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2000
Le brevetage des gènes
Préparé pour
Le Comité directeur du projet sur la propriété
intellectuelle et le brevetage des formes de vie supérieures du
Comité consultatif canadien de la biotechnologie
Décembre 2000
Table des matières
-
Introduction
-
Résumé
-
Le brevetage des gènes
-
Le brevetage des gènes et des
séquences de gènes
-
Les critères de brevetage
-
Le critère d'utilité
-
Autres limites imposées au brevetage
des gènes
-
Questions de politique officielle concernant les
brevets
-
Rapport entre le brevetage des gènes
et le brevetage des formes de vie supérieures
-
Conclusion
-
Introduction
L'année qui se termine a vu l'achèvement
de la première phase du projet du génome humain.
À l'été 2000, nous étions
déjà en possession d'une liste relativement
complète et exacte de tous les gènes
présents dans un être humain type. En plus de ses
incidences éventuelles énormes sur les soins de
santé, cette réalisation marque le départ
d'une ruée vers les brevets dans laquelle
l'entreprise privée et les institutions publiques se
font une concurrence acharnée en vue d'exercer une
domination temporaire, au moyen de brevets, sur
l'utilisation et la reproduction de l'information
génétique. La présente analyse porte sur la
brevetabilité des gènes, les essais
pratiqués par les bureaux des brevets avant
d'accorder ou de refuser un brevet, les questions de
politique auxquelles donne naissance le brevetage des
gènes, et surtout la grande question du brevetage des
formes de vie supérieures
-
Résumé
À l'été 2000, le projet du
génome humain, une initiative internationale visant
à déterminer la séquence de tout l'ADN
présent dans un être humain type, a finalement
débouché sur la production de séquences de
bonne qualité de tous les gènes du corps humain.
Tout au long des travaux menant à la détermination
de la séquence entière de l'ADN humain,
plusieurs entreprises privées et institutions publiques
ont essayé d'exercer une domination sur la suite des
recherches, des étapes plus payantes qui verraient les
scientifiques utiliser leur connaissance de l'ADN humain
afin de créer des produits et des services à
caractère commercial. Pour arriver à leurs fins,
ils se sont tournés vers le brevetage des gènes.
Les gènes, tels qu'ils apparaissent dans le corps
humain, ne sont pas brevetables. Mais là n'est pas
vraiment la question intéressante. Avant de pouvoir
servir à des fins de recherche ou de commerce, les
gènes doivent d'abord être isolés et
purifiés. Les gènes isolés constituent des
éléments à caractère
éventuellement brevetable. S'il en est ainsi,
c'est parce que les gènes ne se présentent
jamais tels quels sous une forme parfaitement isolée et
purifiée. Ces gènes deviennent brevetables
seulement s'ils sont nouveaux, non évidents et
utiles.
Un bon nombre des gènes isolés et décrits
seront brevetables puisqu'ils étaient jusquelà
inconnus et non évidents et que leur existence en tant
que gènes n'aurait pas sauté aux yeux d'un
chercheur ordinaire. La grande question reste de savoir si ces
gènes isolés sont utiles. Aux États-Unis,
un gène est considéré utile si son
utilité peut être immédiatement reconnue par
un spécialiste en la matière, ou si le gène
possède une utilité spécifique,
substantielle et crédible. Cette utilité doit
être de norme modérée à
élevée. En Europe, la norme générale
d'utilité d'une invention (sauf dans le cas des
gènes humains, pour lesquels la norme est semblable
à celle des États-Unis) se fonde sur le fait que
l'objet ou la substance en question peut être
fabriqué ou peut avoir une utilisation industrielle
quelconque. C'est une norme reconnue comme faible. Le Canada
semble appliquer une norme semblable à celle
adoptée par les États-Unis,
c'est-à-dire qu'une invention, pour atteindre la
norme d'utilité, doit posséder une
utilité effective et fondamentale.
Le simple fait qu'un gène soit nouveau, non
évident et utile n'en fait pas automatiquement un
objet brevetable. L'inventeur doit d'abord
présenter une demande de brevet, ce qui pourra lui
coûter, par pays, jusqu'à 10 000 $ avant
l'obtention du brevet. Certains pays limitent le nombre de
gènes pouvant être inclus dans une demande de
brevet, afin d'empêcher quiconque de présenter
des demandes de portée exagérément vaste.
Les États-Unis imposent une limite de 10 gènes
indépendants. L'Office européen des brevets
s'est donné une limite d'un seul gène. Au
Canada, il n'y a pas de limite.
Ajoutons à cela que certains bureaux des brevets peuvent
refuser un brevet même si l'invention répond
aux critères de nouveauté, de non-évidence
et d'utilité, dans les cas où
l'exploitation commerciale du brevet violerait l'ordre
public1 ou la
moralité. Les bureaux de brevets de l'Europe et de
l'Asie sont dotés de ce pouvoir, que n'ont pas
ceux du Canada, des États-Unis et de l'Australie.
Tous les pays conviennent de l'importance de l'ordre
public et de la moralité; ils diffèrent simplement
quant à savoir si ces préoccupations doivent
être traitées par les lois sur les brevets ou par
des mesures législatives et des règlements
spécifiques.
Le brevetage des gènes et des séquences d'ADN
fait naître des inquiétudes nombreuses sur le plan
de l'ordre public. Les gens voudraient être
sûrs, par exemple, que les donateurs (et peut-être
leurs parents consanguins) donnent leur consentement en toute
connaissance de cause avant de permettre le
prélèvement d'échantillons de leur
propre ADN; que les avantages et les risques découlant du
brevetage des gènes humains, animaux ou
végétaux sont partagés
équitablement; qu'un équilibre judicieux est
établi entre la recherche préventive et la
recherche thérapeutique; qu'un équilibre tout
aussi judicieux est établi entre les besoins alimentaires
du monde en développement et ceux du monde
industrialisé; que l'environnement est
protégé; et que les inventeurs ont des incitatifs
financiers suffisants pour pouvoir inventer sans accaparer un si
grand nombre de brevets qu'il en deviendra impossible aux
chercheurs futurs de se lancer dans la prochaine étape de
la recherche.
