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Volume 21, No 4 - 2000

  Agence de santé publique du Canada


La prévalence du diabète chez les Cris de l'ouest de la baie James

David A.L. Maberley, Will King et Alan F. Cruess


Volume 21, No 3 - 2000

 

 

 

 

 

Résumé

Nous avons évalué la prévalence du diabète chez les Cris de Moose Factory, en Ontario ainsi que les caractéristiques démographiques générales des sujets diabétiques. Les personnes atteintes de diabète ont été identifiées au moyen d'une étude rétrospective du registre du diabète et des dossiers des consultants externes et des patients hospitalisés. La prévalence brute du diabète s'élevait à 62 pour 1 000 (intervalle de confiance à 95 % : 54-72). La prévalence directement standardisée en fonction de l'âge était de 103 pour 1 000 dans l'ensemble de la population (intervalle de confiance à 95 % : 89-118 pour 1 000, standardisé en fonction de la population canadienne de 1991). Le taux estimatif de diabète dans la population canadienne est d'environ 5 %. L'âge moyen des diabétiques dans la communauté était de 53 ans; la durée moyenne de la maladie s'élevait à 8,2 années. La majorité des diabétiques étaient des femmes (64 %) et prenaient des antihypertenseurs (64 %). D'après les données recueillies dans le cadre de cette étude, la prévalence du diabète est plus élevée dans la population de Moose Factory en Ontario que dans l'ensemble de la population canadienne et que dans les autres populations cries de la région.

Mots clés : adulte; autochtones; diabète non insulino-dépendant; diabète sucré; Indiens d'Amérique du Nord; Ontario; prévalence



Introduction

Selon l'Enquête Santé Canada1, la prévalence globale du diabète auto-déclaré chez les adultes canadiens (âgés de 18 à 74 ans) s'élève à environ 5,1 %. Au cours des 50 dernières années, la prévalence de la maladie a augmenté chez les Indiens d'Amérique du Nord2; dans certaines populations autochtones du Canada, elle est même aujourd'hui beaucoup plus élevée que dans la population générale du Canada3-6.

La prévalence du diabète varie considérablement d'une population à l'autre, bien qu'il soit difficile de comparer les données entre les études à cause de différences majeures dans les méthodes utilisées. Dans leur étude sur la distribution géographique du diabète chez les Autochtones du Canada effectuée en 1990, Young et coll. donnent un aperçu des différences régionales de la prévalence7. Les chercheurs montrent que c'est dans la région de l'Atlantique que l'on observe les taux standardisés selon l'âge les plus élevés, et que c'est chez les Inuits que ces taux sont les plus faibles. De tous les groupes autochtones du Canada, ce sont les groupes de langue algonquienne du nord-est, dont font partie les Cris de la baie James, qui affichent la plus forte prévalence de diabète.

Les données sur les Cris de l'ouest de la baie James sont peu nombreuses; l'étude réalisée par Brassard et coll. dans la population crie du Québec a révélé cependant que le taux de prévalence du diabète standardisé selon l'âge y était élevé comparativement à celui de l'ensemble de la population canadienne8. Le phénomène pourrait être lié aux changements rapides effectués au mode de vie et au régime alimentaire de ces communautés au cours des 50 dernières années9,10.

Le but de notre étude est d'évaluer la prévalence brute et la prévalence standardisée selon l'âge du diabète dans la communauté de Moose Factory en Ontario, et de comparer les chiffres obtenus à ceux des autres populations autochtones du Canada.


Méthodes

Au nombre des communautés de l'ouest de la baie James figurent Moose Factory, Moosonee, Attawapiskat, Kashechewan, Fort Albany, Peawanuk et New Post. La population de la région, qui compte quelque 11 000 habitants, est très stable, le nombre d'arrivées et de départs étant pratiquement nul; elle est composée avant tout de Cris, qui font partie des peuples algonquins11,12. Située sur une île de l'embouchure de la rivière Moose, Moose Factory est la plus importante communauté de la région. La population crie âgée de plus de 15 ans s'y élève à 1 900 habitants.

L'Hôpital général de Weeneebayko à Moose Factory est le seul hôpital de la région. C'est dans cet hôpital ou un centre de consultations externes en médecine familiale attenant qu'est soignée la population de Moose Factory.

