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    Agence de santé publique du Canada
Relevé des maladies transmissibles au Canada

Volume 24-11
1er juin 1998

[Table des matières]

 

 

Première éclosion connue de colonisation par des entérocoques résistants à la vancomycine dans un centre hospitalier du Québec

Introduction

Les entérocoques résistants à la vancomycine (ERV) représentent une menace pour la santé publique. Entre autres raisons, les infections cliniques causées par les ERV sont difficiles voire impossibles à traiter et le mécanisme de résistance à la vancomycine peut se transmettre à d'autres bactéries plus virulentes, comme par exemple à Staphylococcus aureus(1).

La résistance à la vancomycine des entérocoques est apparue en 1988 aux États-Unis. De 1989 à 1993, le taux d'infections nosocomiales dues aux ERV est passé de 0,3 % à 7,9 %(2). La première éclosion documentée au Canada s'est produite dans un centre hospitalier universitaire de Toronto à l'automne 1995(3).

Le présent rapport décrit la première éclosion connue de colonisation par des ERV au Québec, qui est survenue dans un centre hospitalier (CH) de la Montérégie sur la rive sud-ouest de Montréal. Entre septembre et décembre 1996, 20 cas ont été identifiés. Il n'y a eu aucun cas d'infection.

Historique

Le Centre hospitalier régional du Suroît (CHRS) est un hôpital de soins généraux et spécialisés situé en Montérégie. Il compte 314 lits, dont 249 de soins actifs et 65 de soins prolongés. Les lits sont répartis sur les 6e et 8e étages de deux pavillons (Y et Z) contigus, reliés par un corridor au sous-sol et entre les étages G et H. Le tableau 1 donne la description des services sur chacun des étages des deux pavillons.

Le premier cas colonisé par des ERV était une femme de 80 ans admise pour une luxation de l'épaule. La patiente suivait une corticothérapie de longue durée pour une polyarthrite rhumatoïde. Deux jours après son admission, elle a présenté un abcès à la fesse droite accompagné d'incontinence et de confusion. Une culture de cet abcès a été faite 7 jours après son hospitalisation. Deux jours plus tard, un rapport préliminaire révélait la présence d'ERV. La patiente a été mise, à ce moment, en isolement de contact. Avant d'être isolée, cette femme avait séjourné sur quatre étages de soins différents, en plus de la salle d'observation de l'urgence. L'abcès, une fois drainé, a évolué favorablement.

Le deuxième cas colonisé par des ERV était une femme de 84 ans souffrant d'un diabète sucré, d'une maladie cardiaque athérosclérotique et d'une démence. Elle a été admise en médecine générale pour une cellulite du membre supérieur gauche. Deux jours après son admission, la patiente a présenté des brûlures mictionnelles, et une culture d'urine a mis en évidence, quelques jours plus tard, plus de deux types de micro- organismes, incluant des ERV. Les symptômes urinaires se sont résorbés avec le traitement à la cloxacilline mis en route lors de l'admission pour la cellulite du membre supérieur.

Ces deux cas avaient partagé la même chambre à l'étage A à quelques jours d'intervalle. Un dépistage chez des co-chambreurs encore hospitalisés a mis en évidence un troisième cas colonisé. L'équipe de prévention des infections du CHRS, avec la collaboration du Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) et de la Direction régionale de la santé publique de la Montérégie (DRSP-M), a alors décidé d'enquêter sur cette éclosion. Une surveillance active des cas potentiellement colonisés par des ERV et de leur environnement a été entreprise. Des données ont été recueillies afin de déterminer les facteurs de risque possibles liés à l'acquisition d'ERV. Enfin, des mesures strictes de lutte contre l'infection ont été mises en place pour empêcher la propagation de l'ERV à l'intérieur du CH et dans la communauté.

Méthode

Afin d'identifier d'autres cas colonisés par l'ERV, six rondes de dépistage ont été organisées. On a procédé par écouvillonnages péri-rectaux des patients. La première ronde visait tous les patients hospitalisés dans les services tant de soins actifs que de soins prolongés. La deuxième ronde s'adressait seulement aux patients des services de soins actifs puisqu'aucun cas colonisé n'avait été découvert dans les services de soins prolongés. Les trois rondes ultérieures ont touché les patients sur les étages où des cas de portage avaient été identifiés lors d'un dépistage précédent. La dernière ronde de dépistage n'a concerné que les patients hospitalisés à l'étage où était située l'aire d'isolement des patients ayant obtenu des résultats positifs. De plus, un dépistage des ERV et un isolement préventif ont été effectués chez les patients à risque de portage d'ERV provenant de la communauté ou d'un autre établissement. De même, les patients ayant été hospitalisés au cours de l'année précédente dans tout autre CH ou au CHRS durant la période de l'éclosion ont fait également l'objet d'un dépistage et ont été isolés à titre préventif. Les résultats de ces activités de dépistage apparaissent au tableau 2.