La question de la brevetabilité des
végétaux et des animaux au Canada est maintenant
devant les tribunaux. En contrôlant l'utilisation et
la vente d'un gène breveté, le
détenteur du brevet peut effectivement empêcher
quiconque de se servir de ce gène pour créer un
végétal ou un animal génétiquement
modifié. Une fois qu'un végétal ou un
animal génétiquement modifié aura
été créé et vendu par quelqu'un,
le brevet touchant le gène de base ne pourra plus
être utilisé dans le but d'empêcher la
reproduction ultérieure du végétal ou de
l'animal génétiquement modifié. Par
contre, si le détenteur du brevet décide de ne pas
le vendre mais d'en permettre plutôt
l'exploitation sous licence par des agriculteurs, il pourra
en assujettir l'exploitation à certaines conditions,
y compris l'interdiction de reproduire le
végétal ou l'animal en question.
Bien que certains observateurs aient proposé des moyens,
fondés ou non sur le droit des brevets, pour traiter les
préoccupations soulevées par le brevetage des
gènes, aucune de ces propositions n'a encore
été mise en oeuvre.
-
Le brevetage des gènes
Il y a de l'ADN dans à peu près toutes les
cellules du corps humain. L'ADN est la molécule qui
contient le code de chacune des protéines, sans
exception, que le corps humain utilise. Nos cellules prennent le
code contenu dans l'ADN et le transforment en
protéines (chaque paquet d'ADN contenant le code
d'une protéine particulière est appelé
un gène), lesquelles deviennent les
éléments utilitaires de la cellule. Ces
protéines se chargent de tout. Elles nous aider à
fabriquer de l'énergie, forment les os,
éliminent les toxines et déterminent la couleur de
nos yeux et de nos cheveux. En travaillant collectivement, ces
protéines contrôlent les rouages internes du corps
humain et ses interactions avec le milieu ambiant.
En raison de l'ubiquité et du rôle de l'ADN
dans le corps humain, de nombreux pays, dont le Canada,
collaborent à la plus vaste entreprise scientifique de la
fin du XXe siècle et du début du
XXIe siècle : la détermination de la
séquence entière de l'ADN dans un être
humain type. Cette initiative a porté fruit cette
année lorsque des organismes publics et des entreprises
privées sont arrivés à produire une
ébauche de la séquence de l'ADN.
Tout au long des recherches qui ont mené à cette
ébauche d'une séquence complète de tout
l'ADN humain, que l'on a appelée le génome
humain, bien des organismes publics et des
sociétés privées ont essayé
d'exercer une domination sur les étapes
ultérieures, plus payantes, de la recherche. C'est au
cours de ces étapes que les chercheurs se serviront des
connaissances relatives à l'ADN humain pour
créer des produits et des services à
caractère commercial allant de médicaments, de
tests diagnostiques et de thérapies nouvelles
jusqu'à des techniques artificielles de
procréation. Pour s'emparer de ce contrôle, les
chercheurs et les entreprises intéressés font
breveter les gènes et les parties de gènes
qu'ils estiment être la clé menant à ces
nouveaux produits.
-
Le brevetage des gènes et des
séquences de gènes
Certains seront peut-être étonnés que
l'on puisse faire breveter un gène ou une partie de
gène. Après tout, chacun de nous possède
environ 75 000 à 100 000 gènes dans presque
chacune des cellules de son corps. Ces gènes proviennent
de nos parents et de leurs parents à eux. Puisque les
brevets ont pour but d'encourager les inventions nouvelles,
en quoi est-il possible de considérer que ces
gènes sont nouveaux?
La réponse la plus simple à cette question de
nouveauté est que les gènes, tels qu'ils
existent dans le corps humain, ne sont pas brevetables. En
effet, s'ils l'étaient, personne n'aurait le
droit de renouveler sa propre peau, et encore moins d'avoir
des enfants. Les gènes, tels qu'ils existent dans le
corps humain, ne peuvent pas faire l'objet de brevets pour
la simple raison que leur existence remonte très loin
dans le temps. Mais là n'est pas vraiment l'enjeu
intéressant, car il n'y a aucune utilité pour
quiconque, sauf pour l'individu chez qui se trouve le
gène, à posséder un gène qui existe
au milieu de 75 000 à 100 000 autres de ses semblables
dans une des innombrables cellules qui composent un corps
humain. C'est seulement après avoir été
isolés et purifiés que les gènes peuvent
servir à des fins de recherche ou d'échanges
commerciaux.
Les gènes isolés, c'est-à-dire, des
gènes prélevés du corps d'une personne
et reproduits maintes et maintes fois, peuvent
éventuellement constituer une matière brevetable
à condition de répondre aux critères de
brevetabilité exposés ci-après. S'il en
est ainsi, c'est parce que nos gènes, pendant les
millions d'années écoulées depuis leur
apparition, ne se sont jamais présentés sous une
forme parfaitement isolée et purifiée. Rappelons
ici que l'un des caractères fondamentaux d'une
invention est le fait qu'elle n'aurait pas existé
sans l'intervention humaine.
De fait, toute matière ou substance pouvant être
prélevée sur un être humain, un animal ou un
végétal et présente sous une forme
isolée peut éventuellement être brevetable.
Cela veut dire que des séquences d'ADN plus petites
qu'un gène entier à même une
séquence de seulement 15 codes, appelée
séquence étiquetée ou séquence EST
à ainsi que des protéines et des molécules
isolées à partir d'organismes vivants peuvent
être brevetées à condition de remplir les
autres critères des lois sur les brevets. Ces
critères prescrivent que la matière isolée
doit être nouvelle, non évidente et utile, et
qu'elle doit aussi être décrite dans tous les
détails qui conviennent. Le même critère
s'applique à toutes les innovations, qu'il
s'agisse d'une trappe à souris ou de fils
superconducteurs. Le simple fait qu'une « invention
» soit une version raffinée de ce que la nature
produit ne constitue pas une condition qui l'exclut du
brevetage.
Certains prétendent que ce qui a réellement
été inventé, c'est la méthode
servant à isoler la séquence d'ADN, et non pas
la séquence d'ADN elle-même2, c'est-à-dire, non pas
l'ADN isolé, mais les moyens utilisés pour
l'isoler. Pourtant, les bureaux de brevets du monde entier,
y compris le Canada, continuent d'accorder des brevets sur
des gènes et des séquences d'ADN. De fait,
pratiquement tous les grands pays industrialisés
délivrent des brevets non seulement sur des gènes
mais aussi sur des protéines et sur d'autres
substances isolées à partir du corps humain3. En ce moment même, des
demandes de brevet sur de courtes séquences d'ADN
sont déposées; aux États-Unis, des brevets
de ce genre sont déjà délivrés.
Théoriquement, rien dans les lois sur les brevets ne
pourrait empêcher le brevetage de ces séquences EST
à condition, toujours, qu'elles répondent aux
autres critères de brevetage.