Le principal mode de transport pour atteindre les communautés de la baie James est l'avion. Le chemin de fer se rend à Moosonee, mais il n'y a aucun accès à la région par la route depuis le sud. Toutes les communautés de l'ouest de la baie James peuvent être considérées comme des communautés «isolées» : les contacts avec les populations non autochtones y sont minimes et on y pratique encore la chasse et la cueillette traditionnelles.

Les données de cette étude ont été recueillies à l'occasion d'un examen du registre du diabète de l'hôpital de Weeneebayko et de tous les dossiers des patients du Centre de consultations externes de Moose Factory. Au moment de la compilation des données, en juin 1998, tous les diabétiques connus étaient soignés à ce centre. Il est donc impossible que l'on ait omis des sujets recevant des soins médicaux ailleurs. Les dossiers des patients hospitalisés ont été analysés afin de confirmer le diagnostic de diabète chez les personnes dont les données du laboratoire de diagnostic ne figuraient pas dans les dossiers de consultation externe.

Les données ont été recueillies au moyen d'une recherche manuelle dans les dossiers des patients. Le diagnostic de diabète a été confirmé après examen des études sur la glycémie à jeun effectuées dans le cadre des soins de routine dispensés à la clinique médicale de Moose Factory. Les médecins de la clinique utilisent les critères normalisés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour poser le diagnostic du diabète. Plus précisément, on diagnostique un diabète lorsque la glycémie à jeun du patient est supérieure à 7,8 mmol/L ou le résultat à l'épreuve d'hyperglycémie provoqué est supérieur à 11,1 mmol/L13. Toutes les analyses de laboratoire ont été réalisées au laboratoire de l'hôpital de Weeneebayko. Pour le test d'hyperglycémie provoquée, la glycémie était mesurée deux heures après la charge de glucose. Les sujets affichant des résultats élevés aux dosages de la glycémie effectués au hasard ont été soumis à de nouvelles mesures de la glycémie à jeun au centre de consultations externes.

La prévalence du diabète de type I est très faible chez les Cris du Québec9. Au cours de l'étude, un seul sujet souffrant d'un diabète de ce type a été identifié à Moose Factory. C'est pourquoi toutes les données présentées ici concernent des sujets souffrant de diabète de type II (non insulino-dépendant). Les sujets atteints de diabète gestationnel ou de diabète secondaire ont été exclus de l'étude, tout comme les diabétiques non cris.

Les données démographiques de base et les antécédents médicaux de la cohorte des diabétiques ont été recueillis au cours de l'examen des dossiers. L'âge du sujet et la durée de la maladie ont été consignés à partir du 1er janvier 1998. Lorsque la date de survenue du diabète n'était pas précisée dans les notes du médecin, on l'a définie comme la date du plus ancien résultat de laboratoire répondant aux critères de l'OMS pour le diabète. Le traitement a été défini comme le régime suivi par le sujet pendant la majeure partie de la période de cinq ans précédant le mois de janvier 1998. Les sujets qui prenaient des médicaments pour contrôler leur pression sanguine ont été considérés comme hypertendus. Enfin, les complications macrovasculaires du diabète ont été ainsi définies : antécédents d'accident vasculaire cérébral avec séquelles ou infarctus du myocarde documenté par électrocardiographie.

Nous avons aussi recueilli des données sur les analyses sanguines de routine. Pour de nombreux sujets, aucun profil de laboratoire complet n'avait été établi durant le cours de la maladie; nous avons cependant tenté de standardiser les résultats de laboratoire de façon à rendre ces valeurs quelque peu significatives. Pour tous les sujets, nous avons consigné les résultats d'analyses effectuées le plus près possible d'un point situé deux ans après le diagnostic de diabète, afin d'avoir une idée du bilan métabolique durant les premiers stades du diabète dans cette communauté.

Les statistiques descriptives ont été calculées à l'aide du programme statistique SPSS. La prévalence directement standardisée en fonction de l'âge pour Moose Factory a été établie à partir des données du recensement canadien de 1991 pour les personnes âgées de plus de 15 ans14. Les intervalles de confiance (IC) pour les estimations de la prévalence du diabète de type II ont été calculés à l'aide de la distribution binomiale15.

