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Maladies chroniques au Canada


Volume 25 Numéro 2 2004

[Table des matières]

Agence de santé publique du Canada

Rôle de l'application des connaissances dans la lutte anticancéreuse au Canada


Eva Grunfeld, Louise Zitzelsberger, Charles Hayter, Neil Berman, Roy Cameron, William K Evans et Hartley Stern


Résumé

La définition et la portée de la lutte anticancéreuse n'ont cessé d'évoluer. Le plus récent modèle de lutte anticancéreuse au Canada reconnaît l'importance de l'application des connaissances, qui garantit que les résultats de recherches sont mis en pratique et pris en compte dans la définition de politiques. Cependant, cette application des connaissances n'est pas constante, à moins qu'on n'y mette l'effort nécessaire. L'application des connaissances vise à favoriser l'adoption d'une innovation, issue par exemple des résultats de recherches. Plusieurs organisations du domaine de la santé au Canada considèrent l'application des connaissances comme une activité importante et ont commencé à mettre sur pied des équipes ou des projets pour la favoriser. Comme la lutte contre le cancer repose sur la mise en pratique de connaissances, l'application des connaissances joue un rôle important dans l'atteinte des objectifs de la lutte anticancéreuse au Canada. Le moment est particulièrement propice pour que les responsables de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer et d'autres initiatives semblables déterminent la place qu'ils accorderont à l'application des connaissances dans l'atteinte de leurs objectifs.

Mots clés : application des connaissances; lutte anticancéreuse

Introduction

Les méthodes acceptées de lutte contre le cancer font une large place à l'application des résultats de recherches à l'échelle individuelle ou populationnelle afin de réduire le fardeau du cancer1. Cependant, les études indiquent qu'en l'absence d'efforts concertés pour diffuser le fruit des recherches et en encourager l'adoption, c'est-à-dire en l'absence d'application des connaissances, les résultats de recherches ne sont pas systématiquement intégrés dans la pratique2. Jusqu'à maintenant, les activités de lutte contre le cancer au Canada ont eu essentiellement une portée locale et provinciale. Cependant, on s'efforce depuis 1999 de définir une stratégie nationale, la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer (SCLC). L'une des caractéristiques de cette stratégie est la volonté de traduire les recherches en politiques, et les politiques en pratiques3. Ainsi, les recherches dans le domaine de l'application des connaissances peuvent contribuer grandement à la lutte contre le cancer en encourageant l'utilisation active du fruit des recherches.

Dans ces pages, nous décrivons dans les grandes lignes la lutte contre le cancer et, en particulier, son évolution au Canada. L'application des connaissances est de plus en plus reconnue comme un aspect important du processus de la recherche. Différentes initiatives canadiennes, y compris dans le domaine du cancer, reposent sur la reconnaissance de son importance. Le document que voici vise principalement à souligner l'importance de l'application des connaissances pour la réalisation des objectifs de lutte contre le cancer au Canada.

Lutte anticancéreuse

D'après la définition de l'Institut national du cancer du Canada (INCC)4, adoptée par la SCLC,5 la lutte contre le cancer vise «[…] à prévenir et à guérir le cancer ainsi qu'à augmenter le taux de survie au cancer et à améliorer la qualité de la vie des personnes atteintes, par la conversion des connaissances acquises grâce à la recherche, à la surveillance et à l'évaluation des résultats, en stratégies et mesures d'intervention».

Le but fondamental de la lutte anticancéreuse est «l'application utile des résultats» 6 des recherches sur le cancer. Avec le temps, la lutte contre le cancer est devenue un domaine scientifique en soi, qui fait le lien entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée7. Elle englobe tout l'éventail des activités visant à combattre le cancer au sein d'une population3 : recherche fondamentale, recherche sur les interventions, surveillance et suivi, mise en œuvre (application des politiques et des programmes) de toutes les activités ayant trait au cancer, allant de la promotion de la santé et de la prévention jusqu'au traitement et aux soins, en passant par le dépistage et la détection. La lutte contre le cancer suppose, par conséquent, une approche multidisciplinaire faisant appel aux chercheurs du domaine biomédical, comportemental, social et populationnel, aux professionnels de la santé, aux responsables des politiques, aux administrateurs; aux éducateurs, aux bénévoles, aux patients, aux porteparole des personnes touchées, aux organismes de levée de fonds et à d'autres intervenants qui prennent part à la lutte contre le cancer6,8. La notion de lutte contre le cancer est à distinguer des «soins aux personnes atteintes de cancer», qui relèvent du régime de soins de santé. En revanche, la lutte contre le cancer est une activité fondée sur une population, qui vise à faire en sorte que les progrès dans la recherche sur le cancer profitent à l'ensemble de la population 7,9.