-
Les critères de brevetage
Pour pouvoir être brevetée, une invention doit
être nouvelle, non évidente et utile. Une chose est
nouvelle lorsqu'elle n'a jamais encore été
décrite en public. La non-évidence d'une
invention tient au fait que, pour un chercheur, il n'aurait
pas été entièrement évident de
créer cette invention, compte tenu de l'état
actuel des connaissances dans le domaine. Et une invention est
utile lorsqu'elle a une application pratique.
Un gène, d'origine humaine ou autre, ou une
séquence d'ADN peut donc être breveté
sous sa forme isolée pourvu que celui-ci ou celle-ci
n'ait jamais été décrit auparavant, que
son isolation n'ait pas été une action
évidente et qu'il ou elle ait une quelconque
utilité. Étant donné que le projet du
génome humain a permis de découvrir une foule de
renseignements nouveaux au sujet des gènes et de
l'ADN humains, les gènes que l'on cherchera
à faire breveter répondront probablement au
critère de nouveauté. Parallèlement,
puisqu'il est difficile de repérer un gène en
particulier dans l'énorme quantité d'ADN
présente au sein d'une cellule, un gène ou une
séquence génétique pourra aussi
probablement répondre au critère de
non-évidence. Même s'il est peut-être
évident de recourir à des techniques bien connues
pour isoler les séquences d'ADN en
général, il n'est probablement pas
évident qu'il vaille la peine d'isoler telle ou
telle séquence d'ADN plutôt que d'autres.
La véritable question à poser devient ainsi de
savoir si les gènes et les séquences
génétiques sont suffisamment utiles pour
être brevetables.
-
Le critère d'utilité
L'utilité peut se mesurer de bien des
manières. Un lecteur de DC est utile pour faire jouer des
disques, mais il peut aussi servir de presse-papier ou
d'arrêt de porte. En raison du grand nombre
d'utilisations qui pourraient se faire d'une invention,
le critère d'utilité peut s'appliquer de
façon restrictive ou de façon libérale. Les
États-Unis et le Canada penchent pour une
interprétation plutôt restrictive de
l'utilité, alors que l'Europe
préfère une interprétation plutôt
libérale.
Il y a peu de temps encore, les États-Unis étaient
l'objet de critiques à cause de leur manque de
rigueur dans l'application du critère
d'utilité aux inventions biotechnologiques. Afin de
réagir à ces critiques et d'appliquer plus
judicieusement les règles établies par leur propre
Cour suprême en 19664,
l'office des brevets et des marques de commerce des
États-Unis (U.S. Patent and Trademark Office) a
récemment émis des lignes directrices
révisées concernant l'application du
critère d'utilité aux inventions
biotechnologiques. Selon le contenu de ces directives, une
invention répond au critère d'utilité
si elle possède une utilité spécifique,
substantielle et crédible. Ces qualités peuvent se
démontrer de l'une ou l'autre des deux
façons ci-après.
La première preuve de l'utilité d'une
invention est le fait qu'une personne compétente en
la matière reconnaisse immédiatement que
l'invention est utile. Si l'utilité de
l'invention est tellement manifeste que n'importe quel
spécialiste du domaine la constaterait, cette invention
est estimée utile. Un bon nombre d'inventions
à base génétique ne pourront pas
répondre à ce critère puisque les
spécialistes du domaine ne sauront pas, à
l'avance, les fins particulières auxquelles
l'invention peut servir. Dans ce cas, il faudrait recourir
à la deuxième façon d'en
démontrer l'utilité.
La deuxième façon de prouver l'utilité
d'une invention est que l'inventeur soit capable de
démontrer que son invention possède une
utilité à la fois spécifique, substantielle
et crédible. Pour posséder une utilité
spécifique, l'invention doit être utile
d'une manière qui lui est tout à fait
particulière. Ainsi, par exemple, même si tous les
lecteurs de DC peuvent servir à faire jouer des disques,
le lecteur nouvellement inventé sera doté de la
capacité spéciale de mieux résister aux
vibrations produites par le milieu ambiant. Pour être
substantiellement utile, une invention doit posséder une
utilité concrète et commercialisable.
L'utilité substantielle ne peut pas se prouver par
des recherches fondamentales ni par des déclarations
générales selon lesquelles cette invention
pourrait servir à guérir des maladies, d'une
part, parce que l'utilité mentionnée n'est
pas commercialisable et, d'autre part, parce que
l'inventeur ne donne aucune raison significative pour
laquelle son invention serait meilleure que tout ce qui existe
déjà. Revenons à notre lecteur de DC. Son
utilité substantielle ne peut pas être le fait
qu'il peut servir d'arrêt de porte, parce
qu'une foule d'autres objets peuvent remplir cette
fonction. Vient enfin l'utilité crédible,
c'est-à-dire une utilité qu'admettrait
volontiers un spécialiste du domaine pertinent en se
basant sur les preuves présentées. Cela signifie
que les allégations de l'inventeur doivent
s'appuyer sur des fondements vérifiables dans les
documents publiés ou les connaissances
générales du domaine et que ces preuves
amèneraient quiconque à conclure que
l'utilité déclarée pourrait être
avérée dans les faits.
Dans leur ensemble, les lignes directrices en usage aux
États-Unis semblent indiquer une démarche exigeant
un peu plus qu'une simple affirmation d'utilité,
mais moins qu'une preuve attestant que l'invention sera
utile. À titre d'exemple, un inventeur ne peut pas
simplement déclarer que son invention est utile sans
étayer ses assertions par des documents ou des preuves
concrètes, mais il n'est pas tenu de démontrer
que son invention peut, conformément à sa
description, remplir une fonction utile pratique. S'il en
est ainsi, c'est parce qu'il suffit, pour
répondre au critère d'utilité, de
croire raisonnablement au fonctionnement de l'invention tel
que déclaré (condition qui rend
l'utilité crédible). Étant donné
que l'office des brevets doit éliminer tout doute
possible avant de délivrer le brevet, les
États-Unis adoptent une démarche mitoyenne en ce
qui touche le critère d'utilité.
En Europe, l'administration des brevets se fait à
deux niveaux. L'Office européen des brevets est
habilité à délivrer des brevets partout en
Europe, et les bureaux nationaux des brevets peuvent aussi
délivrer des brevets dans leurs pays respectifs. Le
critère européen d'utilité
générale (appelé critère
d'application industrielle) tient au fait qu'une
invention est apte à la fabrication ou à une
utilisation industrielle plausible. La norme serait faible,
selon l'Office européen des brevets. Toute
activité relevant des arts utiles ou pratiques, par
opposition aux arts esthétiques, répond au
critère d'utilité tel qu'appliqué
en Europe. De fait, l'Office européen des brevets
déclare que très peu d'inventions achoppent au
critère d'utilité si elles sont
considérées brevetables à tous autres
égards. La même attitude prévaut dans chacun
des pays de l'Union, qui n'imposent aussi qu'un
seuil très bas d'utilité.