TABLEAU 1 La composition des services de chacun des étages des pavillons Y et Z du Centre hospitalier régional du Suroît, septembre 1996

Étage

Pavillon Y

Pavillon Z

A

Médecine générale et spécialisée/chirurgie

 

B

Chirurgie

 

C

Chirurgie

Administration

D

Médecine générale et spécialisée

Administration

E

Pédiatrie

Psychiatrie

F

Soins intensifs, maternité, pouponnière, salles d'opération

Soins prolongés

G

Cafétéria, cuisine, pharmacie, laboratoires

Soins prolongés, consultations externes de gériatrie

H

Urgence, salle d'observation, radiologie, consultations externes

Hémodialyse, consultations externes, centre de prélèvements

En outre, des prélèvements de l'environnement ont été réalisés à différents endroits (à l'intérieur et à l'extérieur des chambres). Le tableau 3 répertorie les résultats de ces prélèvements. Le personnel n'a pas été soumis à un dépistage.

Une étude descriptive des 20 cas colonisés a été effectuée à partir de données recueillies systématiquement afin de déterminer les facteurs de risque associés au portage d'ERV. Un cas positif était défini comme toute personne ayant été hospitalisée durant la période à l'étude et qui avait obtenu un résultat positif pour les ERV à la suite d'un écouvillonnage pré-rectal ou d'un prélèvement de tout autre échantillon clinique entre septembre et décembre 1996. On a utilisé un questionnaire standardisé pour recueillir les données à partir des dossiers médicaux, des fichiers informatiques du CH et des entrevues auprès des cas, du personnel infirmier et médical. L'information obtenue comprenait des données démographiques, les antécédents médicaux, et les données de l'hospitalisation en cours (l'évolution de la maladie, les médicaments administrés, les interventions et traitements reçus et la durée de séjour). Les mouvements des cas colonisés d'une chambre à l'autre ont été reconstitués. Comme certains cas avaient été hospitalisés plusieurs fois récemment, la durée de leurs séjours et leurs mouvements depuis la mi-août, début présumé de l'éclosion, ont été étudiés. Aussi, les transferts possibles des cas et des contacts de ces cas d'un CH hors Québec vers le CHRS au cours de l'année précédente ont été répertoriés.

TABLEAU 2 Étages ciblés et résultats des différentes activités de dépistage suivant l'identification des trois premiers cas

Date

Étages ciblés

Nbre de prélèvements effectués

Nbre de cas identifiés

1, 2, 3 oct.

Tous les étages du CH (soins actifs et soins prolongés)

309

10

9, 10 oct.

Tous les étages de soins actifs

203

3

18, 21 oct

Tous les étages où des cas positifs ont été retrouvés

104

0

29, 30 oct.

Tous les étages où des cas positifs ont été retrouvés

119

1

11 nov.

Tous les étages où des cas positifs ont été retrouvés

74

0

2 déc.

Tout l'étage adjacent à l'aire d'isolement

30

0

Sept.-déc.

Dépistages à l'admission

268

3

TOTAL

1,107

17

TABLEAU 3 Résultats des prélèvements de l'environnement

Prélèvements de l'environnement

Nbre de prélèvements effectués

Nbre de prélèvements positifs et endroit

À l'intérieur des chambres :

 

 

Chambres de l'étage A

98

4
(commode, téléphone, toilette, enveloppe de matelas)

Chambres de l'étage B

15

0

Chambres de l'étage C

47

0

À l'extérieur des chambres :

 

 