Cadre de lutte contre le cancer de l'INCC

Cadres de lutte contre le cancer

On a élaboré aux États-Unis et au Canada plusieurs cadres qui englobent les bases théoriques et un vaste éventail d'activités de lutte contre le cancer. Ces cadres ont été conçus pour définir et orienter les activités de lutte contre le cancer1 entreprises dans le cadre de projets nationaux. En 1984, Greenwald et Cullen ont publié un document dont l'influence a été déterminante, qui décrivait un cadre susceptible d'orienter la recherche sur la lutte contre le cancer du National Cancer Institute des États-Unis7. Avant la publication de ce document, le rôle de la recherche dans la lutte anticancéreuse n'était pas défini explicitement. L'accent était mis sur la prestation des services et le rôle clé joué par la recherche dans la définition des meilleures pratiques en matière de services n'était pas affirmé expressément.

L'approche de Greenwald et Cullen 7 présentait les activités de lutte contre le cancer comme linéaires et séquentielles, en commençant par la recherche fondamentale et en allant jusqu'à l'application de programmes de lutte contre le cancer auprès de la population. Cette approche avait le mérite de souligner le rôle essentiel de la recherche dans le processus, mais elle ne détaillait pas suffisamment les étapes complexes se situant entre la recherche et la mise en application de ses résultats. De plus, le processus décrit par cadre partait de la recherche mais s'arrêtait à l'étape du projet pilote, négligeant ainsi l'étape importante de l'application des connaissances issues de recherches.

Des approches plus récentes ont fait état du caractère itératif des activités de lutte contre le cancer, souligné la nécessité d'efforts multidisciplinaires et reconnu l'importance de l'application des connaissances 1,8,10.

En 1994, le Comité consultatif sur le contrôle du cancer, qui relevait de l'Institut national du cancer du Canada (INCC), a publié un document cadre qui était censé englober toutes les activités contribuant à la réduction du fardeau du cancer au Canada8 (voir la figure 1). Le Comité consultatif voulait ainsi définir la lutte anticancéreuse de façon assez large pour répondre aux besoins de planification de l'INCC et faciliter l'établissement des priorités de financement. Quatre activités principales la recherche fondamentale, la recherche sur les interventions, la surveillance et le suivi ainsi que la mise en œuvre des programmes ont été mises en rapport avec la synthèse des connaissances et la prise de décisions. Ces activités devaient être balisées par un ensemble de principes de fonctionnement : la reddition de comptes, l'habilitation, l'éthique et l'efficacité.

Tout dernièrement, la SCLC a élargi le document cadre original de l'INCC (voir la figure 2)3. Ce cadre analytique décrit la circulation des connaissances, par le biais de différentes activités de lutte contre le cancer, pour actualiser le processus allant de la recherche à la définition de politiques, puis à la mise enpratique des connaissances issues de recherches. Les activités d'application des connaissances surviennent à toutes les étapes du continuum de la lutte anticancéreuse, de la promotion/prévention jusqu'au traitement/ soins. Les fondements et l'infrastructure englobent tout ce qui soutient les activités prévues dans le cadre (par exemple, les ressources, les installations, les normes et les coalitions). Voilà le cadre qu'a adopté la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer pour orienter son développement et la mise en œuvre de ses activités.

L'application des connaissances

Il est bien connu que les résultats de recherches sont adoptés de façon inégale par les praticiens2. La reconnaissance de cette lacune a attiré l'attention sur l'importance de comprendre les facteurs qui influencent l'application des connaissances. Selon les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), l'application des connaissances «se définit comme l'échange, la synthèse et l'application éthique des résultats obtenus par les chercheurs dans un système complexe d'interactions entre les chercheurs et les utilisateurs des connaissances»11. Comme il s'agit d'une discipline assez récente, la terminologie est encore flottante12. Voici cependant certains termes apparentés : utilisation des connaissances13, application des connaissances11, transfert des connaissances14,15 et utilisation des recherches16. Ces termes sont parfois clairement définis et parfois utilisés de façon interchangeable17-19.

