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Comité consultatif canadien de la biotechnologie
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La biotechnologie, l'éthique et l'État : Synthèse

Préparé pour

Le Comité de direction de projet sur l’intégration des préoccupations sociales et éthiques dans la biotechnologie du Comité consultatif canadien de la biotechnologie

par Michael McDonald
Novembre 2000

Table de matières

  1. Résumé
  2. Avant-propos
  3. Introduction
  4. Section I : L’État, l’éthique et le bon gouvernement
    1. La Stratégie nationale en matière de biotechnologie
    2. Un souci croissant de l’éthique
    3. Les rôles et les responsabilités de l’État
    4. Les aspirations en matière de bonne intendance
  5. Section II : Qu’est-ce que l’éthique et qu’a-t-elle à offrir à la politique gouvernementale?
    1. Les jugements éthiques comme jugements « toute réflexion faite »
    2. L’éthique comme champ d’étude systématique
      1. Éthique descriptive
      2. Éthique théorique
      3. Éthique normative
      4. Éthique et politique gouvernementale – l’exemple de la SBTr
    3. Justification des choix moraux
      1. Primauté aux fins – points de vue conséquentialistes
      2. Primauté aux moyens – points de vue déontologiques
      3. Justice
      4. L’éthique a-t-elle des fondements?
    4. Mise en pratique de l’éthique – règles et principes
  6. Section III : Éthique et politique gouvernementale – appréciation judicieuse des facteurs d’éthique pertinents
    1. Recours aux principes généralement reconnus
    2. Principes fondamentaux de la société canadienne
    3. Facteurs d’éthique applicables à la politique gouvernementale
  7. Section IV : Grandes questions d’éthique reliées à la politique gouvernementale et à la biotechnologie
    1. Aborder l’incertitude
      1. Analyse et perception des risques – points de vue scientifiques
      2. Arguments en faveur de perspectives plus globales
    2. Quatrième obstacle – le contrôle de la biotechnologie par la société
    3. Respect de la nature et réification
    4. Réglementation et promotion parallèles – les conflits d’intérêts
    5. Prestation de conseils d’éthique au sujet de la politique en matière de biotechnologie
      1. Trois exemples de comités consultatifs sur l’éthique en biotechnologie dans d’autres pays
      2. Accord international apparent concernant les normes d’éthique
  8. Section V : Lacunes d’information et thèmes possibles de recherche future
    1. Les principes de précaution et certains autres critères permettant de traiter la question du compromis entre les avantages et les dangers dans un contexte d’incertitude
    2. Restrictions imposées à la biotechnologie par le « quatrième obstacle »
    3. Promouvoir tout en réglementant – comment éviter les conflits d’intérêts et gérer des obligations contradictoires
    4. Sources normatives pour la régie de la biotechnologie au Canada
    5. Travaux effectués dans d’autres pays au sujet de la biotechnologie et de l’éthique
    6. Conclusion

  1. Résumé

    Le présent rapport a pour objectif a) d’offrir une synthèse de six documents sur l’éthique et la biologie élaborés à l’intention du gouvernement canadien et b) d’indiquer les lacunes d’information relevées dans ces documents. Le point de départ de notre propos est le rôle du Comité consultatif canadien de la biotechnologie (CCCB) comme conseiller du gouvernement du Canada sur tous les aspects de la biotechnologie, y compris ses dimensions socio-éthiques et juridiques.

    La Section I traite de la participation du gouvernement canadien à la biotechnologie, surtout dans les domaines où les questions d’éthique sont importantes. Elle décrit l’évolution de la situation depuis la Stratégie nationale en matière de biotechnologie, qui était axée principalement sur le développement économique, jusqu’à la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie, dont l’orientation est beaucoup plus globale. Elle donne une analyse des rôles et des responsabilités du gouvernement et des aspirations générales concernant la régie de la politique canadienne en matière de biotechnologie.

    La Section II présente une vue d’ensemble de l’éthique et en explique les concepts et les démarches de base. Les jugements éthiques y sont décrits comme des jugements intégrants, globaux ou « toute réflexion faite », lesquels nécessitent l’intégration judicieuse de différents types de connaissances et de compétences spécialisées. L’éthique, ou la philosophie morale, implique l’étude systématique de normes et de valeurs manifestées dans des actions (le bien et le mal), des conséquences (bonnes et mauvaises) et des caractères (la vertu et le vice) particuliers. L’éthique se subdivise en trois branches, l’éthique descriptive, l’éthique théorique et l’éthique normative, dont chacune se rapporte à la politique en matière de biotechnologie, comme on a pu le constater dans l’affaire de la somatotropine bovine recombinante (SBTr). En politique, certains allèguent que les revendications de nature éthique sont fondées sur l’appel à des principes généraux, des principes qui sont souvent d’acceptation générale, mais qui n’en peuvent pas moins faire l’objet d’argumentations et de révisions.

    La Section III se base sur l’analyse précédente des concepts de l’éthique pour montrer comment l’éthique peut éclairer la politique gouvernementale. Plus précisément, elle décrit le recours à l’éthique en politique gouvernementale comme la recherche d’un équilibre judicieux entre plusieurs considérations pertinentes, tout particulièrement certains principes d’usage courant. Dans une société démocratique libérale, l’élaboration de la politique gouvernementale fait appel aux principes libéraux et démocratiques. Les analyses du caractère éthique de la politique gouvernementale dans le contexte canadien prennent leurs racines dans un sol fertile enrichi par les principes de l’égalité devant et dans la loi, de la participation démocratique au gouvernement, de l’obligation de rendre compte, de l’égalité des personnes dans la dignité, du pluralisme, du multiculturalisme, et ainsi de suite. Certains de ces principes sont fondamentaux (l’égalité dans la dignité), d’autres sont de procédure (l’égalité devant et dans la loi) et d’autres encore ont trait aux normes de bonne intendance dans une société démocratique – la transparence (des processus décisionnels ouverts) et l’obligation des gouvernants de rendre compte aux gouvernés.

    La Section IV formule une description générale des grands thèmes d’éthique en biotechnologie ainsi que de certaines démarches adoptées par les gouvernements à leur endroit. On y pose quatre questions majeures concernant l’éthique en biotechnologie : 1) Comment la politique gouvernementale devrait-elle aborder les incertitudes réelles ou perçues au sujet de la biotechnologie? 2) La société devrait-elle détenir le contrôle de la biotechnologie? 3) La R-D en biotechnologie manifeste-t-elle suffisamment le « respect de la vie »? 4) Comment le gouvernement peut-il concilier son rôle de promoteur de la biotechnologie avec ses responsabilités importantes de réglementation? Nous verrons aussi trois exemples de l’action de comités consultatifs de biotechnologie dans des pays étrangers.

    Pour finir, la Section V propose des orientations futures à la recherche dont cinq objets principaux : 1) le principe de précaution et certains autres critères permettant de traiter la question du compromis entre les avantages et les dangers dans un contexte d’incertitude, 2) les restrictions propres à ce que l’on appelle le « quatrième obstacle » à la biotechnologie, 3) les préoccupations causées par le rôle bivalent d’un gouvernement qui s’occupe à la fois de promouvoir et de réglementer la biotechnologie dans les secteurs privé et public, 4) les sources normatives nationales, étrangères, professionnelles, industrielles et autres pour la régie de la biotechnologie au Canada, et 5) les travaux gouvernementaux, quasi gouvernementaux et professionnels effectués actuellement dans les autres pays au sujet de l’éthique et de la biotechnologie, et aussi ceux effectués par des ONG.

  2. Avant-propos



    Le présent rapport répond à une commande du CCCB et vise deux objectifs principaux. Le premier est d’offrir une synthèse de six documents sur l’éthique et la biotechnologie élaborés à l’intention du gouvernement canadien entre 1996 et 1999. Le deuxième est d’évaluer la situation du gouvernement canadien, d’après ces documents, en matière d’éthique de la biotechnologie et de cerner des thèmes de recherche future.

    Trois des six écrits en question, élaborés à l’intention du Groupe de travail sur la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie, ont paru en 1998 sous la forme d’un document de référence intitulé Renouvellement de la stratégie canadienne en matière de biotechnologie :
    • « Éthique et biotechnologie : Le rôle du gouvernement du Canada », par Derek Jones (1997).
    • « Making Ethically Acceptable Policy Decisions : Challenges Facing the Federal Government », par Ted Schrecker et Margaret A. Somerville.
    • « Biotechnology, Ethics and Government : Report to the Interdepartmental Working Group on Ethics », par Ted Schrecker, Barry Hoffmaster, Margaret A. Somerville et Alex Wellington.
    Les trois autres ont paru séparément :
    • « Socioethical Implications of Biotechnology », par Jennifer Espey et al., rapport commandité par le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest (1997).
    • « Government & Biotechnology : Ethics Frameworks to Manage Moral Uncertainty & Policy Development », par Derek Jones, un rapport élaboré pour le groupe de travail sur l’éthique et la confiance du public à l’endroit de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie (1998).
    • « Towards a Coherent Ethics Framework for Biotechnology in Canada », par Derek Jones, rapport élaboré pour le Comité interministériel du gouvernement du Canada sur l’éthique et la biotechnologie (1999).

    En rédigeant la présente synthèse, l’auteur s’est efforcé de relever les lacunes possibles dans la recherche, mais ne considère pas cette synthèse comme le rapport d’une recherche nouvelle. Évidemment, en résumant plusieurs centaines de pages, il a fallu sacrifier des détails au profit de l’exhaustivité et de la clarté. L’espace manquait pour passer complètement en revue tout ce que contiennent les six documents originaux au sujet de l’éthique, du droit, de l’État, de la science, du risque, etc.

    Je tiens à remercier les membres du CCCB, en particulier le Dr Arthur Hanson, la Dre Françoise Baylis et M. Jonathan Syms, et aussi Mme Linda S. Williams, conseillère principale en matière de politiques auprès du CCCB, pour leurs commentaires sur le plan et l’ébauche du présent rapport.

    Michael McDonald
    Titulaire de la chaire Maurice Young d’éthique appliquée
    Centre for Applied Ethics
    Université de la Colombie-Britannique
    (S:\CBST\AMENU\Phase-4\CBAC\Committees cbac\Steering Com\Ethics\McDfinal.doc)
  3. Introduction

    Tel qu’indiqué plus haut, le présent rapport à pour objectif a) d’offrir une synthèse de six documents sur l’éthique et la biotechnologie élaborés à l’intention du gouvernement canadien et b) d’indiquer les lacunes d’information relevées dans ces documents, c’est-àdire que, le point a) étant donné, il est justifié de poser la question b) : qu’est-ce que ces six documents apportent au CCCB et quels genres de rapports, d’études ou de recherches pourraient faire avancer l’analyse de la situation au-delà des domaines couverts par les six documents déjà produits? Le point de départ du rapport est le rôle du CCCB comme conseiller du gouvernement du Canada sur tous les aspects de la biotechnologie.

    Le rapport se compose de cinq sections. La Section I traite de la participation du gouvernement canadien à la biotechnologie, surtout dans les domaines où les questions d’éthique sont importantes. Elle donne une analyse des rôles et des responsabilités du gouvernement et des aspirations générales concernant la régie de la politique canadienne visant la biotechnologie. La Section II présente une vue d’ensemble de l’éthique et en explique les concepts et les démarches de base. La Section III se base sur l’analyse précédente des concepts de l’éthique pour montrer comment l’éthique peut éclairer la politique gouvernementale. La Section IV formule une description générale des grandes questions d’éthique posées au sujet de la politique gouvernementale en matière de biotechnologie. Pour finir, la Section V propose des orientations futures à la recherche dont cinq objets principaux, en tirant des leçons des pratiques du Canada et d’autres pays en ce qui concerne l’éthique et la politique gouvernementale.

  4. Section 1 : L’État, l’éthique et le bon gouvernement

    1. La stratégie nationale en matière de biotechnologie

      La stratégie nationale en matière de biotechnologie (SNMB), lancée en 19831, est un bon point de départ au présent rapport. Conçue dans le but d’accélérer le développement industriel, la SNMB avait quatre objectifs :
      1. axer la R-D en biotechnologie sur des domaines d’importance stratégique pour le Canada;
      2. favoriser la création de ressources humaines pour la biotechnologie;
      3. faciliter la collaboration entre les secteurs engagés dans la biotechnologie;
      4. mettre en place un climat favorable à l’investissement en biotechnologie.

      Le mandat de promouvoir la biotechnologie est allé à Industrie Canada en collaboration avec Santé Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada et Environnement Canada. Santé Canada était chargé de la réglementation de la biotechnologie et les autres ministères s’occupaient à la fois de réglementer et de promouvoir la biotechnologie. Plusieurs réseaux de biotechnologie ont été établis afin de faciliter la coopération entre les secteurs public et privé. Le Conseil national de recherches consacrait aussi des ressources importantes à la R-D en biotechnologie.