Voici un cas qui permet de mieux comprendre les
différences entre les États-Unis et l'Europe
en ce qui concerne le critère d'utilité. Un
chercheur trouve une séquence de 30 nucléotides
(les codes individuels de l'ADN). Il sait que cette
séquence appartient à un gène d'un
végétal, mais il ignore à quel gène
et ce que fait exactement la protéine produite à
partir de ce gène. Le chercheur affirme que la
séquence est utile parce qu'elle peut être
utilisée pour déterminer la fonction du
gène à l'intérieur de cellules de types
particuliers. Présumons, en plus, que la séquence
est nouvelle et non évidente. Aux États-Unis, la
séquence ne serait pas brevetable (d'après ce
que prescrivent clairement les nouvelles directives) parce
qu'elle est sans utilité substantielle,
c'est-à-dire qu'elle n'exécute aucune
tâche substantielle. Il n'y aurait pas de brevet
possible, parce qu'il n'est pas d'une grande
utilité de trouver un gène dont la fonction est
inconnue. En Europe, par contre, l'Office européen
des brevets et les bureaux nationaux des brevets estimeraient
probablement que l'invention a une application industrielle
suffisante.
La situation pourrait bien changer en Europe avec
l'instauration de la nouvelle Directive sur la
protection juridique des inventions biotechnologiques. En
effet, pour se conformer à la Directive, les pays membres
de l'Union européenne avaient jusqu'au 30 juillet
2000 pour modifier leurs lois concernant le brevetage des
inventions biotechnologiques. La Directive stipule que les
gènes, les séquences d'ADN et les
protéines sont clairement brevetables à condition
de répondre aux critères généraux de
nouveauté, de non-évidence et d'application
industrielle. La Directive prescrit également, en ce qui
a trait aux séquences génétiques humaines,
qu'un inventeur doit indiquer la fonction de la
séquence (probablement la protéine
déterminée par le code ADN et peut-être la
fonction de cette protéine) pour que celle-ci soit
considérée comme ayant une application
industrielle. Toutefois, cette condition figure dans une
série d'attendus non exécutoires et elle
n'est transposée que par allusion dans le texte
contraignant de la Directive. En raison de ce manque de
clarté et du fait que la Directive passe sous silence le
critère d'application industrielle aux gènes
d'origine autre qu'humaine (du moins on le suppose, et
même s'ils étaient identiques à des
gènes humains), les répercussions exactes de la
Directive sur l'application de ce critère en Europe
restent incertaines. Jusqu'à maintenant, l'Office
européen des brevets n'a fait part d'aucune
modification à apporter au critère
d'application industrielle.
Le Canada semble mettre en application un critère
apparenté à celui décrit dans les lignes
directrices émises par les États-Unis au sujet de
l'utilité. L'Office de la propriété
intellectuelle du Canada affirme qu'une invention doit
posséder une utilité fondamentale et effective
pour pouvoir répondre au critère
d'utilité. Cette utilité fondamentale
paraît semblable, sur le plan conceptuel, à
l'utilité pratique ou substantielle exigée par
les États-Unis, alors qu'une utilité effective
apparaît semblable en nature au concept américain
d'utilité crédible. Les directives canadiennes
sont beaucoup moins détaillées et nettes que
celles des États-Unis, et il est donc difficile
d'établir une comparaison directe, mais selon
l'attitude générale adoptée au Canada,
une séquence d'ADN peut être brevetée
seulement si elle a une fonction évidente (pour un
spécialiste du domaine) ou décrite.
-
Autres limites imposées au
brevetage des gènes
Le simple fait qu'un gène ou une séquence
d'ADN réponde aux critères de brevetage
fondés sur la nouveauté, la non-évidence et
l'utilité n'entraîne pas automatiquement la
délivrance d'un brevet. L'inventeur de ce
gène ou de cette séquence doit d'abord
déposer une demande de brevet auprès des offices
compétents, où que ce soit dans le monde, et ces
bureaux doivent examiner la demande et, éventuellement,
émettre un brevet. Il faut alors composer avec deux
autres limites imposées au brevetage des gènes, la
première étant le coût du brevetage d'un
gène ou d'une séquence
génétique, et la deuxième, les motifs dont
disposent les bureaux des brevets pour refuser un brevet
même si l'invention respecte les critères de
nouveauté, de non-évidence et
d'utilité. Voyons maintenant comment agissent ces
limites.
La poursuite d'un brevet, c'est-à-dire, la
procédure qui consiste à préparer et
déposer une demande de brevet et à rester en
contact avec les bureaux compétents jusqu'à la
délivrance du brevet, est coûteuse en temps et en
ressources financières. Il faut compter, grosso modo, au
moins 10 000 $ pour la poursuite d'un brevet dans un seul
pays. Étant donné que les inventeurs, surtout ceux
du domaine de la biotechnologie, déposent souvent des
demandes de brevet dans de nombreux pays du monde entier, le
coût d'un brevet à l'échelle
mondiale pourra facilement dépasser 100 000 $. Même
s'il y a des procédures internationales permettant de
simplifier le processus (par exemple, le Traité de
coopération en matière de brevets),
l'inventeur doit voir à ce que les documents soient
traduits dans la langue du pays concerné et à
satisfaire chacun des bureaux locaux de brevets. Les coûts
à engager constituent donc un obstacle imposant au
brevetage des gènes et des séquences d'ADN et,
par conséquent, l'opération n'est pas
rentable, généralement, à moins que le
coût par gène ou par séquence ne puisse
être réduit ou que l'inventeur n'ait des
raisons de croire que son gène ou sa séquence
possède une valeur marchande considérable.
Une façon de procéder pour diminuer le coût
par gène ou par séquence d'ADN consiste
à faire porter la demande de brevet sur plusieurs
gènes ou séquences. Ainsi, le coût de 10 000
$ se trouve réparti parmi tous ces gènes et toutes
ces séquences et le processus devient plus raisonnable
sur le plan commercial. Les bureaux des brevets de par le monde
manifestent certaines hésitations devant ce moyen de
réduire les coûts. D'abord, l'inclusion de
plusieurs gènes et séquences dans une seule
demande fait qu'il est plus difficile aux bureaux de
recouvrer leurs frais d'examen de la demande (le
fonctionnement du bureau des brevets des États-Unis, par
exemple, est assuré par les frais perçus), mais de
plus, le coût d'opportunité devenant tellement
bas, cette façon de procéder encourage les gens
à faire breveter des gènes à partir de base
uniquement théoriques.