Cette étude a été réalisée avec l'approbation du Conseil d'administration, du directeur général et du médecin chef de l'Hôpital général de Weeneebayko. Le Conseil d'administration de l'hôpital compte deux représentants de chacune des communautés cries qui reçoit des soins à cet hôpital. Le protocole de l'étude a été approuvé également par le Comité d'éthique de la recherche sur les humains en sciences de la santé de l'Université Queen's. Toutes les données ont d'abord été présentées dans le cadre d'un débat ouvert tenu à Moose Factory.


Résultats

D'après les estimations fournies par le Bureau de la planification sanitaire de l'Hôpital de Weeneebayko, la population crie de Moose Factory se chiffrait, en 1997, à 2 819 habitants, dont 1 900 avaient plus de 15 ans16.

Après examen des dossiers, 174 personnes ont été identifiées comme diabétiques; aucune d'entre elles n'avait moins de 15 ans. La prévalence brute du diabète dans l'ensemble de la population s'élevait à 62 pour 1 000 (IC à 95 % : 53-72). Le taux brut chez les sujets âgés de plus de 15 ans atteignait 92 pour 1 000 (IC à 95 % : 79-105) [tableau 1].


TABLEAU 1
Prévalence du diabète selon l'âge et le sexe,
population de Moose Factory, 1998

Âge
(ans)

Hommes

Femmes

Les deux sexes

 Prévalence
pour 1 000

Chiffres
brutes

 Prévalence
pour 1 000

Chiffres
brutes

 Prévalence
pour 1 000

15-24

 11,9

 3/251

  7,9

  2/253

  9,9

25-34

 14,9

 4/268

 43,8

 11/251

 28,9

35-44

 56,8

10/176

120,2

 25/208

 91,1

45-54

184,9

22/119

166,7

 21/126

175,5

55-64

272,7

12/44

483,3

29/60

394,2

65-74

131,5

5/38

265,3

13/49

206,9

75-84

285,7

6/21

411,8

 7/17

342,1

85+

  0,0

0/6

307,7

 4/13

210,5

Tous les âges

 67,2

62/923

114,6

112/977

 91,6

Taux standardiséa (pour 1 000) chez les personnes 15 ans et plus = 130,85 (IC à 95 %: 115,7-146,0)


   

Pour évaluer l'effet du sexe sur la prévalence du diabète, nous avons calculé les valeurs en fonction du sexe chez les hommes et les femmes de plus de 15 ans (tableau 1). La prévalence s'établissait ainsi à 67 pour 1 000 (IC à 95 % : 51-83) chez les hommes, et à 115 pour 1 000 (IC à 95 % : 95-135) chez les femmes. La prévalence la plus élevée a été observée chez les femmes de 55 à 64 ans, dont 48 % étaient diabétiques.

Comme la proportion des personnes âgées de moins de 35 ans est plus élevée chez les Cris de Moose Factory que dans l'ensemble de la population canadienne, nous avons effectué une standardisation directe en fonction de l'âge à partir des données du recensement canadien de 1991, les personnes de plus de 15 ans servant de population de référence14. La prévalence du diabète directement standardisée en fonction de l'âge chez les personnes de plus de 15 ans à Moose Factory s'élevait à 131 pour 1 000 (IC à 95 % : 116-146). En tenant compte de tous les âges, la prévalence standardisée s'établissait à 103 pour 1 000 (IC à 95 % : 92-114).

Les caractéristiques démographiques de l'ensemble de la cohorte sont présentées au tableau 2. Nous ne possédions pas de données sur tous les sujets pour toutes les variables; en fait, pour chaque variable, nous ne disposions de données que sur environ 90 % des sujets.