      La SNMB a contribué à la constitution d’une robuste industrie de la biotechnologie au Canada. En 1995, le pays comptait 500 entreprises de biotechnologie employant au total 23 000 personnes et produisant des revenus annuels de 2 milliards de dollars. Ces entreprises s’attachaient à l’élaboration d’applications de la biotechnologie dans les domaines des soins de santé (44 p. 100), de l’aquiculture et de l’agriculture (28 p. 100), des produits chimiques (17 p. 100), de l’environnement (10 p. 100) et des mines, des forêts et de l’énergie (1 p. 100)2. Aujourd’hui, les produits biotechnologiques sont d’usage courant au Canada. En médecine, ils comprennent l’insuline, l’hormone de croissance humaine, des vaccins et de nouveaux traitements du cancer. En agriculture, le meilleur exemple des réalisations de la biotechnologie est le colza canola génétiquement modifié et résistant aux herbicides3. Dans le secteur des forêts, la bactérie Bacillus thuringiensis sert à la lutte dirigée contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette et la spongieuse.

    2. Un souci croissant de l’éthique

      Au moment de la mise en œuvre de la SNMB, le public manifestait des craintes grandissantes au sujet de la biotechnologie, et le gouvernement et l’industrie sont devenus plus sensibles à ces préoccupations. Les critiques visaient tout particulièrement le rôle ambigu d’un gouvernement qui s’occupait à la fois de promouvoir et de réglementer la biotechnologie. En réaction à ces critiques et aux inquiétudes du public, il s’est formé un certain nombre de groupes interministériels fédéraux, dont le sous-groupe de sensibilisation du public, le sous-groupe de la propriété intellectuelle et le sous-groupe des communications. Au début des années 1990, il s’est tenu divers ateliers réunissant des intervenants du domaine sur des thèmes tels que les modifications proposées à la Loi sur la protection de l’environnement (1992), la sensibilisation du public à la biotechnologie (1993), l’élaboration de lignes directrices sur l’étiquetage des aliments génétiquement modifiés (1994) et les applications de la lutte dirigée contre les ravageurs forestiers (1995). En 1994, les participants à un atelier interministériel sur les préoccupations d’ordre éthique soulevées par la biotechnologie ont formulé quatre questions très pertinentes :
      1. Faudrait-il élaborer des directives et des règles ministérielles ou modifier les directives et règles existantes afin de tenir compte de l’éthique?
      2. Une nouvelle politique devrait-elle être élaborée et, dans l’affirmative, à quel niveau?
      3. Y aurait-il lieu de créer des comités d’éthique à l’échelon ministériel ou interministériel?
      4. Faudrait-il créer un comité réunissant les parties prenantes?
      On trouve d’autres expressions des préoccupations du public et du gouvernement au sujet de la biotechnologie dans plusieurs rapports diffusés par des organismes et des commissions financés par l’État. Mentionnons certains des thèmes abordés :
      • Les répercussions éthiques des tests génétiques4
      • La propriété des tissus humains5
      • La thérapie génétique6
      • Les banques d’ADN et la protection des renseignements personnels7
      • Les nouvelles techniques de reproduction faisant appel à la recherche en biotechnologie et à ses applications8
      • L’étiquetage des aliments génétiquement modifiés9

      Les sujets de ces documents offrent un échantillon représentatif de certaines des grandes questions d’éthique en biotechnologie. Chacun d’entre eux pourrait être perçu comme présentant des possibilités optimistes et pessimistes découlant, dans bien des cas, de choix difficiles à poser sur le plan de l’éthique. Ainsi, d’une part, il est possible que les tests génétiques fournissent aux gens des renseignements précieux au sujet de leur santé et puissent éventuellement mener à des traitements efficaces contre certaines maladies. D’autre part, il est possible aussi que les tests génétiques entraînent de la discrimination en matière d’emploi et d’assurances à l’endroit des personnes porteuses de marqueurs génétiques particuliers; ils pourraient même aggraver la stigmatisation et la marginalisation de certains groupes. En matière non médicale, les aliments (et les organismes) génétiquement modifiés promettent un approvisionnement alimentaire plus sûr, moins coûteux et meilleur. Par contre, bien des gens craignent les « aliments manipulés à la Frankenstein » et le danger de créer des super-mauvaises herbes et d’autres effets nuisibles (p. ex., la détérioration de la diversité biologique à cause de l’échappée dans la nature de graines de semence et de poissons génétiquement modifiés). Chacune des sources d’inquiétude mentionnées dans ces rapports fait naître des questions difficiles concernant des choix complexes. Il s’agit notamment de questions concernant les risques et la sécurité (p. ex., à qui le fardeau de la preuve incombe-t-il?), l’équité (p. ex., telle ou telle nouvelle technologie impose-t-elle un fardeau injuste à certaines personnes?), la dignité humaine (p. ex., la manipulation génétique peut-elle donner naissance à des surhommes ou à des sous-hommes?) et le contrôle de la nature par les humains (p. ex., la biotechnologie représente-t-elle une amélioration de l’ordre naturel ou une attaque à son endroit?). Un bon nombre de ces enjeux sont reliés entre eux par les inquiétudes concernant le rôle de l’État dans la promotion et la réglementation de la biotechnologie.

      En 1998, la SNMB était remplacée par la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie (SCB), laquelle avait pour but d’assurer un équilibre entre le développement industriel et le souci des valeurs sociales et de l’éthique. La SCB proposait aussi la création du CCCB. Créé en 1999, cet organe indépendant conseille le gouvernement sur les questions socio-éthiques liées à la biotechnologie et leurs incidences sur la politique gouvernementale, et aussi dans de nombreux autres domaines connexes comme les dimensions sociales, éthiques, légales, environnementales, réglementaires, économiques, scientifiques et de santé de la biotechnologie. Dans le cadre de l’ancienne SNMB, il y avait un organe consultatif, appelé Comité consultatif national de la biotechnologie (CCNB) et composé de chefs d’entreprises de biotechnologie et de chercheurs universitaires en biotechnologie, qui rendait compte à Industrie Canada. Avec la nouvelle SCB, le CCCB se compose de personnes venues du monde scientifique, du monde des affaires, du grand public, et des domaines de l’éthique et de l’environnement, et il est comptable envers les ministres des sept ministères fédéraux s’occupant de biotechnologie10. Une part du mandat du CCCB est de « sensibiliser le public à la biotechnologie et faire participer les Canadiens à un dialogue au sujet des questions soulevées par le développement et la mise en application de la biotechnologie11 ». À cette fin, le CCCB s’est doté de comités permanents qui se consacrent à la bonne intendance (« les dimensions sociales, éthiques, légales, environnementales et réglementaires »), au développement économique et social (« les réalisations scientifiques menant à des innovations biotechnologiques et à leurs applications à la santé, à l’environnement et à l’économie ») et à la participation des citoyens.

    3. Les rôles et les responsabilités de l’État

      En ce qui touche la biotechnologie, le gouvernement a figuré jusqu’à maintenant dans des rôles nombreux et divers. En voici des exemples :
      • l’investissement de fonds publics dans la R-D, soit par des organismes du secteur public (p. ex., Agriculture Canada), soit au moyen de subventions ou d’autres modes d’aide financière aux chercheurs des universités ou du secteur privé;
      • la mise en œuvre de programmes de partage des coûts afin d’aider l’industrie à établir des rapports de collaboration avec les universités et les groupes de recherche provinciaux;
      • la promotion et le financement d’échanges de personnel entre les centres de recherche du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux, des universités et de l’industrie;
      • des initiatives visant à harmoniser les règlements nationaux et internationaux avec le développement de la biotechnologie au Canada;
      • tout récemment, par l’intermédiaire du CCCB, rechercher expressément les conseils d’experts et la participation des citoyens concernant les dimensions multiples de la biotechnologie, y compris les enjeux éthiques, légaux, sociaux, économiques et scientifiques auxquels elle donne lieu.

      Ces efforts de l’État pour encourager la biotechnologie devraient être perçus comme étant reliés aux responsabilités de régie centrale propres au gouvernement fédéral (certaines de ces responsabilités étant partagées avec les gouvernements provinciaux), qui consistent premièrement à agir en fiduciaire des obligations, des mandats et des fonds publics. En deuxième lieu, l’État détient des responsabilités importantes dans les domaines de la santé et de la sécurité publiques. Troisièmement, il assume des responsabilités découlant des rôles qu’il joue en R-D, soit directement (au moyen, p. ex., de subventions de recherche et de programmes de recherche internes) soit indirectement (au moyen, p. ex., de politiques fiscales et de leadership). Quatrièmement, le gouvernement a des responsabilités de normalisation et de réglementation en ce qui a trait aux brevets, aux licences et aux statuts. La normalisation agit directement dans certains cas et dans d’autres, elle agit indirectement par l’utilisation des pouvoirs de dépenser12. En cinquième lieu, et principalement par l’intermédiaire des tribunaux administratifs, le gouvernement assume des responsabilités officielles touchant le règlement des différends et, au moyen de la jurisprudence, en matière d’encadrement des réclamations fondées sur le droit. Sixièmement, le gouvernement fédéral acquiert des responsabilités à la suite de conventions conclues avec d’autres pays dans des domaines qui ont de l’importance pour la biotechnologie, comme la santé, la recherche scientifique et biomédicale, les règlements agricoles, le commerce international et d’autres champs connexes (p. ex., la propriété intellectuelle). Enfin, septièmement, les gouvernements démocratiquement élus ont le devoir d’être sensible à la voix de leurs citoyens et de rendre des comptes à leurs administrés.

    4. Les aspirations en matière de bonne intendance

      Les gouvernements et les administrations publiques de tous les ordres ont la responsabilité de respecter les normes de bonne intendance. Selon les chercheurs du Centre d’études en gouvernance, à l’Université d’Ottawa, la régie au niveau organisationnel concerne « les processus au moyen desquels s’orientent les organisations humaines, qu’elles soient privées, publiques ou citoyennes13 ». Le Centre souligne également qu’à ce niveau, la gouvernance touche :
      • les façons complexes dont les organisations privées, publiques et sociales interagissent les unes avec les autres et apprennent les unes des autres;
      • la manière dont les citoyens contribuent, directement et indirectement, au système de conduite des affaires publiques en participant aux institutions publiques et à celles de la société civile et du monde des affaires;
      • les instruments, les règlements et les processus qui définissent les « règles du jeu14 ».

      La gouvernance d’une organisation telle qu’un gouvernement, une université ou une entreprise comporterait donc des traits communs, entre autres « une mission claire; la responsabilité; l’obligation de rendre compte; la transparence; la bonne intendance; la flexibilité; une continuité assurée; la représentation; et la simplicité15 ». L’accomplissement de la mission de l’organisation est primordial, qu’il s’agisse de réaliser des profits, d’exécuter des bonnes œuvres ou de gouverner. Dans le cas d’organisations bureaucratiques complexes, une des préoccupations importantes est celle de la gestion des risques propres au mandat, c’est-à-dire, « les risques qui sont imposés aux mandants en raison du fait que les mandataires ont des intérêts susceptibles d’entrer en conflit avec ceux des mandants qu’ils sont censés servir16 ». En très grande partie, une régie saine consiste à maintenir l’organisation sur la bonne voie et, plus précisément, à défendre l’organisation contre les forces aptes à la faire dévier de la bonne voie. Pour maîtriser les risques propres au mandat, les organisations doivent établir des liens de responsabilité et se doter d’un mélange judicieux de moyens d’incitation et de dissuasion ainsi que des boucles de rétroaction nécessaires à l’assurance et à l’amélioration de la qualité. Au niveau interorganisationnel, une régie saine se concentre avant tout sur la qualité morale des rapports des organisations entre elles et avec leurs propres intéressés – par conséquent, la fiabilité, le sens des responsabilités et l’équité en sont également des éléments fondamentaux. Toute organisation doit encadrer la poursuite de ses objectifs selon les principes généraux de la morale, comme la limitation du recours à la force, la protection des vulnérables et le respect des droits de la personne.

      Il convient de signaler que plusieurs des éléments de la gouvernance sont contestables, tout particulièrement en ce qui a trait à la responsabilité « politique » par opposition à la responsabilité de « gestion ». La responsabilité de gestion porte sur « l’exécution de tâches convenues selon des critères de rendement convenus », alors que la responsabilité politique est assumée dans des domaines où il y a débat sur les degrés appropriés d’ouverture et sur l’orientation des obligations. Les différends concernant la responsabilité politique s’expriment dans des débats sur le rôle du public dans l’élaboration des politiques. C’est ainsi, par exemple, que le modèle traditionnel de consultation du public consistait à tenir des réunions à huis clos avec des spécialistes, alors que le modèle contemporain de consultation se fonde plutôt sur des réunions ouvertes avec tous les intéressés17.