En réaction à la tendance à englober
plusieurs gènes et séquences d'ADN dans une
seule demande de brevet, certains bureaux de brevets imposent
des limites quant au nombre de gènes et de
séquences pouvant faire l'objet d'une même
demande. Le bureau des brevets des États-Unis limite
à 10 le nombre de gènes et de séquences
(non réciproquement apparentés) inclus dans une
demande. L'Office européen des brevets ne permet pas
à un inventeur de déposer une demande de brevet
couvrant plus d'un gène ou d'une séquence
d'ADN. L'Office de la propriété
intellectuelle du Canada n'impose pas de limite au nombre de
gènes ou de séquences pouvant faire l'objet
d'une seule demande de brevet, mais il exige tout de
même, comme ses homologues de l'Union
européenne et des États- Unis, que les
séquences incluses soient reliées en quelque
façon. Par conséquent, une demande de brevet
présentée au Canada ne pourrait pas englober des
séquences génétiques complètement
disparates.
La deuxième limite imposée au brevetage des
gènes et des séquences d'ADN vient de ce que
les bureaux de brevets sont habilités à refuser
une demande visant une invention qui répondrait pourtant
aux critères de nouveauté, de non-évidence
et d'utilité, en invoquant le motif que le brevet
luimême ou, plus précisément, son
exploitation commerciale, serait contraire à l'ordre
public5 ou à la
moralité. Un brevet peut violer l'ordre public si
l'exploitation commerciale de l'invention
brevetée est une source importante de
mécontentement du public et de perturbations politiques.
La moralité veut dire les normes morales
généralement acceptées au sein d'une
société. À titre d'exemple, les brevets
touchant des embryons qui se rendront probablement à
terme sont souvent jugés comme des infractions à
la moralité. Nul ne sait encore très bien si et
comment cette exception pourrait s'appliquer aux
séquences génétiques.
L'Office européen des brevets, tout comme les bureaux
nationaux des brevets des pays d'Europe et d'Asie, a le
droit de refuser des demandes pour des raisons d'ordre
public et de moralité; les États-Unis, le Canada
et l'Australie ne prévoient pas ces motifs de refus.
Le débat entre ces deux groupes ne porte pas vraiment sur
l'importance relative de l'ordre public et de la
moralité, mais plutôt sur la question de savoir
s'il vaut mieux intégrer ces deux valeurs au
processus à l'étape de la délivrance du
brevet ou plus tard, en agissant par voie législative6. Les Européens sont
d'avis, par exemple, qu'il est important de refuser de
breveter des inventions qui ne devraient pas être
commercialisées si l'on veut sauvegarder des
objectifs importants de la politique publique. Pour les
États-Unis et le Canada, les bureaux des brevets
n'ont pas les compétences voulues pour évaluer
les objectifs de la politique publique, et il est
préférable de confier ces questions aux
assemblées législatives et aux organes de
réglementation. Selon les responsables, cette position
est valable parce que la simple possession d'un brevet ne
veut pas dire nécessairement que le détenteur a le
droit de s'en servir. Le détenteur d'un brevet
doit quand même se conformer aux lois et aux
règlements du pays, dans la mesure où ils
existent. Les Européens, au contraire, croient que
l'intégration des objectifs de la politique publique
au processus de brevetage libère les gouvernements de
l'obligation de revoir sans cesse leurs lois et leurs
règlements pour les adapter aux progrès rapides de
la biotechnologie à une tâche très
difficile, sans contredit.
-
Questions de politique officielle
concernant les brevets
En plus d'enlever tout objet à l'ajout d'une
clause d'ordre public et de moralité aux lois sur les
brevets, les observateurs formulent d'autres demandes
précises en matière de politique officielle. Ces
demandes comprennent, sans s'y limiter :
-
que toute personne qui permet le prélèvement
d'un échantillon de son ADN donne d'abord son
consentement éclairé et agisse en toute
connaissance de cause;
-
que tout parent par le sang de personnes qui permettent le
prélèvement d'un échantillon de leur
ADN donne son consentement éclairé avant
l'utilisation de cet ADN;
-
que les avantages financiers et autres découlant
d'un brevet sur un gène ou une séquence
soient partagés équitablement entre
l'industrie, les chercheurs et les collectivités
de provenance des échantillons humains, animaux ou
végétaux;
-
que le public ait un accès équitable aux
produits de la recherche génétique de base;
-
qu'un équilibre convenable soit établi et
respecté entre la recherche visant la
prévention des maladies, la recherche visant le
diagnostic des maladies et la recherche visant le traitement
des maladies;
-
qu'il soit tenu proprement compte des besoins des pays en
développement, tout spécialement dans le
domaine de l'agriculture;
-
qu'un équilibre convenable soit établi et
respecté entre la recherche du secteur public et celle
du secteur privé dans le domaine de la biotechnologie
et dans celui des soins de santé en
général;
-
que soit assurée la protection de l'environnement;
-
que les inventeurs se voient offrir des incitatifs financiers
suffisants pour être encouragés à
créer sans accaparer un nombre de brevets si
considérable que les autres chercheurs actuels et
futurs se trouvent dans l'impossibilité, sur les
plans financier et logistique, d'effectuer les
étapes suivantes de la recherche.
Au lieu d'analyser chacune de ces demandes
séparément et en profondeur, nous allons
maintenant mettre en évidence certains de leurs
éléments communs. Les deux premiers ont trait aux
personnes, et à leurs collectivités de vie, qui
permettent le prélèvement
d'échantillons de leur ADN pour servir la recherche.
Il y a là un enjeu d'éthique, à savoir
que ces personnes devraient comprendre exactement ce
qu'elles offrent aux chercheurs et à quelles fins
leur ADN pourrait être utilisé7. Les donneurs d'ADN devraient
être également conscients de la possibilité
que les chercheurs, dans le cours de leurs travaux,
découvrent que la personne dont ils utilisent l'ADN
présente une mutation génétique pouvant la
rendre plus susceptible de contracter telle ou telle maladie.
