, la réaction de Schick comportait un certain nombre
d'inconvénients comparativement aux tests plus récents : l'absence
de résultats quantifiables, un inconfort plus grand pour la personne testée
et la difficulté technique (à cause de la nécessité d'effectuer une injection
de contrôle pour évaluer la sensibilité à des protéines étrangères dans
le matériel utilisé) et la possibilité d'une réaction faussement négative
pouvant être interprétée comme une preuve d'immunité, en particulier chez
les personnes qui présentent une anergie cutanée(6).
Parmi les principales techniques sérologiques les plus couramment utilisées,
la réaction de neutralisation in vivo est considérée comme
la méthode de référence; elle est recommandée pour étalonner les tests
in vitro utilisés plus systématiquement en laboratoire(6).
La réaction de neutralisation in vivo consiste à injecter
une série de dilutions de sérum mélangé à des quantités fixes de toxine
à travers la peau épilée de lapins ou de cobayes et à estimer la concentration
d'antitoxine à partir de la réaction inflammatoire. C'est une méthode
laborieuse qui prend du temps et qui coûte cher.
Les tests in vitro coûtent en général moins cher et prennent
moins de temps. Citons la réaction de neutralisation in vitro
dans des cellules cultivées de mammifères, la réaction d'hémagglutination
passive et le dosage par la méthode ELISA. La réaction de neutralisation
in vitro est bien corrélée avec la réaction de neutralisation
in vivo. Toutefois, la réaction d'hémagglutination et le dosage
par ELISA présentent une moins bonne corrélation avec les réactions de
neutralisation in vivo et in vitro lorsque les
titres d'antitoxine sont faibles; la réaction d'hémagglutination tend
à sous-estimer les faibles concentrations d'antitoxine alors que la méthode
ELISA surestime ces concentrations (10 à 100 fois plus élevées avec
le dosage direct par ELISA, bien qu'on ait obtenu une meilleure corrélation
avec des versions modifiées du test)(6). Le principal avantage
des tests par la méthode ELISA est la capacité de mesurer les anticorps
diphtériques spécifiques de classe IgG. Un titre d'antitoxine diphtérique
circulante de 0,01 UI/mL, tel que mesuré par des réactions de neutralisation
in vivo ou in vitro, est généralement accepté
comme preuve d'une immunité clinique contre la maladie(2,6).
Aucun titre précis d'antitoxine n'a été défini comme assurant une protection
complète; des titres entre 0,01 UI/mL et 0,09 UI/mL confèrent
une immunité de base, alors que des titres > 0,1 UI/mL peuvent
être nécessaires pour que la protection soit complète(6). D'autres
facteurs peuvent influer sur la réceptivité d'un sujet à l'infection,
notamment la dose et la virulence de la bactérie, et l'état immunitaire
général de la personne.
On croit généralement que la vaccination d'au moins 70 % de la
population conférera une forme d'immunité collective contre la diphtérie
clinique(2). Dans la plupart des pays industrialisés, le vaccin
primaire contre la diphtérie est administré systématiquement durant l'enfance
(trois à quatre doses), la quantité d'anatoxine contenue dans la préparation
«pour adultes» variant entre 7 et 25 unités de floculation (Lf).
Citons une exception notable à cet égard : le Danemark qui utilise
une concentration non réduite d'anatoxine de 50 Lf pour une série
de trois doses ou une concentration de 30 Lf pour une série
de quatre doses(7,8). Une concentration d'anatoxine diphtérique
plus faible (1 Lf à 7,5 Lf par dose) est utilisée chez les adultes,
pour la primovaccination comme pour les rappels.
Après l'administration de la série primaire de trois doses d'anatoxine
diphtérique, 94 % à 100 % des enfants dans les diverses études
présentaient des taux d'antitoxine supérieurs à 0,01 UI/mL, les taux
moyens variant entre 0,1 UI/mL et 1,0 UI/mL(8). Les
opinions divergent cependant quant à la persistance de l'immunité après
la primovaccination et à la nécessité d'administrer des doses de rappel
après l'enfance. Un examen des publications sur le sujet a fait ressortir
que les concentrations moyennes d'antitoxine diminuaient de 3 à 50 fois
un an après l'administration de trois doses d'anatoxine(6,8).