  5. Section II : Qu’est-ce que l’éthique et qu’a-t-elle à offrir à la politique gouvernementale?

    Tel que déjà mentionné, le gouvernement du Canada a lancé un certain nombre d’initiatives visant l’éthique et la biotechnologie. Le gouvernement fédéral doit aussi faire face à des questions d’éthique en rapport avec ses responsabilités de régie tant à l’interne, au sein de l’administration publique, qu’à l’externe dans ses relations avec des organisations telles que les gouvernements étrangers, l’industrie, les ONG ou le grand public. Ce qui a le plus d’importance, c’est que le gouvernement fédéral, au moyen de la SNMB d’abord et maintenant de la SCB, reste l’un des principaux activateurs et agents de changement dans le secteur canadien de la biotechnologie. En effet, en adoptant la SCB, le gouvernement reconnaît l’importance de l’éthique et des autres facteurs sociaux dans l’élaboration de sa politique en matière de biotechnologie. Par ailleurs, pour comprendre les responsabilités de l’État et celles des autres intervenants du domaine, il faut d’abord décrire brièvement les jugements éthiques et l’éthique elle-même.

    1. Les jugements éthiques comme jugements « toute réflexion faite »

      Les jugements éthiques ne sont pas des jugements exclusifs; ils sont intégrants, globaux et posés « toute réflexion faite ». Le théoricien canadien de la morale Thomas Hurka explique clairement ce point dans un ouvrage sur l’éthique du réchauffement de la planète :
      « Un jugement éthique au sujet de la politique relative au climat n’est pas seulement un jugement à apprécier au même titre que des jugements d’ordre économique, politique ou autre au moment de décider, toute réflexion faite, comment agir. En effet, le jugement éthique est, en luimême, un jugement « toute réflexion faite » qui tient compte des facteurs économiques et autres. Si une politique climatique est bonne, elle est bonne, un point c’est tout; si elle est contraire à l’éthique, elle est mauvaise, un point c’est tout18 ». (traduction libre)

      Cela veut dire qu’en posant un jugement concernant le réchauffement de la planète ou la biotechnologie, l’éthique n’est pas un facteur à peser de la même façon que d’autres facteurs tels que ceux de nature légale, scientifique ou économique. Un jugement éthique solide intègre tous ces autres facteurs. Puisqu’un jugement éthique autorisé est applicable à la reconnaissance et à la compréhension des facteurs pertinents et de leur action réciproque, il faut absolument faire intervenir une combinaison de compétences d’experts. Dans une telle entreprise de coparticipation, le rôle des éthiciens est d’aider, d’après leurs connaissances de l’éthique théorique et leurs travaux en éthique appliquée, à comprendre les façons complexes dont ces jugements intégrants peuvent être posés, critiqués et justifiés.

    2. L’éthique comme champ d’étude systématique

      L’éthique, ou la philosophie morale, implique l’étude systématique de normes et de valeurs manifestées dans des actions (le bien et le mal), des conséquences (bonnes et mauvaises) et des caractères (la vertu et le vice) particuliers. L’éthique est généralement subdivisée en trois branches : l’éthique descriptive, l’éthique théorique et l’éthique normative19.

      1. Éthique descriptive

        L’éthique descriptive a pour objet d’expliquer systématiquement les valeurs réelles des gens20. Elle pourra chercher, par exemple, à comprendre pourquoi une population particulière semble s’inquiéter plus fortement d’un vague risque de maladies relié aux aliments génétiquement modifiés que du risque beaucoup plus significatif, sur le plan statistique, d’une intoxication alimentaire pouvant être causée par l’ingestion de viande non réfrigérée. Ce comportement s’explique-t-il simplement par le caractère peu familier du premier risque par rapport au second ou y a-t-il d’autres raisons, par exemple, le manque relatif de contrôle que les gens ressentent en consommant un aliment génétiquement modifié non étiqueté, en comparaison avec une pièce de viande contaminée? Du point de vue de la politique, le cas de la viande avariée pourrait se régler à l’aide d’un programme d’information du public alors que celui des aliments GM serait peut-être mieux servi par un régime d’étiquetage des produits afin de permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé. Autrement dit, il peut devenir important, dans la pratique de la prise de décisions, de comprendre les préoccupations qui motivent le comportement des gens.

        « Ethos », la racine grecque du mot « éthique » et « mores », la racine latine du mot « morale », veulent dire la même chose : « coutumes » ou « mœurs ». Elles expriment toutes les deux l’un des principaux objets de l’éthique descriptive, celui de décrire ce que les gens estiment bon, moralement convenable ou louable, et vice-versa. En éthique descriptive, l’objectif premier du spécialiste en philosophe morale est de reconstruire la ou les structures profondes, c’est-à-dire, de cerner les principes et les points de vue sous-jacents d’opinions éthiques particulières. Puisque les jugements éthiques sont des jugements « toute réflexion faite », les principes et les points de vue ainsi dégagés doivent aussi être intégrants.

      2. Éthique théorique

        La deuxième branche de l’éthique est celle de l’éthique théorique (appelée techniquement « méta-éthique »). L’éthique théorique consiste en l’examen des divers concepts essentiels de l’éthique. En biotechnologie, par exemple, il pourrait s’agir de déterminer si la notion de sécurité est de nature normative ou scientifique, ou encore, de voir jusqu’à quel point le principe de précaution est semblable ou différent par rapport à une éthique tenant compte des intérêts ou des droits des générations futures21. L’éthique théorique va plus loin que l’éthique descriptive en raison de son objectif de décrire et, surtout, de justifier les opinions et les pratiques morales. Les explications offertes par l’éthique théorique peuvent avoir trait à la signification, à la nature et à l’objet du discours moral dans la vie humaine et à l’évolution de ce discours tout au long de l’histoire de l’humanité. Les justifications peuvent prendre la forme d’une reconstruction rationnelle, c’est-à-dire, l’articulation des principes de base, la dérivation de principes auxiliaires et leur application à des problèmes particuliers et-ou la défense ou l’analyse raisonnée de la forme de justification offerte, par exemple, au moyen de modèles de rationalité et de comportement moral22. Le présent paragraphe est en lui-même un exemple d’éthique théorique parce qu’il définit ou analyse les dimensions fondamentales de l’éthique.

        Les spécialistes de l’éthique théorique conviennent presque tous que les mœurs ou normes morales diffèrent des autres genres de normes de comportement (telles que l’intérêt personnel ou la prudence, le droit, l’art, divers métiers ou diverses compétences, les bonnes manières, etc.) sur les cinq points fondamentaux ci-après23. Ces points aident à comprendre pourquoi les jugements éthiques sont des jugements « toute réflexion faite ».

        1. Les mœurs sont associées à des émotions et des normes spéciales dont la culpabilité, la honte, le remord, l’estime de soi et l’indignation.
        2. Les mœurs sont fondées sur des considérations impartiales. Il est impensable qu’une action donnée – p. ex., un vol – soit bonne pour moi mais mauvaise pour vous simplement parce que vous, c’est vous et que moi, c’est moi24.
        3. Les mœurs ont trait à des éléments qui sont jugés importants pour le bien-être des humains25.
        4. Les mœurs ne peuvent pas être modifiées par décision de l’autorité. Une action n’est pas bonne ou mauvaise simplement parce que quelqu’un déclare qu’il en est ainsi. La moralité ne s’appuie sur aucun parlement ni sur aucune cour suprême. Les jugements moraux sont basés sur un recours à des raisons, et à des raisons qui sont, tel qu’indiqué à l’article 2, impartiales.
        5. Les mœurs sont censées prévaloir sur les considérations d’intérêt personnel; par conséquent, le point de vue moral devient supérieur à celui de l’intérêt personnel ou de la prudence. La moralité vise les « meilleurs intérêts » de toutes les personnes vivant ensemble dans une collectivité. En vérité, l’une des fonctions et des épreuves principales d’une moralité est de montrer la mesure dans laquelle elle arrive à juger les conflits entre divers individus d’une manière mutuellement satisfaisante qui permet une coexistence tolérante et respectueuse26.
      3. Éthique normative

        L’éthique normative, en comparaison, consiste à étudier en profondeur les valeurs que les gens devraient avoir. À titre d’exemple, en évaluant les nouvelles applications de biotechnologie, l’éthicien normatif se demandera si les intérêts des générations futures comptent autant, moins ou pas du tout par rapport aux intérêts de la génération actuelle27. Plutôt que de donner des cadres explicatifs aux convictions morales des gens, comme le fait l’éthique descriptive, l’éthique normative consiste à déterminer si ces convictions sont saines ou convenables28. Il y a des divergences d’opinion considérables – p. ex., au sujet de la rectitude morale du brevetage de formes de vie supérieures telles que la carcinosouris transgénique mise au point à l’université Harvard ou du brevetage, par la société Myriad, d’une séquence génétique comme la séquence BRCA 1 et 2, qui signale des formes héréditaires de cancer29. Le brevet est-il une juste récompense de l’ingénuité et de l’investissement ou constitue-t-il plutôt la privatisation de ce qui appartient au domaine public ou, dans le cas de la séquence génétique, au domaine personnel?

        Ainsi, l’éthique normative comporte des jugements moraux – des jugements décidant si une action est bonne ou mauvaise, si une chose est équitable ou injuste, si une personne agit vertueusement ou mal, si telle ou telle situation est propice au bien-être ou au mal-être. Ces jugements moraux sont éclairés par l’éthique descriptive, qui offre une vaste perspective sur les affaires humaines, et par l’éthique théorique, qui offre la connaissance des diverses théories explicatives et justificatives invoquées. Dans l’éthique normative, les spécialistes en philosophie morale cherchent des normes d’une grande importance, à savoir des normes impartiales qui sont essentielles au bien-être humain, une valeur qui a priorité sur tout conflit néfaste d’intérêts personnels. Il s’agit des normes qui permettent aux membres des différentes collectivités d’évaluer leurs mœurs, leurs pratiques et leurs institutions juridiques et sociales à partir d’un point de vue commun, le point de vue moral. La définition de ces normes est un élément critique du processus de la politique gouvernementale.

      4. Éthique et politique gouvernementale – l’exemple de la SBTr

        Chacune des trois branches de l’éthique est utile aux discussions sur la politique gouvernementale. On trouve un bon exemple de cette pertinence dans les débats entourant la vente de la somatotropine bovine synthétique (SBTr)30. En ce qui concerne l’éthique descriptive, il était important que le gouvernement comprenne les valeurs des principaux intéressés (les fabricants de SBTr, les producteurs laitiers, les agriculteurs et la population en général), et non seulement les valeurs de chaque intéressé mais les raisons motivant l’attribution de cette valeur, et qu’il détermine tout particulièrement comment les inquiétudes au sujet de la SBTr étaient liées à chacune des valeurs fondamentales des intéressés. Par ailleurs, pour faire des choix en matière de politique gouvernementale – p. ex., concernant la réglementation – le gouvernement devrait dépasser la caractérisation des conflits de valeurs et des affinités de valeurs tirée de l’éthique descriptive. De façon explicite ou implicite, les décisionnaires entreraient alors dans le champ de l’éthique normative en faisant des choix de normes en vue de réglementer – p. ex., les effets sur la santé humaine, le bien-être des animaux, la stabilité de l’industrie, l’environnement, etc. – en tenant compte d’une foule d’autres facteurs pertinents. Les décisions à prendre donneraient lieu aussi à des questions d’éthique théorique telles que : la « santé » et la « sécurité » sont-elles des concepts scientifiques neutres sur le plan des valeurs ou plutôt des concepts chargés de valeurs?

    3. Justification des choix moraux

      Dans les débats de politique gouvernementale, les gouvernements opèrent des choix, quand ce ne serait que de décider de remettre à plus tard et de retarder leur choix final. Ces choix soulèvent des questions d’éthique de base : peuvent-ils se justifier, et comment? Ce que cela veut dire, c’est que les personnes et les institutions faisant face à des choix veulent opter pour la voie raisonnable, celle de choix étayés par des raisons solides. Très bien, mais il y a des raisons nombreuses et différentes d’opérer tel ou tel choix – p. ex., celui de permettre ou non la vente de la SBTr en vue de son utilisation dans les exploitations agricoles canadiennes. La décision pourrait se fonder sur la politique actuelle, les arguments des groupes de pression, les sondages d’opinion publique, les précédents administratifs, les sentiments personnels des hauts fonctionnaires ou des hommes et femmes politiques, etc. Il reste à espérer que la décision s’appuiera sur de solides raisons morales qui, tel que mentionné plus haut, sous-tendent des motifs qui sont impartiaux, favorisent le bien-être des humains, n’ont rien d’arbitraire et dépassent toute considération d’intérêts purement personnels.

