![cccb-cbac](/web/20071116041842im_/http://cbac-cccb.ca/epic/home.nsf/images/ah_top_image.jpg/$FILE/ah_top_image.jpg)
![Naviguer](/web/20071116041842im_/http://cbac-cccb.ca/epic/home.nsf/images/ah_browse_f.jpg/$FILE/ah_browse_f.jpg)
|
![](/web/20071116041842im_/http://cbac-cccb.ca/epic/home.nsf/images/spacer.gif/$FILE/spacer.gif) |
Accueil
Publications
Recherche
2000
La biotechnologie, l'éthique et l'État : Synthèse
Préparé pour
Le Comité de direction de projet sur l’intégration
des préoccupations sociales et éthiques dans la
biotechnologie du Comité consultatif canadien de la
biotechnologie
par Michael McDonald
Novembre 2000
Table de matières
-
Résumé
-
Avant-propos
-
Introduction
-
Section I : L’État,
l’éthique et le bon gouvernement
-
La Stratégie nationale en
matière de biotechnologie
-
Un souci croissant de
l’éthique
-
Les rôles et les
responsabilités de l’État
-
Les aspirations en matière de
bonne intendance
-
Section II : Qu’est-ce que
l’éthique et qu’a-t-elle à offrir
à la politique gouvernementale?
-
Les jugements éthiques comme
jugements « toute réflexion faite »
-
L’éthique comme champ
d’étude systématique
-
Éthique descriptive
-
Éthique
théorique
-
Éthique normative
-
Éthique et politique
gouvernementale – l’exemple de la SBTr
-
Justification des choix moraux
-
Primauté aux fins
– points de vue conséquentialistes
-
Primauté aux moyens
– points de vue déontologiques
-
Justice
-
L’éthique a-t-elle
des fondements?
-
Mise en pratique de
l’éthique – règles et principes
-
Section III : Éthique et politique
gouvernementale – appréciation judicieuse des facteurs
d’éthique pertinents
-
Recours aux principes
généralement reconnus
-
Principes fondamentaux de la
société canadienne
-
Facteurs d’éthique
applicables à la politique gouvernementale
-
Section IV : Grandes questions
d’éthique reliées à la politique
gouvernementale et à la biotechnologie
-
Aborder l’incertitude
-
Analyse et perception des
risques – points de vue scientifiques
-
Arguments en faveur de perspectives
plus globales
-
Quatrième obstacle – le
contrôle de la biotechnologie par la
société
-
Respect de la nature et
réification
-
Réglementation et promotion
parallèles – les conflits
d’intérêts
-
Prestation de conseils
d’éthique au sujet de la politique en
matière de biotechnologie
-
Trois exemples de comités
consultatifs sur l’éthique en
biotechnologie dans d’autres pays
-
Accord international apparent
concernant les normes d’éthique
-
Section V : Lacunes d’information et
thèmes possibles de recherche future
-
Les principes de précaution
et certains autres critères permettant de traiter la
question du compromis entre les avantages et les dangers dans
un contexte d’incertitude
-
Restrictions imposées
à la biotechnologie par le « quatrième
obstacle »
-
Promouvoir tout en réglementant
– comment éviter les conflits
d’intérêts et gérer des obligations
contradictoires
-
Sources normatives pour la régie
de la biotechnologie au Canada
-
Travaux effectués dans
d’autres pays au sujet de la biotechnologie et de
l’éthique
-
Conclusion
-
Résumé
Le présent rapport a pour objectif a) d’offrir une
synthèse de six documents sur l’éthique et
la biologie élaborés à l’intention du
gouvernement canadien et b) d’indiquer les lacunes
d’information relevées dans ces documents. Le point
de départ de notre propos est le rôle du
Comité consultatif canadien de la biotechnologie (CCCB)
comme conseiller du gouvernement du Canada sur tous les aspects
de la biotechnologie, y compris ses dimensions
socio-éthiques et juridiques.
La Section I traite de la participation du gouvernement canadien
à la biotechnologie, surtout dans les domaines où
les questions d’éthique sont importantes. Elle
décrit l’évolution de la situation depuis la
Stratégie nationale en matière de biotechnologie,
qui était axée principalement sur le
développement économique, jusqu’à la
Stratégie canadienne en matière de biotechnologie,
dont l’orientation est beaucoup plus globale. Elle donne
une analyse des rôles et des responsabilités du
gouvernement et des aspirations générales
concernant la régie de la politique canadienne en
matière de biotechnologie.
La Section II présente une vue d’ensemble de
l’éthique et en explique les concepts et les
démarches de base. Les jugements éthiques y sont
décrits comme des jugements intégrants, globaux ou
« toute réflexion faite », lesquels
nécessitent l’intégration judicieuse de
différents types de connaissances et de
compétences spécialisées.
L’éthique, ou la philosophie morale, implique
l’étude systématique de normes et de valeurs
manifestées dans des actions (le bien et le mal), des
conséquences (bonnes et mauvaises) et des
caractères (la vertu et le vice) particuliers.
L’éthique se subdivise en trois branches,
l’éthique descriptive, l’éthique
théorique et l’éthique normative, dont
chacune se rapporte à la politique en matière de
biotechnologie, comme on a pu le constater dans l’affaire
de la somatotropine bovine recombinante (SBTr). En politique,
certains allèguent que les revendications de nature
éthique sont fondées sur l’appel à
des principes généraux, des principes qui sont
souvent d’acceptation générale, mais qui
n’en peuvent pas moins faire l’objet
d’argumentations et de révisions.
La Section III se base sur l’analyse
précédente des concepts de l’éthique
pour montrer comment l’éthique peut éclairer
la politique gouvernementale. Plus précisément,
elle décrit le recours à l’éthique en
politique gouvernementale comme la recherche d’un
équilibre judicieux entre plusieurs considérations
pertinentes, tout particulièrement certains principes
d’usage courant. Dans une société
démocratique libérale, l’élaboration
de la politique gouvernementale fait appel aux principes
libéraux et démocratiques. Les analyses du
caractère éthique de la politique gouvernementale
dans le contexte canadien prennent leurs racines dans un sol
fertile enrichi par les principes de
l’égalité devant et dans la loi, de la
participation démocratique au gouvernement, de
l’obligation de rendre compte, de
l’égalité des personnes dans la
dignité, du pluralisme, du multiculturalisme, et ainsi de
suite. Certains de ces principes sont fondamentaux
(l’égalité dans la dignité),
d’autres sont de procédure
(l’égalité devant et dans la loi) et
d’autres encore ont trait aux normes de bonne intendance
dans une société démocratique – la
transparence (des processus décisionnels ouverts) et
l’obligation des gouvernants de rendre compte aux
gouvernés.
La Section IV formule une description générale des
grands thèmes d’éthique en biotechnologie
ainsi que de certaines démarches adoptées par les
gouvernements à leur endroit. On y pose quatre questions
majeures concernant l’éthique en biotechnologie :
1) Comment la politique gouvernementale devrait-elle aborder les
incertitudes réelles ou perçues au sujet de la
biotechnologie? 2) La société devrait-elle
détenir le contrôle de la biotechnologie? 3) La R-D
en biotechnologie manifeste-t-elle suffisamment le «
respect de la vie »? 4) Comment le gouvernement peut-il
concilier son rôle de promoteur de la biotechnologie avec
ses responsabilités importantes de réglementation?
Nous verrons aussi trois exemples de l’action de
comités consultatifs de biotechnologie dans des pays
étrangers.
Pour finir, la Section V propose des orientations futures
à la recherche dont cinq objets principaux : 1) le
principe de précaution et certains autres critères
permettant de traiter la question du compromis entre les
avantages et les dangers dans un contexte d’incertitude,
2) les restrictions propres à ce que l’on appelle
le « quatrième obstacle » à la
biotechnologie, 3) les préoccupations causées par
le rôle bivalent d’un gouvernement qui
s’occupe à la fois de promouvoir et de
réglementer la biotechnologie dans les secteurs
privé et public, 4) les sources normatives nationales,
étrangères, professionnelles, industrielles et
autres pour la régie de la biotechnologie au Canada, et
5) les travaux gouvernementaux, quasi gouvernementaux et
professionnels effectués actuellement dans les autres
pays au sujet de l’éthique et de la biotechnologie,
et aussi ceux effectués par des ONG.
-
Avant-propos
Le présent rapport répond à une commande du
CCCB et vise deux objectifs principaux. Le premier est
d’offrir une synthèse de six documents sur
l’éthique et la biotechnologie
élaborés à l’intention du
gouvernement canadien entre 1996 et 1999. Le deuxième est
d’évaluer la situation du gouvernement canadien,
d’après ces documents, en matière
d’éthique de la biotechnologie et de cerner des
thèmes de recherche future.
Trois des six écrits en question, élaborés
à l’intention du Groupe de travail sur la
Stratégie canadienne en matière de biotechnologie,
ont paru en 1998 sous la forme d’un document de
référence intitulé Renouvellement de la
stratégie canadienne en matière de
biotechnologie :
-
« Éthique et biotechnologie : Le rôle du
gouvernement du Canada », par Derek Jones (1997).
-
« Making Ethically Acceptable Policy
Decisions : Challenges Facing the Federal Government
», par Ted Schrecker et Margaret A. Somerville.
-
« Biotechnology, Ethics and Government
: Report to the Interdepartmental Working Group on
Ethics », par Ted Schrecker, Barry Hoffmaster,
Margaret A. Somerville et Alex Wellington.
Les trois autres ont paru séparément :
-
« Socioethical Implications of
Biotechnology », par Jennifer Espey et
al., rapport commandité par le ministère
de la Diversification de l’économie de
l’Ouest (1997).
-
« Government & Biotechnology :
Ethics Frameworks to Manage Moral Uncertainty & Policy
Development », par Derek Jones, un rapport
élaboré pour le groupe de travail sur
l’éthique et la confiance du public à
l’endroit de la Stratégie canadienne en
matière de biotechnologie (1998).
-
« Towards a Coherent Ethics Framework
for Biotechnology in Canada », par Derek Jones,
rapport élaboré pour le Comité
interministériel du gouvernement du Canada sur
l’éthique et la biotechnologie (1999).
En rédigeant la présente synthèse,
l’auteur s’est efforcé de relever les lacunes
possibles dans la recherche, mais ne considère pas cette
synthèse comme le rapport d’une recherche nouvelle.
Évidemment, en résumant plusieurs centaines de
pages, il a fallu sacrifier des détails au profit de
l’exhaustivité et de la clarté.
L’espace manquait pour passer complètement en revue
tout ce que contiennent les six documents originaux au sujet de
l’éthique, du droit, de l’État, de la
science, du risque, etc.
Je tiens à remercier les membres du CCCB, en particulier
le Dr Arthur Hanson, la Dre
Françoise Baylis et M. Jonathan Syms, et aussi
Mme Linda S. Williams, conseillère principale
en matière de politiques auprès du CCCB, pour
leurs commentaires sur le plan et l’ébauche du
présent rapport.
Michael McDonald
Titulaire de la chaire Maurice Young d’éthique
appliquée
Centre for Applied Ethics
Université de la Colombie-Britannique
(S:\CBST\AMENU\Phase-4\CBAC\Committees cbac\Steering
Com\Ethics\McDfinal.doc)
-
Introduction
Tel qu’indiqué plus haut, le présent rapport
à pour objectif a) d’offrir une synthèse de
six documents sur l’éthique et la biotechnologie
élaborés à l’intention du
gouvernement canadien et b) d’indiquer les lacunes
d’information relevées dans ces documents,
c’est-àdire que, le point a) étant
donné, il est justifié de poser la question b) :
qu’est-ce que ces six documents apportent au CCCB et quels
genres de rapports, d’études ou de recherches
pourraient faire avancer l’analyse de la situation
au-delà des domaines couverts par les six documents
déjà produits? Le point de départ du
rapport est le rôle du CCCB comme conseiller du
gouvernement du Canada sur tous les aspects de la
biotechnologie.
Le rapport se compose de cinq sections. La Section I traite de
la participation du gouvernement canadien à la
biotechnologie, surtout dans les domaines où les
questions d’éthique sont importantes. Elle donne
une analyse des rôles et des responsabilités du
gouvernement et des aspirations générales
concernant la régie de la politique canadienne visant la
biotechnologie. La Section II présente une vue
d’ensemble de l’éthique et en explique les
concepts et les démarches de base. La Section III se base
sur l’analyse précédente des concepts de
l’éthique pour montrer comment
l’éthique peut éclairer la politique
gouvernementale. La Section IV formule une description
générale des grandes questions
d’éthique posées au sujet de la politique
gouvernementale en matière de biotechnologie. Pour finir,
la Section V propose des orientations futures à la
recherche dont cinq objets principaux, en tirant des
leçons des pratiques du Canada et d’autres pays en
ce qui concerne l’éthique et la politique
gouvernementale.
-
Section 1 : L’État,
l’éthique et le bon gouvernement
-
La stratégie nationale en
matière de biotechnologie
La stratégie nationale en matière de
biotechnologie (SNMB), lancée en 1983 1, est un bon point de
départ au présent rapport. Conçue
dans le but d’accélérer le
développement industriel, la SNMB avait quatre
objectifs :
-
axer la R-D en biotechnologie sur des domaines
d’importance stratégique pour le Canada;
-
favoriser la création de ressources humaines
pour la biotechnologie;
-
faciliter la collaboration entre les secteurs
engagés dans la biotechnologie;
-
mettre en place un climat favorable à
l’investissement en biotechnologie.
Le mandat de promouvoir la biotechnologie est allé
à Industrie Canada en collaboration avec
Santé Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada
et Environnement Canada. Santé Canada était
chargé de la réglementation de la
biotechnologie et les autres ministères
s’occupaient à la fois de réglementer
et de promouvoir la biotechnologie. Plusieurs
réseaux de biotechnologie ont été
établis afin de faciliter la coopération
entre les secteurs public et privé. Le Conseil
national de recherches consacrait aussi des ressources
importantes à la R-D en biotechnologie.
La SNMB a contribué à la constitution
d’une robuste industrie de la biotechnologie au
Canada. En 1995, le pays comptait 500 entreprises de
biotechnologie employant au total 23 000 personnes et
produisant des revenus annuels de 2 milliards de dollars.
Ces entreprises s’attachaient à
l’élaboration d’applications de la
biotechnologie dans les domaines des soins de santé
(44 p. 100), de l’aquiculture et de
l’agriculture (28 p. 100), des produits chimiques
(17 p. 100), de l’environnement (10 p. 100) et des
mines, des forêts et de l’énergie (1 p.
100)2.
Aujourd’hui, les produits biotechnologiques sont
d’usage courant au Canada. En médecine, ils
comprennent l’insuline, l’hormone de
croissance humaine, des vaccins et de nouveaux traitements
du cancer. En agriculture, le meilleur exemple des
réalisations de la biotechnologie est le colza
canola génétiquement modifié et
résistant aux herbicides3. Dans le secteur des
forêts, la bactérie Bacillus thuringiensis
sert à la lutte dirigée contre la tordeuse
des bourgeons de l’épinette et la spongieuse.