Il y a de plus en plus de recherches sur l'application des connaissances dans le domaine de la santé. Par ailleurs, deux dépouillements systématiques de la littérature sur le sujet20,21 présentent la synthèse de leurs principales constatations : aucune stratégie d'intervention n'est plus efficace que toutes les autres et aucun modèle théorique ne permet de tout expliquer ou de tout prévoir. L'application des connaissances nécessite plutôt des méthodes d'intervention variées reposant sur des fondements théoriques différents, selon les caractéristiques du milieu, de l'innovation et des éventuels adoptants 2,17,20,22,23.

Modèles d'application des connaissances

À l'origine, on considérait l'application des connaissances comme un processus linéaire. Ainsi, si les résultats des recherches étaient mis à la disposition de tous, on présumait qu'ils seraient lus et utilisés21. Cependant, d'après les études récentes, le processus serait complexe24, interactif25 et tributaire des connaissances, des croyances et de l'expérience de l'utilisateur 17. Plusieurs modèles ou cadres d'application des connaissances ont été décrits13,16-18,23. La plupart d'entre eux comportent des éléments semblables17,26 et aucun modèle n'est jugé nettement supérieur aux autres13,14,27.

Les trois modèles suivants sont des exemples de ceux qui ont été élaborés au Canada. Le Modèle d'application de la recherche d'Ottawa (OMRU)16 et le modèle de l'IRSC 28 ont été élaborés dans le cadre de la recherche en santé. Le modèle mis au point par Landry et coll.13 définit des étapes qui décrivent de façon générale le processus d'utilisation des recherches.

L'OMRU 16 est un modèle théorique et interdisciplinaire. Contrairement aux modèles moins complets, il a été conçu pour englober les principaux éléments de tout le processus d'application de connaissances, y compris ses répercussions sur l'issue des interventions en santé. Les éléments primordiaux sont les caractéristiques du milieu où les connaissances doivent être appliquées, les adoptants potentiels et l'innovation fondée sur des données probantes (p. ex., des données que l'adopteur ne connaissait pas); les stratégies utilisées pour transposer l'innovation dans la pratique, l'adoption et l'utilisation de l'innovation ainsi que les effets de l'adoption, c'est-à-dire les résultats obtenus. Le modèle se veut un guide à l'intention des responsables de politiques qui souhaitent voir traduire dans la pratique les résultats de recherches probantes. Il s'adresse aussi aux chercheurs qui étudient le processus d'application des connaissances.

Landry et coll.13 ont conceptualisé le processus de l'utilisation des recherches sous la forme d'une échelle hiérarchique appelée «Échelle d'utilisation des recherches». Plus on atteint un échelon élevé sur cette «échelle», plus l'application des connaissances sera réussie. La transmission est la première étape du processus, indiquant que le chercheur a transmis le fruit de ses travaux à la communauté intéressée. La deuxième étape correspond à la cognition, celle où la recherche est lue et comprise. Pendant la troisième étape, la recherche est citée à titre de référence par d'autres que ses auteurs. La quatrième étape correspond aux efforts déployés par les praticiens et les professionnels pour adopter les résultats de la recherche. À la cinquième étape, les résultats de la recherche ont influencé les décisions des praticiens et des professionnels. Enfin, à l'étape finale, les résultats de la recherche sont appliqués et développés par les intervenants intéressés. L'étude de Landry et coll. s'attache aux facteurs qui font que les chercheurs passent d'un échelon au suivant, et aux raisons qui expliquent pourquoi certains y parviennent et d'autres pas.