Avant de consentir à un prélèvement de son
ADN, une personne devrait savoir si les chercheurs
l'informeront de découvertes de ce genre et si
quelqu'un d'autre aura accès à ces
résultats. En outre, puisque les gènes sont
partagés avec les parents par le sang, il y a lieu de
craindre la production de renseignements indésirables
concernant ces parents. Un certain degré de controverse
s'est produit aux États-Unis, par exemple,
relativement à la question de savoir si les chercheurs
étaient tenus d'obtenir le consentement
éclairé et explicite des parents proches avant de
prélever et d'utiliser des échantillons
d'ADN8. Il reste aussi
à régler d'autres questions semblables de
consentement, au niveau de la collectivité, au sujet des
animaux et des végétaux provenant de certains
pays9. En second lieu, nous
devons aussi nous demander s'il est convenable que
l'industrie partage les produits de ses inventions avec les
populations d'où proviennent les échantillons
d'ADN prélevés. En Islande, par exemple, une
entreprise désireuse d'effectuer des recherches sur
les antécédents génétiques de la
population islandaise a convenu de fournir au gouvernement du
pays une base de données électroniques
perfectionnée contenant des renseignements sur la
santé des habitants, et de faire en sorte que tout
nouveau médicament et toute nouvelle thérapie
découlant des renseignements génétiques
soit mis gratuitement à la disposition des Islandais10.
Un autre ensemble de préoccupations reliées
à la politique officielle a trait à
l'élaboration et à la mise en oeuvre d'une
politique globale sur la santé dans un pays.
L'utilisation principale des renseignements
génétiques humains se fait, et nul ne s'en
étonnera, dans le domaine des soins de santé.
Étant donné l'importance de ce secteur non
seulement pour l'économie mais pour la
collectivité entière, certains craignent que le
brevetage de gènes et de séquences d'ADN ne
freine ou ne paralyse les politiques en vigueur en
matière de santé. Il y a des gens qui
s'inquiètent, par exemple, de la possibilité
que ces brevets ne poussent les chercheurs à abandonner
les travaux permettant la découverte et l'application
de mesures nouvelles de santé publique pour concentrer
leurs efforts sur la création de méthodes plus
payantes de thérapie et de diagnostic11. Autrement dit, les brevets
pourraient rompre l'équilibre qui sied entre la
prévention des maladies et leur guérison. Cette
crainte s'inscrit dans le contexte d'enjeux plus vastes
concernant la mise en place des objectifs de la politique de la
santé ainsi que les rôles revenant à
l'industrie et au secteur public dans la formulation de ces
objectifs12.
Finalement, après nous être assurés que les
donneurs d'ADN sont protégés, et avoir
procédé à la définition
d'objectifs stratégiques en matière de
santé qui tiennent compte des effets du brevetage des
gènes et des séquences d'ADN, il nous faudra
veiller à empêcher que ces brevets n'entravent
la recherche future. Un des buts principaux des lois sur les
brevets est d'encourager l'innovation en accordant des
monopoles limités aux inventeurs dont les travaux portent
fruit. Pour qu'une telle stratégie donne de bons
résultats, la mesure d'encouragement, prenant la
forme d'un monopole, doit être assez puissante pour
motiver les inventeurs à continuer de chercher.
Parallèlement, le monopole ne doit pas être
exclusif au point que les chercheurs actuels et futurs aient de
la difficulté à passer à l'étape
suivante du développement scientifique.
Il est particulièrement ardu, en matière de
brevetage de gènes et de séquences d'ADN, de
maintenir un équilibre entre des monopoles de
durée trop courte et ceux de durée
exagérément longue. Ce problème
découle du fait que les gènes et les
séquences d'ADN ne représentent habituellement
que les toutes premières étapes des recherches
portant sur une maladie. Il faut encore bien des travaux avant
d'en arriver à transposer ces gènes et ces
séquences en techniques de prévention, de
thérapie et de diagnostic. Ce que craignent les
chercheurs en biotechnologie, c'est qu'au fur et
à mesure que se multiplient les brevets sur des
gènes et des séquences, il devienne de plus en
plus coûteux (en raison des droits à payer pour
pouvoir exploiter les gènes et les séquences
brevetés) et difficile sur le plan de la logistique (en
raison du temps que les chercheurs devront passer à
négocier l'exploitation des gènes et des
séquences brevetés) d'exécuter les
étapes suivantes, essentielles, de la recherche13. Une
étude pilote a déjà permis de constater,
par exemple, que près de la moitié des
laboratoires de recherche où l'on travaillait
à la conception de tests génétiques ont
dû abandonner ces activités à cause de
brevets accordés sur les gènes et les
séquences d'ADN qui formaient la base de leurs
recherches14.
Pendant que les travaux se poursuivent, plusieurs observateurs
proposent des moyens, fondés ou non sur les lois
relatives aux brevets, d'aborder certaines des
préoccupations concernant la politique officielle. Ces
propositions doivent être évaluées non
seulement en fonction de leurs incidences probables sur les
craintes en question, mais aussi en fonction des limites
imposées par le commerce international et par le droit
international en matière de brevets. Parmi les moyens
proposés, mentionnons : imposer une responsabilité
à assumer par les détenteurs de brevets qui se
rendent coupables de certains manquements à
l'éthique15; intégrer une clause de
moralité à la Loi sur les brevets du Canada16;
accorder des brevets uniquement sur les procédés
permettant d'isoler les gènes et non pas sur les
gènes eux-mêmes17; rendre plus rigoureuse
l'application du critère d'utilité en
exigeant que les auteurs de demandes de brevet possèdent
une connaissance supérieure de la fonction du gène
ou de la séquence d'ADN dans l'organisme de
provenance18; limiter le
nombre de gènes et de séquences pouvant être
inclus dans une demande de brevet au Canada; donner plus de
portée et de précision à l'exemption
canadienne touchant à l'usage exclusivement
expérimental, afin de permettre aux chercheurs
d'approfondir leurs travaux sur des gènes et des
séquences brevetés sans enfreindre les conditions
du brevet19; restreindre la
portée des brevets à des gènes entiers
plutôt qu'à des composants de gènes20; et empêcher les
pratiques anticoncurrentielles d'émission de permis
d'utilisation des gènes et des séquences21.
-
Rapport entre le brevetage des
gènes et le brevetage des formes de vie
supérieures
À l'heure actuelle, l'Office de la
propriété intellectuelle du Canada ne
délivre pas de brevets sur des formes de vie
supérieures, c'est-à-dire, des
végétaux et des animaux autres que des organismes
unicellulaires et peut-être les composants de ces
organismes. Cet état de choses pourrait changer selon la
décision que prendra la Cour suprême du Canada
relativement à une cause qu'elle doit juger sous peu.