Équipement de laboratoire

4

0

Équipement de radiologie

3

0

Thermomètres électroniques

29

0

Prélèvements de l'environnement Nbre de prélèvements effectués Nbre de prélèvements positifs et endroit À l'intérieur des chambres :     Chambres de l'étage A 98 4 (commode, téléphone, toilette, enveloppe de matelas) Chambres de l'étage B 15 0 Chambres de l'étage C 47 0 À l'extérieur des chambres :     Équipement de laboratoire 4 0 Équipement de radiologie 3 0 Thermomètres électroniques 29 0 Les écouvillons péri-rectaux des patients et les cultures de l'environnement ont été ensemencés sur la gélose Entérococcosel (parfois dans un bouillon Entérococcosel) additionnée de 6 mg/L de vancomycine et incubés à 35 oC pendant 72 heures. Une colonie apparue sur le milieu sélectif a été identifiée comme étant des ERV lorsque l'isolat formait des chaînettes de coques gram positif, était catalase négatif, PYR positif, bile-esculine positif et cultivait dans du NaCl à 6,5 %. La présence ou l'absence d'un pigment jaune a été notée. La mobilité a été vérifiée au microscope. Les isolats non pigmentés et immobiles appartenaient à l'espèce Enterococcus faecium, d'après les tests effectués par le LSPQ. La résistance présumée à la vancomycine a été confirmée par la croissance à 35 oC après 24 heures sur gélose BHI (coeur-cervelle) additionnée de 6 mg/L de vancomycine et par le E test. La concentration minimale inhibitrice (CMI) pour l'ampicilline, la vancomycine, et la téicoplanine a été ensuite obtenue par microdilution, en suivant les critères du National Committee for Clinical Laboratory Standards. L'étude de la sensibilité à des concentrations élevées de gentamycine et de streptomycine a été effectuée sur gélose BHI additionnée respectivement de 500 mg/L de gentamycine et de 2 000 mg/L de streptomycine. La présence d'une  ß-lactamase a été recherchée avec un disque de nitrocéfine. L'étude du génome des souches a été réalisée par une électrophorèse en champs pulsés au LSPQ. Le laboratoire de microbiologie moléculaire du Centre hospitalier de l'Université Laval à Québec a déterminé par hybridation que les souches possédaient le gène van A, van B ou van C.

Résultats Entre le 3 septembre et le 2 décembre 1996, 20 cas colonisés par le ERV (E. faecium) résistant à la vancomycine ont été identifiés au CHRS. Les deux premiers cas se sont présentés avec une culture positive d'un échantillon clinique (plaie et urine, respectivement), alors que les 18 autres ont eu un écouvillonnage péri-rectal positif. Le tableau 4 résume les données démographiques et cliniques des 20 cas colonisés.

Il s'agissait de 13 femmes et de sept hommes. L'âge moyen était de 72 ans (médiane de 78 ans) avec un intervalle de variation de 19 à 95 ans. La majorité, c'est-à-dire 16 des 20 cas (80 %), présentait une co-morbidité, dont sept (35 %) une atteinte chronique de plus de 3 systèmes. Le quart des patients prenait des corticostéroïdes, deux de façon habituelle et trois de façon ponctuelle. Aucun patient n'avait subi de transplantation ni n'était soumis à une dialyse.

Lors de leur hospitalisation, 18 patients (90 %) ont reçu des antibiotiques, dont huit (40 %) plus de deux antibiotiques. Un seul patient a reçu de la vancomycine. La durée moyenne d'hospitalisation des patients colonisés de la mi-août jusqu'à la découverte de l'état de portage a été de 17 jours (intervalle de 3 à 46 jours).

L'étude des chambres occupées et des mouvements des 20 cas a permis de documenter certains liens épidémiologiques sans toutefois complètement expliquer la transmission. Tous les cas ont séjourné à l'urgence pour une durée variable de quelques heures à 48 heures. Les patients ont occupé différentes parties de l'urgence, mais la majorité d'entre eux ont passé du temps dans la salle d'observation, qui contient huit civières. Ces civières ne sont pas assignées à une localisation spécifique. Il n'y avait aucun autre lien direct entre tous les cas. Si on exclut l'urgence, les patients ont occupé entre une et huit chambres différentes avant qu'on découvre qu'ils étaient porteurs d'ERV. Seulement trois cas ont séjourné aux soins intensifs.