Par exemple, dans une étude américaine, des enfants qui avaient reçu la
série primaire d'anatoxine diphtérique associée au vaccin contre la coqueluche
et à l'anatoxine tétanique (DCT) présentaient des taux d'antitoxine diphtérique
inférieurs au niveau jugé protecteur (c.-à-d. < 0,01 UI/mL) à
l'âge de 16 à 20 mois. D'autres études faisaient état d'une durée
d'immunité plus longue; 96 % à 100 % des enfants étudiés en
Angleterre et en Italie étaient toujours protégés 4 à 8 ans après
avoir reçu trois doses du vaccin DCT ou d'anatoxines tétanique et
diphtérique (DT) durant la petite enfance. Environ 80 % de la population
dans une étude danoise affichait des taux d'anticorps supérieurs au niveau
jugé protecteur 25 à 30 ans après la série primaire d'anatoxine (50 Lf),
ce qui semble indiquer que la persistance de l'immunité après la primovaccination
est liée à la concentration de l'anatoxine administrée(7).
Il appert que la quatrième dose de DT et les rappels subséquents contribuent
progressivement à élever les titres d'antitoxine (niveau moyen :
> 1,0 UI/mL) et à ralentir la baisse de l'immunité(8).
La réponse immunitaire à la vaccination de rappel chez les adultes est
fonction de l'état immunitaire antérieur (qui est à son tour lié à l'immunité
naturelle ou au calendrier vaccinal et à la concentration des anatoxines
administrées lors de la série primaire et au temps écoulé depuis la dernière
dose) de même que de la dose d'anatoxine utilisée pour le rappel. L'état
immunitaire antérieur joue un rôle plus important, car si une faible quantité
d'anatoxine peut suffire à provoquer une forte réponse chez les sujets
déjà sensibilisés, une forte dose «de rappel» peut ne pas produire une
réponse suffisante chez une personne jamais immunisée(8). Il
arrive que des personnes complètement immunisées souffrent d'une diphtérie
clinique bénigne; on pense toutefois que les antitoxines produites après
la vaccination conservent un pouvoir protecteur pendant 10 ans ou
plus.
Dans les pays où l'on recommande d'administrer des doses de rappel aux
adultes, les rappels sont administrés en général à intervalles de 10 ans,
mais cet intervalle a été déterminé à partir d'études effectuées durant
des périodes d'exposition répétées à des souches de C. diphtheriae
en circulation (rappel naturel). Il n'existe aucune étude contemporaine
définitive portant sur l'intervalle indiqué pour les rappels chez les
adultes dans les pays où la diphtérie a pratiquement été éliminée ou en
l'absence virtuelle de rappel naturel, comme au Canada. Des études comparatives
menées au Danemark et aux États-Unis révèlent une baisse plus rapide des
titres d'antitoxine diphtérique chez les enfants après la primovaccination
dans les années 80 que dans les années 40 à 60 où il était plus
facile de contracter une immunité naturelle en étant exposé à des bacilles
diphtériques(6).
L'immunisation passive à l'aide de l'antitoxine diphtérique d'origine
équine (obtenue à partir de sérum de chevaux hyperimmunisés au moyen de
l'anatoxine et de la toxine diphtériques) permet de traiter les cas de
diphtérie clinique.
Incidence de la diphtérie dans le monde
Comme le montre l'histoire, d'importantes épidémies de diphtérie sont
survenues dans différentes régions du monde jusqu'au milieu du XXe siècle.
La vaccination systématique dans les pays industrialisés de l'Europe et
de l'Amérique du Nord après cette époque a entraîné une baisse de l'incidence
de la maladie clinique comme des taux de portage(1). De plus,
une proportion croissante de cas ont été signalés chez des enfants plus
âgés et des adultes dans les pays qui ont instauré depuis longtemps des
programmes de vaccination systématique.