Cette affaire concerne un inventeur qui veut obtenir la
protection par brevet d'une souris transgénique. Les
bureaux des brevets des États-Unis et de l'Europe ont
déjà accordé un brevet relativement
à cette souris.
Pendant que se poursuit, au Canada, le débat sur le
brevetage des formes de vie supérieures, il est sage de
prendre un moment de réflexion pour examiner les rapports
entre le brevetage des gènes et celui des formes de vie
supérieures. Dans le cas de la souris
transgénique, par exemple, l'inventeur a
effectivement obtenu un brevet sur le gène
inséré dans la souris, même si la souris
ellemême a été jugée non brevetable.
Voici une courte analyse de la mesure dans laquelle les brevets
sur les gènes servant de base à la recherche
confèrent aux inventeurs l'exclusivité des
droits relatifs à ces formes de vie.
Quiconque détient un brevet sur un gène
isolé peut effectivement empêcher toute autre
personne de vendre ou transférer le gène en
question ou de le reproduire au moyen de la biotechnologie. Un
chercheur qui voudrait produire un végétal ou un
animal génétiquement modifié en se servant
de ce gène aura besoin d'accéder au
gène sous forme isolée afin de pouvoir en
insérer des reproductions dans les cellules du
végétal ou de l'animal faisant l'objet de
l'expérience. Par conséquent, en
contrôlant l'utilisation et la vente du gène
sous-jacent, le détenteur du brevet peut effectivement
empêcher quiconque de créer un autre
végétal ou animal génétiquement
modifié. Une fois qu'un végétal ou un
animal génétiquement modifié est
créé et acheté par quelqu'un, le brevet
sur le gène sous-jacent ne pourrait pas servir à
empêcher la reproduction de cet animal ou ce
végétal. Autrement dit, la compagnie A
détient un brevet sur le gène isolé X. La
compagnie A peut empêcher tout autre chercheur
d'utiliser le gène X pour produire le
végétal Y. Par contre, une fois que
l'agriculteur à a semé et fait pousser le
végétal Y, ce même agriculteur a le droit de
recueillir les graines du végétal Y de s'en
servir pour continuer la culture du végétal Y.
Toutefois, le détenteur du brevet sur un gène
dispose d'un moyen pour prolonger son contrôle sur le
végétal ou l'animal
génétiquement modifié. Si le
détenteur du brevet crée lui-même ou permet
à quelqu'un d'autre de créer un
végétal ou un animal génétiquement
modifié à partir du gène breveté, il
est autorisé à émettre des permis aux
agriculteurs en vue de l'utilisation du
végétal ou de l'animal en question,
plutôt que de vendre le végétal ou
l'animal aux agriculteurs. S'il émet des permis
d'utilisation d'un végétal (ou d'une
graine de ce végétal) ou d'un animal, le
détenteur du brevet pourra imposer des conditions
d'utilisation, par exemple, interdire à
l'agriculteur de reproduire le végétal ou
l'animal visé par le permis. De cette façon,
tout essai de reproduction par l'agriculteur constituera une
rupture de contrat. Le détenteur de brevet peut aussi
rattacher d'autres conditions au permis, par exemple, pour
obliger l'agriculteur à recourir à certains
produits ou certaines techniques déterminés par le
détenteur du brevet.
La délivrance d'un permis d'utilisation d'un
végétal ou d'un animal en fonction d'un
brevet sur des gènes est une opération plus
complexe et risquée que la vente pure et simple du
végétal ou de l'animal en question.
L'opération est risquée en ce sens que si le
végétal ou l'animal s'échappe et
est reproduit involontairement, l'inventeur ne peut plus
utiliser son brevet pour empêcher toute reproduction
future du même végétal ou animal. Il
n'en reste pas moins que les permis peuvent se
révéler relativement efficaces pour assurer au
détenteur du brevet sur des gènes des avantages
semblables à ceux promis par un brevet sur le
végétal ou l'animal lui-même. Cette
façon de procéder comporte deux problèmes
possibles, mais qui ne se sont pas encore
matérialisés. Le premier de ces problèmes
tient au fait que cette pratique pourrait éventuellement
être considérée comme un usage abusif des
droits attachés au brevet, en vertu de l'article 65
de la Loi sur les brevets. Si tel est le cas, le
Commissaire aux brevets dispose de divers pouvoirs en vertu de
l'article 66 de la Loi sur les brevets, par
exemple, il est autorisé à accorder aux
agriculteurs un permis d'utilisation des graines de semence
sans restriction. Le deuxième problème est que, en
plus de l'usage abusif des droits attachés au brevet,
ces pratiques d'émission de permis pourraient bien
constituer une infraction à la Loi sur la
concurrence.
-
Conclusion
Le brevetage des gènes et des séquences d'ADN
est une question qui donne lieu à force débats et
crée la confusion parmi les personnes
intéressées à des enjeux tels que le
renforcement de l'industrie de la biotechnologie, la
protection de l'environnement et le maintien d'un
système solide de soins de santé. Aux termes des
lois actuelles concernant le brevetage au Canada et dans les
autres pays, les gènes et les séquences sont
brevetables à condition de répondre aux
critères de nouveauté, de nonévidence et
d'utilité. Les pays ne sont pas encore arrivés
à se mettre d'accord sur l'application
rationnelle du critère d'utilité. Avant
d'émettre un brevet, le Canada, à l'instar
des États-Unis selon leurs nouvelles lignes directrices,
exige des preuves que le gène ou la séquence
possède une utilisation commerciale concrète.
Le brevetage des gènes soulève indubitablement des
questions importantes en matière de politique officielle.
Certaines de ces questions ont trait tout spécialement
aux lois sur les brevets et d'autres sont d'ordre plus
général et concernent, par exemple, la politique
en matière de soins de santé, la politique
agricole, la protection de l'environnement et le respect de
l'éthique dans le traitement des donneurs d'ADN.
Bien que les observateurs de la situation aient proposé
divers moyens, fondés sur les lois ou non, de
régler ces préoccupations relatives à la
politique officielle, aucune de leurs propositions n'a
encore été mise en oeuvre.
-
* Les opinions exprimées
dans le présent document sont celles de l'auteur et ne
représentent pas né cessairement les points de vue du
Einstein Institute for Science, Health &
the Courts ou de ses administrateurs.