TABLEAU 4 Données démographiques et cliniques des cas colonisés par des ERV

No de cas Âge Sexe Date du prélève-
ment
Diagnostic d'admission Facteurs de risque pour la colonisation par des ERV
Comor-
bidités
Immuno-
suppression
Antibio-
thérapie
1 80 F 3/9 Luxation épaule x x xx
2 84 F 10/9 Cellulite membre supérieur x   x
3 19 F 27/9 Maladie de Crohn x x xx
4 42 M 1/10 Appendicite     xx
5 79 M 1/10 Perte de poids x   x
6 74 F 1/10 Douleur abdominale     x
7 72 M 1/10 Cholécystite      
8 73 F 1/10 Néoplasie de l'utérus x   xx
9 84 F 2/10 Néoplasie du vagin x   x
10 95 F 2/10 Perte d'autonomie x   x
11 76 F 2/10 MPOC décompensée x x x
12 79 F 9/10 Pneumonie x   x
13 91 F 3/10 Oedème aigu pulmonaire x   xx
14 90 F 9/10 MPOC décompensée x   xx
15 93 M 2/10 Pneumonie     x
16 82 M 9/10 Perte de poids x   xx
17 62 M 24/10 MPOC décompensée x x xx
18 54 M 29/10 MPOC décompensée x x xx
19 44 F 13/11 Hernie incisionnelle x   x
20 64 F 28/11 Mal perforant du pied x   x

xx = Administration de plus de deux antibiotiques
MPOC = Maladie pulmonaire obstructive chronique

Les figures 1 et 2 illustrent des exemples d'analyse des mouvements des cas sur les étages A et D, respectivement. Les cases représentent la durée d'hospitalisation pour chaque cas. Certains cas ont plus d'une case ce qui indique qu'ils sont été hospitalisés plus d'une fois. La zone ombragée situe le séjour sur l'étage étudié. La zone non ombragée signale la durée d'hospitalisation des cas logés ailleurs dans l'hôpital. Les cases ouvertes montrent que ces cas étaient toujours hospitalisés à la fin d'octobre.

Les numéros de chambres sont indiqués dans les zones ombragées. Les chambres ont été numérotées selon leur proximité géographique. Un astérisque précise la date du premier prélèvement positif. Deux cas (cas 19 et cas 20) ont eu leur prélèvement en consultation externe à la suite de leur hospitalisation, ce qui est indiqué par une série de trois points à la droite des figures. Leurs premiers échantillons positifs ont été prélevés le 13 et le 28 novembre 1996. Sur l'étage A, on voit que la chambre 1, qui contenait quatre lits, a été partagée simultanément ou successivement par quatre cas. Sur l'étage D, les chambres 2 et 8 ont été partagées par trois cas chacune. L'analyse de ces mouvements explique, en partie, la chaîne de transmission.

Les investigations et traitements subis par les patients colonisés lors de leur hospitalisation ont été analysés. Un cathétérisme intraveineux, la prise d'antibiotiques et une radiographie pulmonaire étaient les seuls facteurs qu'avaient en commun plus des deux tiers des patients.

Figure 1 Cas sur l'étage A : durées de séjour et mouvements d'une chambre à l'autre

Aucun des 20 patients colonisés par des ERV n'avaient séjourné dans un CH aux États-Unis ni dans une autre province du Canada. Tous les transferts d'un CH hors Québec vers le CHRS durant l'année précédente ont été étudiés. Aucun lien n'a été mis en évidence entre ces transferts et l'éclosion présente. Cependant, 2 semaines et 3 mois après le début de cette éclosion, au moins deux CH universitaires de la région de Montréal ont connu des éclosions. Dans un de ces CH, la souche d'ERV s'est avérée être la même qu'au CHRS. Même si les mouvements des patients entre le CHRS et l'ensemble des CH de Montréal n'ont pas été systématiquement répertoriés, des transferts pour des examens ou des traitements spécialisés ont régulièrement eu lieu.

De même, les déplacements du personnel et des objets n'ont pu être répertoriés, l'information étant très difficile à obtenir. Le personnel infirmier assigné à un étage avait, très souvent, à travailler sur tout l'étage lors d'un quart de travail. Certaines infirmières avaient à travailler sur des étages différents lors de quarts de travail différents. D'autres employés du CH, tels les médecins et les inhalothérapeutes, circulaient, dans la même journée, d'un étage à l'autre. Certains équipements étaient partagés entre les patients avec ou sans désinfection après usage et sans qu'aucune donnée ne soit consignée sur ces partages (p. ex., les thermomètres, les pompes et tiges à soluté, les chaises d'aisance).

Toutes les cultures positives pour des ERV qui provenaient des patients et de l'environnement ont été identifiées comme étant E. faecium résistant à l'ampicilline, à la téicoplanine ainsi qu'à la vancomycine (CMI pour la vancomycine > 250 mg/L par le E test et > 64 mg/L en microdilution). Par ailleurs, les souches étaient résistantes à une concentration élevée de gentamycine mais demeuraient sensibles à une concentration élevée de streptomycine. Les souches ne produisaient pas de ß-lactamase. L'étude génotypique a révélé que la résistance à la vancomycine était conférée par le gène van A. L'électrophorèse en champs pulsés a démontré que les souches appartenaient au même clone bactérien.