L'IRSC situe l'application des connaissances dans un contexte différent de celui de l'OMRU 16 et de l'Échelle d'utilisation des recherches13. Ces deux derniers modèles décrivent les activités axées sur la mise en application des innovations (c.-à-d. des résultats de recherche), tandis que dans le cas de l'IRSC, la mise en application des connaissances s'amorce pendant le cycle de la recherche. L'application des connaissances est considérée comme faisant partie intégrante du cycle de la recherche, à partir de la définition des questions et de la méthodologie jusqu'à la détermination des recherches futures d'après les réper cussions de l'utilisation des connaissances28. Dans le cycle de la recherche, l'IRSC détermine six moments où il peut y avoir échange de connaissances allant plus loin que la simple publication d'une recherche. Ces occasions d'échange de connaissances surviennent au moment de la définition de la méthodologie et des questions délimitant le champ de la recherche; pendant la réalisation de la recherche (p. ex., grâce à des recherches participatives); lors de la publication des résultats sous une forme accessible; lors de la mise en contexte des résultats de la recherche; lors de la prise de décisions et de mesures fondées sur les résultats de la recherche, et enfin dans l'in fluence exercée sur les recherches futures.

Selon l'IRSC, il faut offrir aux chercheurs une formation sur les meilleures méthodes d'échange de connaissances, en fonction de l'utilisation prévue de ces connaissances. Parmi ces utilisations figurent, toujours d'après l'IRSC, l'établissement des politiques de recherche, la planification et l'administration, la prestation de soins de santé, le maintien et l'amélioration de l'état de santé personnel et la commercialisation.

Chacun des trois modèles que nous venons de présenter décrit l'application des connaissances d'un point de vue quelque peu différent. Eveland recommande que l'application des connaissances soit un processus itératif et évolutionnaire, et que le modèle soit toujours choisi en fonction de son utilité pour une fin particulière14.

Initiatives d'application des connaissances au Canada

Le grand nombre d'organisations qui considèrent l'application des connaissances comme une activité importante témoigne de l'importance désormais attribuée à la mise en application des connaissances dans le processus de la recherche. On trouve sur le site Internet de l'IRSC 28 une liste de ressources où figurent les adresses de sites Internet d'universités, d'organismes nationaux, provinciaux et locaux, d'organismes de financement canadiens ainsi que d'organisations américaines et internationales, présentés comme des liens utiles pour l'application des connaissances. Une publication de l'Initiative sur la santé de la population canadienne (ISPC) de l'Institut canadien d'information en santé 29 parue en 2001 fait état de 17 organismes (16 canadiens et 1 américain) de recherche dans le domaine de la santé, des sciences sociales ou de l'établissement de politiques qui mettent expressément l'accent sur l'application des connaissances. L'ISPC a effectué une analyse de l'environnement pour connaître l'éventail des stratégies utilisées par ces organismes pour favoriser le transfert des connaissances émanant de recherches. Ces stratégies ont été analysées en fonction de trois critères : auditoire cible (qui a été mobilisé?), moment choisi (à quelle étape du processus de recherche a-t-on mobilisé les gens?) et méthode (quel moyena-t-on employé pour mobiliser l'auditoire cible?). L'analyse de l'environnement a fait ressortir un certain nombre de méthodes précises que les organismes peuvent employer pour amener les décideurs à tenir compte des résultats des recherches. Ensemble, ces différentes stratégies utilisées par les organismes analysés constituent un coffre à outils précieux pour l'ISPC et d'autres intervenants en ce qui concerne l'application des connaissances issues de recherches dans la définition de politiques touchant la santé et le bienêtre de la population canadienne.

Application des connaissances et lutte anticancéreuse

En 1937, le Congrès américain a défini ainsi la lutte contre le cancer : «application utile des résultats [de recherches] en vue de favoriser l'utilisation généralisée des méthodes de prévention, de diagnostic et de traitement les plus efficaces»30. Cette définition traduit parfaitement le rapport entre la lutte contre le cancer et l'application des connaissances 18. On a récemment reconnu que les recherches sur le processus et les résultats de l'application des connaissances sont une partie essentielle de la lutte contre le cancer6,7.

Du point de vue historique, les produits de la recherche n'ont pas toujours été bien intégrés à d'autres aspects de la lutte anticancéreuse au Canada. Au début, les activités de lutte contre le cancer étaient axées sur les soins aux patients31. Quand l'Association médicale canadienne a commencé à élaborer sa stratégie nationale de lutte contre le cancer au cours des années 1930, on s'est demandé si la priorité devait être accordée à la recherche ou l'éducation 32. La Société canadienne du cancer, fondée en 1937, s'est donné pour mandat l'éducation du public et des professionnels. L'INCC, qui a vu le jour une dizaine d'années plus tard, a décidé de mettre l'accent sur la recherche33. Ainsi, dès les premières tentatives d'établir une stratégie nationale, la recherche a été séparée de la lutte contre le cancer.