      Toutefois, pour justifier un tel choix, il faut recourir à des arguments tirés de la morale, c’est-à-dire qu’il est juste de demander si un choix particulier peut se justifier d’un point de vue moral que peuvent raisonnablement accepter toutes les parties en cause. Le point de vue moral ne devrait pas manifester uniquement les intérêts de certaines des parties, mais de tous les intéressés, c’est-à-dire que le choix doit être justifiable sur le plan interpersonnel.

      Aujourd’hui, il convient de le dire, le débat règne parmi les éthiciens au sujet de la meilleure théorie normative à mettre au service de la justification morale. Bien qu’il soit impossible, dans le présent document, de couvrir en entier le débat éthique, le présent rapport peut quand même signaler certains aspects du débat qui surgissent souvent dans le cadre des discussions sur la politique gouvernementale. L’un de ces enjeux est l’établissement d’un rapport équilibré entre les moyens et les fins. Un coup d’œil sur cette question nous mènera ensuite à nous demander si et comment les revendications dites morales peuvent être prouvées ou appuyées.

      1. Primauté aux fins – points de vue conséquentialistes

        Il y a une grande différence entre situer le fondement du raisonnement moral dans les fins et le situer dans les moyens. Si le raisonnement se fonde dans les fins, alors les fins justifient littéralement les moyens utilisés pour les atteindre. Selon l’une des interprétations de cette perspective, les fins ne sont que des éléments donnés – ce que les gens veulent à ce moment-là ou les préférences qu’ils révèlent dans l’économie de bien-être contemporaine. Selon une autre interprétation, seules des fins valables du point de vue moral – p. ex., le bonheur humain – peuvent justifier les moyens utilisés pour atteindre ces fins. Les deux interprétations sont de nature essentiellement conséquentialiste : elles affirment que seules les conséquences comptent réellement.

        Une théorie très influente axée sur ce point de vue (le conséquentialisme, ou la fin justifie les moyens) est celle de l’utilitarisme. Les utilitaristes estiment que le bonheur ou plaisir est la seule fin qui vaille la peine d’être poursuivie pour elle-même31. Mais cette opinion va plus loin que de dire que chacun doive rechercher son propre bien-être ou son intérêt personnel. Ce que prônent plutôt les utilitaristes, c’est que chaque être humain ou exécutant moral a l’obligation de rechercher le bonheur de tous les êtres qu’il touche (non seulement les humains, mais aussi les autres êtres sur le bonheur desquels il influe, y compris les animaux). Par conséquent, le bonheur devrait être jugé de façon impartiale comme précieux, sans égard aux effets distributifs. Il y a plusieurs versions de l’utilitarisme et chacune dépend de la force avec laquelle est exprimée cette obligation de faire progresser le bonheur collectif. Dans sa forme classique la plus puissante, l’utilitarisme est l’opinion selon laquelle quiconque fait un choix a l’obligation d’opter pour une solution qui maximalise le bonheur général. En conséquence, dans l’affaire de la SBTr, un utilitariste pourrait fort bien affirmer que la décision de ne pas autoriser la vente de la somatotrophine était justifiée par le fait que ses effets négatifs sur le bien-être des animaux dépassaient de loin tout gain de compensation en efficience économique.

        L’utilitarisme a influencé lourdement la pensée moderne, surtout en économie. La branche normative de l’économie connue sous le nom d’économie de bien-être se base sur des principes utilitaristes puissants. L’économie de bien-être est le fondement de méthodes très importantes de gestion et de réglementation – p. ex., l’analyse coûtsavantages. Plusieurs de ces méthodes s’appuient sur l’idée de marchés de substitution dans lesquels on tente de déterminer un prix lorsqu’il n’y a pas de marché réel. Des sondages, par exemple, peuvent servir à déterminer ce qu’une personne ou un groupe est disposé à payer pour réaliser un avantage ou pour éviter une conséquence négative. Ce prix artificiel est parfois appelé prix fictif.

      2. Primauté aux moyens – points de vue déontologiques

        À l’opposé de la perspective conséquentialiste voulant que les fins justifient les moyens, on retrouve une opinion selon laquelle, d’un point de vue moral, des contraintes inhérentes d’ordre éthique s’imposent sur le choix des moyens et, tout particulièrement, des types d’actions qui ne doivent jamais être posées, même si elles promettent de bons résultats, et des types d’actions qu’il faut poser même si elles ne produisent pas de bons résultats. Cette vision des choses se manifeste beaucoup dans la morale élémentaire du bon sens, qui voit quelque chose d’intrinsèquement mauvais dans le manquement aux promesses, le mensonge ou le recours à la violence contre autrui, peu importe la quantité de bien réalisé ou de mal évité en agissant ainsi. Cette préoccupation concernant le caractère des actes au lieu de leurs résultats se retrouve également dans l’éthique de la vertu, selon laquelle il y a des manières correctes et incorrectes d’être et d’agir dans certains rôles (p. ex., le soldat courageux et le juge impartial) ou simplement en tant que personne (p. ex., traiter les autres avec bonté et compassion).

        Ce souci général du caractère des actes ou, dans le cas de l’éthique de la vertu, du caractère des personnes plutôt que des fins visées, les experts en philosophie morale le qualifient de « déontologique », un attribut dont le nom vient du mot grec signifiant « devoir » ou « obligation ». Dans la grande famille des théories pouvant être classées comme déontologiques ou axées sur le devoir, le concept de base est que les normes d’éthique fonctionnent comme des limites ou des « restrictions latérales » aux actions humaines, limitant tout spécialement le recours à certains moyens (p. ex., la force ou la fraude) dans la poursuite de fins même méritoires (p. ex., la prospérité de tous)32.

        Le choc des théories conséquentialiste et déontologique peut s’observer parfois dans les débats sur la biotechnologie : certains intervenants soutiennent que la décision de développer ou d’autoriser une forme ou une autre de biotechnologie, comme les thérapies génétiques et la production d’animaux transgéniques, devrait se prendre en fonction du « bien social supérieur », mesuré selon les avantages économiques réels pour le Canada, ou en recourant à une méthode de coûts éludés (marchés fictifs) pour déterminer les gains sociaux nets ou les pertes sociales nettes. Les critiques pourront contester avec véhémence une telle démarche conséquentialiste, car ils y voient un traitement malséant des valeurs fondamentales et symboliques33 auxquelles on enlèverait ainsi leur caractère irremplaçable et sans prix. Selon les critiques, le conséquentialisme donne lieu à la réification et, tout spécialement, il amène à traiter ce qui est inestimable, sacré et irremplaçable comme une vulgaire marchandise34.

      3. Justice

        Un des objets premiers de préoccupation des déontologues est la répartition des avantages et des fardeaux. D’un point de vue strictement conséquentialiste, seule compte la quantité totale d’avantages produits, peu importe la répartition. Les déontologues et la plupart des gens ordinaires ont une perspective non conséquentialiste à l’égard des questions de répartition. La question de savoir qui profite de quoi, et pourquoi, a de l’importance pour presque tout le monde, non seulement parce qu’elle est utile à certaines fins, comme l’accroissement du PIB, mais aussi parce que la plupart des gens croient que l’équité et la justice ont une portée morale inhérente. Toutefois, il y a de nombreux principes que les gens peuvent toujours invoquer en ce qui concerne la répartition juste et équitable des avantages et des fardeaux. Mentionnons seulement le mérite, l’effort, la propriété, la chance (on tire à pile ou face), les promesses, la juste rétribution (culpabilité ou innocence) et les rapports particuliers (p. ex., les relations parent-enfant). Des questions de justice surviennent aussi au sujet des formalités (justice en matière de procédure, p. ex., quelle serait la procédure équitable à suivre pour déterminer si un OGM est sans danger?) et du redressement des torts (justice corrective, p. ex., quelles formes de compensation devraient être prévues dans le cas de personnes qui subissent des dommages à la suite d’une thérapie génétique expérimentale?) L’élaboration de théories plausibles de la justice est une des préoccupations profondes des spécialistes contemporains de la philosophie morale et politique.

      4. L’éthique a-t-elle des fondements?
        Étant donné la diversité des théories de l’éthique et de la justice, il est permis de demander si l’une d’entre elles a fait ses preuves. Après un tour d’horizon des théories contemporaines de la justice, le philosophe canadien Will Kymlicka exprime le consensus qui règne chez les éthiciens en écrivant que « …les spécialistes en philosophie morale n’ont pas encore découvert d’argument massue pour ou contre ces différentes théories35 ». De fait, un bon nombre de praticiens de la philosophie morale rejette même l’idée d’un tel argument massue. Ce qui se passe, dans le domaine de la philosophie en général, c’est un rejet de la notion de fondements incontestables comme modèle de connaissance scientifique et-ou normative. Ce que les philosophes recherchent plutôt, ce sont des théories cohérentes qui aspirent avant tout à rassembler les éléments divers d’une théorie scientifique ou normative pour y trouver un « équilibre autoréférent ». Dans son ouvrage extrêmement influent paru en 1971 et intitulé A Theory of Justice, le philosophe John Rawls écrit ceci :
        Par conséquent, nous ferons mieux, je crois de considérer une théorie morale comme toute autre théorie… Il n’y a aucune raison de supposer que les principes premiers ou les hypothèses fondatrices d’une telle théorie doivent être évidentes ou que ses concepts et ses critères puissent être remplacés par toute autre notion qui pourrait être estimée non morale… je n’ai pas procédé alors comme si les principes de base [d’une théorie morale] possédaient quelque caractéristique spéciale leur permettant de justifier singulièrement une doctrine morale. Ces principes sont les éléments et les mécanismes centraux de la théorie, mais la justification repose sur la conception entière et sur la façon dont elle concorde avec nos jugements motivés par la recherche d’un équilibre autoréférent. Comme nous l’avons vu plus haut, la justification est une question d’appui mutuel entre de nombreux facteurs et d’agencement harmonieux de tous ces facteurs en une perspective cohérente36. (traduction libre)

        À ce point de notre propos, il est important de comprendre que Rawls parle non seulement de la mise à l’épreuve des théories de l’éthique, mais aussi de la vérification ou de la validation des théories scientifiques. Une telle entreprise ressemble beaucoup à celle de réparer un bateau voguant en haute mer. Il est impossible de partir de zéro. Il faut partir de ce que l’on a sous la main et faire les réparations tout en continuant son chemin.

        L’adoption d’un point de vue non « fondationnaliste » signifie qu’il est important de voir comment diverses considérations peuvent s’agencer les unes aux autres par des liens de cohérence, d’où le mot « cohérentisme ». Il s’ensuit que le critère de démonstration d’une bonne théorie éthique sera, en très grande partie, pragmatique, répondant à la question : cette théorie apporte-t-elle des lumières et cette meilleure compréhension estelle logique par rapport à ce que nous savons déjà? Dans cette optique, il faudra considérer tous les points de vue théorique comme sujets à réexamen. L’attitude intellectuelle à prendre sera de traiter les jugements théoriques, qu’ils soient scientifiques ou éthiques, comme « faillibles » plutôt que comme des dogmes infaillibles et irréfutables.

    4. Mise en pratique de l’éthique – règles et principes

      Dans les tâches de la vie ordinaire, y compris dans l’élaboration de la politique gouvernementale, il faut généralement poser des jugements éthiques sans faire appel explicitement aux théories de l’éthique normative, par exemple, à telle ou telle théorie de la justice. Lorsque des justifications d’éthique sont invoquées, elles le sont plutôt sous la forme de principes généraux, du genre « il faut traiter les gens équitablement » ou « il ne faut pas causer de préjudice ». Il serait donc utile d’établir une comparaison entre les principes et les règles.

      Selon le philosophe et juriste Ronald Dworkin, les principes et les règles servent tous deux à fixer des normes de comportement : « Les règles sont applicables sur le mode du tout ou rien. Si les faits stipulés par une règle sont donnés, soit la règle est valide, et il faut alors accepter la réponse qu’elle fournit, soit la règle n’est pas valide, et elle ne contribue aucunement à la décision37 ». Un principe, par contre, « énonce une raison en faveur d’un point de vue ou d’un autre, mais ne nécessite pas la prise d’une décision particulière » et, par conséquent, « les principes ont une dimension que les règles n’ont pas, une dimension de poids ou d’importance38 ». Ainsi, lorsque deux principes pointent dans des directions opposées, il faut se demander lequel des deux a le plus de poids ou d’importance. En revanche, lorsque deux règles sont en conflit, la question n’est pas de savoir laquelle est la plus importante, mais plutôt laquelle est valide dans les circonstances. Si elle est valide, la règle s’applique et devient donc obligatoire; si elle n’est pas valide, elle est hors de propos et inapplicable. Une règle peut se comparer à un interrupteur d’éclairage, qui doit se trouver soit en position de marche, soit en position d’arrêt, alors qu’un principe serait plutôt comme un rhéostat, qui peut se régler au degré d’intensité voulu. En conséquence, les règles peuvent s’appliquer de façon mécanique, mais l’application des principes demande des jugements et, dans les cas de conflits de principes, il faut trouver un équilibre sage entre des considérations concurrentes.