Figure 2 Cas sur l'étage D : durées de séjour et mouvements d'une chambre à l'autre

Intervention

La reconnaissance du premier patient colonisé par des ERV a donné lieu à une série de mesures de prévention et de contrôle pour enrayer la propagation de cette bactérie multirésistante dans le CH et dans la communauté. Un dépistage systématique chez tous les patients à risque d'être colonisés a été instauré, comme nous l'avons décrit précédemment. Les patients colonisés ont été isolés en chambre simple avec une toilette privée ou, plus rarement, ont été regroupés avec d'autres cas colonisés par des ERV. L'isolement de contact consistait, entre autres, dans le port de blouses à manches longues et de gants lors de la pénétration dans la chambre et en l'utilisation d'un savon antibactérien pour le lavage des mains par le personnel et les visiteurs. L'usage des thermomètres, stéthoscopes et autres matériels médicaux était autant que possible limité au patient colonisé seulement. Tout autre matériel dont l'usage ne pouvait être réservé au patient était désinfecté en sortant de la chambre. Une partie d'un étage a été réservée aux patients colonisés par des ERV. Le personnel était dédié à cette aire d'isolement. Les chambres contaminées ont été nettoyées et désinfectées chaque jour durant le séjour des cas et une désinfection terminale a été effectuée par la suite.

Des séances d'information ont eu lieu pour le personnel du CH et la population. Les patients et leur famille ont eu une rencontre individuelle avec un membre de l'équipe de prévention des infections du CH. De plus, un dépliant contenant des renseignements généraux sur les ERV et les principales mesures de contrôle était remis à tout patient hospitalisé durant cette période.

Même si la prescription de la vancomycine n'était pas formellement restreinte lors de l'éclosion, cet antibiotique était à toute fin pratique prescrit uniquement par les microbiologistes du CH et pour des indications reconnues.

Toutes ces mesures ont permis de limiter la propagation des ERV dans le CH. Aucun nouveau cas n'a été découvert à compter du 29 octobre 1996. Cependant, en janvier 1997 (3 mois après cette éclosion), la conjointe d'un des patients connus pour être colonisés par des ERV était admise au CHRS. Ce lien familial n'a été découvert qu'après une semaine d'hospitalisation. Cette patiente s'est avérée être colonisée par des ERV. Une nouvelle éclosion de colonisation dans ce CH a éclaté. Entre janvier et juillet 1997, 42 cas ont été détectés dont 24 à l'étage D et 15 à l'étage B. Aucun cas d'infection n'est survenu. Les mêmes mesures ont été adoptées.

Analyse

Cette première éclosion de colonisation par des ERV au Québec a permis de découvrir que nous n'étions plus à l'abri de ce problème dans la province. Il est plutôt inhabituel que des premiers cas documentés surviennent dans un CH de taille moyenne et sans affiliation universitaire dans une région donnée(2). Un certain nombre de facteurs pourraient toutefois expliquer le phénomène : les transferts fréquents entre ce CH et ceux de grande taille de la région de Montréal qui offrent des soins tertiaires, la transmission facile d'ERV d'un patient à l'autre et l'absence de surveillance active du portage d'ERV dans la région.

L'étude descriptive indique certains facteurs de risque d'acquisition connus d'ERV : maladie sous-jacente sévère, immunosuppression, antibiothérapie multiple, hospitalisation prolongée(4,5). Plusieurs mécanismes de transmission ont également été mis en évidence : partage de chambre, partage d'étage de soins, partage de multiples équipements médicaux.

Par contre, une étude cas-témoins aurait été nécessaire pour confirmer ces facteurs de risque et ces mécanismes de transmission entre les cas. Elle n'a pas été entreprise pour deux raisons principales. D'une part, aucun facteur de risque nouveau n'a été identifié dans l'étude descriptive. D'autre part, les déplacements des cas et des équipements médicaux n'étaient pas suffisamment bien répertoriés pour permettre la réalisation d'une étude cas-témoins.

Enfin, il est à noter que malgré la surveillance systématique de la sensibilité des entérocoques dans tous les échantillons cliniques au CHRS dans l'année précédent l'éclosion, six étages de soins étaient déjà touchés par le problème lors de la découverte des premiers cas. Un dépistage limité aux patients ayant occupé les mêmes chambres ou étages que ces premiers cas n'aurait pas suffi à juger de l'ampleur de l'éclosion.