La montée en flèche récente de l'incidence de la diphtérie dans les États
nouvellement indépendants (ENI) de l'ancienne URSS a débuté après 1976
(année où l'on a enregistré la plus faible incidence de l'histoire, soit
0,08 cas pour 100 000 habitants). Un pic initial a été
atteint entre 1983 et 1985 (taux moyen : 0,55 pour 100 000);
il a été suivi par une légère baisse temporaire du taux d'incidence(1).
Depuis 1990, des épidémies de diphtérie ont été signalées dans les 15 États
nouvellement indépendants. Dans la Fédération de Russie uniquement (où
la plupart des cas sont survenus), le nombre de cas déclarés, qui était
d'environ 200 à 300 par année au milieu des années 70, est passé
à près de 2 000 en 1990-1991 et à plus de 15 000 (10,2 pour
100 000) en 1993. De 1990 à 1995, quelque 125 000 cas et
4 000 décès ont été recensés dans les ENI; environ 90 %
des cas signalés dans le monde provenaient des ENI(9). Les
principales raisons invoquées pour expliquer l'épidémie de diphtérie dans
les ENI sont les suivantes : faible couverture vaccinale chez les
enfants (due à l'approvisionnement irrégulier en vaccins, à la réduction
de l'utilisation des vaccins par les travailleurs de la santé en raison
d'une liste trop longue de contre-indications et le fait que la population
et le corps médical soient moins en faveur de l'immunisation à la suite
de campagnes de propagande contre l'immunisation); baisse de l'immunité
chez les adultes; et mouvements importants de la population après la dissolution
de l'ancienne URSS(1).
L'épidémie dans les ENI a entraîné un certain nombre de cas d'importation
de diphtérie dans d'autres pays d'Europe, notamment en Finlande où quatre cas
ont été enregistrés en 1993 après 30 ans d'absence de la maladie.
Deux cas de diphtérie contractée en Europe de l'Est ont été signalés chez
des citoyens américains(10). Jusqu'à présent, on n'a recensé
au Canada aucun cas ayant des liens épidémiologiques avec l'Europe de
l'Est.
On peut citer un autre exemple des risques possibles associés à l'importation
du bacille : en Suède, 17 cas de diphtérie clinique survenus
en 1984 (sept présentant une atteinte neurologique et trois s'étant soldés
par un décès) avaient été importés du Danemark(11). L'éclosion
s'est produite plus d'une vingtaine d'années après le dernier cas indigène
signalé en Suède (de 1960 à 1983) et alors qu'on croyait la maladie éliminée.
Fait à noter, les 17 cas enregistrés en Suède appartenaient ou étaient
liés à des sous-groupes de toxicomanes. Les taux d'immunisation chez les
enfants atteignaient 95 % à 99 % au moment de l'éclosion, mais
l'immunité était faible même dans les populations en santé; 19 %
des membres d'un groupe de donneurs de sang de < 20 ans possédaient
des titres moyens d'antitoxine < 0,01 UI/mL. Chez les adultes,
jusqu'à 81 % des femmes et 56 % des hommes n'étaient pas protégés(12).
Des caractéristiques épidémiologiques similaires ont également été notées
au Danemark, où l'éclosion a débuté.
Par ailleurs, l'épidémiologie de la diphtérie a changé dans les pays
non industrialisés, où la forme cutanée est devenue le mode d'expression
le plus fréquent de la maladie. Depuis les années 80, des éclosions
de diphtérie respiratoire associées à destaux élevés de létalité et de
complications ont été signalées dans plusieurs régions d'Afrique, d'Asie,
de l'est de la Méditerranée et d'Amérique latine(13).