-
Un souci croissant de
l’éthique
Au moment de la mise en œuvre de la SNMB, le public
manifestait des craintes grandissantes au sujet de la
biotechnologie, et le gouvernement et l’industrie
sont devenus plus sensibles à ces
préoccupations. Les critiques visaient tout
particulièrement le rôle ambigu d’un
gouvernement qui s’occupait à la fois de
promouvoir et de réglementer la biotechnologie. En
réaction à ces critiques et aux
inquiétudes du public, il s’est formé
un certain nombre de groupes interministériels
fédéraux, dont le sous-groupe de
sensibilisation du public, le sous-groupe de la
propriété intellectuelle et le sous-groupe
des communications. Au début des années
1990, il s’est tenu divers ateliers
réunissant des intervenants du domaine sur des
thèmes tels que les modifications proposées
à la Loi sur la protection de
l’environnement (1992), la sensibilisation du
public à la biotechnologie (1993),
l’élaboration de lignes directrices sur
l’étiquetage des aliments
génétiquement modifiés (1994) et les
applications de la lutte dirigée contre les
ravageurs forestiers (1995). En 1994, les participants
à un atelier interministériel sur les
préoccupations d’ordre éthique
soulevées par la biotechnologie ont formulé
quatre questions très pertinentes :
-
Faudrait-il élaborer des directives et des
règles ministérielles ou modifier les
directives et règles existantes afin de tenir
compte de l’éthique?
-
Une nouvelle politique devrait-elle être
élaborée et, dans l’affirmative,
à quel niveau?
-
Y aurait-il lieu de créer des comités
d’éthique à l’échelon
ministériel ou interministériel?
-
Faudrait-il créer un comité
réunissant les parties prenantes?
On trouve d’autres expressions des
préoccupations du public et du gouvernement au
sujet de la biotechnologie dans plusieurs rapports
diffusés par des organismes et des commissions
financés par l’État. Mentionnons
certains des thèmes abordés :
-
Les répercussions éthiques des tests
génétiques4
-
La propriété des tissus humains5
-
La thérapie génétique6
-
Les banques d’ADN et la protection des
renseignements personnels7
-
Les nouvelles techniques de reproduction faisant appel
à la recherche en biotechnologie et à ses
applications8
-
L’étiquetage des aliments
génétiquement modifiés9
Les sujets de ces documents offrent un échantillon
représentatif de certaines des grandes questions
d’éthique en biotechnologie. Chacun
d’entre eux pourrait être perçu comme
présentant des possibilités optimistes et
pessimistes découlant, dans bien des cas, de choix
difficiles à poser sur le plan de
l’éthique. Ainsi, d’une part, il est
possible que les tests génétiques
fournissent aux gens des renseignements précieux au
sujet de leur santé et puissent
éventuellement mener à des traitements
efficaces contre certaines maladies. D’autre part,
il est possible aussi que les tests
génétiques entraînent de la
discrimination en matière d’emploi et
d’assurances à l’endroit des personnes
porteuses de marqueurs génétiques
particuliers; ils pourraient même aggraver la
stigmatisation et la marginalisation de certains groupes.
En matière non médicale, les aliments (et
les organismes) génétiquement
modifiés promettent un approvisionnement
alimentaire plus sûr, moins coûteux et
meilleur. Par contre, bien des gens craignent les «
aliments manipulés à la Frankenstein »
et le danger de créer des super-mauvaises herbes et
d’autres effets nuisibles (p. ex., la
détérioration de la diversité
biologique à cause de
l’échappée dans la nature de graines
de semence et de poissons génétiquement
modifiés). Chacune des sources
d’inquiétude mentionnées dans ces
rapports fait naître des questions difficiles
concernant des choix complexes. Il s’agit notamment
de questions concernant les risques et la
sécurité (p. ex., à qui le fardeau de
la preuve incombe-t-il?), l’équité (p.
ex., telle ou telle nouvelle technologie impose-t-elle un
fardeau injuste à certaines personnes?), la
dignité humaine (p. ex., la manipulation
génétique peut-elle donner naissance
à des surhommes ou à des sous-hommes?) et le
contrôle de la nature par les humains (p. ex., la
biotechnologie représente-t-elle une
amélioration de l’ordre naturel ou une
attaque à son endroit?). Un bon nombre de ces
enjeux sont reliés entre eux par les
inquiétudes concernant le rôle de
l’État dans la promotion et la
réglementation de la biotechnologie.
En 1998, la SNMB était remplacée par la
Stratégie canadienne en matière de
biotechnologie (SCB), laquelle avait pour but
d’assurer un équilibre entre le
développement industriel et le souci des valeurs
sociales et de l’éthique. La SCB proposait
aussi la création du CCCB. Créé en
1999, cet organe indépendant conseille le
gouvernement sur les questions socio-éthiques
liées à la biotechnologie et leurs
incidences sur la politique gouvernementale, et aussi dans
de nombreux autres domaines connexes comme les dimensions
sociales, éthiques, légales,
environnementales, réglementaires,
économiques, scientifiques et de santé de la
biotechnologie. Dans le cadre de l’ancienne SNMB, il
y avait un organe consultatif, appelé Comité
consultatif national de la biotechnologie (CCNB) et
composé de chefs d’entreprises de
biotechnologie et de chercheurs universitaires en
biotechnologie, qui rendait compte à Industrie
Canada. Avec la nouvelle SCB, le CCCB se compose de
personnes venues du monde scientifique, du monde des
affaires, du grand public, et des domaines de
l’éthique et de l’environnement, et il
est comptable envers les ministres des sept
ministères fédéraux s’occupant
de biotechnologie10.
Une part du mandat du CCCB est de « sensibiliser le
public à la biotechnologie et faire participer les
Canadiens à un dialogue au sujet des questions
soulevées par le développement et la mise en
application de la biotechnologie11 ». À cette fin,
le CCCB s’est doté de comités
permanents qui se consacrent à la bonne intendance
(« les dimensions sociales, éthiques,
légales, environnementales et réglementaires
»), au développement économique et
social (« les réalisations scientifiques
menant à des innovations biotechnologiques et
à leurs applications à la santé,
à l’environnement et à
l’économie ») et à la
participation des citoyens.
-
Les rôles et les
responsabilités de l’État
En ce qui touche la biotechnologie, le gouvernement a
figuré jusqu’à maintenant dans des
rôles nombreux et divers. En voici des exemples :
-
l’investissement de fonds publics dans la R-D,
soit par des organismes du secteur public (p. ex.,
Agriculture Canada), soit au moyen de subventions ou
d’autres modes d’aide financière aux
chercheurs des universités ou du secteur
privé;
-
la mise en œuvre de programmes de partage des
coûts afin d’aider l’industrie
à établir des rapports de collaboration
avec les universités et les groupes de recherche
provinciaux;
-
la promotion et le financement d’échanges
de personnel entre les centres de recherche du
gouvernement fédéral, des gouvernements
provinciaux, des universités et de
l’industrie;
-
des initiatives visant à harmoniser les
règlements nationaux et internationaux avec le
développement de la biotechnologie au Canada;
-
tout récemment, par l’intermédiaire
du CCCB, rechercher expressément les conseils
d’experts et la participation des citoyens
concernant les dimensions multiples de la
biotechnologie, y compris les enjeux éthiques,
légaux, sociaux, économiques et
scientifiques auxquels elle donne lieu.
Ces efforts de l’État pour encourager la
biotechnologie devraient être perçus comme
étant reliés aux responsabilités de
régie centrale propres au gouvernement
fédéral (certaines de ces
responsabilités étant partagées avec
les gouvernements provinciaux), qui consistent
premièrement à agir en fiduciaire des
obligations, des mandats et des fonds publics. En
deuxième lieu, l’État détient
des responsabilités importantes dans les domaines
de la santé et de la sécurité
publiques. Troisièmement, il assume des
responsabilités découlant des rôles
qu’il joue en R-D, soit directement (au moyen, p.
ex., de subventions de recherche et de programmes de
recherche internes) soit indirectement (au moyen, p. ex.,
de politiques fiscales et de leadership).
Quatrièmement, le gouvernement a des
responsabilités de normalisation et de
réglementation en ce qui a trait aux brevets, aux
licences et aux statuts. La normalisation agit directement
dans certains cas et dans d’autres, elle agit
indirectement par l’utilisation des pouvoirs de
dépenser12. En
cinquième lieu, et principalement par
l’intermédiaire des tribunaux administratifs,
le gouvernement assume des responsabilités
officielles touchant le règlement des
différends et, au moyen de la jurisprudence, en
matière d’encadrement des réclamations
fondées sur le droit. Sixièmement, le
gouvernement fédéral acquiert des
responsabilités à la suite de conventions
conclues avec d’autres pays dans des domaines qui
ont de l’importance pour la biotechnologie, comme la
santé, la recherche scientifique et
biomédicale, les règlements agricoles, le
commerce international et d’autres champs connexes
(p. ex., la propriété intellectuelle).
Enfin, septièmement, les gouvernements
démocratiquement élus ont le devoir
d’être sensible à la voix de leurs
citoyens et de rendre des comptes à leurs
administrés.
-
Les aspirations en
matière de bonne intendance
Les gouvernements et les administrations publiques de tous
les ordres ont la responsabilité de respecter les
normes de bonne intendance. Selon les chercheurs du Centre
d’études en gouvernance, à
l’Université d’Ottawa, la régie
au niveau organisationnel concerne « les processus
au moyen desquels s’orientent les organisations
humaines, qu’elles soient privées, publiques
ou citoyennes 13
». Le Centre souligne également
qu’à ce niveau, la gouvernance touche :
-
les façons complexes dont les organisations
privées, publiques et sociales interagissent les
unes avec les autres et apprennent les unes des autres;
-
la manière dont les citoyens contribuent,
directement et indirectement, au système de
conduite des affaires publiques en participant aux
institutions publiques et à celles de la
société civile et du monde des affaires;
-
les instruments, les règlements et les processus
qui définissent les « règles du
jeu14 ».
La gouvernance d’une organisation telle qu’un
gouvernement, une université ou une entreprise
comporterait donc des traits communs, entre autres «
une mission claire; la responsabilité;
l’obligation de rendre compte; la transparence; la
bonne intendance; la flexibilité; une
continuité assurée; la
représentation; et la simplicité15 ».
L’accomplissement de la mission de
l’organisation est primordial, qu’il
s’agisse de réaliser des profits,
d’exécuter des bonnes œuvres ou de
gouverner. Dans le cas d’organisations
bureaucratiques complexes, une des préoccupations
importantes est celle de la gestion des risques propres au
mandat, c’est-à-dire, « les risques qui
sont imposés aux mandants en raison du fait que les
mandataires ont des intérêts susceptibles
d’entrer en conflit avec ceux des mandants
qu’ils sont censés servir16 ». En très
grande partie, une régie saine consiste à
maintenir l’organisation sur la bonne voie et, plus
précisément, à défendre
l’organisation contre les forces aptes à la
faire dévier de la bonne voie. Pour maîtriser
les risques propres au mandat, les organisations doivent
établir des liens de responsabilité et se
doter d’un mélange judicieux de moyens
d’incitation et de dissuasion ainsi que des boucles
de rétroaction nécessaires à
l’assurance et à l’amélioration
de la qualité. Au niveau interorganisationnel, une
régie saine se concentre avant tout sur la
qualité morale des rapports des organisations entre
elles et avec leurs propres intéressés
– par conséquent, la fiabilité, le
sens des responsabilités et
l’équité en sont également des
éléments fondamentaux. Toute organisation
doit encadrer la poursuite de ses objectifs selon les
principes généraux de la morale, comme la
limitation du recours à la force, la protection des
vulnérables et le respect des droits de la
personne.
Il convient de signaler que plusieurs des
éléments de la gouvernance sont
contestables, tout particulièrement en ce qui a
trait à la responsabilité « politique
» par opposition à la responsabilité
de « gestion ». La responsabilité de
gestion porte sur « l’exécution de
tâches convenues selon des critères de
rendement convenus », alors que la
responsabilité politique est assumée dans
des domaines où il y a débat sur les
degrés appropriés d’ouverture et sur
l’orientation des obligations. Les différends
concernant la responsabilité politique
s’expriment dans des débats sur le rôle
du public dans l’élaboration des politiques.
C’est ainsi, par exemple, que le modèle
traditionnel de consultation du public consistait à
tenir des réunions à huis clos avec des
spécialistes, alors que le modèle
contemporain de consultation se fonde plutôt sur des
réunions ouvertes avec tous les
intéressés17.
-
Section II : Qu’est-ce que
l’éthique et qu’a-t-elle à offrir
à la politique gouvernementale?
Tel que déjà mentionné, le gouvernement du
Canada a lancé un certain nombre d’initiatives
visant l’éthique et la biotechnologie. Le
gouvernement fédéral doit aussi faire face
à des questions d’éthique en rapport avec
ses responsabilités de régie tant à
l’interne, au sein de l’administration publique,
qu’à l’externe dans ses relations avec des
organisations telles que les gouvernements étrangers,
l’industrie, les ONG ou le grand public. Ce qui a le plus
d’importance, c’est que le gouvernement
fédéral, au moyen de la SNMB d’abord et
maintenant de la SCB, reste l’un des principaux
activateurs et agents de changement dans le secteur canadien de
la biotechnologie. En effet, en adoptant la SCB, le gouvernement
reconnaît l’importance de l’éthique et
des autres facteurs sociaux dans l’élaboration de
sa politique en matière de biotechnologie. Par ailleurs,
pour comprendre les responsabilités de
l’État et celles des autres intervenants du
domaine, il faut d’abord décrire brièvement
les jugements éthiques et l’éthique
elle-même.
-
Les jugements éthiques comme
jugements « toute réflexion faite »
Les jugements éthiques ne sont pas des jugements
exclusifs; ils sont intégrants, globaux et
posés « toute réflexion faite ».
Le théoricien canadien de la morale Thomas Hurka
explique clairement ce point dans un ouvrage sur
l’éthique du réchauffement de la
planète :
« Un jugement éthique au sujet de la
politique relative au climat n’est pas seulement un
jugement à apprécier au même titre que
des jugements d’ordre économique, politique
ou autre au moment de décider, toute
réflexion faite, comment agir. En effet, le
jugement éthique est, en luimême, un jugement
« toute réflexion faite » qui tient
compte des facteurs économiques et autres. Si une
politique climatique est bonne, elle est bonne, un point
c’est tout; si elle est contraire à
l’éthique, elle est mauvaise, un point
c’est tout18
». (traduction libre)
Cela veut dire qu’en posant un jugement concernant
le réchauffement de la planète ou la
biotechnologie, l’éthique n’est pas un
facteur à peser de la même façon que
d’autres facteurs tels que ceux de nature
légale, scientifique ou économique. Un
jugement éthique solide intègre tous ces
autres facteurs. Puisqu’un jugement éthique
autorisé est applicable à la reconnaissance
et à la compréhension des facteurs
pertinents et de leur action réciproque, il faut
absolument faire intervenir une combinaison de
compétences d’experts. Dans une telle
entreprise de coparticipation, le rôle des
éthiciens est d’aider, d’après
leurs connaissances de l’éthique
théorique et leurs travaux en éthique
appliquée, à comprendre les façons
complexes dont ces jugements intégrants peuvent
être posés, critiqués et
justifiés.
-
L’éthique comme
champ d’étude systématique
L’éthique, ou la philosophie
morale, implique l’étude systématique
de normes et de valeurs manifestées dans des
actions (le bien et le mal), des conséquences
(bonnes et mauvaises) et des caractères (la vertu
et le vice) particuliers. L’éthique est
généralement subdivisée en trois
branches : l’éthique descriptive,
l’éthique théorique et
l’éthique normative19.