À la suite de cette éclosion, le programme volontaire de surveillance des ERV proposé par les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis en septembre 1995(1) a été renforcé auprès de tous les CH du Québec. De même, des mesures de prévention et de contrôle ont été proposées aux CH, hôpitaux de soins prolongés, de réadaptation et de soins à domicile qui pourraient être aux prises avec des cas colonisés par des ERV(6). Ces mesures devraient possiblement limiter la propagation de cette bactérie au Québec et au Canada.

Remerciements

Les auteurs aimeraient remercier le personnel et la direction du CHRS et du LSPQ, ainsi que du module des maladies transmissibles de la DRSP-M, et plus particulièrement, M. Paul-Henri Boutin, directeur général du CHRS, le Dr Michel Marcil, directeur des services professionnels, CHRS, le Dr Gilles Delage, directeur du LSPQ et Mme Odette Leduc, coordonnatrice du module des maladies transmissibles de la DRSP-M. Ils aimeraient remercier aussi Mme Nicole Gagnon-Massouras pour son aide technique.

Références

  1. CDC. Recommendations for preventing the spread of vancomycin resistance: recommendations of the Hospital Infection Control Practices Advisory Committee (HICPAC). MMWR 1995:44(RR-12):1-13.

  2. CDC. Nosocomial enteroccoci resistant to vancomycine - United States - 1989-1993. MMWR 1993;42(30):597-669.

  3. Lior L, Litt W, Hockin J et coll. Découverte d'entérocoques résistants à la vancomycine dans un service de néphrologie d'un hôpital ontarien. RMTC 1996;22:125-28.

  4. Gordts B, Van Landuyt H, Ieven M et coll. Vancomycin-resistant enterococci colonizing the intestinal tracts of hospitalized patients. J Clin Microbiol 1995;33:2842-46.

  5. Karanfil LV, Murphy M, Josephson A et coll. A cluster of vancomycin- resistant Enterococcus faecium in an intensive care unit. Infect Control Hosp Epidemiol 1992;13:195-200.

  6. Groupe de travail sur les entérocoques résistants à la vancomycine. Mesures de contrôle et de prévention des infections à entérocoques résistants à la vancomycine au Québec. Québec, Québec : Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, mars 1998. Sous presse.

Source :

Dre A Fortin, Dr F Milord,Dre M Guay, Direction de la santé publique de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Montérégie, Saint-Hubert; MA d'Halewyn, MSc, Laboratoire de santé publique du Québec, Sainte-Anne-de-Belevue; Dr P Vigeant, G Leblanc, MAP, CHRS, Valleyfield (Québec).

Éditorial

Cette première éclosion de colonisation par des ERV résistants à la vancomycine au Québec, dont on rend compte ci-dessus, est intéressante en ce que les patients colonisés étaient âgés et n'avaient pas reçu de soins à l'extérieur du Québec. La souche d'ERV isolée dans cet hôpital régional de taille moyenne près de Montréal était la même que celle détectée dans un hôpital universitaire de Montréal. Au nombre des mécanismes possibles de transmission figurent le personnel, les patients et le matériel. Les mesures de lutte contre l'infection mises en oeuvre sont décrites dans le rapport.

La surveillance de la sensibilité des entérocoques exercée pour tous les échantillons cliniques a révélé que six étages de soins étaient déjà touchés lorsque les premiers cas ont été décelés. Les mesures de lutte anti- infectieuse prises par le Centre hospitalier régional du Suroit étaient conformes aux recommandations formulées par Santé Canada dans le Guide de prévention des infections à entérocoques résistants à la vancomycine (ERV) au Canada(1). Voici quelques-unes des mesures adoptées : dépistage auprès des patients à risque d'infection ou de colonisation par des ERV, installation de chacun des patients colonisés par des ERV dans une chambre privée dotée d'une salle de bains individuelle, éducation des patients et des membres de la famille,  port de gants et de blouses par les travailleurs de la santé pénétrant dans la chambre des patients isolés, lavage des mains avec un antiseptique, utilisation de matériel réservé uniquement au patient colonisé, nettoyage et désinfection du matériel sorti de la chambre d'isolement, et nettoyage et désinfection des surfaces dans l'environnement susceptibles d'avoir été contaminées.

Référence

  1. Santé Canada. Guide de prévention des infections à entérocoques résistants à la vancomycine (ERV) au Canada. RMTC 1997;23S8:1.1-1.19.

 

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Dernière mise à jour : 2002-11-08 début