      Une des raisons de l’importance des principes dans l’élaboration des politiques tient à ce qu’ils servent de base à l’établissement de règles, c’est-à-dire que les décisionnaires recourent aux principes pour justifier des objectifs et des processus généraux de réglementation et d’administration qui sont ensuite traduits en règles et en procédures. Le recours aux principes joue également au moment de réviser les politiques ou lorsque des politiques semblent aller à contre-courant les unes des autres.

  6. Section III : Éthique et politique gouvernementale – appréciation judicieuse des facteurs d’éthique pertinents

    1. Recours aux principes généralement reconnus

      La perspective éthique prônée dans le présent rapport consiste à traiter le recours à l’éthique en politique gouvernementale comme un moyen permettant d’équilibrer ou d’apprécier judicieusement les considérations pertinentes, qui sont habituellement déterminées à l’aide de principes d’usage courant. L’objectif visé est évidemment de poser des jugements moraux « toute réflexion faite » pouvant servir à fonder et à formuler la politique gouvernementale. D’après la notion de théorie morale et scientifique énoncée dans notre analyse de l’éthique théorique, il convient de traiter les affirmations morales et scientifiques comme étant toujours, en principe, sujettes à révision, c’est-à-dire comme faillibles. Dans le monde parfois chaotique et souvent complexe de l’élaboration de la politique gouvernementale, le but n’est pas de trouver une justification idéale ou parfaite, mais de définir des politiques modérées et réalisables, que l’on pourrait qualifier d’assez bonnes, ce qui veut dire prendre des décisions raisonnables étayées par les principes courants de la morale (y compris ceux de bonne intendance)39.

      Même si le raisonnement éthique fait appel à des principes d’usage courant, il faut rester ouvert à l’idée qu’au moins certains de ces principes sont mal utilisés, appliqués de façon restrictive ou non appropriés. Sans cela, tout progrès ou changement deviendrait impossible en matière de mœurs. À titre d’exemple, en ce qui concerne l’égalité des sexes ou le traitement des animaux pour eux-mêmes et non pas seulement à titre de propriété, il s’est produit une transformation des perceptions morales, un changement profond que l’on pourrait décrire comme la conception d’idées nouvelles au sujet de l’égalité morale (dans le cas des sexes) ou de l’importance morale (dans le cas des animaux) ou comme une extension radicale des anciennes notions d’égalité et d’importance.

    2. Principes fondamentaux de la société canadienne

      Dans une société démocratique libérale, l’élaboration de la politique gouvernementale fait appel aux principes de la démocratie et du libéralisme, surtout les principes du genre de ceux qui sous-tendent les divers documents affirmant les droits de la personne, comme la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, en parlant d’éthique de la politique gouvernementale, il n’est pas question de tout reprendre à zéro, bien au contraire, car dans le contexte canadien, ce débat est déjà bien enraciné dans un sol fertile enrichi par les principes de l’égalité devant et dans la loi40, de la participation démocratique au gouvernement, de l’obligation de rendre compte, de l’égalité des personnes dans la dignité, du pluralisme, du multiculturalisme, et ainsi de suite.

      Certains de ces principes sont fondamentaux (l’égalité dans la dignité), d’autres sont de procédure (l’égalité devant et dans la loi) et d’autres encore ont trait aux normes de bonne intendance dans une société démocratique – la transparence (des processus décisionnels ouverts) et l’obligation des gouvernants de rendre compte aux gouvernés. Pour convenir à l’élaboration de la politique officielle dans le contexte canadien, tout principe doit donc aussi être ouvert ou peut-être même donner corps aux caractéristiques qui définissent la réalité canadienne d’aujourd’hui, par exemple, le multiculturalisme et la reconnaissance de droits collectifs essentiels. Tel que déjà souligné, il peut y avoir désaccord sur les principes, sur ce qu’ils sont et sur leur mode d’application. Cependant, dans une société qui fonctionne, il est permis de supposer que certains d’entre eux suscitent une approbation quasi générale, même s’il y en a d’autres qui font maintenant l’objet de litige alors qu’ils étaient acceptés de façon générale autrefois, et d’autres qui ne sont pas encore, mais deviendront bientôt, l’objet d’un consensus national.

      Il faut tenir compte d’un autre facteur d’une certaine importance en ce qui concerne l’interprétation et l’utilisation des principes. La définition des principes s’énonce souvent en termes très généraux, par exemple : le principe du « pollueur-payeur » ou de celui « qui assume les fardeaux devrait aussi profiter des avantages ». Le caractère général de formules de ce genre peut les rendre vulnérables, dans des cas particuliers, à des interprétations ou des applications à contresens. Ainsi, par exemple, pour ce qui est des nouvelles techniques de reproduction issues de la biotechnologie, partisans et opposants pourront invoquer la dignité humaine, mais en partant de définitions fort différentes de cette notion. Les opposants comprendront la dignité humaine comme une propriété morale rattachée à tous les produits de la reproduction dès le moment de la conception, alors que les partisans des nouvelles techniques verront le principe de la dignité humaine comme s'appliquant plus tard durant le processus du développement. Sur le plan du discours public, il est important d’ancrer les principes généralement acceptés dans le contexte concret de cas, de pratiques et de politiques au sujet desquels il règne déjà une entente appréciable, et de chercher ensuite à étendre cet accord à des questions controversées.

      Ce qui est à espérer, de façon idéale, c’est qu’un ensemble de principes fondamentaux (interprétés à partir de cas sur lesquels à peu près tout le monde s’entend) amèneront un consensus parmi tous les membres raisonnables de la société41. Cela veut dire que chacun de ces membres, après réflexion, acceptera les principes comme bons et utiles à l’élaboration des politiques, même en n’étant pas d’accord sur leur application dans certains cas particuliers42. Néanmoins, parfois, le mieux que l’on puisse espérer est d’en arriver à un compromis, c’est-à-dire, une acceptation beaucoup plus provisoire et précaire d’un principe de base ou de procédure qui servira à calmer des controverses particulières et qui donne au moins à chacune des parties au désaccord une part de ce qu’elle souhaitait, mais non pas la totalité de ce qu’elle croit être son dû.

    3. Facteurs d’éthique applicables à la politique gouvernementale

      Ce que le rapport affirme jusqu’à maintenant, c’est que l’élaboration de la politique gouvernementale devrait tenir compte d’un certain nombre de considérations importantes d’ordre éthique, notamment :
      • les principes et les méthodes de la morale générale,
      • les exigences d’une bonne intendance : le respect de l’obligation démocratique de rendre compte, la transparence et la participation du public,
      • les connaissances communes de nature constitutionnelle, juridique et historique au sujet des responsabilités, des structures et des pouvoirs institutionnels.

      L’élaboration des politiques gouvernementales suit généralement un processus interstitiel ou situationnel afin de tenir compte non seulement du contexte global mais aussi des engagements afférents à d’autres politiques. En politique relative à la biotechnologie comme dans bien d’autres domaines, le Canada a contracté des obligations nationales et internationales sur un grand nombre de sujets dont les soins de santé, la sécurité publique, les échanges commerciaux et les droits de la personne. Il arrive parfois que ces engagements soient réexaminés afin de les réviser ou de les renouveler; à d’autres moments, ils forment le contexte essentiel à la formulation des politiques, laquelle devrait se fonder sur un vaste éventail de compétences spécialisées en droit, en politique, en économie, en sciences et en éthique.

  7. Section IV : Grandes questions d’éthique reliées à la politique gouvernementale et à la biotechnologie

    Le présent rapport a déjà donné en exemple un certain nombre de questions importantes d’éthique concernant la politique gouvernementale en matière de biotechnologie. Dans la présente section, l’objectif est de donner les grands traits des principaux thèmes propres à ce domaine et un échantillon des démarches empruntées par l’État pour aborder ces thèmes. Comme le fait remarquer Espey, un bon nombre des enjeux en cause ne sont pas exclusifs à la biotechnologie; cependant, il est possible que l’affirmation d’Espey selon laquelle « le débat ne porte que tangentiellement sur la biotechnologie » sous-estime les préoccupations publiques axées directement sur la biotechnologie elle-même43. Il serait peut-être plus juste de voir dans la biotechnologie l’élément déclencheur de toute une gamme d’aspirations et de craintes de la population.

    En considérant ces grandes questions, il est important de comprendre le contexte général des préoccupations du public, notamment :
    • la rapidité de l’accroissement de la base de connaissances ainsi que des changements scientifiques et technologiques en biotechnologie et dans les domaines connexes entraînant d’autre de R-D;
    • la diminution des ressources gouvernementales à l’ère de la décentralisation et de la privatisation;
    • un contexte international marqué par la mondialisation et la concurrence;
    • le scepticisme grandissant et même la méfiance du public à l’égard des gouvernements, des entreprises et des experts;
    • la demande incessante du public visant un traitement équitable, surtout à l’endroit des groupes vulnérables, et le respect de l’obligation de rendre compte par les décisionnaires;
    • les craintes concernant la santé et l’environnement, surtout dans les domaines où règne l’incertitude.

    Cette liste, loin d’être complète, a pour seul but de signaler certains facteurs pertinents, à l’heure actuelle, en ce qui touche l’élaboration de la politique gouvernementale en matière de biotechnologie.

    Toute énumération de « grandes questions » ne peut être que sélective, mais d’après les travaux dont les résultats font l’objet des six documents sur lesquels se fonde la présente synthèse, les grandes interrogations ci-après sont d’une importance particulière :
    1. Comment la politique gouvernementale devrait-elle traiter les incertitudes, réelles ou perçues, concernant la biotechnologie?
    2. Devrait-il y avoir un contrôle de la société sur la biotechnologie? Et tout spécialement, certaines applications de la biotechnologie imposent-elles des conséquences néfastes à des groupes vulnérables – p. ex., les pays du Tiers Monde, les femmes, les sujets de recherche et les populations autochtones?
    3. La R-D en biotechnologie manifeste-t-elle suffisamment de respect pour la vie ou risque-t-elle de mener à la réification de la vie humaine ou au mépris de la nature?
    4. Comment le gouvernement canadien pourrait-il concilier son rôle de grand promoteur de la biotechnologie et sa tâche importante de réglementation?
    Ces quatre sources générales d’inquiétude chevauchent deux grandes questions communes qui sont au cœur même de la perception publique de la légitimité des élaborateurs de la politique gouvernementale notamment en matière de biotechnologie :
    • Quel éventail de connaissances et de compétences spécialisées convient à la détermination de la politique gouvernementale en biotechnologie et, en particulier, comment les décisionnaires devraient-ils, le cas échéant, tenir compte des préoccupations d’ordre éthique?
    • Est-il possible de tenir des débats de politique gouvernementale qui soient éclairés, permettent la participation significative de tous les intéressés et renforcent la confiance?
    1. Aborder l’incertitude

      Bien des technologies nouvelles, et non seulement la biotechnologie, ont rendu les gens sensibles à l’incertitude, à sa genèse et à sa gestion, surtout parmi les populations des pays industrialisés à économie dominante, comme le Canada. Dans une mesure importante, cette sensibilité est attribuable à la technologie elle-même et au fait qu’elle permet le suivi, la mesure et un contrôle accru des faits qui concernent les êtres humains. C’est une sensibilité qui peut aussi se voir comme un sous-produit de l’accroissement de la prospérité (partiellement attribuable, lui aussi, au développement technologique). Cherchant plus loin que la satisfaction de leurs besoins de survie, les humains ont le loisir de se pencher de plus en plus sur la qualité de leur existence. Un autre facteur entre en jeu, celui des communications modernes. Il règne littéralement, aujourd’hui, une sensibilisation planétaire à des risques nouveaux, qu’ils soient imaginaires ou réels.

      Une bonne part du débat entourant les technologies nouvelles porte sur la sélection des facteurs à faire intervenir dans l’élaboration des politiques gouvernementales. Ce phénomène donne lieu à des questions du genre : quels champs de compétences domineront le débat? Quelle discipline y imposera son langage? En effet, le langage du débat sur la politique gouvernementale joue un rôle critique dans l’encadrement des enjeux. C’est pourquoi l’un des thèmes persistants des discussions au sujet des technologies nouvelles est celui de savoir si le langage du débat devrait être purement scientifique et objectif ou si le débat devrait tenir compte aussi des engagements et des choix qui doivent se justifier par des fondements moraux.