-
L’éthique descriptive
a pour objet d’expliquer
systématiquement les valeurs réelles
des gens20. Elle
pourra chercher, par exemple, à comprendre
pourquoi une population particulière semble
s’inquiéter plus fortement d’un
vague risque de maladies relié aux aliments
génétiquement modifiés que du
risque beaucoup plus significatif, sur le plan
statistique, d’une intoxication alimentaire
pouvant être causée par
l’ingestion de viande non
réfrigérée. Ce comportement
s’explique-t-il simplement par le
caractère peu familier du premier risque par
rapport au second ou y a-t-il d’autres
raisons, par exemple, le manque relatif de
contrôle que les gens ressentent en consommant
un aliment génétiquement
modifié non étiqueté, en
comparaison avec une pièce de viande
contaminée? Du point de vue de la politique,
le cas de la viande avariée pourrait se
régler à l’aide d’un
programme d’information du public alors que
celui des aliments GM serait peut-être mieux
servi par un régime d’étiquetage
des produits afin de permettre aux consommateurs de
faire un choix éclairé. Autrement dit,
il peut devenir important, dans la pratique de la
prise de décisions, de comprendre les
préoccupations qui motivent le comportement
des gens.
« Ethos », la racine grecque du
mot « éthique » et
« mores », la racine latine du
mot « morale », veulent dire la
même chose : « coutumes » ou
« mœurs ». Elles expriment toutes
les deux l’un des principaux objets de
l’éthique descriptive, celui de
décrire ce que les gens estiment bon,
moralement convenable ou louable, et vice-versa. En
éthique descriptive, l’objectif premier
du spécialiste en philosophe morale est de
reconstruire la ou les structures profondes,
c’est-à-dire, de cerner les principes
et les points de vue sous-jacents d’opinions
éthiques particulières. Puisque les
jugements éthiques sont des jugements «
toute réflexion faite », les principes
et les points de vue ainsi dégagés
doivent aussi être intégrants.
-
La deuxième branche de l’éthique
est celle de l’éthique théorique
(appelée techniquement «
méta-éthique »).
L’éthique
théorique consiste en l’examen
des divers concepts essentiels de
l’éthique. En biotechnologie, par
exemple, il pourrait s’agir de
déterminer si la notion de
sécurité est de nature normative ou
scientifique, ou encore, de voir
jusqu’à quel point le principe de
précaution est semblable ou différent
par rapport à une éthique tenant
compte des intérêts ou des droits des
générations futures21.
L’éthique théorique va plus loin
que l’éthique descriptive en raison de
son objectif de décrire et, surtout, de
justifier les opinions et les pratiques morales. Les
explications offertes par l’éthique
théorique peuvent avoir trait à la
signification, à la nature et à
l’objet du discours moral dans la vie humaine
et à l’évolution de ce discours
tout au long de l’histoire de
l’humanité. Les justifications peuvent
prendre la forme d’une reconstruction
rationnelle, c’est-à-dire,
l’articulation des principes de base, la
dérivation de principes auxiliaires et leur
application à des problèmes
particuliers et-ou la défense ou
l’analyse raisonnée de la forme de
justification offerte, par exemple, au moyen de
modèles de rationalité et de
comportement moral22. Le présent
paragraphe est en lui-même un exemple
d’éthique théorique parce
qu’il définit ou analyse les dimensions
fondamentales de l’éthique.
Les spécialistes de l’éthique
théorique conviennent presque tous que les
mœurs ou normes morales diffèrent des
autres genres de normes de comportement (telles que
l’intérêt personnel ou la
prudence, le droit, l’art, divers
métiers ou diverses compétences, les
bonnes manières, etc.) sur les cinq points
fondamentaux ci-après23. Ces points aident
à comprendre pourquoi les jugements
éthiques sont des jugements « toute
réflexion faite ».
-
Les mœurs sont associées à
des émotions et des normes
spéciales dont la culpabilité, la
honte, le remord, l’estime de soi et
l’indignation.
-
Les mœurs sont fondées sur des
considérations impartiales. Il est
impensable qu’une action donnée
– p. ex., un vol – soit bonne pour
moi mais mauvaise pour vous simplement parce que
vous, c’est vous et que moi, c’est
moi24.
-
Les mœurs ont trait à des
éléments qui sont jugés
importants pour le bien-être des humains25.
-
Les mœurs ne peuvent pas être
modifiées par décision de
l’autorité. Une action n’est
pas bonne ou mauvaise simplement parce que
quelqu’un déclare qu’il en est
ainsi. La moralité ne s’appuie sur
aucun parlement ni sur aucune cour suprême.
Les jugements moraux sont basés sur un
recours à des raisons, et à des
raisons qui sont, tel qu’indiqué
à l’article 2, impartiales.
-
Les mœurs sont censées
prévaloir sur les considérations
d’intérêt personnel; par
conséquent, le point de vue moral devient
supérieur à celui de
l’intérêt personnel ou de la
prudence. La moralité vise les «
meilleurs intérêts » de toutes
les personnes vivant ensemble dans une
collectivité. En vérité,
l’une des fonctions et des épreuves
principales d’une moralité est de
montrer la mesure dans laquelle elle arrive
à juger les conflits entre divers
individus d’une manière mutuellement
satisfaisante qui permet une coexistence
tolérante et respectueuse26.
-
L’éthique normative,
en comparaison, consiste à étudier en
profondeur les valeurs que les gens devraient avoir.
À titre d’exemple, en évaluant
les nouvelles applications de biotechnologie,
l’éthicien normatif se demandera si les
intérêts des générations
futures comptent autant, moins ou pas du tout par
rapport aux intérêts de la
génération actuelle27. Plutôt que de
donner des cadres explicatifs aux convictions
morales des gens, comme le fait
l’éthique descriptive,
l’éthique normative consiste à
déterminer si ces convictions sont saines ou
convenables28. Il
y a des divergences d’opinion
considérables – p. ex., au sujet de la
rectitude morale du brevetage de formes de vie
supérieures telles que la carcinosouris
transgénique mise au point à
l’université Harvard ou du brevetage,
par la société Myriad, d’une
séquence génétique comme la
séquence BRCA 1 et 2, qui signale des formes
héréditaires de cancer29. Le brevet est-il une
juste récompense de
l’ingénuité et de
l’investissement ou constitue-t-il
plutôt la privatisation de ce qui appartient
au domaine public ou, dans le cas de la
séquence génétique, au domaine
personnel?
Ainsi, l’éthique normative comporte des
jugements moraux – des jugements
décidant si une action est bonne ou mauvaise,
si une chose est équitable ou injuste, si une
personne agit vertueusement ou mal, si telle ou
telle situation est propice au bien-être ou au
mal-être. Ces jugements moraux sont
éclairés par l’éthique
descriptive, qui offre une vaste perspective sur les
affaires humaines, et par l’éthique
théorique, qui offre la connaissance des
diverses théories explicatives et
justificatives invoquées. Dans
l’éthique normative, les
spécialistes en philosophie morale cherchent
des normes d’une grande importance, à
savoir des normes impartiales qui sont essentielles
au bien-être humain, une valeur qui a
priorité sur tout conflit néfaste
d’intérêts personnels. Il
s’agit des normes qui permettent aux membres
des différentes collectivités
d’évaluer leurs mœurs, leurs
pratiques et leurs institutions juridiques et
sociales à partir d’un point de vue
commun, le point de vue moral. La définition
de ces normes est un élément critique
du processus de la politique gouvernementale.
-
Éthique et
politique gouvernementale – l’exemple de
la SBTr
Chacune des trois branches de l’éthique
est utile aux discussions sur la politique
gouvernementale. On trouve un bon exemple de cette
pertinence dans les débats entourant la vente
de la somatotropine bovine synthétique
(SBTr)30. En ce
qui concerne l’éthique descriptive, il
était important que le gouvernement comprenne
les valeurs des principaux intéressés
(les fabricants de SBTr, les producteurs laitiers,
les agriculteurs et la population en
général), et non seulement les valeurs
de chaque intéressé mais les raisons
motivant l’attribution de cette valeur, et
qu’il détermine tout
particulièrement comment les
inquiétudes au sujet de la SBTr
étaient liées à chacune des
valeurs fondamentales des intéressés.
Par ailleurs, pour faire des choix en matière
de politique gouvernementale – p. ex.,
concernant la réglementation – le
gouvernement devrait dépasser la
caractérisation des conflits de valeurs et
des affinités de valeurs tirée de
l’éthique descriptive. De façon
explicite ou implicite, les décisionnaires
entreraient alors dans le champ de
l’éthique normative en faisant des
choix de normes en vue de réglementer –
p. ex., les effets sur la santé humaine, le
bien-être des animaux, la stabilité de
l’industrie, l’environnement, etc.
– en tenant compte d’une foule
d’autres facteurs pertinents. Les
décisions à prendre donneraient lieu
aussi à des questions d’éthique
théorique telles que : la «
santé » et la «
sécurité » sont-elles des
concepts scientifiques neutres sur le plan des
valeurs ou plutôt des concepts chargés
de valeurs?
-
Justification des choix moraux
Dans les débats de politique gouvernementale, les
gouvernements opèrent des choix, quand ce ne serait
que de décider de remettre à plus tard et de
retarder leur choix final. Ces choix soulèvent des
questions d’éthique de base : peuvent-ils se
justifier, et comment? Ce que cela veut dire, c’est
que les personnes et les institutions faisant face
à des choix veulent opter pour la voie raisonnable,
celle de choix étayés par des raisons
solides. Très bien, mais il y a des raisons
nombreuses et différentes d’opérer tel
ou tel choix – p. ex., celui de permettre ou non la
vente de la SBTr en vue de son utilisation dans les
exploitations agricoles canadiennes. La décision
pourrait se fonder sur la politique actuelle, les
arguments des groupes de pression, les sondages
d’opinion publique, les précédents
administratifs, les sentiments personnels des hauts
fonctionnaires ou des hommes et femmes politiques, etc. Il
reste à espérer que la décision
s’appuiera sur de solides raisons morales qui, tel
que mentionné plus haut, sous-tendent des motifs
qui sont impartiaux, favorisent le bien-être des
humains, n’ont rien d’arbitraire et
dépassent toute considération
d’intérêts purement personnels.
Toutefois, pour justifier un tel choix, il faut recourir
à des arguments tirés de la morale,
c’est-à-dire qu’il est juste de
demander si un choix particulier peut se justifier
d’un point de vue moral que peuvent raisonnablement
accepter toutes les parties en cause. Le point de vue
moral ne devrait pas manifester uniquement les
intérêts de certaines des parties, mais de
tous les intéressés,
c’est-à-dire que le choix doit être
justifiable sur le plan interpersonnel.
Aujourd’hui, il convient de le dire, le débat
règne parmi les éthiciens au sujet de la
meilleure théorie normative à mettre au
service de la justification morale. Bien qu’il soit
impossible, dans le présent document, de couvrir en
entier le débat éthique, le présent
rapport peut quand même signaler certains aspects du
débat qui surgissent souvent dans le cadre des
discussions sur la politique gouvernementale. L’un
de ces enjeux est l’établissement d’un
rapport équilibré entre les moyens et les
fins. Un coup d’œil sur cette question nous
mènera ensuite à nous demander si et comment
les revendications dites morales peuvent être
prouvées ou appuyées.
-
Primauté aux
fins – points de vue
conséquentialistes
Il y a une grande différence entre situer le
fondement du raisonnement moral dans les fins et le
situer dans les moyens. Si le raisonnement se fonde
dans les fins, alors les fins justifient
littéralement les moyens utilisés pour
les atteindre. Selon l’une des
interprétations de cette perspective, les
fins ne sont que des éléments
donnés – ce que les gens veulent
à ce moment-là ou les
préférences qu’ils
révèlent dans l’économie
de bien-être contemporaine. Selon une autre
interprétation, seules des fins valables du
point de vue moral – p. ex., le bonheur humain
– peuvent justifier les moyens utilisés
pour atteindre ces fins. Les deux
interprétations sont de nature
essentiellement conséquentialiste : elles
affirment que seules les conséquences
comptent réellement.
Une théorie très influente axée
sur ce point de vue (le conséquentialisme, ou
la fin justifie les moyens) est celle de
l’utilitarisme. Les
utilitaristes estiment que le bonheur ou plaisir est
la seule fin qui vaille la peine d’être
poursuivie pour elle-même31. Mais cette opinion va
plus loin que de dire que chacun doive rechercher
son propre bien-être ou son
intérêt personnel. Ce que prônent
plutôt les utilitaristes, c’est que
chaque être humain ou exécutant moral a
l’obligation de rechercher le bonheur de tous
les êtres qu’il touche (non seulement
les humains, mais aussi les autres êtres sur
le bonheur desquels il influe, y compris les
animaux). Par conséquent, le bonheur devrait
être jugé de façon impartiale
comme précieux, sans égard aux effets
distributifs. Il y a plusieurs versions de
l’utilitarisme et chacune dépend de la
force avec laquelle est exprimée cette
obligation de faire progresser le bonheur collectif.
Dans sa forme classique la plus puissante,
l’utilitarisme est l’opinion selon
laquelle quiconque fait un choix a
l’obligation d’opter pour une solution
qui maximalise le bonheur général. En
conséquence, dans l’affaire de la SBTr,
un utilitariste pourrait fort bien affirmer que la
décision de ne pas autoriser la vente de la
somatotrophine était justifiée par le
fait que ses effets négatifs sur le
bien-être des animaux dépassaient de
loin tout gain de compensation en efficience
économique.
L’utilitarisme a influencé lourdement
la pensée moderne, surtout en
économie. La branche normative de
l’économie connue sous le nom
d’économie de bien-être se base
sur des principes utilitaristes puissants.
L’économie de bien-être est le
fondement de méthodes très importantes
de gestion et de réglementation – p.
ex., l’analyse coûtsavantages. Plusieurs
de ces méthodes s’appuient sur
l’idée de marchés de
substitution dans lesquels on tente de
déterminer un prix lorsqu’il n’y
a pas de marché réel. Des sondages,
par exemple, peuvent servir à
déterminer ce qu’une personne ou un
groupe est disposé à payer pour
réaliser un avantage ou pour éviter
une conséquence négative. Ce prix
artificiel est parfois appelé prix fictif.
-
Primauté
aux moyens – points de vue
déontologiques
À l’opposé de la perspective
conséquentialiste voulant que les fins
justifient les moyens, on retrouve une opinion selon
laquelle, d’un point de vue moral, des
contraintes inhérentes d’ordre
éthique s’imposent sur le choix des
moyens et, tout particulièrement, des types
d’actions qui ne doivent jamais être
posées, même si elles promettent de
bons résultats, et des types d’actions
qu’il faut poser même si elles ne
produisent pas de bons résultats. Cette
vision des choses se manifeste beaucoup dans la
morale élémentaire du bon sens, qui
voit quelque chose d’intrinsèquement
mauvais dans le manquement aux promesses, le
mensonge ou le recours à la violence contre
autrui, peu importe la quantité de bien
réalisé ou de mal évité
en agissant ainsi. Cette préoccupation
concernant le caractère des actes au lieu de
leurs résultats se retrouve également
dans l’éthique de la vertu, selon
laquelle il y a des manières correctes et
incorrectes d’être et d’agir dans
certains rôles (p. ex., le soldat courageux et
le juge impartial) ou simplement en tant que
personne (p. ex., traiter les autres avec
bonté et compassion).