Plus près de nous, le cadre de lutte contre le cancer mis de l'avant par l'INCC (voir la figure 1)8 et le cadre analytique adopté par la SCLC (voir la figure 2)3 font de l'application des connaissances une composante importante. Le cadre mis au point par l'INCC en 1994 intégrait le modèle linéaire proposé par Greenwald et Cullen à une de ses principales activités : la recherche sur les interventions. Toutefois, il poussait plus loin les travaux de Greenwald et Cullen. Alors que le processus décrit par le modèle partait de la recherche fondamentale et allait jusqu'à la mise en œuvre de programmes de soins de santé, le cadre de l'l'INCC ajoutait comme étape finale la réalisation d'études sur la diffusion et l'adoption des résultats de recherches.

La version élargie du cadre de l'INCC adoptée par la SCLC3 conserve trois des quatre principales activités du cadre dont il s'inspire : recherche sur les interventions, recherche fondamentale et surveillance/suivi. Cependant, il s'en écarte par le fait que la prise de décisions est séparée de la synthèse des connaissances et est située plus en aval dans le processus allant de la recherche à la formulation de politiques, puis à la mise en pratique des connaissances. L'application des programmes est devenue la mise en œuvre, qui englobe désormais non seulement les programmes mais aussi les politiques. La mise en œuvre est considérée comme l'étape finale du processus de lutte contre le cancer : réaliser des politiques et des programmes dans le continuum de la lutte contre le cancer, lorsque cela permet de réduire le fardeau de la maladie.

Un examen récent de la conceptualisation de la lutte anticancéreuse aux États-Unis et au Canada (p. ex., par l'entremise des cadres décrits plus haut) a fait ressortir la nécessité à la fois d'accélérer l'application du fruit des recherches dans la pratique et de «planifier, étudier et doter de ressources suffisantes le cycle constitué par la recherche, la mise en pratique de ses résultats et la définition de politiques en conséquence»1. Autrement, les fruits de la recherche risquent de continuer à être mal diffusés et peu adoptés.

Cadre analytique de SCLC

En ce qui concerne plus précisément les initiatives de lutte anticancéreuse au Canada, certains organismes ont fait de l'application des connaissances une de leurs nouvelles activités importantes1. Bien qu'elle ne mentionne pas expressément l'application des connaissances, la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer a fait de la progression recherche-définition de politiquesmise en pratique l'activité globale de son cadre analytique. Le Comité consultatif mixte de la lutte anticancéreuse, de concert avec le Comité consultatif de la recherche (ACOR) de l'INCC, a fait de la mise en pratique des résultats de recherches l'une de ses quatre priorités d'action 34. Par ailleurs, le partenariat entre l'INCC et la Société canadienne du cancer a permis de financer des projets comme l'Initiative canadienne de recherche pour la lutte contre le tabagisme, le Centre de recherche sur le comportement et d'évaluation des programmes et les Réseaux de recherche sociocomportementale sur le cancer; tous ces projets mettent l'accent sur les liens entre la recherche et l'application de ses résultats 1.

Le modèle de la SCLC, en tant que véhicule d'application des connaissances, n'a pas été conçu exclusivement pour la lutte contre le cancer. Le concept et la structure organisationnelle qu'il décrit peuvent s'appliquer à toute autre question de santé ou maladie; cependant, ils sont plus faciles à appliquer dans le cas de la lutte contre le cancer, étant donné l'existence d'organisations gouvernementales (p. ex., des organismes de lutte contre le cancer), non gouvernementales (p. ex., l'INCC) et professionnelles (p. ex., l'Association canadienne de psychooncologie) qui partagent un but commun. On peut envisager un véhicule semblable dans n'importe quel domaine où ceux qui créent les connaissances et en font la synthèse (chercheurs, universitaires) et ceux qui mettent en application ces connaissances (fournisseurs de services comme les organismes de lutte contre le cancer) peuvent unir leurs efforts pour réaliser des buts communs.