      1. Analyse et perception des risques – points de vue scientifiques

        L’analyse normalisée du risque a eu des effets profonds sur l’encadrement de la politique gouvernementale et elle y fait intervenir deux variables principales, soit i) le rapport risques-avantages et ii) les probabilités. Les deux peuvent être quantifiées en fonction i) de l’ampleur positive ou négative des avantages ou des dangers et ii) du degré de probabilité (de zéro à un) qu’un événement se produise. Le « risque », dans un sens technique neutre qui se situe entre l’avantage et le dommage, se définit comme un produit de i) et de ii)44. Les jugements concernant le risque pris dans ce sens technique peuvent se fonder sur des faits. Dans le cas de i), il s’agit d’étudier les préférences révélées en rapport avec des avantages et-ou des dangers entièrement ou partiellement réels ou hypothétiques. Dans le cas de ii), il s’agit de recueillir des données au sujet de la fréquence d’événements (p. ex., le nombre de collisions arrière fatales qui se produisent en une année) pendant une période statistiquement significative. Des outils d’analyse mathématique raffinés (p. ex., la technique de l’arbre de défaillances) peuvent servir à établir des comparaisons entre des ensembles complexes de possibilités. Ces modes d’évaluation ouvrent la porte à des différends entre experts au sujet des probabilités, notamment de la pertinence et de l’exactitude des observations sur les préférences des gens, des probabilités d’occurrence d’événements ou encore des méthodes d’analyse. Il semble cependant que ces différends puissent, en principe, se régler sans faire appel à des valeurs.

        Par ailleurs, les partisans de l’analyse objective essaient de tenir compte des valeurs d’une autre manière, à savoir, à titre de perceptions qui peuvent concorder ou non avec les réalités révélées par l’analyse des risques. C’est ainsi qu’une analyse innovatrice des risques a montré que même les spécialistes de ce genre d’analyse pouvaient avoir des opinions contradictoires concernant les risques selon que les choix étaient exprimés en fonction de la perte ou du gain d’une possibilité45. L’étude en question a permis de constater que la plupart des participants faisaient des choix littéralement irrationnels (dans le sens d’auto-contradictoires), mais elle a montré aussi que certaines irrationalités étaient profondément ancrées et peut-être impossibles à déraciner.

      2. Arguments en faveur de perspectives plus globales

        De nombreux critiques de la biotechnologie et d’autres technologies nouvelles prétendent qu’en encadrant le débat sur la politique officielle à partir d’une analyse des risques et de la perception des risques, on passe à côté de questions d’éthique essentielles. Dans une importante étude canadienne sur l’analyse des risques, les chercheurs Brunk, Haworth et Lee soulignent de manière convaincante un certain nombre d’éléments négligés par les méthodes scientifiques normalisées46. Mentionnons notamment la question de savoir si les risques sont imposés aux gens ou s’ils sont volontairement choisis, une question qui se trouve au cœur même du débat sur l’étiquetage des aliments génétiquement modifiés et qui mettent le Canada et les États- Unis en opposition avec les pays de la CEE et bien d’autres pays. Un autre élément négligé est celui de la répartition des risques, qui touche aussi l’imposition de fardeaux inéquitables à des groupes vulnérables.

        Un enjeu de taille demeure celui de l’attribution de la charge ou du fardeau de la preuve. Les recherches de Brunk ont cerné une question sérieuse, à savoir celle des conditions d’exécution des épreuves d’innocuité d’un herbicide (l’alachlore). Les agriculteurs qui s’étaient munis de vêtements protecteurs, notamment de gants et de masques coûteux, et qui ont suivi soigneusement les instructions du fabricant concernant la manipulation et l’application n’ont subi qu’une exposition marginale aux substances chimiques toxiques dégagées par l’herbicide. Très bien, mais dans le milieu réel de la plupart des exploitations agricoles, caractérisé par une chaleur élevée, une insuffisance de matériel de protection et un manque de temps, il est probable que l’exposition aux substances sera plus considérable pendant les opérations sur le terrain47. Dans ce cas, à qui le fardeau de la preuve incombe-t-il? À la compagnie, tenue de fabriquer un produit « sûr » s’il est utilisé dans des conditions normales, ou aux utilisateurs, tenus de suivre à la lettre les instructions du fabricant? De toute manière, il s’agit là d’une question qui ne peut pas se régler au moyen des méthodes normales d’analyse des risques ou des perceptions de risques.

        En effet, en plus des questions concernant la norme de preuve qui convient (c’està- dire, quelle est la preuve suffisante?) il y a aussi des questions concernant le fardeau de la preuve (c’est-à-dire, à qui incombe-t-il de produire la preuve?), auxquelles vient s’ajouter la question du locus décisionnel (c’est-à-dire, qui prend la décision finale?). Ce sont là des enjeux d’éthique qui sont d’une importance capitale au moment de définir la politique gouvernementale en matière de biotechnologie. Ces enjeux recouvrent toute une gamme d’autres questions d’éthique. Le cas de l’alachlore, par exemple, posait une question grave au sujet de la répartition équitable des avantages et des fardeaux : les dispositions de la réglementation en vigueur imposaient-elles un fardeau indu aux agriculteurs ou aux fabricants de pesticides?

        Les méthodes normalisées d’évaluation des risques font l’objet d’une autre critique : elles sont difficiles à mettre en correspondance avec les études psychométriques de la perception du risque48. Ces études rendent compte de la perception du risque à partir de deux facteurs principaux, la crainte et l’ignorance, et leurs résultats n’ont pas de corrélation avec ceux des études ordinaires de la perception du risque, qui se basent sur la peur de la mort. Devant des probabilités absolument exactes de mortalité, les sujets avaient beaucoup plus peur d’un événement tel qu’un accident nucléaire, au sujet duquel ils ressentent de l’ignorance une absence de contrôle, que de la possibilité d’un accident d’automobile mortel, au sujet de laquelle ils ressentent des sentiments opposés.

        Le débat à propos de la méthode qui convient à l’évaluation des incertitudes ressemble à celui qui règne entre les conséquentialistes et les tenants de la déontologie. Les arguments des uns et des autres, plutôt que s’affronter, passent souvent à côté. Une des parties au débat est convaincue que tous les facteurs pertinents peuvent s’exprimer selon quelques variables simples (p. ex., l’utilité et les probabilités) et l’autre partie est tout aussi convaincue qu’un tel réductionnisme fait fi des enjeux qui comptent le plus sur le plan de la morale. Il est probable que le débat débouchera sur l’annulation réciproque des deux parties. Les réductionnistes en viennent à considérer que leurs opposants s’accrochent de façon irrationnelle à des notions désuètes, obscures et sans rapport, et ces opposants estiment que les réductionnistes sont affligés d’une naïveté dangereuse et qu’ils sont indifférents aux valeurs morales fondamentales.

    2. Quatrième obstacle – le contrôle de la biotechnologie par la société

      La question du contrôle de la biotechnologie par la société sur est présentée comme posant un quatrième obstacle49 dans le contexte de la politique gouvernementale, les trois premiers obstacles étant posés par la sécurité, la qualité et l’efficacité. L’appellation générale de « quatrième obstacle » englobe, si l’on veut, les interventions en matière de politique qui sont tout spécialement conçues de façon à tenir compte des préoccupations relatives à la répartition, à l’équité et aux intérêts de la collectivité. Cela ne veut pas dire, évidemment, que les collectivités ne sont pas du tout intéressées par les trois premiers obstacles, mais plutôt que cet intérêt est de nature personnelle plutôt que collective. Un consommateur pourra demander, par exemple, si les aliments génétiquement modifiés (y inclus les aliments tirés d’animaux d’élevage transgéniques) pourront être nutritifs et savoureux sans avoir d’effets nocifs sur sa santé. Du point de vue du quatrième obstacle, ce sont d’autres enjeux qui prennent de l’importance, notamment les effets de l’introduction des cultures alimentaires génétiquement modifiées sur des éléments de société, par exemple, les conséquences pour les fermes familiales ou pour l’environnement en général. Certains pays ont déjà instauré des dispositions relatives au quatrième obstacle. En Norvège, par exemple, selon une mesure législative, avant de lancer des organismes génétiquement modifiés sur le marché, il faut d’abord accorder une attention toute particulière à la pérennité de l’environnement et aux avantages collectifs.

      Dans le domaine médical, le brevetage du gène BRCA1, qui signale certaines formes héréditaires de cancer du sein, offre un autre exemple. Les critiques laissent entendre que l’obtention d’un brevet sur ce gène par la société Myriad Genetics a des conséquences nuisibles pour la recherche et la pratique clinique, tout particulièrement dans le cas des personnes qui n’ont pas accès à cette technologie. Les arguments pour et contre une application particulière de la réglementation aux effets d’une répartition inégale des avantages soulèvent de graves questions concernant les compromis à accepter. Il est possible que le brevetage de gènes de ce type mène éventuellement à l’amélioration des traitements du cancer du sein chez au moins un certain nombre de personnes. Ce bienfait vaut-il un élargissement de l’inégalité entre les individus et les groupes qui ont les moyens de se procurer ces traitements et ceux qui n’en ont pas les moyens? C’est ainsi qu’il faut se poser des questions de répartition et d’équité, en plus des questions de rentabilité en ce qui a trait à l’optimalisation des avantages pour la santé. Faudrait-il, comme le proposait la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, que l’élaboration de la politique gouvernementale accorde une attention spéciale aux personnes vulnérables?

      Cette préoccupation pour les personnes et les groupes vulnérables se retrouve aussi à l’échelle internationale. Alors que le Canada et les autres pays à économie dominante concluent des accords sur le brevetage, l’étiquetage et le commerce des produits biotechnologiques, un grand nombre de gens craignent les conséquences que pourraient subir les pays moins nantis. Prendront-ils encore plus de retard sur le plan économique à cause, par exemple, d’un exode de cerveaux qui poussera leurs meilleurs scientifiques en biotechnologie à partir s’installer dans un pays riche? Et pis encore, leurs populations deviendront-elles les sujets de la mise à l’essai de produits biotechnologiques nouveaux et peut-être dangereux?

    3. Respect de la nature et réification

      Deux visions radicalement différentes de la nature, et de la place de l’être humain dans l’ordre naturel, s’affrontent. Chacune de ces visions prend des formes religieuses et séculières. Elles s’expriment aussi dans l’art et la littérature, par exemple, chez les poètes romantiques par leur vision de la nature comme un objet sublime, par opposition à la vision classique de la nature comme un objet à maîtriser. Dans l’esprit industriel dominant, la nature doit être exploitée pour servir les intérêts humains. Cette façon de voir peut même se justifier par des principes religieux comme étant d’ordre divin, ou par des principes séculiers comme étant le symbole du progrès. Selon la vision opposée, la nature possède un caractère « sacré » et mystérieux qui mérite le respect et impose des limites à l’intervention humaine. Margaret Somerville décrit50 ces deux positions opposées en les nommant « perspective purement scientifique » et « perspective scientifique-spirituelle ».

      Un genre analogue d’inquiétudes est apparu au sujet de la possibilité que diverses formes de biotechnologie, comme la manipulation des gènes humains à des fins d’eugénisme, mènent à réification de la vie. Le mot « réification » véhicule une connotation négative, celle de traiter un objet précieux en lui-même (p. ex., une personne) comme s’il n’avait de valeur qu’économique. Ce que l’on craint parfois, c’est qu’une forme donnée de technologie nouvelle, telles les nouvelles techniques de reproduction, entraînent une réification effective qui verrait, par exemple, les femmes vendre leurs ovocytes fertilisés en vue d’une implantation dans une autre femme. Par ailleurs, on voit se manifester souvent aussi la peur qu’une technologie nouvelle ne concrétise ou encourage une vision réificatrice ou purement instrumentale de l’être humain, de la nature ou de l’environnement. On craint, par exemple, que malgré le caractère illégal du commerce littéral des éléments reproducteurs humains, les nouvelles techniques de reproduction n’aient comme conséquence nette qu’une valorisation des femmes principalement pour leurs capacités de reproduction et non pas pour leur qualité intrinsèque d’êtres humains. Certains pourraient dire que les limites imposées par Santé Canada en matière de thérapie génétique, en faisant cesser les recherches en thérapie des cellules souches et dans un certain nombre d’autres techniques de reproduction ou de génétique, répondent, au moins en partie, aux préoccupations concernant les dangers de la réification51.

    4. Réglementation et promotion parallèles – les conflits d’intérêts

      Comme on l’a vu dans la Section I, le gouvernement fédéral, d’abord par la Stratégie nationale en matière de biotechnologie (SNMB) et aujourd’hui par la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie (SCB), apporte une contribution importante à l’expansion de la biotechnologie au Canada. Pourtant, il assume parallèlement des responsabilités de premier plan en matière de réglementation. Tel que mentionné plus haut dans l’analyse du « quatrième obstacle », des enjeux très considérables entourent la nature et la portée de la réglementation, surtout en ce qui a trait au bien-fondé de tenir compte de facteurs autres que la sécurité, la qualité et l’efficacité. La question primordiale qui se pose, toutefois, est celle du rôle bivalent d’un État qui s’occupe à la fois de promouvoir et de réglementer la biotechnologie. Cette dualité donne-t-elle lieu à des conflits d’intérêts possibles, réels ou perçus52?