Ce souci général du caractère
des actes ou, dans le cas de l’éthique
de la vertu, du caractère des personnes
plutôt que des fins visées, les experts
en philosophie morale le qualifient de «
déontologique », un attribut dont le
nom vient du mot grec signifiant « devoir
» ou « obligation ». Dans la
grande famille des théories pouvant
être classées comme
déontologiques ou axées sur le devoir,
le concept de base est que les normes
d’éthique fonctionnent comme des
limites ou des « restrictions latérales
» aux actions humaines, limitant tout
spécialement le recours à certains
moyens (p. ex., la force ou la fraude) dans la
poursuite de fins même méritoires (p.
ex., la prospérité de tous)32.
Le choc des théories conséquentialiste
et déontologique peut s’observer
parfois dans les débats sur la biotechnologie
: certains intervenants soutiennent que la
décision de développer ou
d’autoriser une forme ou une autre de
biotechnologie, comme les thérapies
génétiques et la production
d’animaux transgéniques, devrait se
prendre en fonction du « bien social
supérieur », mesuré selon les
avantages économiques réels pour le
Canada, ou en recourant à une méthode
de coûts éludés (marchés
fictifs) pour déterminer les gains sociaux
nets ou les pertes sociales nettes. Les critiques
pourront contester avec véhémence une
telle démarche conséquentialiste, car
ils y voient un traitement malséant des
valeurs fondamentales et symboliques33 auxquelles on
enlèverait ainsi leur caractère
irremplaçable et sans prix. Selon les
critiques, le conséquentialisme donne lieu
à la réification et, tout
spécialement, il amène à
traiter ce qui est inestimable, sacré et
irremplaçable comme une vulgaire
marchandise34.
-
Un des objets premiers de préoccupation des
déontologues est la répartition des
avantages et des fardeaux. D’un point de vue
strictement conséquentialiste, seule compte
la quantité totale d’avantages
produits, peu importe la répartition. Les
déontologues et la plupart des gens
ordinaires ont une perspective non
conséquentialiste à
l’égard des questions de
répartition. La question de savoir qui
profite de quoi, et pourquoi, a de
l’importance pour presque tout le monde, non
seulement parce qu’elle est utile à
certaines fins, comme l’accroissement du PIB,
mais aussi parce que la plupart des gens croient que
l’équité et la justice ont une
portée morale inhérente. Toutefois, il
y a de nombreux principes que les gens peuvent
toujours invoquer en ce qui concerne la
répartition juste et équitable des
avantages et des fardeaux. Mentionnons seulement le
mérite, l’effort, la
propriété, la chance (on tire à
pile ou face), les promesses, la juste
rétribution (culpabilité ou innocence)
et les rapports particuliers (p. ex., les relations
parent-enfant). Des questions de justice surviennent
aussi au sujet des formalités (justice en
matière de procédure, p. ex., quelle
serait la procédure équitable à
suivre pour déterminer si un OGM est sans
danger?) et du redressement des torts (justice
corrective, p. ex., quelles formes de compensation
devraient être prévues dans le cas de
personnes qui subissent des dommages à la
suite d’une thérapie
génétique expérimentale?)
L’élaboration de théories
plausibles de la justice est une des
préoccupations profondes des
spécialistes contemporains de la philosophie
morale et politique.
-
L’éthique
a-t-elle des fondements?
Étant donné la diversité des
théories de l’éthique et de la
justice, il est permis de demander si l’une
d’entre elles a fait ses preuves. Après
un tour d’horizon des théories
contemporaines de la justice, le philosophe canadien
Will Kymlicka exprime le consensus qui règne
chez les éthiciens en écrivant que
« …les spécialistes en
philosophie morale n’ont pas encore
découvert d’argument massue pour ou
contre ces différentes théories 35 ». De fait,
un bon nombre de praticiens de la philosophie morale
rejette même l’idée d’un
tel argument massue. Ce qui se passe, dans le
domaine de la philosophie en général,
c’est un rejet de la notion de fondements
incontestables comme modèle de connaissance
scientifique et-ou normative. Ce que les philosophes
recherchent plutôt, ce sont des
théories cohérentes qui aspirent avant
tout à rassembler les éléments
divers d’une théorie scientifique ou
normative pour y trouver un « équilibre
autoréférent ». Dans son ouvrage
extrêmement influent paru en 1971 et
intitulé A Theory of
Justice, le philosophe John Rawls
écrit ceci :
Par conséquent, nous ferons mieux, je crois
de considérer une théorie morale comme
toute autre théorie… Il n’y a
aucune raison de supposer que les principes premiers
ou les hypothèses fondatrices d’une
telle théorie doivent être
évidentes ou que ses concepts et ses
critères puissent être remplacés
par toute autre notion qui pourrait être
estimée non morale… je n’ai pas
procédé alors comme si les principes
de base [d’une théorie morale]
possédaient quelque caractéristique
spéciale leur permettant de justifier
singulièrement une doctrine morale. Ces
principes sont les éléments et les
mécanismes centraux de la théorie,
mais la justification repose sur la conception
entière et sur la façon dont elle
concorde avec nos jugements motivés par la
recherche d’un équilibre
autoréférent. Comme nous l’avons
vu plus haut, la justification est une question
d’appui mutuel entre de nombreux facteurs et
d’agencement harmonieux de tous ces facteurs
en une perspective cohérente36. (traduction libre)
À ce point de notre propos, il est important
de comprendre que Rawls parle non seulement de la
mise à l’épreuve des
théories de l’éthique, mais
aussi de la vérification ou de la validation
des théories scientifiques. Une telle
entreprise ressemble beaucoup à celle de
réparer un bateau voguant en haute mer. Il
est impossible de partir de zéro. Il faut
partir de ce que l’on a sous la main et faire
les réparations tout en continuant son
chemin.
L’adoption d’un point de vue non «
fondationnaliste » signifie qu’il est
important de voir comment diverses
considérations peuvent s’agencer les
unes aux autres par des liens de cohérence,
d’où le mot « cohérentisme
». Il s’ensuit que le critère de
démonstration d’une bonne
théorie éthique sera, en très
grande partie, pragmatique, répondant
à la question : cette théorie
apporte-t-elle des lumières et cette
meilleure compréhension estelle logique par
rapport à ce que nous savons
déjà? Dans cette optique, il faudra
considérer tous les points de vue
théorique comme sujets à
réexamen. L’attitude intellectuelle
à prendre sera de traiter les jugements
théoriques, qu’ils soient scientifiques
ou éthiques, comme « faillibles »
plutôt que comme des dogmes infaillibles et
irréfutables.
-
Mise en pratique de
l’éthique – règles et principes
Dans les tâches de la vie ordinaire, y compris dans
l’élaboration de la politique
gouvernementale, il faut généralement poser
des jugements éthiques sans faire appel
explicitement aux théories de
l’éthique normative, par exemple, à
telle ou telle théorie de la justice. Lorsque des
justifications d’éthique sont
invoquées, elles le sont plutôt sous la forme
de principes généraux, du genre « il
faut traiter les gens équitablement » ou
« il ne faut pas causer de préjudice ».
Il serait donc utile d’établir une
comparaison entre les principes et les règles.
Selon le philosophe et juriste Ronald Dworkin, les
principes et les règles servent tous deux à
fixer des normes de comportement : « Les
règles sont applicables sur le mode du tout ou
rien. Si les faits stipulés par une règle
sont donnés, soit la règle est valide, et il
faut alors accepter la réponse qu’elle
fournit, soit la règle n’est pas valide, et
elle ne contribue aucunement à la décision37 ». Un principe,
par contre, « énonce une raison en faveur
d’un point de vue ou d’un autre, mais ne
nécessite pas la prise d’une décision
particulière » et, par conséquent,
« les principes ont une dimension que les
règles n’ont pas, une dimension de poids ou
d’importance38
». Ainsi, lorsque deux principes pointent dans des
directions opposées, il faut se demander lequel des
deux a le plus de poids ou d’importance. En
revanche, lorsque deux règles sont en conflit, la
question n’est pas de savoir laquelle est la plus
importante, mais plutôt laquelle est valide dans les
circonstances. Si elle est valide, la règle
s’applique et devient donc obligatoire; si elle
n’est pas valide, elle est hors de propos et
inapplicable. Une règle peut se comparer à
un interrupteur d’éclairage, qui doit se
trouver soit en position de marche, soit en position
d’arrêt, alors qu’un principe serait
plutôt comme un rhéostat, qui peut se
régler au degré d’intensité
voulu. En conséquence, les règles peuvent
s’appliquer de façon mécanique, mais
l’application des principes demande des jugements
et, dans les cas de conflits de principes, il faut trouver
un équilibre sage entre des considérations
concurrentes.
Une des raisons de l’importance des principes dans
l’élaboration des politiques tient à
ce qu’ils servent de base à
l’établissement de règles,
c’est-à-dire que les décisionnaires
recourent aux principes pour justifier des objectifs et
des processus généraux de
réglementation et d’administration qui sont
ensuite traduits en règles et en procédures.
Le recours aux principes joue également au moment
de réviser les politiques ou lorsque des politiques
semblent aller à contre-courant les unes des
autres.
-
Section III : Éthique et
politique gouvernementale – appréciation judicieuse
des facteurs d’éthique pertinents
-
Recours aux principes
généralement reconnus
La perspective éthique prônée dans le
présent rapport consiste à traiter le
recours à l’éthique en politique
gouvernementale comme un moyen permettant
d’équilibrer ou d’apprécier
judicieusement les considérations pertinentes, qui
sont habituellement déterminées à
l’aide de principes d’usage courant.
L’objectif visé est évidemment de
poser des jugements moraux « toute réflexion
faite » pouvant servir à fonder et à
formuler la politique gouvernementale.
D’après la notion de théorie morale et
scientifique énoncée dans notre analyse de
l’éthique théorique, il convient de
traiter les affirmations morales et scientifiques comme
étant toujours, en principe, sujettes à
révision, c’est-à-dire comme
faillibles. Dans le monde parfois chaotique et souvent
complexe de l’élaboration de la politique
gouvernementale, le but n’est pas de trouver une
justification idéale ou parfaite, mais de
définir des politiques modérées et
réalisables, que l’on pourrait qualifier
d’assez bonnes, ce qui veut dire prendre des
décisions raisonnables étayées par
les principes courants de la morale (y compris ceux de
bonne intendance)39.
Même si le raisonnement éthique fait appel
à des principes d’usage courant, il faut
rester ouvert à l’idée qu’au
moins certains de ces principes sont mal utilisés,
appliqués de façon restrictive ou non
appropriés. Sans cela, tout progrès ou
changement deviendrait impossible en matière de
mœurs. À titre d’exemple, en ce qui
concerne l’égalité des sexes ou le
traitement des animaux pour eux-mêmes et non pas
seulement à titre de propriété, il
s’est produit une transformation des perceptions
morales, un changement profond que l’on pourrait
décrire comme la conception d’idées
nouvelles au sujet de l’égalité morale
(dans le cas des sexes) ou de l’importance morale
(dans le cas des animaux) ou comme une extension radicale
des anciennes notions d’égalité et
d’importance.
-
Principes fondamentaux de la
société canadienne
Dans une société démocratique
libérale, l’élaboration de la
politique gouvernementale fait appel aux principes de la
démocratie et du libéralisme, surtout les
principes du genre de ceux qui sous-tendent les divers
documents affirmant les droits de la personne, comme la
Charte canadienne des droits et libertés.
Par conséquent, en parlant d’éthique
de la politique gouvernementale, il n’est pas
question de tout reprendre à zéro, bien au
contraire, car dans le contexte canadien, ce débat
est déjà bien enraciné dans un sol
fertile enrichi par les principes de
l’égalité devant et dans la loi40, de la participation
démocratique au gouvernement, de l’obligation
de rendre compte, de l’égalité des
personnes dans la dignité, du pluralisme, du
multiculturalisme, et ainsi de suite.
Certains de ces principes sont fondamentaux
(l’égalité dans la dignité),
d’autres sont de procédure
(l’égalité devant et dans la loi) et
d’autres encore ont trait aux normes de bonne
intendance dans une société
démocratique – la transparence (des processus
décisionnels ouverts) et l’obligation des
gouvernants de rendre compte aux gouvernés. Pour
convenir à l’élaboration de la
politique officielle dans le contexte canadien, tout
principe doit donc aussi être ouvert ou
peut-être même donner corps aux
caractéristiques qui définissent la
réalité canadienne
d’aujourd’hui, par exemple, le
multiculturalisme et la reconnaissance de droits
collectifs essentiels. Tel que déjà
souligné, il peut y avoir désaccord sur les
principes, sur ce qu’ils sont et sur leur mode
d’application. Cependant, dans une
société qui fonctionne, il est permis de
supposer que certains d’entre eux suscitent une
approbation quasi générale, même
s’il y en a d’autres qui font maintenant
l’objet de litige alors qu’ils étaient
acceptés de façon générale
autrefois, et d’autres qui ne sont pas encore, mais
deviendront bientôt, l’objet d’un
consensus national.
Il faut tenir compte d’un autre facteur d’une
certaine importance en ce qui concerne
l’interprétation et l’utilisation des
principes. La définition des principes
s’énonce souvent en termes très
généraux, par exemple : le principe du
« pollueur-payeur » ou de celui « qui
assume les fardeaux devrait aussi profiter des avantages
». Le caractère général de
formules de ce genre peut les rendre vulnérables,
dans des cas particuliers, à des
interprétations ou des applications à
contresens. Ainsi, par exemple, pour ce qui est des
nouvelles techniques de reproduction issues de la
biotechnologie, partisans et opposants pourront invoquer
la dignité humaine, mais en partant de
définitions fort différentes de cette
notion. Les opposants comprendront la dignité
humaine comme une propriété morale
rattachée à tous les produits de la
reproduction dès le moment de la conception, alors
que les partisans des nouvelles techniques verront le
principe de la dignité humaine comme
s'appliquant plus tard durant le processus du
développement. Sur le plan du discours public, il
est important d’ancrer les principes
généralement acceptés dans le
contexte concret de cas, de pratiques et de politiques au
sujet desquels il règne déjà une
entente appréciable, et de chercher ensuite
à étendre cet accord à des questions
controversées.
Ce qui est à espérer, de façon
idéale, c’est qu’un ensemble de
principes fondamentaux (interprétés à
partir de cas sur lesquels à peu près tout
le monde s’entend) amèneront un
consensus parmi tous les membres
raisonnables de la société41. Cela veut dire que chacun
de ces membres, après réflexion, acceptera
les principes comme bons et utiles à
l’élaboration des politiques, même en
n’étant pas d’accord sur leur
application dans certains cas particuliers42. Néanmoins, parfois,
le mieux que l’on puisse espérer est
d’en arriver à un compromis,
c’est-à-dire, une acceptation beaucoup plus
provisoire et précaire d’un principe de base
ou de procédure qui servira à calmer des
controverses particulières et qui donne au moins
à chacune des parties au désaccord une part
de ce qu’elle souhaitait, mais non pas la
totalité de ce qu’elle croit être son
dû.
-
Facteurs
d’éthique applicables à la politique
gouvernementale
Ce que le rapport affirme jusqu’à maintenant,
c’est que l’élaboration de la politique
gouvernementale devrait tenir compte d’un certain
nombre de considérations importantes d’ordre
éthique, notamment :
-
les principes et les méthodes de la morale
générale,
-
les exigences d’une bonne intendance : le respect
de l’obligation démocratique de rendre
compte, la transparence et la participation du public,
-
les connaissances communes de nature constitutionnelle,
juridique et historique au sujet des
responsabilités, des structures et des pouvoirs
institutionnels.