Épidémiologie de la diphtérie au Canada
La diphtérie est une maladie à déclaration obligatoire au Canada depuis
1924; c'est également cette année-là que le bilan annuel des cas de diphtérie
a été le plus élevé (9 000)(14). L'anatoxine diphtérique
a commencé à être administrée au Canada en 1926 et son usage s'est répandu
à partir de 1930. En moyenne, 2 000 cas ont été recensés chaque
année dans la période qui a immédiatement suivi le début de la vaccination,
mais dans le milieu des années 50, des baisses remarquables des taux
de morbidité et de mortalité ont été observées. Cette tendance à la baisse
s'est poursuivie jusqu'en 1964, année où l'on n'a enregistré que 23 cas
(0,1 pour 100 000). Une surveillance active en laboratoire des cas
comme des porteurs, explique pourquoi le taux annuel d'incidence a augmenté
à 174 cas (0,8 pour 100 000) en 1974. Depuis la fin des années 70,
l'incidence de la diphtérie est demeurée faible, variant entre 0,1 et
0,5 pour 100 000. La baisse abrupte de l'incidence qui a débuté en
1980 a été cependant attribuée en partie à un changement en 1980 de la
définition de cas, qui n'inclut plus les porteurs parmi les cas signalés
dans toutes les provinces et les territoires(15). Aucun décès
dû à la diphtérie n'a été recensé depuis 1983.
Selon les données du Système de déclaration des maladies à déclaration
obligatoire, Laboratoire de lutte contre la maladie (LLCM), deux à cinq cas
ont été dénombrés chaque année entre 1986 et 1995, inclusivement. Aucun
cas n'a été enregistré en 1996 et un seul a été signalé en 1997 - soit
au total 33 cas en 12 ans. Les cas ont été relevés en Colombie-Britannique
(11), en Alberta (10), en Ontario (7), au Manitoba (2),
en Saskatchewan (1), dans les Territoires du Nord-Ouest (1)
et au Yukon (1). Dans les 30 cas où l'on disposait de données
sur l'âge, on remarque que 50 % d'entre eux étaient âgés de >
30 ans, 23 % de 5 à 9 ans, 13 % appartenaient au groupe
des 10 à 19 ans et 13 % à celui des 20 à 29 ans.
Il convient de noter que les données épidémiologiques actuelles se fondent
sur la définition de cas élaborée au Canada en 1991 pour la
déclaration obligatoire de la diphtérie à l'échelle nationale :
- symptômes cliniques compatibles avec ce diagnostic au niveau des voies
respiratoires supérieures (pharyngite ou laryngite), avec ou sans fausses
membranes ou symptômes de nature toxique (cardiaques ou nerveux) chez
une personne à partir de qui on a isolé C. diphtheriae toxinogène(16).
Cette définition a été utilisée jusqu'au moment de la publication des
présentes lignes directrices.
Des définitions de cas révisés pour la surveillance sont présentées aux
pages 10 et 11. Dans le cadre des stratégies de lutte contre la diphtérie,
un porteur a été défini de la façon suivante :
- toute personne qui héberge et peut disséminer la forme toxinogène
de C. diphtheriae, sans présenter de symptômes ni locaux
(au niveau des voies respiratoires supérieures : pharyngite ou
laryngite), ni généraux. Compte parmi les porteurs toute personne souffrant
d'otite moyenne, d'infection nasale ou cutanée, ou d'infection pharyngée
asymptomatique attribuable à C. diphtheriae toxinogène(16).
Les personnes asymptomatiques et celles qui présentent des symptômes
d'infection des voies respiratoires supérieures et qui hébergent des souches
non toxigènes de C. diphtheriae n'étaient pas considérées
comme des porteurs ni des cas(16). Il n'était pas et il n'est
pas obligatoire de déclarer à l'échelle nationale les cas de portage sauf
dans certaines provinces ou territoires.
Si l'on en juge par l'incidence déclarée de la diphtérie clinique, les
souches toxigènes de C. diphtheriae circulent très peu au
Canada; on ignore cependant quel est le taux réel de circulation. On continue
d'isoler chaque année des souches toxigènes du bacille diphtérique chez
des porteurs, principalement dans le nord et l'ouest du Canada, parfois
en association avec des symptômes cliniques bénins qui ne satisfont pas
aux critères de déclaration.
Couverture vaccinale de la population canadienne
Le Comité consultatif national de l'immunisation (CCNI) recommande la
vaccination systématique de tous les Canadiens et Canadiennes contre la
diphtérie(17). L'anatoxine diphtérique existe sous forme adsorbée
avec du phosphate d'aluminium et peut être associée à d'autres anatoxines
ou vaccins (p. ex., contre le tétanos, la poliomyélite ou la coqueluche).