      Un moyen permettant de gérer ce genre de conflit dans le respect de la morale est d’agir en toute transparence. La question se pose cependant de savoir si la transparence règne suffisamment en ce qui touche les rôles gouvernementaux de promotion et de réglementation de la biotechnologie, surtout lorsqu’il y a chevauchement entre les deux. C’est une question extrêmement épineuse, et d’autant plus lorsque sont en cause les énormes droits de propriété créés par la R-D, et les intérêts légitimes qui en découlent à l’égard des secrets commerciaux. Des enjeux tout aussi importants se font jour également concernant le caractère adéquat et pertinent des critères de réglementation et l’équité qui doit présider à leur mise en application. Tout cela doit se fonder sur l’ouverture. Barrett, par exemple, exprime des critiques envers le rôle d’Agriculture Canada, pour les raisons suivantes :
      À la fin des années 1980, les pressions du gouvernement, de l’industrie et, dans une moindre mesure, des écologistes ont poussé Agriculture Canada à élaborer des règlements de biotechnologie agricole qui visaient à assurer la sécurité de l’environnement tout en encourageant la poursuite du développement de l’industrie. Le cadre d’action qui en a résulté, une « évaluation du risque fondée sur la science », a ensuite servi à démontrer que les cultures à ADNr étaient « sûres ». Toutefois, les données utilisées pour évaluer les risques proviennent d’inventeurs de productions végétales et ne sont pas mises à la disposition du public. Le texte d’une appréciation détaillée de l’évaluation des risques du colza canola résistant aux herbicides (obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information) révèle des insuffisances marquées sur le plan de la profondeur et de la portée des questions; des méthodes de recherche; de l’analyse des données; et de la plausibilité des conclusions. Je maintiens que les travaux d’élaboration des politiques effectués à huis clos par des gens d’intérêts communs et les engagements à long terme déjà pris par l’État et l’industrie à l’endroit de la biotechnologie agricole ont donné le jour à un cadre d’évaluation des risques qui est basé essentiellement sur des considérations d’ordre économique et technique53. (traduction libre)

      Barrett poursuit son argumentation en réclamant l’intégration du principe de précaution à la politique de réglementation et l’adoption « d’un cadre décisionnel plus large (incluant des définitions de ‘principes scientifiques objectifs’) faisant appel à une plus grande participation du public ».

      La deuxième façon de gérer les conflits d’intérêts, c’est en évitant les rôles bivalents, ce qui revient à faire disparaître l’un des deux rôles créant le conflit. Dans le contexte de la régie interne, cette solution nécessite la mise en place de liens de responsabilité séparés, sans aucun point de confusion possible, afin d’établir une indépendance complète des fonctions de réglementation par rapport à celles de promotion. Par ailleurs, cette indépendance ne suffit pas à régler le problème si la gamme des questions à réglementer est maintenue si étroite que les grands enjeux de valeur ne sont jamais traités, en raison d’une délimitation restrictive de ce qu’est « l’évaluation des risques » (toujours selon Barrett). Dans un tel cas, les conflits d’intérêts peuvent être exacerbés par une définition trop étroite des questions devant être réglementées.

    5. Prestation de conseils d’éthique au sujet de la politique en matière de biotechnologie

      Les six documents dont le présent rapport fait la synthèse présentent des arguments établissant le bien-fondé d’intégrer l’éthique à l’élaboration des politiques de biotechnologie. Avec la nouvelle SCB et la création du CCCB, le gouvernement du Canada s’est donné les moyens de chercher des conseils en la matière. La Section II définit les jugements éthiques comme des jugements « toute réflexion faite ». En conséquence, les conseils offerts par le CCCB sur les questions d’éthique devraient être de nature globale, c’est-à-dire, tenir compte de tous les facteurs pertinents, qu’ils soient scientifiques, économiques, sociaux, juridiques ou politiques (tel que mentionné à la Section III). Ces conseils devraient aussi être adaptés à un agent bien défini (dans ce cas, le gouvernement du Canada) et reconnaître les droits et les responsabilités de cet agent (tel que mentionné à la Section I). Le gouvernement canadien, à titre d’intervenant majeur dans le domaine de la biotechnologie, doit relever le défi de prendre des décisions globales qui servent les intérêts de tous les Canadiens (y compris les générations futures) et de remplir ses nombreuses obligations gouvernementales à l’échelle nationale et internationale. En raison de son mandat, le CCCB détient un rôle important de conseiller à cet égard. Il serait donc bon d’examiner ce qui s’est fait au pays et à l’étranger en cette matière.

      Dans certains cas, le Canada ou ses organismes ont abordé directement les questions d’éthique en politique gouvernementale. Le lancement de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction est un exemple de l’action d’un gouvernement à la recherche de conseils sur des questions d’éthique controversées. Il en est de même de la création, en 1994, du Groupe de travail tripartite sur l’éthique, qui était chargé de concevoir une politique nouvelle concernant l’éthique de la recherche sur des êtres humains et de la proposer au CRM, au CRSNG et au CRSH. Le Conseil canadien de protection des animaux représente un exemple de groupe permanent qui surveille et oriente les débats relatifs à l’éthique de la recherche sur des animaux54. Il a déjà été fait mention, au début de la

      Section I, d’autres initiatives canadiennes visant l’éthique et la biotechnologie.
      1. Trois exemples de comités consultatifs sur l’éthique en biotechnologie dans d’autres pays
        La France a mis sur pied un cadre et un processus consultatifs officiels en matière de biotechnologie, afin de traiter les questions d’éthique dans les domaines de la biologie, de la médecine et des sciences de la santé en général. Ce « Comité consultatif national de l’éthique dans les sciences de la santé » est un organe permanent, autonome et interdisciplinaire; il se compose de 40 membres provenant de milieux variés dont la fonction publique, les universités, la philosophie, la théologie et les sciences. Le Parlement et les autres organismes publics sont autorisés à demander des conseils au Comité, qui remplit aussi un mandat d’information du public. Le Comité convoque chaque année une conférence publique sur les questions d’éthique. Selon Derek Jones, le modèle français est une manifestation exemplaire du processus d’élaboration d’opinions d’ordre éthique dans une société pluraliste55. Jones dégage les éléments suivants qu’il estime essentiels :
        1. des formalités précises pour la présentation de demandes d’opinions d’ordre éthique;
        2. des compétences interdisciplinaires permettant de cerner les questions d’éthique;
        3. des consultations et des débats à participation universelle;
        4. des délibérations permanentes en vue de définir les principes d’éthique qui fondent une opinion d’ordre éthique;
        5. des méthodes de rédaction permettant de concilier les différentes visions de l’éthique et d’harmoniser les conflits de valeurs;
        6. des procédés pour diffuser les opinions d’ordre éthique et faire progresser l’information et la discussion parmi les citoyens;

        Le travail du Comité a beaucoup contribué à orienter le débat national sur les enjeux et il a mené à des mesures législatives concernant les brevets en biotechnologie, les tests de dépistage génétique et la procréation médicalement assistée.

        La Norvège, pour sa part, s’est dotée d’un cadre consultatif d’éthique axé sur la biotechnologie. Le processus de définition des grands principes d’éthique ne s’est pas déroulé de la même façon qu’en France. En Norvège, plusieurs de ces principes ont émané de comités parlementaires et gouvernementaux spéciaux consacrés à l’éthique et ils ont donné lieu à des mesures législatives, parmi lesquelles la loi créant la commission consultative norvégienne sur la biotechnologie. En France, par comparaison, le Comité consultatif a énoncé ses propres principes directeurs. Depuis le début des années 1990, la commission consultative norvégienne sur la biotechnologie a émis de nombreuses opinions sur tout un éventail de questions dont le développement durable, la protection de la santé humaine, la protection de la vie privée et le caractère confidentiel des renseignements personnels. La commission norvégienne remplit aussi un rôle de réglementation plus important que celui du Comité consultatif français. À titre d’exemple, elle est chargée d’examiner certaines demandes relatives à des organismes génétiquement modifiés. Cette tâche pourrait créer des tensions entre sa fonction de consultation et celle de réglementation. Enfin, à l’instar du Comité consultatif français, la commission norvégienne participe à l’information et à la sensibilisation du public en organisant des ateliers nationaux et des conférences internationales et en publiant de nombreux rapports.

        L’Union européenne, enfin, a eu successivement deux comités pour s’occuper des questions d’éthique en biotechnologie. Le premier, en opération de 1991 à 1998, était un petit groupe de sept à neuf personnes appelé Groupe des conseillers sur les implications éthiques de la biotechnologie en Union européenne. Son fonctionnement était semblable à celui du Comité consultatif français, commençant par des rapports généraux et techniques pour passer ensuite à des consultations de spécialistes, des audiences publiques et des réunions fréquentes en vue de faciliter le consensus. Doté d’abord d’un mandat plutôt étroit, le Groupe de conseillers a graduellement élargi ses attributions qui ont culminé dans son opinion finale sur le programme de recherche et de technologie de l’UE pour la période 1998-2002. Cette opinion établissait les bases d’un cadre global de biotechnologie pour l’UE. En voici certains des composants principaux :
        • envisager la biotechnologie dans le respect des différences nationales et des valeurs européennes communes;
        • trouver des moyens de régler les conflits de valeurs en recherche scientifique;
        • se préoccuper du bien-être des animaux;
        • respecter les valeurs fondamentales en ce qui a trait à la recherche sur des êtres humains;
        • fonder les évaluations éthiques sur la recherche de base en éthique;

        En 1998, mettant en œuvre les recommandations de ce rapport, l’UE créait un nouvel organe, le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies, un groupe composé de 12 personnes et muni d’un mandat plus vaste. Ce mandat élargi fait ressortir une réalité de première importance au sujet de l’éthique et de biotechnologie, c’est-à-dire, l’interdépendance des questions d’éthique, et au sujet de ce dont ont besoin les gouvernements d’aujourd’hui, c’est-à-dire, d’un examen exhaustif des questions d’éthique soulevées par la biotechnologie moderne.

      2. Accord international apparent concernant les normes d’éthique

        Dans ses rapports de 1998 et 1999, Derek Jones présente un tableau très utile de certaines normes en vigueur dans des pays étrangers. Pour produire ce tableau, Jones a passé en revue les documents de base de ces pays sur l’éthique en biotechnologie et il en a tiré les principaux principes d’éthique qui y sont explicitement mentionnés56. Le tableau peut s’interpréter de deux façons. Selon celle qu’en fait Jones, l’une des constatations importantes est le degré élevé de chevauchement et de concordance en ce qui concerne les principes de base, qui pourrait être perçu comme la manifestation d’un consensus international grandissant au sujet de ces principes dans bien des domaines, par exemple, celui de l’éthique de la recherche sur des êtres humains57. Le tableau de Derek Jones peut aussi s’interpréter comme montrant un accord apparent à propos des principes de base, qui masque des désaccords sérieux et profonds.

        Parallèlement, il est permis de se demander si le consensus international apparent qui s’affiche depuis peu concernant l’interdiction du clonage humain est réellement l’expression de valeurs profondément et largement partagées ou plutôt une convention temporaire et superficielle au sujet de l’expansion d’une technologie particulière à un moment particulier. En 1997, il y a eu l’apparition de Dolly, la brebis clonée et, dans la foulée, tout le monde s’est interrogé sur le bien-fondé d’étendre cette technologie au clonage humain et de recourir au clonage de façon générale. Très peu de temps après, en France, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé décrivait le clonage comme « portant gravement atteinte à la dignité de la personne humaine »; en Union européenne, le Groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie réclamait la réglementation rigoureuse du clonage animal et l’interdiction du clonage humain; aux États-Unis, le National Bioethics Advisory Committee proposait d’interdire pendant cinq ans l’octroi de financement fédéral pour le clonage humain; l’UNESCO déclarait que le clonage humain était « contraire à la dignité humaine »; et le Conseil de l’Europe établissait un protocole interdisant le clonage humain. Encore une fois, il est permis de se demander si cette concordance apparente est de surface ou vraiment de substance.