L’élaboration des politiques gouvernementales
suit généralement un processus interstitiel
ou situationnel afin de tenir compte non seulement du
contexte global mais aussi des engagements
afférents à d’autres politiques. En
politique relative à la biotechnologie comme dans
bien d’autres domaines, le Canada a contracté
des obligations nationales et internationales sur un grand
nombre de sujets dont les soins de santé, la
sécurité publique, les échanges
commerciaux et les droits de la personne. Il arrive
parfois que ces engagements soient
réexaminés afin de les réviser ou de
les renouveler; à d’autres moments, ils
forment le contexte essentiel à la formulation des
politiques, laquelle devrait se fonder sur un vaste
éventail de compétences
spécialisées en droit, en politique, en
économie, en sciences et en éthique.
-
Section IV : Grandes questions
d’éthique reliées à la politique
gouvernementale et à la biotechnologie
Le présent rapport a déjà donné en
exemple un certain nombre de questions importantes
d’éthique concernant la politique gouvernementale
en matière de biotechnologie. Dans la présente
section, l’objectif est de donner les grands traits des
principaux thèmes propres à ce domaine et un
échantillon des démarches empruntées par
l’État pour aborder ces thèmes. Comme le
fait remarquer Espey, un bon nombre des enjeux en cause ne sont
pas exclusifs à la biotechnologie; cependant, il est
possible que l’affirmation d’Espey selon laquelle
« le débat ne porte que tangentiellement sur la
biotechnologie » sous-estime les préoccupations
publiques axées directement sur la biotechnologie
elle-même43. Il serait
peut-être plus juste de voir dans la biotechnologie
l’élément déclencheur de toute une
gamme d’aspirations et de craintes de la population.
En considérant ces grandes questions, il est important de
comprendre le contexte général des
préoccupations du public, notamment :
-
la rapidité de l’accroissement de la base de
connaissances ainsi que des changements scientifiques et
technologiques en biotechnologie et dans les domaines
connexes entraînant d’autre de R-D;
-
la diminution des ressources gouvernementales à
l’ère de la décentralisation et de la
privatisation;
-
un contexte international marqué par la mondialisation
et la concurrence;
-
le scepticisme grandissant et même la méfiance
du public à l’égard des gouvernements,
des entreprises et des experts;
-
la demande incessante du public visant un traitement
équitable, surtout à l’endroit des
groupes vulnérables, et le respect de
l’obligation de rendre compte par les
décisionnaires;
-
les craintes concernant la santé et
l’environnement, surtout dans les domaines où
règne l’incertitude.
Cette liste, loin d’être complète, a pour
seul but de signaler certains facteurs pertinents, à
l’heure actuelle, en ce qui touche
l’élaboration de la politique gouvernementale en
matière de biotechnologie.
Toute énumération de « grandes questions
» ne peut être que sélective, mais
d’après les travaux dont les résultats font
l’objet des six documents sur lesquels se fonde la
présente synthèse, les grandes interrogations
ci-après sont d’une importance particulière
:
-
Comment la politique gouvernementale devrait-elle traiter les
incertitudes, réelles ou perçues, concernant la
biotechnologie?
-
Devrait-il y avoir un contrôle de la
société sur la biotechnologie? Et tout
spécialement, certaines applications de la
biotechnologie imposent-elles des conséquences
néfastes à des groupes vulnérables
– p. ex., les pays du Tiers Monde, les femmes, les
sujets de recherche et les populations autochtones?
-
La R-D en biotechnologie manifeste-t-elle suffisamment de
respect pour la vie ou risque-t-elle de mener à la
réification de la vie humaine ou au mépris de
la nature?
-
Comment le gouvernement canadien pourrait-il concilier son
rôle de grand promoteur de la biotechnologie et sa
tâche importante de réglementation?
Ces quatre sources générales
d’inquiétude chevauchent deux grandes questions
communes qui sont au cœur même de la perception
publique de la légitimité des élaborateurs
de la politique gouvernementale notamment en matière de
biotechnologie :
-
Quel éventail de connaissances et de
compétences spécialisées convient
à la détermination de la politique
gouvernementale en biotechnologie et, en particulier, comment
les décisionnaires devraient-ils, le cas
échéant, tenir compte des préoccupations
d’ordre éthique?
-
Est-il possible de tenir des débats de politique
gouvernementale qui soient éclairés, permettent
la participation significative de tous les
intéressés et renforcent la confiance?
-
Aborder l’incertitude
Bien des technologies nouvelles, et non seulement la
biotechnologie, ont rendu les gens sensibles à
l’incertitude, à sa genèse et à
sa gestion, surtout parmi les populations des pays
industrialisés à économie dominante,
comme le Canada. Dans une mesure importante, cette
sensibilité est attribuable à la technologie
elle-même et au fait qu’elle permet le suivi,
la mesure et un contrôle accru des faits qui
concernent les êtres humains. C’est une
sensibilité qui peut aussi se voir comme un
sous-produit de l’accroissement de la
prospérité (partiellement attribuable, lui
aussi, au développement technologique). Cherchant
plus loin que la satisfaction de leurs besoins de survie,
les humains ont le loisir de se pencher de plus en plus
sur la qualité de leur existence. Un autre facteur
entre en jeu, celui des communications modernes. Il
règne littéralement, aujourd’hui, une
sensibilisation planétaire à des risques
nouveaux, qu’ils soient imaginaires ou réels.
Une bonne part du débat entourant les technologies
nouvelles porte sur la sélection des facteurs
à faire intervenir dans l’élaboration
des politiques gouvernementales. Ce
phénomène donne lieu à des questions
du genre : quels champs de compétences domineront
le débat? Quelle discipline y imposera son langage?
En effet, le langage du débat sur la politique
gouvernementale joue un rôle critique dans
l’encadrement des enjeux. C’est pourquoi
l’un des thèmes persistants des discussions
au sujet des technologies nouvelles est celui de savoir si
le langage du débat devrait être purement
scientifique et objectif ou si le débat devrait
tenir compte aussi des engagements et des choix qui
doivent se justifier par des fondements moraux.
-
Analyse et
perception des risques – points de vue
scientifiques
L’analyse normalisée du risque a eu des
effets profonds sur l’encadrement de la
politique gouvernementale et elle y fait intervenir
deux variables principales, soit i) le rapport
risques-avantages et ii) les probabilités.
Les deux peuvent être quantifiées en
fonction i) de l’ampleur positive ou
négative des avantages ou des dangers et ii)
du degré de probabilité (de
zéro à un) qu’un
événement se produise. Le «
risque », dans un sens technique neutre qui se
situe entre l’avantage et le dommage, se
définit comme un produit de i) et de ii)44. Les jugements
concernant le risque pris dans ce sens technique
peuvent se fonder sur des faits. Dans le cas de i),
il s’agit d’étudier les
préférences
révélées en rapport avec des
avantages et-ou des dangers entièrement ou
partiellement réels ou hypothétiques.
Dans le cas de ii), il s’agit de recueillir
des données au sujet de la fréquence
d’événements (p. ex., le nombre
de collisions arrière fatales qui se
produisent en une année) pendant une
période statistiquement significative. Des
outils d’analyse mathématique
raffinés (p. ex., la technique de
l’arbre de défaillances) peuvent servir
à établir des comparaisons entre des
ensembles complexes de possibilités. Ces
modes d’évaluation ouvrent la porte
à des différends entre experts au
sujet des probabilités, notamment de la
pertinence et de l’exactitude des observations
sur les préférences des gens, des
probabilités d’occurrence
d’événements ou encore des
méthodes d’analyse. Il semble cependant
que ces différends puissent, en principe, se
régler sans faire appel à des valeurs.
Par ailleurs, les partisans de l’analyse
objective essaient de tenir compte des valeurs
d’une autre manière, à savoir,
à titre de perceptions qui peuvent concorder
ou non avec les réalités
révélées par l’analyse
des risques. C’est ainsi qu’une analyse
innovatrice des risques a montré que
même les spécialistes de ce genre
d’analyse pouvaient avoir des opinions
contradictoires concernant les risques selon que les
choix étaient exprimés en fonction de
la perte ou du gain d’une possibilité45.
L’étude en question a permis de
constater que la plupart des participants faisaient
des choix littéralement irrationnels (dans le
sens d’auto-contradictoires), mais elle a
montré aussi que certaines
irrationalités étaient
profondément ancrées et
peut-être impossibles à
déraciner.
-
Arguments en faveur
de perspectives plus globales
De nombreux critiques de la biotechnologie et
d’autres technologies nouvelles
prétendent qu’en encadrant le
débat sur la politique officielle à
partir d’une analyse des risques et de la
perception des risques, on passe à
côté de questions
d’éthique essentielles. Dans une
importante étude canadienne sur
l’analyse des risques, les chercheurs Brunk,
Haworth et Lee soulignent de manière
convaincante un certain nombre
d’éléments
négligés par les méthodes
scientifiques normalisées46. Mentionnons notamment
la question de savoir si les risques sont
imposés aux gens ou s’ils sont
volontairement choisis, une question qui se trouve
au cœur même du débat sur
l’étiquetage des aliments
génétiquement modifiés et qui
mettent le Canada et les États- Unis en
opposition avec les pays de la CEE et bien
d’autres pays. Un autre élément
négligé est celui de la
répartition des risques, qui touche aussi
l’imposition de fardeaux inéquitables
à des groupes vulnérables.
Un enjeu de taille demeure celui de
l’attribution de la charge ou du fardeau de la
preuve. Les recherches de Brunk ont cerné une
question sérieuse, à savoir celle des
conditions d’exécution des
épreuves d’innocuité d’un
herbicide (l’alachlore). Les agriculteurs qui
s’étaient munis de vêtements
protecteurs, notamment de gants et de masques
coûteux, et qui ont suivi soigneusement les
instructions du fabricant concernant la manipulation
et l’application n’ont subi qu’une
exposition marginale aux substances chimiques
toxiques dégagées par
l’herbicide. Très bien, mais dans le
milieu réel de la plupart des exploitations
agricoles, caractérisé par une chaleur
élevée, une insuffisance de
matériel de protection et un manque de temps,
il est probable que l’exposition aux
substances sera plus considérable pendant les
opérations sur le terrain47. Dans ce cas, à
qui le fardeau de la preuve incombe-t-il? À
la compagnie, tenue de fabriquer un produit «
sûr » s’il est utilisé dans
des conditions normales, ou aux utilisateurs, tenus
de suivre à la lettre les instructions du
fabricant? De toute manière, il s’agit
là d’une question qui ne peut pas se
régler au moyen des méthodes normales
d’analyse des risques ou des perceptions de
risques.
En effet, en plus des questions concernant la
norme de preuve qui convient
(c’està- dire, quelle est la preuve
suffisante?) il y a aussi des questions concernant
le fardeau de la preuve
(c’est-à-dire, à qui
incombe-t-il de produire la preuve?), auxquelles
vient s’ajouter la question du locus
décisionnel
(c’est-à-dire, qui prend la
décision finale?). Ce sont là des
enjeux d’éthique qui sont d’une
importance capitale au moment de définir la
politique gouvernementale en matière de
biotechnologie. Ces enjeux recouvrent toute une
gamme d’autres questions
d’éthique. Le cas de l’alachlore,
par exemple, posait une question grave au sujet de
la répartition équitable des avantages
et des fardeaux : les dispositions de la
réglementation en vigueur imposaient-elles un
fardeau indu aux agriculteurs ou aux fabricants de
pesticides?
Les méthodes normalisées
d’évaluation des risques font
l’objet d’une autre critique : elles
sont difficiles à mettre en correspondance
avec les études psychométriques de la
perception du risque48. Ces études
rendent compte de la perception du risque à
partir de deux facteurs principaux, la crainte et
l’ignorance, et leurs résultats
n’ont pas de corrélation avec ceux des
études ordinaires de la perception du risque,
qui se basent sur la peur de la mort. Devant des
probabilités absolument exactes de
mortalité, les sujets avaient beaucoup plus
peur d’un événement tel
qu’un accident nucléaire, au sujet
duquel ils ressentent de l’ignorance une
absence de contrôle, que de la
possibilité d’un accident
d’automobile mortel, au sujet de laquelle ils
ressentent des sentiments opposés.
Le débat à propos de la méthode
qui convient à l’évaluation des
incertitudes ressemble à celui qui
règne entre les conséquentialistes et
les tenants de la déontologie. Les arguments
des uns et des autres, plutôt que
s’affronter, passent souvent à
côté. Une des parties au débat
est convaincue que tous les facteurs pertinents
peuvent s’exprimer selon quelques variables
simples (p. ex., l’utilité et les
probabilités) et l’autre partie est
tout aussi convaincue qu’un tel
réductionnisme fait fi des enjeux qui
comptent le plus sur le plan de la morale. Il est
probable que le débat débouchera sur
l’annulation réciproque des deux
parties. Les réductionnistes en viennent
à considérer que leurs opposants
s’accrochent de façon irrationnelle
à des notions désuètes,
obscures et sans rapport, et ces opposants estiment
que les réductionnistes sont affligés
d’une naïveté dangereuse et
qu’ils sont indifférents aux valeurs
morales fondamentales.
-
Quatrième obstacle – le
contrôle de la biotechnologie par la
société
La question du contrôle de la biotechnologie par la
société sur est présentée
comme posant un quatrième obstacle49 dans le contexte de la
politique gouvernementale, les trois premiers obstacles
étant posés par la sécurité,
la qualité et l’efficacité.
L’appellation générale de «
quatrième obstacle » englobe, si l’on
veut, les interventions en matière de politique qui
sont tout spécialement conçues de
façon à tenir compte des
préoccupations relatives à la
répartition, à l’équité
et aux intérêts de la collectivité.
Cela ne veut pas dire, évidemment, que les
collectivités ne sont pas du tout
intéressées par les trois premiers
obstacles, mais plutôt que cet intérêt
est de nature personnelle plutôt que collective. Un
consommateur pourra demander, par exemple, si les aliments
génétiquement modifiés (y inclus les
aliments tirés d’animaux
d’élevage transgéniques) pourront
être nutritifs et savoureux sans avoir
d’effets nocifs sur sa santé. Du point de vue
du quatrième obstacle, ce sont d’autres
enjeux qui prennent de l’importance, notamment les
effets de l’introduction des cultures alimentaires
génétiquement modifiées sur des
éléments de société, par
exemple, les conséquences pour les fermes
familiales ou pour l’environnement en
général. Certains pays ont
déjà instauré des dispositions
relatives au quatrième obstacle. En Norvège,
par exemple, selon une mesure législative, avant de
lancer des organismes génétiquement
modifiés sur le marché, il faut
d’abord accorder une attention toute
particulière à la pérennité de
l’environnement et aux avantages collectifs.
Dans le domaine médical, le brevetage du
gène BRCA1, qui signale certaines formes
héréditaires de cancer du sein, offre un
autre exemple. Les critiques laissent entendre que
l’obtention d’un brevet sur ce gène par
la société Myriad Genetics a des
conséquences nuisibles pour la recherche et la
pratique clinique, tout particulièrement dans le
cas des personnes qui n’ont pas accès
à cette technologie. Les arguments pour et contre
une application particulière de la
réglementation aux effets d’une
répartition inégale des avantages
soulèvent de graves questions concernant les
compromis à accepter. Il est possible que le
brevetage de gènes de ce type mène
éventuellement à l’amélioration
des traitements du cancer du sein chez au moins un certain
nombre de personnes. Ce bienfait vaut-il un
élargissement de l’inégalité
entre les individus et les groupes qui ont les moyens de
se procurer ces traitements et ceux qui n’en ont pas
les moyens? C’est ainsi qu’il faut se poser
des questions de répartition et
d’équité, en plus des questions de
rentabilité en ce qui a trait à
l’optimalisation des avantages pour la santé.