Pour la primovaccination des enfants de < 7 ans, il est préférable
d'utiliser des préparations qui associent l'anatoxine diphtérique avec
le vaccin contre la coqueluche et l'anatoxine tétanique (DCT) ou l'anatoxine
tétanique et le vaccin acellulaire contre la coqueluche (DTCa), avec ou
sans le vaccin inactivé contre la poliomyélite (DCT-polio ou DTCa-polio)
et le vaccin conjugué contre Haemophilus influenzae de type b.
La première série d'anatoxine diphtérique administrée seule ou en association
comprend quatre doses et devrait idéalement débuter à l'âge de 2 mois.
L'intervalle recommandé entre les trois doses initiales est habituellement
de 8 semaines (mais ne devrait pas être < 4 semaines);
la quatrième dose devrait être administrée 6 à 12 mois après la troisième
dose. Un rappel est recommandé 30 à 54 mois après la quatrième dose,
le plus souvent à l'âge de 4 à 6 ans (entrée à l'école). Un rappel
n'est pas nécessaire si la quatrième dose de la série primaire a été injectée
lorsque l'enfant a atteint l'âge de 4 ans ou après. Une dose additionnelle
de rappel de la préparation formulée pour les adultes (dT) devrait être
administrée à l'âge de 14 à 16 ans (rappel de fin de scolarité) et
au moins une fois à l'âge adulte (voir ci-dessous).
Pour la primovaccination des personnes de > 7 ans, l'agent recommandé
est une préparation adsorbée associant les anatoxines tétanique et diphtérique
(dT, pour adultes) qui contient moins d'anatoxine diphtérique que les
préparations administrées aux jeunes enfants. Cette préparation risque
moins de causer des réactions chez les personnes plus âgées. Deux injections
sont données à 4 à 8 semaines d'intervalle, et une troisième dose
après 6 à 12 mois pour compléter la série.
- Le CCNI recommande également de veiller à ce que les enfants reçoivent
en priorité la série vaccinale recommandée, y compris la dose de
fin de scolarité
- à l'âge de 14 à 16 ans, et que les adultes reçoivent la série
primaire complète. Voici les diverses options indiquées pour les rappels
chez les adultes :
continuer d'offrir des doses de rappel du vaccin dT à intervalles de
10 ans ou à tout le moins, revoir au moins une fois l'état immunitaire
à l'âge adulte (p. ex., à 50 ans) et administrer une seule dose
du vaccin dT à tous ceux qui ne l'ont pas reçu depuis 10 ans.
Les personnes qui ont besoin d'un rappel de l'anatoxine tétanique après
une blessure devraient recevoir le vaccin dT, ce qui renforcera leur protection
contre la diphtérie.
Selon les estimations nationales de la couverture vaccinale contre la
diphtérie en 1997, 98 % des enfants avaient reçu au moins trois doses
du vaccin contenant l'anatoxine diphtérique au moment d'atteindre l'âge
de 2 ans alors que 84 % avaient reçu la série primaire recommandée
comprenant quatre doses(18). Même si ces estimations nationales
sont assez optimistes, des données d'enquête indiquent qu'il existe des
zones où la couverture vaccinale est plus faible.
Il est plus difficile d'obtenir des estimations concernant les rappels
chez les adolescents et les adultes; les données dont on dispose font
ressortir des taux très faibles de vaccination. Dans une enquête nationale
effectuée en 1991 et portant sur la couverture vaccinale dans la population
adulte canadienne âgée de > 18 ans (le Yukon et les Territoires
du Nord-Ouest étant exclus), 6 % des répondants ont indiqué qu'ils
étaient vaccinés contre le tétanos et la diphtérie. La proportion diminuait
avec l'âge, allant de 9 % chez les 18 à 24 ans à 3 % chez
les > 65 ans(19). Qui plus est, seulement 60 %
des adultes interrogés ont dit avoir l'intention de respecter les recommandations
du CCNI relativement au rappel tous les 10 ans du vaccin contre la
diphtérie (et le tétanos). Dans une enquête réalisée en 1996 auprès
d'adultes ne vivant pas en établissement et âgés de > 18 ans
au Québec, seulement 2,3 % disaient être immunisés contre la diphtérie
comparativement à 32,5 % dans le cas du tétanos(20).