TABLEAU 2
Données démographiques de base de la population de Moose Factory

Variable
démographique

Sujets
(avec données)

Nombre moyen
(variables continues)
ou pourcentage
(variables discrètes)

Écart-type

Nombre total de sujets

174

 
Âge moyen des sujets

174

53 ans

15 ans

Durée moyenne du diabète

170

8,2 ans

6,4 ans

Nombre d'hommes/de femmes

174

36 % / 64 %

 
Régime de traitement (diète/oral/insuline)

171

28 % / 53 % / 19 %

 
Hypertendus/normotendus

169

64 % / 36 %

 
Accident vasculaire cérébral ou infarctus du myocarde (déjà/jamais)

155

14 % / 86 %

 
Concentration moyenne de l'hémoglobine A1C

166

10  %

3 %

Indice de masse corporelle moyen

155

32,4 kg/m2

4,9 kg/m2

Taux moyen de cholestérol sérique

155

5,25 mmol/L

1,10 mmol/L

Taux moyen d'azote uréique sanguin

164

5,24 mmol/L

1,74 mmol/L

Taux moyen de créatinine sérique

165

64,8 mmol/L

19,9 mmol/L


   

L'âge moyen des sujets diabétiques de Moose Factory était de 53 ans. La durée moyenne de la maladie était de huit ans. Soixante-quatre pour cent de tous les diabétiques étaient des femmes, et 64 % prenaient des antihypertenseurs. La plupart des sujets étaient traités avec des hypoglycémiants oraux, et 14 % avaient déjà souffert d'un infarctus du myocarde ou d'un accident vasculaire cérébral (tableau 2). Avec un indice de masse corporelle (IMC) moyen de 32,4 kg/m2, on peut considérer cette population de diabétiques comme nettement obèse (l'obésité étant définie par un IMC supérieur à 27).

La concentration moyenne de l'hémoglobine A1c dans la population diabétique de Moose Factory était de 0,10, ce qui témoigne d'un mauvais équilibre de la glycémie chez les diabétiques. Le taux moyen de cholestérol sérique était de 5,25 mmol/L, taux qui correspond au «risque marginal», tandis que les taux moyens d'azote uréique sanguin et de créatinine sérique pour la cohorte se situaient dans la gamme normale pour le laboratoire de l'hôpital de Weeneebayko.


Discussion

Dans l'ensemble de la population canadienne, la prévalence estimative du diabète est d'environ 50 pour 1 0001. Il ressort de la présente étude que la prévalence de cette maladie est de beaucoup supérieure chez les Cris de la baie James en Ontario. Dans la communauté de Moose Factory, nous avons en effet établi la prévalence brute du diabète à 62 pour 1 000 dans l'ensemble de la population, et à 92 pour 1 000 chez les sujets âgés de plus de 15 ans. Après standardisation directe selon l'âge, la prévalence estimative s'élevait à 131 pour 1 000 dans la baie James en Ontario. Ces chiffres sont beaucoup plus élevés que ceux obtenus chez les Cris de la baie James au Québec par Brassard et son équipe, soit 27 pour 1 000 (IC à 95 % : 24-30) pour la prévalence brute et 66 pour 1 000 (IC à 95 % : 59-73) pour la prévalence ajustée selon l'âge chez les sujets âgés de plus de 20 ans (tableau 3)8.


TABLEAU 3
Prévalence du diabète directement standardisée selon l'âge pour
diverses populations canadiennes

Région Tribu/culture Plage d'âge standardisée Population-type

Prévalence
directement
standardisée
selon l'âge
(IC à 95 %)

Moose Factory (Ontario) [présente étude)] Cri 15+ Canadienne de 1991

13,1 % (11,5 -14,6)

Baie James (Québec)8 Cri 20+ Canadienne de 1986

6,6 % (5,9-7,3)

Sandy Lake (Ontario)22 Ojibwa/Cri 10+ Canadienne de 1991

26,1 % (22,9-29,3)

Sud-ouest de l'Ontario3 Oneida/Chippewa/Muncey 5+ Canadienne de 1985

14,7 % (12,7-16,7)

Sud-ouest de l'Ontario3 De race blanche 5+ Canadienne de 1985

2,2 % (1,6-2,8)

Moose Factory (Ontario) [présente étude) Cri Tous les âges Canadienne de 1991

10,3 % (9,2-11,4)

Région de l'Atlantique7 Algonquien Tous les âges Canadienne de 1985

8,7 % (8,1-9,3)

Ontario7 Algonquien/Iroquoien Tous les âges Canadienne de 1985

7,6 % (7,3-7,9)

Sioux Lookout (Ontario)22 Ojibwa/Cri Tous les âges Canadienne de 1986

6,7 % (4,6-8,7)


   

Les différences dans la prévalence du diabète dans ces deux populations apparentées ne semblent pas liées à des différences d'échantillonnage, les deux études ayant identifié les sujets à partir des registres des cas diagnostiqués par des médecins qui utilisaient des critères diagnostiques similaires. La prévalence plus élevée observée dans la présente étude pourrait donc témoigner de différences réelles entre les populations ontariennes et québécoises.