Faudrait-il, comme le proposait la Commission royale sur
les nouvelles techniques de reproduction, que
l’élaboration de la politique gouvernementale
accorde une attention spéciale aux personnes
vulnérables?
Cette préoccupation pour les personnes et les
groupes vulnérables se retrouve aussi à
l’échelle internationale. Alors que le Canada
et les autres pays à économie dominante
concluent des accords sur le brevetage,
l’étiquetage et le commerce des produits
biotechnologiques, un grand nombre de gens craignent les
conséquences que pourraient subir les pays moins
nantis. Prendront-ils encore plus de retard sur le plan
économique à cause, par exemple, d’un
exode de cerveaux qui poussera leurs meilleurs
scientifiques en biotechnologie à partir
s’installer dans un pays riche? Et pis encore, leurs
populations deviendront-elles les sujets de la mise
à l’essai de produits biotechnologiques
nouveaux et peut-être dangereux?
-
Respect de la nature et
réification
Deux visions radicalement différentes de la nature,
et de la place de l’être humain dans
l’ordre naturel, s’affrontent. Chacune de ces
visions prend des formes religieuses et
séculières. Elles s’expriment aussi
dans l’art et la littérature, par exemple,
chez les poètes romantiques par leur vision de la
nature comme un objet sublime, par opposition à la
vision classique de la nature comme un objet à
maîtriser. Dans l’esprit industriel dominant,
la nature doit être exploitée pour servir les
intérêts humains. Cette façon de voir
peut même se justifier par des principes religieux
comme étant d’ordre divin, ou par des
principes séculiers comme étant le symbole
du progrès. Selon la vision opposée, la
nature possède un caractère «
sacré » et mystérieux qui
mérite le respect et impose des limites à
l’intervention humaine. Margaret Somerville
décrit50 ces
deux positions opposées en les nommant «
perspective purement scientifique » et «
perspective scientifique-spirituelle ».
Un genre analogue d’inquiétudes est apparu au
sujet de la possibilité que diverses formes de
biotechnologie, comme la manipulation des gènes
humains à des fins d’eugénisme,
mènent à réification de la vie. Le
mot « réification » véhicule une
connotation négative, celle de traiter un objet
précieux en lui-même (p. ex., une personne)
comme s’il n’avait de valeur
qu’économique. Ce que l’on craint
parfois, c’est qu’une forme donnée de
technologie nouvelle, telles les nouvelles techniques de
reproduction, entraînent une réification
effective qui verrait, par exemple, les femmes vendre
leurs ovocytes fertilisés en vue d’une
implantation dans une autre femme. Par ailleurs, on voit
se manifester souvent aussi la peur qu’une
technologie nouvelle ne concrétise ou encourage une
vision réificatrice ou purement instrumentale de
l’être humain, de la nature ou de
l’environnement. On craint, par exemple, que
malgré le caractère illégal du
commerce littéral des éléments
reproducteurs humains, les nouvelles techniques de
reproduction n’aient comme conséquence nette
qu’une valorisation des femmes principalement pour
leurs capacités de reproduction et non pas pour
leur qualité intrinsèque d’êtres
humains. Certains pourraient dire que les limites
imposées par Santé Canada en matière
de thérapie génétique, en faisant
cesser les recherches en thérapie des cellules
souches et dans un certain nombre d’autres
techniques de reproduction ou de génétique,
répondent, au moins en partie, aux
préoccupations concernant les dangers de la
réification51.
-
Réglementation et promotion
parallèles – les conflits
d’intérêts
Comme on l’a vu dans la Section I, le gouvernement
fédéral, d’abord par la
Stratégie nationale en matière de
biotechnologie (SNMB) et aujourd’hui par la
Stratégie canadienne en matière de
biotechnologie (SCB), apporte une contribution importante
à l’expansion de la biotechnologie au Canada.
Pourtant, il assume parallèlement des
responsabilités de premier plan en matière
de réglementation. Tel que mentionné plus
haut dans l’analyse du « quatrième
obstacle », des enjeux très
considérables entourent la nature et la
portée de la réglementation, surtout en ce
qui a trait au bien-fondé de tenir compte de
facteurs autres que la sécurité, la
qualité et l’efficacité. La question
primordiale qui se pose, toutefois, est celle du
rôle bivalent d’un État qui
s’occupe à la fois de promouvoir et de
réglementer la biotechnologie. Cette dualité
donne-t-elle lieu à des conflits
d’intérêts possibles, réels ou
perçus52?
Un moyen permettant de gérer ce genre de conflit
dans le respect de la morale est d’agir en toute
transparence. La question se pose cependant de savoir si
la transparence règne suffisamment en ce qui touche
les rôles gouvernementaux de promotion et de
réglementation de la biotechnologie, surtout
lorsqu’il y a chevauchement entre les deux.
C’est une question extrêmement
épineuse, et d’autant plus lorsque sont en
cause les énormes droits de propriété
créés par la R-D, et les
intérêts légitimes qui en
découlent à l’égard des secrets
commerciaux. Des enjeux tout aussi importants se font jour
également concernant le caractère
adéquat et pertinent des critères de
réglementation et l’équité qui
doit présider à leur mise en application.
Tout cela doit se fonder sur l’ouverture. Barrett,
par exemple, exprime des critiques envers le rôle
d’Agriculture Canada, pour les raisons suivantes :
À la fin des années 1980, les pressions du
gouvernement, de l’industrie et, dans une moindre
mesure, des écologistes ont poussé
Agriculture Canada à élaborer des
règlements de biotechnologie agricole qui visaient
à assurer la sécurité de
l’environnement tout en encourageant la poursuite du
développement de l’industrie. Le cadre
d’action qui en a résulté, une «
évaluation du risque fondée sur la science
», a ensuite servi à démontrer que les
cultures à ADNr étaient « sûres
». Toutefois, les données utilisées
pour évaluer les risques proviennent
d’inventeurs de productions végétales
et ne sont pas mises à la disposition du public. Le
texte d’une appréciation
détaillée de l’évaluation des
risques du colza canola résistant aux herbicides
(obtenu en vertu de la Loi sur l’accès
à l’information) révèle des
insuffisances marquées sur le plan de la profondeur
et de la portée des questions; des méthodes
de recherche; de l’analyse des données; et de
la plausibilité des conclusions. Je maintiens que
les travaux d’élaboration des politiques
effectués à huis clos par des gens
d’intérêts communs et les engagements
à long terme déjà pris par
l’État et l’industrie à
l’endroit de la biotechnologie agricole ont
donné le jour à un cadre
d’évaluation des risques qui est basé
essentiellement sur des considérations
d’ordre économique et technique53. (traduction libre)
Barrett poursuit son argumentation en réclamant
l’intégration du principe de
précaution à la politique de
réglementation et l’adoption «
d’un cadre décisionnel plus large (incluant
des définitions de ‘principes scientifiques
objectifs’) faisant appel à une plus grande
participation du public ».
La deuxième façon de gérer les
conflits d’intérêts, c’est en
évitant les rôles bivalents, ce qui revient
à faire disparaître l’un des deux
rôles créant le conflit. Dans le contexte de
la régie interne, cette solution nécessite
la mise en place de liens de responsabilité
séparés, sans aucun point de confusion
possible, afin d’établir une
indépendance complète des fonctions de
réglementation par rapport à celles de
promotion. Par ailleurs, cette indépendance ne
suffit pas à régler le problème si la
gamme des questions à réglementer est
maintenue si étroite que les grands enjeux de
valeur ne sont jamais traités, en raison
d’une délimitation restrictive de ce
qu’est « l’évaluation des risques
» (toujours selon Barrett). Dans un tel cas, les
conflits d’intérêts peuvent être
exacerbés par une définition trop
étroite des questions devant être
réglementées.
-
Prestation de conseils
d’éthique au sujet de la politique en
matière de biotechnologie
Les six documents dont le présent rapport fait la
synthèse présentent des arguments
établissant le bien-fondé
d’intégrer l’éthique à
l’élaboration des politiques de
biotechnologie. Avec la nouvelle SCB et la création
du CCCB, le gouvernement du Canada s’est
donné les moyens de chercher des conseils en la
matière. La Section II définit les jugements
éthiques comme des jugements « toute
réflexion faite ». En conséquence, les
conseils offerts par le CCCB sur les questions
d’éthique devraient être de nature
globale, c’est-à-dire, tenir compte de tous
les facteurs pertinents, qu’ils soient
scientifiques, économiques, sociaux, juridiques ou
politiques (tel que mentionné à la Section
III). Ces conseils devraient aussi être
adaptés à un agent bien défini (dans
ce cas, le gouvernement du Canada) et reconnaître
les droits et les responsabilités de cet agent (tel
que mentionné à la Section I). Le
gouvernement canadien, à titre d’intervenant
majeur dans le domaine de la biotechnologie, doit relever
le défi de prendre des décisions globales
qui servent les intérêts de tous les
Canadiens (y compris les générations
futures) et de remplir ses nombreuses obligations
gouvernementales à l’échelle nationale
et internationale. En raison de son mandat, le CCCB
détient un rôle important de conseiller
à cet égard. Il serait donc bon
d’examiner ce qui s’est fait au pays et
à l’étranger en cette matière.
Dans certains cas, le Canada ou ses organismes ont
abordé directement les questions
d’éthique en politique gouvernementale. Le
lancement de la Commission royale sur les nouvelles
techniques de reproduction est un exemple de
l’action d’un gouvernement à la
recherche de conseils sur des questions
d’éthique controversées. Il en est de
même de la création, en 1994, du Groupe de
travail tripartite sur l’éthique, qui
était chargé de concevoir une politique
nouvelle concernant l’éthique de la recherche
sur des êtres humains et de la proposer au CRM, au
CRSNG et au CRSH. Le Conseil canadien de protection des
animaux représente un exemple de groupe permanent
qui surveille et oriente les débats relatifs
à l’éthique de la recherche sur des
animaux54. Il a
déjà été fait mention, au
début de la
Section I, d’autres initiatives canadiennes visant
l’éthique et la biotechnologie.
-
Trois exemples de
comités consultatifs sur
l’éthique en biotechnologie dans
d’autres pays
La France a mis sur pied un cadre et un processus
consultatifs officiels en matière de
biotechnologie, afin de traiter les questions
d’éthique dans les domaines de la
biologie, de la médecine et des sciences de
la santé en général. Ce «
Comité consultatif national de
l’éthique dans les sciences de la
santé » est un organe permanent,
autonome et interdisciplinaire; il se compose de 40
membres provenant de milieux variés dont la
fonction publique, les universités, la
philosophie, la théologie et les sciences. Le
Parlement et les autres organismes publics sont
autorisés à demander des conseils au
Comité, qui remplit aussi un mandat
d’information du public. Le Comité
convoque chaque année une conférence
publique sur les questions d’éthique.
Selon Derek Jones, le modèle français
est une manifestation exemplaire du processus
d’élaboration d’opinions
d’ordre éthique dans une
société pluraliste 55. Jones dégage
les éléments suivants qu’il
estime essentiels :
-
des formalités précises pour la
présentation de demandes d’opinions
d’ordre éthique;
-
des compétences interdisciplinaires
permettant de cerner les questions
d’éthique;
-
des consultations et des débats à
participation universelle;
-
des délibérations permanentes en
vue de définir les principes
d’éthique qui fondent une opinion
d’ordre éthique;
-
des méthodes de rédaction
permettant de concilier les différentes
visions de l’éthique et
d’harmoniser les conflits de valeurs;
-
des procédés pour diffuser les
opinions d’ordre éthique et faire
progresser l’information et la discussion
parmi les citoyens;
Le travail du Comité a beaucoup
contribué à orienter le débat
national sur les enjeux et il a mené à
des mesures législatives concernant les
brevets en biotechnologie, les tests de
dépistage génétique et la
procréation médicalement
assistée.
La Norvège, pour sa part, s’est
dotée d’un cadre consultatif
d’éthique axé sur la
biotechnologie. Le processus de définition
des grands principes d’éthique ne
s’est pas déroulé de la
même façon qu’en France. En
Norvège, plusieurs de ces principes ont
émané de comités parlementaires
et gouvernementaux spéciaux consacrés
à l’éthique et ils ont
donné lieu à des mesures
législatives, parmi lesquelles la loi
créant la commission consultative
norvégienne sur la biotechnologie. En France,
par comparaison, le Comité consultatif a
énoncé ses propres principes
directeurs. Depuis le début des années
1990, la commission consultative norvégienne
sur la biotechnologie a émis de nombreuses
opinions sur tout un éventail de questions
dont le développement durable, la protection
de la santé humaine, la protection de la vie
privée et le caractère confidentiel
des renseignements personnels. La commission
norvégienne remplit aussi un rôle de
réglementation plus important que celui du
Comité consultatif français. À
titre d’exemple, elle est chargée
d’examiner certaines demandes relatives
à des organismes génétiquement
modifiés. Cette tâche pourrait
créer des tensions entre sa fonction de
consultation et celle de réglementation.
Enfin, à l’instar du Comité
consultatif français, la commission
norvégienne participe à
l’information et à la sensibilisation
du public en organisant des ateliers nationaux et
des conférences internationales et en
publiant de nombreux rapports.
L’Union européenne, enfin, a eu
successivement deux comités pour
s’occuper des questions d’éthique
en biotechnologie. Le premier, en opération
de 1991 à 1998, était un petit groupe
de sept à neuf personnes appelé Groupe
des conseillers sur les implications éthiques
de la biotechnologie en Union européenne. Son
fonctionnement était semblable à celui
du Comité consultatif français,
commençant par des rapports
généraux et techniques pour passer
ensuite à des consultations de
spécialistes, des audiences publiques et des
réunions fréquentes en vue de
faciliter le consensus. Doté d’abord
d’un mandat plutôt étroit, le
Groupe de conseillers a graduellement élargi
ses attributions qui ont culminé dans son
opinion finale sur le programme de recherche et de
technologie de l’UE pour la période
1998-2002. Cette opinion établissait les
bases d’un cadre global de biotechnologie pour
l’UE. En voici certains des composants
principaux :
-
envisager la biotechnologie dans le respect des
différences nationales et des valeurs
européennes communes;
-
trouver des moyens de régler les conflits
de valeurs en recherche scientifique;
-
se préoccuper du bien-être des
animaux;
-
respecter les valeurs fondamentales en ce qui a
trait à la recherche sur des êtres
humains;
-
fonder les évaluations éthiques sur
la recherche de base en éthique;
En 1998, mettant en œuvre les recommandations
de ce rapport, l’UE créait un nouvel
organe, le Groupe européen
d’éthique des sciences et des nouvelles
technologies, un groupe composé de 12
personnes et muni d’un mandat plus vaste. Ce
mandat élargi fait ressortir une
réalité de première importance
au sujet de l’éthique et de
biotechnologie, c’est-à-dire,
l’interdépendance des questions
d’éthique, et au sujet de ce dont ont
besoin les gouvernements d’aujourd’hui,
c’est-à-dire, d’un examen
exhaustif des questions d’éthique
soulevées par la biotechnologie moderne.