Pertinence de l'application des connaissances dans la lutte contre le cancer au Canada

Le rôle de l'application des connaissances est implicite dans la définition de la lutte anticancéreuse de l'INCC : la conversion des connaissances acquises en stratégies et en mesures visant à réduire le fardeau du cancer4. Miller35 a défini différentes stratégies applicables au niveau des politiques et de la pratique, qui ont déjà commencé à influencer l'évolution de l'incidence du cancer et de la mortalité attribuable à cette maladie au Canada; c'est le cas des politiques de lutte contre le tabagisme qui ont eu un effet sur le cancer du poumon, et la modification du régime alimentaire qui a réduit la fréquence du cancer colorectal. On pense que les stratégies de prévention seront la priorité absolue dans l'avenir.

Bien que la recherche fondamentale et la recherche clinique continuent à contribuer à la lutte contre le cancer, on reconnaît de plus en plus l'importance de facteurs comportementaux et sociaux, de même que la nécessité de recherches sur ces facteurs1,6. Parallèlement à cette prise de conscience, de plus en plus de recherches récentes portent sur l'application des connaissances relatives aux facteurs comportementaux qui déterminent l'adoption d'innovations36-38.

La Stratégie canadienne de lutte contre le cancer, vaste initiative d'envergure nationale, peut assumer au Canada le rôle de catalyseur10 de l'application des connaissances dans le domaine de la lutte anticancéreuse. Bien que la SCLC ait défini cinq domaines d'action prioritaires (normes et lignes directrices; prévention primaire; restructuration des priorités; planification des ressources humaines et recherche stratégique), on a à peine commencé à déterminer quelles activités précises devront être exécutées à l'intérieur de chacune de ces priorités ainsi que les façons dont elles seront mises en œuvre et évaluées. Pour la SCLC, c'est le moment idéal de déterminer où l'application des connaissances se situera par rapport à ses objectifs. Selon Ho et coll.39, l'application des connaissances englobe la mise en application des résultats de recherches à au moins trois niveaux : dans les pratiques des professionnels de la santé (et nous ajouterions, celles de la population), dans la définition de politiques par les autorités sanitaires et les gouvernements, et dans la mise en oeuvre de stratégies qui permettront aux professionnels de la santé et aux responsables des politiques de travailler ensemble pour mettre les politiques en pratique.

Le défi qui se pose à la SCLC, ainsi qu'à tous les projets de recherche sur le cancer et de lutte contre le cancer au Canada, est de trouver les moyens de favoriser l'application des connaissances à chacun de ces trois niveaux.

Conclusion

Malgré l'enrichissement des connaissances grâce à la recherche, dans le domaine de la lutte contre le cancer, il y a toujours un écart entre ce que l'on sait au sujet de cette maladie et ce qui se fait dans la pratique; cela vaut pour toutes les activités de lutte contre le cancer6. L'application des connaissances issues de la recherche est désormais considérée comme une des étapes essentielles de la lutte contre le cancer5,6. Il s'agit d'un domaine nouveau, en pleine évolution, dont l'importance est de plus en plus reconnue par les responsables de la lutte contre le cancer au Canada.

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Coordonnées des auteurs

Eva Grunfeld, Cancer Care Nova Scotia, Halifax ( Nouvelle-Écosse), Canada et Université Dalhousie, Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada
Louise Zitzelsberger, Programme d'épidémiologie clinique, Institut de recherche en santé d'Ottawa, Hôpital d'Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada
Charles Hayter, Département de radiooncologie, Centre anticancéreux régional Toronto-Sunnybrook, Toronto (Ontario), Canada
Neil Berman, Secrétariat de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer, Santé Canada, Ottawa (Ontario), Canada
Roy Cameron
, Centre de recherche sur le comportement et d'évaluation des programmes, Université de Waterloo, Waterloo (Ontario), Canada
William K Evans, Action Cancer Ontario, Toronto (Ontario), Canada
Hartley Stern, Cancer Care Nova Scotia, Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada
Correspondance : Eva Grunfeld, Cancer Care Nova Scotia, 1278 Tower Road, 543 Bethune Bldg, VG Site, Halifax (Nova Scotia) B3H 2Y9; fax : (902) 473-4631; courriel : eva.grunfeld@ccns.nshealth.ca


 

   

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Dernière mise à jour : 2004-08-19 début