-
1 Les tribunaux internationaux ont, à
l'occasion, donné une signification très vaste
à l'expression « ordre public », en y
incluant tout ce qu'un gouvernement estime en rapport avec la
politique officielle, mais ils en donnent habituellement une
interprétation beaucoup plus étroite dans le contexte
des accords internationaux sur les brevets. Voir, par exemple, la
décision des Chambres de recours de l'Office
européen des brevets concernant les Systèmes
génétiques végétaux,
décision T0356/93 du 21 février1995, J.O. OEB (1995),
p. 545. Dans le contexte des conventions internationales sur les
brevets, l'ordre public signifie généralement la
protection de la sécurité publique, la protection de
l'intégrité physique des personnes comme
éléments de la société et la protection
de l'environnement.
-
2 Voir, par exemple, R.P. Merges et R.R. Nelson, «
On the Complex Economics of Patent Scope
», Colum. L. Rev., no 90 (1990), p.839.
-
3 Malgré la déclaration du ministre
français de la Justice, en juin 2000, dans laquelle il
exprimait des doutes sur la brevetabilité des gènes,
la France a déjà accordé des brevets sur des
gènes humains. Dans l'éventualité
où la justice française accepterait les arguments du
Ministre, et si quelqu'un décidait de contester de tels
brevets en justice, il est possible qu'un tribunal du pays juge
que ces brevets sont invalides en France. Il faut cependant en
douter, étant donné l'adhésion de la
France à la Directive 98/44 du Parlement européen
et du Conseil du 6 juillet 1998 sur la Protection juridique des
inventions biotechnologiques, Législation J.O.,
no L213, p. 13., 1998.
-
4 Brenner c. Manson, 383 U.S. 519 (1966).
-
5 Voir la note 1, plus haut.
-
6 Voir, entre autres, M. Hirtle et B.M. Knoppers, Banking of Human Materials, Intellectual Property
Rights and Ownership Issues : International Policy Positions and
Emerging Trends in the Literature (Direction des
politiques de la propriété intellectuelle, Industrie
Canada, Ottawa, 1998).
-
7 En ce qui concerne l'Union européenne,
l'attendu 26 de la Directive sur la protection juridique
des inventions biotechnologiques traite du consentement
éclairé. Voir l'article de B.M. Knoppers, M.
Hirtle et K.C. Glass, « Commercialization of
Genetic Research and Public Policy », Science,
no 286 (1999), p.2277.
-
8 M. Wadman, « Geneticists oppose
consent ruling », Nature, no 404
(2000), p.114.
-
9 L'article 15 (Accès aux ressources
génétiques) de la Convention sur la
diversité biologique, conclue lors de la
Conférence des Nations Unies sur l'environnement et
le développement, 5 juin 1992, 31 I.L.M. 818,
déclare ce qui suit :
-
Etant donné que les Etats ont droit de
souveraineté sur leurs ressources naturelles, le
pouvoir de déterminer l'accès aux
ressources génétiques appartient aux
gouvernements et est régi par la législation
nationale.
-
Chaque Partie contractante s'efforce de créer les
conditions propres à faciliter l'accès aux
ressources génétiques aux fins
d'utilisation écologiquement rationnelle par
d'autres Parties contractantes et de ne pas imposer de
restrictions allant à l'encontre des objectifs de
la présente Convention.
-
Aux fins de la présente Convention, on entend par
ressources génétiques fournies par une Partie
contractante, et dont il est fait mention dans le
présent article et aux articles 16 et 19
ci-après, exclusivement les ressources qui sont
fournies par des Parties contractantes qui sont des pays
d'origine de ces ressources ou par des Parties qui les
ont acquises conformément à la présente
Convention.
-
L'accès, lorsqu'il est accordé, est
régi par des conditions convenues d'un commun
accord et est soumis aux dispositions du présent
article.
-
L'accès aux ressources génétiques
est soumis au consentement préalable donné en
connaissance de cause de la Partie contractante qui fournit
lesdites ressources, sauf décision contraire de cette
Partie.
-
Chaque Partie contractante s'efforce de développer
et d'effectuer des recherches scientifiques
fondées sur les ressources génétiques
fournies par d'autres Parties contractantes avec la
pleine participation de ces Parties et, dans la mesure du
possible, sur leur territoire.
-
Chaque Partie contractante prend les mesures
législatives, administratives ou de politique
générale appropriées,
conformément aux articles 16 et 19 et, le cas
échéant, par le biais du mécanisme de
financement créé en vertu des articles 20 et
21, pour assurer le partage juste et équitable des
résultats de la recherche et de la mise en valeur
ainsi que des avantages résultant de l'utilisation
commerciale et autre des ressources génétiques
avec la Partie contractante qui fournit ces ressources. Ce
partage s'effectue selon des modalités
mutuellement convenues.
-
10 B.M. Knoppers, « Sovereignty
and Sharing », dans T.A. Caulfield et B.
Williams-Jones (réd.), The
Commercialization of Genetic Research : Ethical, Legal, and Policy
Issues. Kluwer Academic et Plenum Publishers, New York,
p. 1, 1999.
-
11 E.R. Gold, « Making Room :
Reintegrating Basic Research, Health Policy, and Ethics into Patent
Law », dans T.A. Caulfield et B. Williams-Jones
(réd.), The Commercialization of Genetic
Research : Ethical, Legal, and Policy Issues, Kluwer Academic et Plenum Publishers, New York, p.
63, 1999.
-
12 Ibid.
-
13 M.A. Heller et R.S. Eisenberg, « Can Patents Deter Innovation? The Anticommons in Biomedical
Research », Science, no 280
(1998), p.698.
-
14 M.K. Cho, « Ethical and Legal
Issues in the 21st Century », dans Preparing for the Millennium : Laboratory Medicine in the
21st Century », deuxième édition, 4
et 5 septembre 1998, AACC Press, Washington, D.C., 1998.
-
15 T.A. Caulfield et E.R. Gold, « Genetic testing, ethical concerns, and the role of patent law
», Clinical Genetics, no 57
(2000), p.370.
-
16 616B.M. Knoppers, M. Hirtle et K.C. Glass, «
Commercialization of Genetic Research and Public
Policy », Science,
no 286 (1999), p.2277.
-
17 R.P. Merges et R.R. Nelson, « On the Complex Economics of Patent Scope »,
Colum. L. Rev., no 90 (1990), p.839.
-
18 B.M. Knoppers, « Status, sale
and patenting of human genetic material: an international
survey », Nature
Genetics, no 22(1999), p.23.
-
19 E.R. Gold, « Making Room :
Reintegrating Basic Research, Health Policy, and Ethics into Patent
Law », dans T.A. Caulfield et B. Williams-Jones
(réd.), The Commercialization of Genetic
Research : Ethical, Legal, and Policy Issues, Kluwer
Academic et Plenum Publishers, New York, p. 63, 1999.
-
20 Ibid.
-
21 Ibid.
|