-
Accord international
apparent concernant les normes
d’éthique
Dans ses rapports de 1998 et 1999, Derek Jones
présente un tableau très utile de
certaines normes en vigueur dans des pays
étrangers. Pour produire ce tableau, Jones a
passé en revue les documents de base de ces
pays sur l’éthique en biotechnologie et
il en a tiré les principaux principes
d’éthique qui y sont explicitement
mentionnés56. Le tableau peut
s’interpréter de deux façons.
Selon celle qu’en fait Jones, l’une des
constatations importantes est le degré
élevé de chevauchement et de
concordance en ce qui concerne les principes de
base, qui pourrait être perçu comme la
manifestation d’un consensus international
grandissant au sujet de ces principes dans bien des
domaines, par exemple, celui de
l’éthique de la recherche sur des
êtres humains57. Le tableau de Derek
Jones peut aussi s’interpréter comme
montrant un accord apparent à propos des
principes de base, qui masque des désaccords
sérieux et profonds.
Parallèlement, il est permis de se demander
si le consensus international apparent qui
s’affiche depuis peu concernant
l’interdiction du clonage humain est
réellement l’expression de valeurs
profondément et largement partagées ou
plutôt une convention temporaire et
superficielle au sujet de l’expansion
d’une technologie particulière à
un moment particulier. En 1997, il y a eu
l’apparition de Dolly, la brebis clonée
et, dans la foulée, tout le monde s’est
interrogé sur le bien-fondé
d’étendre cette technologie au clonage
humain et de recourir au clonage de façon
générale. Très peu de temps
après, en France, le Comité
consultatif national d'éthique pour les
sciences de la vie et de la santé
décrivait le clonage comme « portant
gravement atteinte à la dignité de la
personne humaine »; en Union
européenne, le Groupe de conseillers pour
l’éthique de la biotechnologie
réclamait la réglementation rigoureuse
du clonage animal et l’interdiction du clonage
humain; aux États-Unis, le National Bioethics
Advisory Committee proposait d’interdire
pendant cinq ans l’octroi de financement
fédéral pour le clonage humain;
l’UNESCO déclarait que le clonage
humain était « contraire à la
dignité humaine »; et le Conseil de
l’Europe établissait un protocole
interdisant le clonage humain. Encore une fois, il
est permis de se demander si cette concordance
apparente est de surface ou vraiment de substance.
-
Lacunes d’information et thèmes
possibles de recherche future
Comme on l’a vu plus haut, le présent document a
pour but premier d’offrir une synthèse de six
rapports de recherche de base produits dans le cadre du
renouvellement de la Stratégie nationale en
matière de biotechnologie, qui a donné naissance
à la Stratégie canadienne en matière de
biotechnologie et au Comité consultatif canadien de la
biotechnologie (CCCB). Dans la présente section,
l’auteur répond à la demande du CCCB de
signaler les « lacunes » possibles dans les
renseignements fournis par les six documents de base. Avant
d’y arriver, il est essentiel d’énoncer
clairement en quoi consiste, selon l’auteur, le travail
accompli par ces documents. Voici :
-
Les six documents de base rendent compte de
l’éthique et de sa pertinence au regard de
l’élaboration des politiques relatives à
la biotechnologie.
-
Ils définissent les responsabilités
considérables du gouvernement du Canada en la
matière.
-
Ils offrent des suggestions quant à la manière
dont le gouvernement du Canada pourrait aborder ces
responsabilités.
La présente synthèse se concentre avant tout sur
les deux premiers points cidessus. Le troisième, qui
constitue l’objet principal des trois documents
étroitement apparentés de Derek Jones, me semble
avoir été réglé par la
création du CCCB. Il revient donc au CCCB lui-même,
s’il le souhaite, et non pas à l’auteur de
ces lignes, de faire siennes certaines des recommandations de
Jones, que ce soit celle concernant la prestation de services de
formation aux organismes gouvernementaux, ou toute autre
recommandation.
Nous examinerons maintenant cinq lacunes relevées,
correspondant à autant de secteurs où le CCCB
pourrait entreprendre des actions utiles.
-
Les principes de
précaution et certains autres critères
permettant de traiter la question du compromis entre les
avantages et les dangers dans un contexte
d’incertitude
Même si bien des questions posées à ce
chapitre ont fait l’objet d’analyses dans les
textes d’Espey et de Schrecker, Hoffmaster,
Somerville et Wellington, le CCCB et les organismes
qu’il sert pourraient tirer profit d’un bon
document de référence sur les
critères déjà appliqués
relativement aux compromis entre les avantages et les
dangers dans des situations marquées par
l’incertitude. Ces questions sont également
abordées dans la Section IV de la présente
synthèse, mais il faudrait un solide document de
référence incluant un glossaire des termes
et concepts courants, une description objective des
grandes orientations du débat entre les divers
points de vue et un guide pratique permettant de s’y
retrouver dans l’abondance d’écrits se
rapportant au contexte de l’élaboration des
politiques. L’enquête bibliographique
nécessaire à cette fin porterait sur un
corpus riche et complexe. La production d’un guide
serait utile au CCCB et aux organismes qu’il sert.
Étant donné que ces questions sont au
cœur même des débats sur la
biotechnologie, un tel document de référence
constituerait aussi un modèle de base à
utiliser pour les projets de recherche actuels et futurs,
et mettrait fin aux répétitions oiseuses.
-
Restrictions imposées
à la biotechnologie par le « quatrième
obstacle »
Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington donnent un
aperçu intéressant, mais un peu court, des
restrictions imposées à la biotechnologie
par le « quatrième obstacle58. C’est un sujet qui
mérite d’être élaboré
à son propre chef, surtout en ce qui a trait aux
compromis qui pourraient éventuellement être
exigés par les restrictions liées au «
quatrième obstacle ». À titre
d’exemple, les débats provoqués au
sujet des restrictions de ce « quatrième
obstacle » pour la biotechnologie et d’autres
technologies sont souvent à double volet,
c’est-à-dire que tout en répondant
à certaines inquiétudes sociales du genre de
celles décrites plus haut dans le présent
document, ces restrictions peuvent aussi constituer des
moyens de limiter les échanges commerciaux et
d’annuler des avantages concurrentiels conquis de
haute lutte ainsi que des avantages naturels. Nombreux
sont ceux qui prétendront le contraire, mais je
suis convaincu que ces restrictions dites du
quatrième obstacle peuvent aussi servir et ont
servi à désavantager des pays relativement
pauvres, par exemple, lorsque des pays
industrialisés imposent des restrictions sur les
importations en provenance de pays en
développement.
Et pourtant, adopter une stratégie qui rejette a
priori la légitimité de tout
empêchement lié au quatrième obstacle
serait agir à courte vue, et ce de deux
façons. D’abord, il serait probablement peu
sage, d’un point de vue moral, de rejeter
d’emblée des préoccupations
légitimes. En second lieu, même en conservant
des doutes quant à la légitimité des
préoccupations elles-mêmes, un tel geste
serait peut-être mal avisé, à long
terme, parce qu’il est improbable qu’elles
disparaissent si elles sont négligées. Ce
sont des inquiétudes qui pourront simplement
ressurgir de nouveau sous la forme d’un argument
correspondant au premier, au deuxième ou au
troisième obstacle.
-
Promouvoir tout en
réglementant – comment éviter les
conflits d’intérêts et gérer des
obligations contradictoires
Tel que déjà mentionné, des
préoccupations se sont manifestées dans les
secteurs privé et public au sujet du rôle
bivalent d’un gouvernement qui s’occupe
à la fois de promouvoir et de réglementer la
biotechnologie. Ces préoccupations suscitent deux
questions, l’une au sujet des conflits
d’intérêts réels ou
apparents et des moyens de les éviter, et
l’autre au sujet de la gestion
d’obligations contradictoires. Ce
sont deux enjeux distincts sur le plan conceptuel. En
effet, les conflits d’intérêts sont
moralement suspects en eux-mêmes et doivent donc
être évités. En revanche, les conflits
d’obligations, c’est-à-dire, des
obligations à l’appui
d’intérêts qui se trouvent en conflit,
ne sont pas moralement suspects en eux-mêmes, mais
doivent être réglés de façon
moralement réfléchie.
Voici une illustration qui aidera peut-être à
voir la différence. Un juge se trouve en conflit
d’intérêts s’il prononce une
décision concernant une affaire dans laquelle il a
des intérêts financiers ou d’autres
intérêts personnels directs, par exemple, si
son partenaire de vie est une des parties en cause. Dans
ce cas, il serait clairement contraire à la morale
que le juge en question décide de l’issue du
procès. D’autre part, un juge se trouve en
situation de conflit d’obligations si, par exemple,
un demandeur a des arguments solides pour obtenir un
délai considérable de la procédure,
afin de pouvoir examiner des preuves toutes nouvelles, et
que le défendeur a des arguments tout aussi justes
pour obtenir le règlement rapide d’une cause
présentée depuis longtemps. Dans un tel cas,
il y a autant de bonnes raisons de retarder l’issue
que d’en disposer rapidement. Le juge doit donc
choisir entre deux lignes de conduite apparemment tout
aussi honorable l’une que l’autre. Mais
attention, même si une situation de conflit
d’obligations ne semble offrir aucun choix clair, il
n’en restera pas moins le choix entre des options
plus ou moins bonnes. La question n’est donc pas,
comme dans le cas des conflits
d’intérêts, d’éviter le
conflit. Il s’agit plutôt de trouver un juste
équilibre moral dans la gestion d’obligations
contradictoires. Comme on peut le voir, selon que le
conflit est d’intérêts ou
d’obligations, les questions soulevées sont
différentes, mais les deux cas donnent lieu
à des choix critiques sur le plan de
l’éthique.
En s’efforçant à la fois de promouvoir
et de réglementer la biotechnologie, le
gouvernement du Canada et ses organismes doivent faire
face aux deux genres de situation. En matière de
conflit d’intérêts, son souci premier
sera le conflit de nature institutionnelle et non pas de
nature personnelle. Les conflits
d’intérêts
institutionnels surviennent lorsque des
institutions s’attribuent ou se voient confier des
rôles que, selon l’opinion de tout observateur
raisonnablement objectif, l’institution en question
est incapable de mener à bien. Prenons un exemple.
Il y aurait conflit d’intérêts
institutionnel si une entreprise chargeait son directeur
financier d’effectuer une vérification
externe ou publique des états financiers de la
compagnie59. Dans une
telle situation, il faut l’intervention d’un
vérificateur de l’extérieur. De la
même façon, les institutions font face
à des conflits d’obligations
lorsque, par exemple, elles doivent trouver un
équilibre entre les considérations
d’ordre financier et celles d’ordre
environnemental.
Tout comme le premier relevé ci-dessus (des
critères permettant d’aborder
l’équilibre avantages-dangers et le contexte
d’incertitude), le présent thème
m’apparaît correspondre à une lacune
passablement fondamentale dans le domaine de la recherche.
Les sources utiles ne manquent pas, en droit, en
éthique et en politique, desquelles tirer des
éclaircissements propres à aider le
gouvernement et ses organismes à composer avec les
deux genres de situation où ils pourraient se
trouver en cette matière. Il y a aussi certains
autres enjeux se rapportant aux organisations du secteur
privé et aux groupes sans but lucratif participant
à la biotechnologie au Canada. Les
universités, par exemple, ont formé des
partenariats avec l’État en vue
d’activités de R-D en biotechnologie. Ce
genre d’alliance donne lieu parfois à des
situations de conflit d’intérêts
lorsque des chercheurs sont chargés
d’effectuer des examens par les pairs dans des
domaines où ils ont eux-mêmes des
intérêts commerciaux. Il peut aussi se
produire des cas où les universités se
retrouvent déchirées entre des obligations
contradictoires comme celle de produire des connaissances
à diffusion publique tout en respectant les secrets
commerciaux de leurs partenaires industriels.
-
Sources normatives pour la
régie de la biotechnologie au Canada
Dans le cours des derniers travaux que mes
collègues et moi-même avons
réalisés pour la Commission du droit du
Canada sur la régie de la recherche sur des sujets
humains, nous avons repéré et examiné
diverses sources normatives en cette matière.
Certaines de ces sources figurent dans les textes
législatifs et les décisions de justice aux
niveaux provincial et fédéral.
D’autres s’expriment plutôt dans des
questions de politique ou dans des pratiques en usage dans
les institutions des secteurs public, privé et sans
but lucratif. D’autres encore sont liées
à des normes professionnelles et à des
conventions et déclarations internationales.
Partant de là, nous avons pu dresser le tableau
d’une régie qui se révélait,
dans certains cas, agir par inadvertance, dans la
confusion et même parfois dans la contradiction. Il
n’en est peut-être pas ainsi de la
régie canadienne de la biotechnologie, mais il
semble important que l’on procède à
une étude structurée de cette sphère.
À cet égard, j’aimerais attirer
l’attention tout spécialement sur les accords
et les engagements internationaux, parce qu’ils
m’apparaissent clairement beaucoup plus importants
qu’on le reconnaît généralement,
surtout à une époque d’investissement
et de commerce à l’échelle mondiale.
-
Travaux effectués dans
d’autres pays au sujet de la biotechnologie et de
l’éthique
Une autre suggestion, intimement liée à la
présente, a trait à la recherche et à
la collecte de renseignements concernant les travaux
effectués dans d’autres pays au sujet de
l’éthique et de la biotechnologie. Les six
documents faisant l’objet de la présente
synthèse, par exemple, contiennent une
quantité d’information sur les initiatives
lancées par certains pays qui se sont dotés
d’organes consultatifs dont la fonction est assez
semblable à celle du CCCB. Je dois avouer,
cependant, que le contenu de ces écrits sur la
question m’est apparu, au mieux, comme
présentant simplement des exemples, et de nature
plutôt non systématique. On y relève
des lacunes importantes sur le plan de la couverture,
comme en témoigne la rareté des
renseignements concernant le Royaume- Uni et même
les États-Unis, un partenaire commercial principal
du Canada.
Il manque également, sur les autres pays, des
données provenant de diverses sources
gouvernementales, quasi gouvernementales et
professionnelles et des ONG. Il semblerait très
pertinent que le CCCB, dans le cadre de ses
activités, s’attache à
découvrir les normes d’éthique
adoptées par les scientifiques dans des secteurs
clés comme l’exploitation forestière,
l’agriculture et les pêches. À titre
d’exemple, mentionnons l’Institut
international des ressources
phytogénétiques, qui vient de revoir son
code d’éthique. Cet institut a pour objectif
premier la préservation de la diversité
génétique, surtout dans les pays en
développement60.
Ce souci de la diversité génétique
correspond aux fins de la politique canadienne en
matière de biotechnologie. Une question importante
est celle de savoir si la biotechnologie vient en aide aux
pays en développement en accroissant la
quantité totale de disponibilités
alimentaires, ou si elle nuit à ces pays en mettant
le contrôle économique entre les mains de
sociétés transnationales, ce qui diminue
d’autant le contrôle économique local61.
Bien que le CCCB soit doté d’experts dans
plusieurs de ces domaines, il serait sans nul doute utile
aux ministères et aux organismes qu’il sert,
ainsi qu’à la population canadienne, que le
Comité étudie systématiquement, de
temps à autre, les normes qui s’appliquent
dans les domaines en question. Un champ tout
particulièrement intéressant est celui de
l’établissement de repères
d’éthique internationalement reconnus dans
divers secteurs de la biotechnologie tels que la
thérapie génétique, les normes de
salubrité alimentaire ou le traitement compatissant
des animaux transgéniques. Il s’agit
là évidemment d’une cible mouvante
puisque ces normes ne cessent jamais
d’évoluer, mais les enjeux en cause sont
fondamentaux pour le CCCB et pour les organismes et les
groupes d’intérêt qu’il sert.