L'occidentalisation accrue des populations autochtones d'Amérique du Nord a entraîné des bouleversements dans leur régime alimentaire et leur mode de vie au cours des 50 dernières années17. Dans leur étude, Brassard et coll. ont mis en évidence un gradient géographique marqué dans la prévalence du diabète, les communautés plus isolées étant quelque peu à l'abri de la maladie. La prévalence élevée du diabète à Moose Factory pourrait indiquer que cette communauté est moins isolée que celles étudiées par Brassard et ses collègues. En fait, avec ses franchises de restauration rapide, ses restaurants et ses grands magasins, Moose Factory est une communauté très développée dont la population a davantage accès à l'éventail d'aliments occidentaux. Le degré d'occidentalisation y est semblable à celui de Chisasibi, au Québec. Le fait que l'estimation québécoise inclut de nombreuses autres communautés isolées pourrait entraîner une prévalence globale moins élevée, et puisque l'échantillonnage a été réalisé une décennie plus tôt, on peut penser que les communautés du Québec étaient globalement moins occidentalisées à l'époque de l'étude de Brassard et coll. que ne l'est aujourd'hui Moose Factory. D'après une étude très récente de la population crie du Québec, la prévalence brute du diabète y aurait d'ailleurs augmenté au cours des 10 dernières années et se rapprocherait davantage des valeurs présentées dans notre étude18.

Dans leur aperçu réalisé en 1990, Young et coll. présentent les données standardisées selon l'âge pour différents groupes linguistiques autochtones, basées sur les estimations intercensitaires de la population canadienne de 1985. Les Autochtones canadiens des Territoires du Nord-Ouest affichaient les taux de diabète les plus bas, alors que ceux de l'Ontario et des régions de l'Atlantique obtenaient les taux les plus élevés12. Comme dans l'étude de Brassard et coll., on a observé un gradient géographique manifeste. Des taux de prévalence du diabète plus bas ont été enregistrés sous les latitudes les plus septentrionales et dans les régions les plus isolées.

Il ne va pas de soi de comparer les taux de prévalence du diabète obtenus dans la présente étude avec ceux d'autres populations d'Indiens d'Amérique du Nord. Les méthodes de recherche varient en effet énormément d'une étude à l'autre. Les différences dans les techniques utilisées pour choisir les populations, dans les critères diagnostiques et dans les populations standardisées ne facilitent pas non plus la tâche. Le tableau 3 présente les études sur les populations autochtones canadiennes qui donnent des taux de prévalence standardisés selon l'âge à partir des données du recensement canadien. Pour faciliter la comparaison, les résultats directement standardisés selon l'âge sont présentés tant pour l'ensemble de la population que pour les sujets âgés de plus de 15 ans. Dans les cas où l'on donnait les taux de prévalence standardisés selon l'âge pour l'ensemble de la population, les chiffres pour la catégorie «tous les âges» étaient systématiquement plus bas, ce qui s'explique par l'association entre l'âge et l'augmentation de la prévalence du diabète de type II.

Des études menées dans certaines populations autochtones de l'Ontario, de l'Alaska et de l'Arizona ont fait état de taux de prévalence du diabète inférieurs à ceux de la population crie ontarienne de la baie James19-21. En revanche, c'est dans la communauté ojibwa-crie de Sandy Lake en Ontario que les taux déclarés étaient les plus élevés22. Il est intéressant de noter que, dans les tribus affichant des taux de prévalence ajustés selon l'âge de l'ordre de 100 pour 1 000 (tableau 3), on observe une grande parenté ancestrale - les Chippewas, les Cris, les Ojibwas et les Oneidas font tous partie du même groupe linguistique (algonquien).