Ces données semblent indiquer que la couverture vaccinale pour la diphtérie
chez les adultes n'est probablement pas supérieure à 60 % et est
vraisemblablement plus faible. Le grand écart entre le taux déclaré de
vaccination contre la diphtérie et le taux de vaccination contre le tétanos
dans cette dernière enquête est étonnant étant donné qu'une forte proportion
(environ 98 %) des vaccins contre le tétanos administrés aux adultes
canadiens sont associés au vaccin dT. Les données disponibles sur la distribution
des vaccins révèlent une baisse importante de l'utilisation de l'anatoxine
tétanique monovalente; si l'on prend l'ensemble des vaccins contre le
tétanos offerts aux adultes, le taux d'utilisation de cette préparation
est passé de 23 % à 2 % entre 1990 et 1995.
Preuves sérologiques de l'immunité contre la diphtérie
au Canada
En 1996, le LLCM et la Société canadienne de la Croix-Rouge ont effectué
une enquête sérologique auprès d'un échantillon de donneurs de sang adultes
en santé, âgés entre 20 et 80 ans, dans cinq centres canadiens. Les
titres d'antitoxine diphtérique ont été mesurés au moyen d'une réaction
de neutralisation in vitro. Dans l'ensemble, 20,3 % (IC
à 95 % : 18,4 % à 22,4 %) de la population étudiée
présentait des titres d'antitoxine diphtérique inférieurs au niveau jugé
protecteur (0,01 UI/mL), ce qui évoque la possibilité d'une réceptivité
à la forme clinique. Les proportions variaient selon le groupe d'âge,
allant de 9,5 % (6,8 % à 13,0 %) chez les 30 à 39 ans
à 36,3 % (29,7 % à 43,3 %) chez les > 60 ans. De
même, la proportion de personnes réceptives différait selon le centre
d'étude, variant entre 13,4 % (10,0 % à 17,7 %) et 32,2 %
(26,8 % à 38,2 %). Dans tous les groupes d'âge, sauf celui des
40 à 49 ans, une proportion plus élevée d'hommes étaient mal protégés;
dans l'ensemble, 20,8 % (18,5 % à 23,2 %) des hommes et
19 % (15,4 % à 23,3 %) des femmes avaient des titres d'antitoxine
< 0,01 UI/mL. Dans une autre étude des donneurs adultes à
la Croix-Rouge canadienne à Toronto, les taux d'immunité contre la diphtérie
étaient aussi faibles; la fréquence de la réceptivité variait de 12,5 %
et 17,9 %, respectivement, chez les donneurs masculins et féminins
de < 40 ans à 42,6 % et 40 % chez les donneurs masculins
et féminins de > 60 ans(21).
Ces enquêtes sérologiques récentes font ressortir la pénurie de données
sur l'immunité antidiphtérique des adultes canadiens et laissent craindre
un retour en force possible de la diphtérie au Canada. Ces résultats sont
d'autant plus importants que les études ont porté sur des populations
relativement en santé; les taux réels d'immunité dans la population adulte
en général risquent donc d'être encore plus faibles. En outre, même dans
ces populations en santé, il semble que des sous-groupes soient plus à
risque que d'autres. Il reste que les données sur l'immunité sérologique
recueillies au Canada se comparent favorablement avec celles provenant
d'autres pays industrialisés.
La recrudescence récente de la diphtérie dans certaines régions d'Europe
évoque la possibilité d'un retour de la diphtérie au Canada. Aucun cas
au Canada n'a encore été lié aux épidémies de diphtérie en Europe malgré
le grand nombre de voyages effectués entre le Canada et les pays d'Europe
touchés par les épidémies. La hausse signalée de l'incidence de la diphtérie
respiratoire dans les pays non industrialisés accroît encore davantage
le risque d'importation de souches toxigènes.
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