-
Conclusion
Les six documents dont le présent rapport fait la
synthèse montrent la pertinence des jugements
éthiques – des jugements toute
réflexion faite – pour la politique
canadienne en matière de biotechnologie. En
créant la nouvelle SCB et le CCCB, le gouvernement
du Canada a mis à sa propre disposition un cadre
général qui lui rend plus facile de tenir
compte des questions d’éthique en
biotechnologie. Les cinq lacunes cernées
correspondent à des champs importants de recherches
parrainées ou effectuées par le CCCB, des
domaines qui sont reliés intrinsèquement au
mandat du CCCB et qui intéressent probablement
beaucoup les partenaires et les intervenants du CCCB.
-
1 Espey 1997, p. 10. Barrett
offre une bonne introduction à cette stratégie dans
sa thèse de doctorat présentée
récemment et portant sur le colza canola. Katherine Barrett,
Canadian Agricultural Biotechnology : Risk
Assessment and the Precautionary Principle,
Département de botanique de l’université de la
Colombie- Britannique, thèse de doctorat, 1999, p. 79-80.
-
2 Espey 1997, p. 10. Les chiffres datent de 1992. Il
faudrait les mettre à jour et les présenter sous
forme de graphique afin de montrer la croissance rapide de la
biotechnologie.
-
3 Voir Barrett.
-
4 Conseil des sciences du Canada, Rapport 42, La
génétique et les services de santé,
Ottawa 1991; Commission de réforme du droit du Canada, Genetic Heritage (document de
réflexion produit par B.M. Knoppers) Ottawa, 1991. Voir
aussi L’énoncé de politique des trois
conseils sur l’éthique de recherche avec des
êtres humains, Ottawa, 1998.
-
5 Commission de réforme du droit du Canada,
Obtention et transfert des tissus et des organes humains,
Ottawa 1992. Voir aussi L’énoncé de
politique des trois conseils sur l’éthique de
recherche avec des êtres humains, Ottawa,1998.
-
6 Conseil de recherches médicales du Canada,
Lignes directrices concernant la recherche sur les
thérapies somatiques chez les humains, Ottawa, 1992.
Voir aussi L’énoncé de politique des trois
conseils sur l’éthique de recherche avec des
êtres humains, Ottawa,1998.
-
7 Commissaire à la protection de la vie
privée, Le dépistage génétique et
la vie privée, Ottawa, 1992.
-
8 Commission royale sur les nouvelles techniques de
reproduction, Un virage à prendre en douceur,
Ottawa, 1993.
-
9 Agriculture Canada, Direction de l’inspection
des aliments, Communiqué : Étiquetage des
aliments issus du génie génétique,
Ottawa, décembre 1995.
-
10 Il s’agit de Santé Canada,
d’Industrie Canada, de Pêches et Océans Canada,
d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, de Ressources
naturelles Canada, d’Environnement Canada et d’Affaires
étrangères et Commerce international Canada.
-
11 L’adresse du site Web du CCCB est (http://cbac.gc.ca)
-
12 La recherche sur des sujets humains et la recherche
sur des animaux sont deux domaines d’action indirecte de
l’État.
-
13 (http://www.socialsciences.uottawa.ca/governance/fra/index.asp)
-
14 Ibid.
-
15 Voir le Rapport public sur la régie
interne des Instituts de recherche en santé du Canada,
1999, p. 7.
-
16 Voir l’article de Allen Buchanan, « Toward a Theory of the Ethics of Bureaucratic
Organizations », Business Ethics
Quarterly, 1996.
-
17 Voir l’ouvrage de Patricia Day et Rudolph
Klein, Accountabilities : Five Public
Services, Tavistock Publications, Londres (R.-U.), p.
26-27, 1987, et aussi Schrecker, Hoffmaster, Somerville et
Wellington, p. 243, une comparaison entre les processus
décisionnels ouverts aux professionnels et les processus
décisionnels démocratiques.
-
18 Thomas Hurka, « Ethical
Principles », dans Harold Coward et Thomas Hurka,
Ethics and Climate Change, Wilfrid Laurier
University Press, Waterloo, Ontario, p. 23, 1993.
-
19 En général, dans le présent
document, les mots « morale » et « éthique
» sont utilisés de façon interchangeable comme
des termes de signification à peu près
équivalente. Il est utile de faire la distinction entre,
d’une part, « l’éthique » et,
d’autre part, la « morale » et les «
valeurs », parce qu’il arrive parfois que le sens moral
d’un individu (p. ex., le sens du bien et du mal) ou son sens
des valeurs (p. ex., ce que cette personne considère comme
les éléments d’une bonne vie) s’exprime
principalement dans des actions et des sentiments et non pas dans
des jugements explicites raisonnés et justifiés par
une structure logique des principes déclarés qui
forment l’objet premier d’étude de la
philosophie morale.
-
20 Dans leur rapport de 1992 destiné à la
Coalition autochtone pour la recherche en Ontario, intitulé
« Finding a Balance of Values
» et déposé auprès de la Commission des
évaluations environnementales de l’Ontario, McDonald,
Stevenson et Cragg définissent l’éthique
descriptive comme « la branche de l’éthique qui
décrit la moralité et les valeurs de personnes ou de
groupes, telles que manifestées dans les coutumes, les
pratiques, les traditions et les idéologies. Basée
sur les travaux des anthropologues, des sociologues et
d’autres spécialistes des sciences sociales, sur
l’étude directe de textes et sur des
témoignages, l’éthique descriptive
s’efforce d’interpréter et de structurer les
pratiques, ainsi que les moyens susceptibles de pouvoir servir
à les fonder ou à les justifier » (traduction
libre).
-
21 Barrett (p. 50) décrit le principe de
précaution comme étant principalement un concept
juridique déclarant qu’il « vaut mieux
prévenir que guérir » ou affirmant, comme elle
l’explique : « De façon plus exacte, bien que
peut-être moins claire,… qu’il soit
préférable d’avoir à peu près
raison en temps opportun, compte tenu des conséquences
qu’il y a à avoir très tort plutôt que
d’avoir raison de façon absolue, mais trop tard.
»
-
22 Cette caractérisation de
l’éthique théorique est tirée de
McDonald, Stevenson et Cragg, 1992.
-
23 Cette énumération est tirée de
Manuel Velasquez, Business Ethics : Concepts
and Cases, troisième édition,
Prentice-Hall, Englewood Cliffs, N.J., p. 13, 1991.
-
24 Hare, R.M, Freedom and
Reason, Oxford University Press, Oxford, 1963.
-
25 Kurt Baier, The Moral Point of
View, Cornell University Press, 1957.
-
26 Kurt Baier
-
27 Avec un ouvrage paru en 1984 et intitulé
Reasons and Persons, le philosophe anglais Derek Parfit a
provoqué un renouveau d’intérêt à
l’endroit de cette question. Les économistes David
Davidson et Charles Blackorby, de l’université de la
Colombie-Britannique, ont publié divers écrits dans
lesquels ils explorent, avec beaucoup de subtilité et de
raffinement mathématique, les enjeux qui y sont liés.
-
28 L’éthique normative peut se
décrire comme « la branche de l’éthique
qui s’occupe non pas tant d’étudier les
mœurs et les valeurs ou d’élaborer des
théories à leur sujet, mais plutôt de poser
concrètement des jugements normatifs sur des actions, des
personnes et des caractères à l’aide d’un
vocabulaire de morale et de valeurs. À titre
d’éthique (par opposition à une moralité
naïve), l’éthique normative utilise
l’éthique descriptive et l’éthique
théorique ou y trouve des lumières ».
Ibid.
-
29 L’université Harvard a
présenté une demande de brevet au Canada pour sa
carcinosouris. Voir la cause President and
Fellows of Harvard College c. (Canada) Commissaire aux
brevets (2000) A-334-98. Appel autorisé par la
Cour suprême du Canada, octobre 2000.
-
30 Espey (p. 4-5) soutient que la façon dont le
gouvernement a traité la question de la SBTr montre comment
l’absence de souci explicite pour les incidences publiques de
la biotechnologie est source de problèmes. Dans le
présent rapport, par contre, l’exemple de la SBTr sert
à illustrer la valeur de la réflexion éthique
au moment de cerner les dimensions de base du débat sur la
biotechnologie.
-
31 Les utilitaristes de la première heure, tel
Jeremy Bentham, voyaient l’utilité ou le
bien-être comme une sorte d’état de sensation,
à savoir, le plaisir. Ceux venus par la suite, dont les
économistes actuels du bien-être, voient dans le
bien-être la satisfaction de préférences
exprimées.
-
32 Robert Nozick , Anarchy, State, and Utopia,
Basic Books, New York, p. 29, 1974.
-
33 Cragg (1999) prétend que des expressions
telles que « valeurs fondamentales » et « valeurs
symboliques » saisissent mieux l’usage réel que
l’expression « valeurs intrinsèques »
utilisée traditionnellement par les philosophes.
-
34 Dans un rapport inédit de 1999, Cragg
soutient, d’un ton persuasif, que le fait de traiter des
valeurs fondamentales ou symboliques comme de simples valeurs
économiques est le genre de malentendus qui empêchent
toute discussion cohérente. Il fonde son argumentation sur
une analyse de plusieurs différends ayant pris place au
Canada en matière d’environnement. Wesley Cragg,
« Mapping Values, Descriptive Axiology
and Applied Ethics : Lessons from Four Environmental Ethics Case
Studies », Association canadienne de philosophie,
1999.
-
35 Will Kymlicka, « Approaches to
the Ethical Issues Raised by the Royal Commission’s
Mandate », dans New Reproductive
Technologies, Ethical Aspects, Études de la
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction,
vol. 1, Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, p. 13, 1993.
-
36 Rawls, John, A Theory of
Justice, Harvard University Press, Cambridge, Mass., p.
578-579, 1971.
-
37 Ronald Dworkin, Taking Rights
Seriously, Duckworth Press, Londres, p. 24, 1977.
-
38 Dworkin, p. 28.
-
39 Pour consulter le cadre décisionnel
élaboré par McDonald, voir le site Web (www.ethics.ubc.ca).
-
40 L’article 15 de la Charte mentionne
aussi « le droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi ».
-
41 Jonathan D. Moreno, Deciding
Together : Bioethics and Moral Consensus, Oxford
University Press, New York, p. 45, 1995. Moreno ajoute aussi (p.
39) que « le consensus est un trait inévitable de la
prise des décisions en matière morale, mais
qu’il est source d’anxiété pour les
théoriciens de la morale. Comme le souligne Jennings, le
consensus renforce les structures de pouvoir, canalise et
neutralise les conflits et disperse la responsabilité. Ce
faisant, il se trouve à appuyer les structures
établies de domination. Pourtant, les appels au consensus
sont partout. Et sans consensus, comment pourrait-on faire
prévaloir quelque notion nouvelle que ce soit dans les
affaires humaines, même si elle est celle qui convient, sans
procéder par la force? » (traduction libre)
-
42 Espey (p. 3) fait remarquer que « pour un
gouvernement, la question critique est de savoir comment justifier
ses politiques devant les citoyens qu’il sert. Dans une
société où le consensus en matière de
politique est rare ou inaccessible, c’est le processus qui
légitime la politique ». Les principes dont il est
question ici englobent aussi bien ceux de procédure que ceux
de fond.
-
Espey, p. 3.
-
44 En langage courant, le terme « risque »
dénote la possibilité d’une situation
néfaste, nuisible ou non désirée.
-
45 A. Tversky et D. Kahneman, « Belief in the Law of Small Numbers », dans Judgement Under Uncertainty : Heuristic and
Biases, D. Kahneman, P. Slovic et A. Tversky
(réd.), Cambridge University Press,
Cambridge. p. 23-31, 1982. Voir aussi K.S. Schrader-Frechette,
Risk and Rationality : Philosophical
Foundations for Populist Reforms, University of California
Press, Berkeley, p. 77-88, 1991.
-
46 Conrad G. Brunk, Lawrence Haworth et Brenda Lee,
Value Assumptions in Risk Assessment : A Case
Study of the Alachlor Controversy, Wilfrid Laurier University Press, Waterloo, Ontario,
1991.
-
47 Brunk, p. 93-95.
-
48 Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington, p.
140.
-
49 Ibid, p. 148.
-
50 Maragaret A. Somerville, « Are
We Just ‘Gene Machines’ or Also ‘Secular
Sacred’? », dans « New
Science to a New Societal Paradigm », Policy Options, no 16, p. 5, mars 1996.
Citée par Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington,
p. 251.
-
51 Voir Santé Canada, « New Reproductive
and Genetic Therapies : Setting Boundaries, Enhancing Health
», juin 1996.
-
52 Voir McDonald, article sur les conflits
d’intérêts affiché au site Web (www.ethics.ubc.ca) et aussi McDonald et
al., The Governance of Health Research Involving
Human Subjects, Commission du droit du Canada (à
paraître sous peu), dont la section F-1 porte sur les
conflits d’intérêts au sein des institutions.
Les principes généraux du règlement des
conflits d’intérêts sont exposés dans
« Hands : Clean and Tied, Dirty and
Bloody » Dirty Hands, David Shugarman et Paul Rynard
(réd.), Broadview Press, Peterborough, Ontario, p. 187-198,
2000.
-
53 Katherine Barrett Canadian Agricultural
Biotechnology : Risk Assessment and the Precautionary
Principle, thèse de doctorat, Département de
botanique, université de la Colombie-Britannique, p. ii-iii,
1999.
-
54 Tel qu’indiqué dans McDonald et al.,
The Governance of Health Research Involving Human
Subjects, Commission du droit du Canada (à
paraître sous peu), l’homologue apparent du CCCA pour
ce qui est des êtres humains, soit le Conseil national de
l’éthique de la recherche sur des êtres humains,
dispose d’un mandat très restreint qui ne
l’autorise pas à façonner ni même
à éclairer la politique nationale du Canada en
matière de recherche sur des êtres humains. Voir la
section F-1e.
-
55 Derek Jones, p. 14, 1999.
-
56 Jones 1999,, tableau A, p. 12.
-
57 Baruch Brody, The Ethics of Biomedical Research : An
International Perspective, Oxford University Press, Oxford, p. 36,
1998.
-
58 p. 148.
-
59 Les vérifications internes sont
réservées à l’usage de
l’entreprise concernée. Les vérifications
externes visent à rassurer d’autres intervenants, tels
les investisseurs et les créanciers, quant à
l’exactitude et à la fiabilité du rapport
financier.
-
60 L’Institut international des ressources
phytogénétiques fait partie du Groupe consultatif
pour la recherche agricole internationale, un organisme
renommé pour son travail en faveur de la révolution
verte par l’intermédiaire de l’Institut
international du riz et d’autres organes semblables
axés sur le maïs, le blé, la pomme de terre,
etc. L’information présentée ici me vient de M.
Gene Namkoong (Ph.D., faculté des sciences
forestières, université de la Colombie-Britannique),
un chercheur de réputation mondiale et un pionnier de la
génétique forestière.
-
61 Les mêmes questions se sont posées au
sujet de la révolution verte des années 1960.
|