Les données sommaires sur le diabète à Moose Factory (tableau 2) mettent en évidence un taux de prévalence considérablement plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Ce phénomène a été documenté dans toutes les autres études de la prévalence du diabète chez les Autochtones du Canada. Chez les Algonquins du lac Simon au Québec, Delisle et coll. ont relevé un taux de prévalence statistiquement différent entre les hommes et les femmes : 49 % des femmes âgées de 30 à 64 ans souffraient de la maladie comparativement à seulement 24 % des hommes23. Cet écart pourrait s'expliquer par le fait que l'on diagnostique souvent le diabète chez les femmes dans le cadre des tests de dépistage de routine effectués au moment de la grossesse. Il pourrait aussi être lié aux taux plus élevés d'obésité, d'intolérance au glucose et de diabète de type II observés à un plus jeune âge chez les femmes autochtones21. L'impact d'une prévalence accrue du diabète gestationnel doit aussi être considéré comme un facteur qui contribue au développement du diabète de type II tant chez les mères que chez les enfants24. Il se pourrait enfin que les femmes consultent davantage que les hommes.

La principale limite de la présente étude tient à l'utilisation des registres du diabète et des données d'examen des dossiers pour établir le diagnostic des cas. Cela pourrait en effet ne donner qu'une image partielle de la situation du diabète chez les Cris de Moose Factory. Les données représentent néanmoins vraisemblablement la prévalence minimale du diabète dans cette communauté. Le taux réel pourrait être de 25 % à 30 % plus élevé25,26.

Les initiatives locales mises en oeuvre par le Conseil de bande Omuskegowuk considèrent le diabète comme l'un des principaux enjeux en santé communautaire à Moose Factory. Comme on connaît bien le diabète dans la communauté, il se pourrait qu'on y détecte davantage la maladie que dans les autres communautés. Si c'est effectivement le cas, le registre des maladies chroniques utilisé pour cette étude pourrait être plus représentatif de la prévalence réelle de la maladie à Moose Factory que dans les autres communautés possédant des bases de données similaires27.

Une autre statistique d'intérêt est le nombre élevé de sujets diabétiques prenant des antihypertenseurs (64 %). Le phénomène pourrait s'expliquer soit par une association significative entre le diabète et l'hypertension, soit par l'utilisation plus intensive de ces médicaments par les médecins chez leurs patients diabétiques.

Comme les taux moyens de créatinine sérique et d'azote uréique sanguin pour l'ensemble de la cohorte se situaient dans la gamme normale pour les personnes non diabétiques, on peut penser que c'est l'hypertension primaire et non l'insuffisance rénale diabétique qui est probablement le mécanisme à l'origine de l'hypertension chez ces sujets. Le taux de cholestérol sérique moyen de la cohorte était également dans la gamme normale non associée au diabète; toutefois, comme on pouvait s'y attendre, les niveaux d'hémoglobine A1c étaient sensiblement supérieurs à la normale.

L'importance de cette étude tient à ce qu'elle démontre l'existence d'une prévalence élevée du diabète chez les Cris de Moose Factory comparativement à la population crie du Québec et à d'autres populations autochtones du Canada. Aucune donnée n'a été publiée sur la prévalence du diabète chez les Cris de la baie James en Ontario. Cette étude servira de référence pour les futurs projets de surveillance. Ces données confirment également les inquiétudes du Conseil de bande local au sujet de l'ampleur du problème de santé publique posé par le diabète à Moose Factory et font ressortir l'importance de mieux comprendre le diabète, ses complications et sa variabilité selon le sexe et la région chez les Cris de la baie James. On sait que la prévalence du diabète est plus élevée dans les communautés autochtones du Canada que dans l'ensemble de la population canadienne. Cette étude démontre que la prévalence de cette maladie est plus élevée chez les Cris de la baie James que dans les autres populations cries de la région et pourrait même être parmi les plus élevées du pays. Qui plus est, les estimations présentées ici pourraient bien sous-estimer la prévalence réelle du diabète chez les Cris de Moose Factory.


Références

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Références des auteurs

David A.L. Maberley et Will King, Department of Ophthalmology, University of British Columbia, Vancouver (Colombie-Britannique)

Alan F. Cruess, Department of Ophthalmology, Queen's University, Kingston (Ontario)

Correspondance : Dr David Maberley, Department of Ophthalmology, University of British Columbia, 2550 Willow Street, Vancouver (Colombie-Britannique) V5Z 3N9

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Dernière mise à jour : 2002-10-02 début