  8. Lacunes d’information et thèmes possibles de recherche future

    Comme on l’a vu plus haut, le présent document a pour but premier d’offrir une synthèse de six rapports de recherche de base produits dans le cadre du renouvellement de la Stratégie nationale en matière de biotechnologie, qui a donné naissance à la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie et au Comité consultatif canadien de la biotechnologie (CCCB). Dans la présente section, l’auteur répond à la demande du CCCB de signaler les « lacunes » possibles dans les renseignements fournis par les six documents de base. Avant d’y arriver, il est essentiel d’énoncer clairement en quoi consiste, selon l’auteur, le travail accompli par ces documents. Voici :
    1. Les six documents de base rendent compte de l’éthique et de sa pertinence au regard de l’élaboration des politiques relatives à la biotechnologie.
    2. Ils définissent les responsabilités considérables du gouvernement du Canada en la matière.
    3. Ils offrent des suggestions quant à la manière dont le gouvernement du Canada pourrait aborder ces responsabilités.

    La présente synthèse se concentre avant tout sur les deux premiers points cidessus. Le troisième, qui constitue l’objet principal des trois documents étroitement apparentés de Derek Jones, me semble avoir été réglé par la création du CCCB. Il revient donc au CCCB lui-même, s’il le souhaite, et non pas à l’auteur de ces lignes, de faire siennes certaines des recommandations de Jones, que ce soit celle concernant la prestation de services de formation aux organismes gouvernementaux, ou toute autre recommandation.

    Nous examinerons maintenant cinq lacunes relevées, correspondant à autant de secteurs où le CCCB pourrait entreprendre des actions utiles.

    1. Les principes de précaution et certains autres critères permettant de traiter la question du compromis entre les avantages et les dangers dans un contexte d’incertitude

      Même si bien des questions posées à ce chapitre ont fait l’objet d’analyses dans les textes d’Espey et de Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington, le CCCB et les organismes qu’il sert pourraient tirer profit d’un bon document de référence sur les critères déjà appliqués relativement aux compromis entre les avantages et les dangers dans des situations marquées par l’incertitude. Ces questions sont également abordées dans la Section IV de la présente synthèse, mais il faudrait un solide document de référence incluant un glossaire des termes et concepts courants, une description objective des grandes orientations du débat entre les divers points de vue et un guide pratique permettant de s’y retrouver dans l’abondance d’écrits se rapportant au contexte de l’élaboration des politiques. L’enquête bibliographique nécessaire à cette fin porterait sur un corpus riche et complexe. La production d’un guide serait utile au CCCB et aux organismes qu’il sert. Étant donné que ces questions sont au cœur même des débats sur la biotechnologie, un tel document de référence constituerait aussi un modèle de base à utiliser pour les projets de recherche actuels et futurs, et mettrait fin aux répétitions oiseuses.

    2. Restrictions imposées à la biotechnologie par le « quatrième obstacle »

      Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington donnent un aperçu intéressant, mais un peu court, des restrictions imposées à la biotechnologie par le « quatrième obstacle58. C’est un sujet qui mérite d’être élaboré à son propre chef, surtout en ce qui a trait aux compromis qui pourraient éventuellement être exigés par les restrictions liées au « quatrième obstacle ». À titre d’exemple, les débats provoqués au sujet des restrictions de ce « quatrième obstacle » pour la biotechnologie et d’autres technologies sont souvent à double volet, c’est-à-dire que tout en répondant à certaines inquiétudes sociales du genre de celles décrites plus haut dans le présent document, ces restrictions peuvent aussi constituer des moyens de limiter les échanges commerciaux et d’annuler des avantages concurrentiels conquis de haute lutte ainsi que des avantages naturels. Nombreux sont ceux qui prétendront le contraire, mais je suis convaincu que ces restrictions dites du quatrième obstacle peuvent aussi servir et ont servi à désavantager des pays relativement pauvres, par exemple, lorsque des pays industrialisés imposent des restrictions sur les importations en provenance de pays en développement.

      Et pourtant, adopter une stratégie qui rejette a priori la légitimité de tout empêchement lié au quatrième obstacle serait agir à courte vue, et ce de deux façons. D’abord, il serait probablement peu sage, d’un point de vue moral, de rejeter d’emblée des préoccupations légitimes. En second lieu, même en conservant des doutes quant à la légitimité des préoccupations elles-mêmes, un tel geste serait peut-être mal avisé, à long terme, parce qu’il est improbable qu’elles disparaissent si elles sont négligées. Ce sont des inquiétudes qui pourront simplement ressurgir de nouveau sous la forme d’un argument correspondant au premier, au deuxième ou au troisième obstacle.

    3. Promouvoir tout en réglementant – comment éviter les conflits d’intérêts et gérer des obligations contradictoires

      Tel que déjà mentionné, des préoccupations se sont manifestées dans les secteurs privé et public au sujet du rôle bivalent d’un gouvernement qui s’occupe à la fois de promouvoir et de réglementer la biotechnologie. Ces préoccupations suscitent deux questions, l’une au sujet des conflits d’intérêts réels ou apparents et des moyens de les éviter, et l’autre au sujet de la gestion d’obligations contradictoires. Ce sont deux enjeux distincts sur le plan conceptuel. En effet, les conflits d’intérêts sont moralement suspects en eux-mêmes et doivent donc être évités. En revanche, les conflits d’obligations, c’est-à-dire, des obligations à l’appui d’intérêts qui se trouvent en conflit, ne sont pas moralement suspects en eux-mêmes, mais doivent être réglés de façon moralement réfléchie.

      Voici une illustration qui aidera peut-être à voir la différence. Un juge se trouve en conflit d’intérêts s’il prononce une décision concernant une affaire dans laquelle il a des intérêts financiers ou d’autres intérêts personnels directs, par exemple, si son partenaire de vie est une des parties en cause. Dans ce cas, il serait clairement contraire à la morale que le juge en question décide de l’issue du procès. D’autre part, un juge se trouve en situation de conflit d’obligations si, par exemple, un demandeur a des arguments solides pour obtenir un délai considérable de la procédure, afin de pouvoir examiner des preuves toutes nouvelles, et que le défendeur a des arguments tout aussi justes pour obtenir le règlement rapide d’une cause présentée depuis longtemps. Dans un tel cas, il y a autant de bonnes raisons de retarder l’issue que d’en disposer rapidement. Le juge doit donc choisir entre deux lignes de conduite apparemment tout aussi honorable l’une que l’autre. Mais attention, même si une situation de conflit d’obligations ne semble offrir aucun choix clair, il n’en restera pas moins le choix entre des options plus ou moins bonnes. La question n’est donc pas, comme dans le cas des conflits d’intérêts, d’éviter le conflit. Il s’agit plutôt de trouver un juste équilibre moral dans la gestion d’obligations contradictoires. Comme on peut le voir, selon que le conflit est d’intérêts ou d’obligations, les questions soulevées sont différentes, mais les deux cas donnent lieu à des choix critiques sur le plan de l’éthique.

      En s’efforçant à la fois de promouvoir et de réglementer la biotechnologie, le gouvernement du Canada et ses organismes doivent faire face aux deux genres de situation. En matière de conflit d’intérêts, son souci premier sera le conflit de nature institutionnelle et non pas de nature personnelle. Les conflits d’intérêts institutionnels surviennent lorsque des institutions s’attribuent ou se voient confier des rôles que, selon l’opinion de tout observateur raisonnablement objectif, l’institution en question est incapable de mener à bien. Prenons un exemple. Il y aurait conflit d’intérêts institutionnel si une entreprise chargeait son directeur financier d’effectuer une vérification externe ou publique des états financiers de la compagnie59. Dans une telle situation, il faut l’intervention d’un vérificateur de l’extérieur. De la même façon, les institutions font face à des conflits d’obligations lorsque, par exemple, elles doivent trouver un équilibre entre les considérations d’ordre financier et celles d’ordre environnemental.

      Tout comme le premier relevé ci-dessus (des critères permettant d’aborder l’équilibre avantages-dangers et le contexte d’incertitude), le présent thème m’apparaît correspondre à une lacune passablement fondamentale dans le domaine de la recherche. Les sources utiles ne manquent pas, en droit, en éthique et en politique, desquelles tirer des éclaircissements propres à aider le gouvernement et ses organismes à composer avec les deux genres de situation où ils pourraient se trouver en cette matière. Il y a aussi certains autres enjeux se rapportant aux organisations du secteur privé et aux groupes sans but lucratif participant à la biotechnologie au Canada. Les universités, par exemple, ont formé des partenariats avec l’État en vue d’activités de R-D en biotechnologie. Ce genre d’alliance donne lieu parfois à des situations de conflit d’intérêts lorsque des chercheurs sont chargés d’effectuer des examens par les pairs dans des domaines où ils ont eux-mêmes des intérêts commerciaux. Il peut aussi se produire des cas où les universités se retrouvent déchirées entre des obligations contradictoires comme celle de produire des connaissances à diffusion publique tout en respectant les secrets commerciaux de leurs partenaires industriels.

    4. Sources normatives pour la régie de la biotechnologie au Canada

      Dans le cours des derniers travaux que mes collègues et moi-même avons réalisés pour la Commission du droit du Canada sur la régie de la recherche sur des sujets humains, nous avons repéré et examiné diverses sources normatives en cette matière. Certaines de ces sources figurent dans les textes législatifs et les décisions de justice aux niveaux provincial et fédéral. D’autres s’expriment plutôt dans des questions de politique ou dans des pratiques en usage dans les institutions des secteurs public, privé et sans but lucratif. D’autres encore sont liées à des normes professionnelles et à des conventions et déclarations internationales. Partant de là, nous avons pu dresser le tableau d’une régie qui se révélait, dans certains cas, agir par inadvertance, dans la confusion et même parfois dans la contradiction. Il n’en est peut-être pas ainsi de la régie canadienne de la biotechnologie, mais il semble important que l’on procède à une étude structurée de cette sphère.

      À cet égard, j’aimerais attirer l’attention tout spécialement sur les accords et les engagements internationaux, parce qu’ils m’apparaissent clairement beaucoup plus importants qu’on le reconnaît généralement, surtout à une époque d’investissement et de commerce à l’échelle mondiale.

    5. Travaux effectués dans d’autres pays au sujet de la biotechnologie et de l’éthique

      Une autre suggestion, intimement liée à la présente, a trait à la recherche et à la collecte de renseignements concernant les travaux effectués dans d’autres pays au sujet de l’éthique et de la biotechnologie. Les six documents faisant l’objet de la présente synthèse, par exemple, contiennent une quantité d’information sur les initiatives lancées par certains pays qui se sont dotés d’organes consultatifs dont la fonction est assez semblable à celle du CCCB. Je dois avouer, cependant, que le contenu de ces écrits sur la question m’est apparu, au mieux, comme présentant simplement des exemples, et de nature plutôt non systématique. On y relève des lacunes importantes sur le plan de la couverture, comme en témoigne la rareté des renseignements concernant le Royaume- Uni et même les États-Unis, un partenaire commercial principal du Canada.

      Il manque également, sur les autres pays, des données provenant de diverses sources gouvernementales, quasi gouvernementales et professionnelles et des ONG. Il semblerait très pertinent que le CCCB, dans le cadre de ses activités, s’attache à découvrir les normes d’éthique adoptées par les scientifiques dans des secteurs clés comme l’exploitation forestière, l’agriculture et les pêches. À titre d’exemple, mentionnons l’Institut international des ressources phytogénétiques, qui vient de revoir son code d’éthique. Cet institut a pour objectif premier la préservation de la diversité génétique, surtout dans les pays en développement60. Ce souci de la diversité génétique correspond aux fins de la politique canadienne en matière de biotechnologie. Une question importante est celle de savoir si la biotechnologie vient en aide aux pays en développement en accroissant la quantité totale de disponibilités alimentaires, ou si elle nuit à ces pays en mettant le contrôle économique entre les mains de sociétés transnationales, ce qui diminue d’autant le contrôle économique local61.

      Bien que le CCCB soit doté d’experts dans plusieurs de ces domaines, il serait sans nul doute utile aux ministères et aux organismes qu’il sert, ainsi qu’à la population canadienne, que le Comité étudie systématiquement, de temps à autre, les normes qui s’appliquent dans les domaines en question. Un champ tout particulièrement intéressant est celui de l’établissement de repères d’éthique internationalement reconnus dans divers secteurs de la biotechnologie tels que la thérapie génétique, les normes de salubrité alimentaire ou le traitement compatissant des animaux transgéniques. Il s’agit là évidemment d’une cible mouvante puisque ces normes ne cessent jamais d’évoluer, mais les enjeux en cause sont fondamentaux pour le CCCB et pour les organismes et les groupes d’intérêt qu’il sert.

    6. Conclusion

      Les six documents dont le présent rapport fait la synthèse montrent la pertinence des jugements éthiques – des jugements toute réflexion faite – pour la politique canadienne en matière de biotechnologie. En créant la nouvelle SCB et le CCCB, le gouvernement du Canada a mis à sa propre disposition un cadre général qui lui rend plus facile de tenir compte des questions d’éthique en biotechnologie. Les cinq lacunes cernées correspondent à des champs importants de recherches parrainées ou effectuées par le CCCB, des domaines qui sont reliés intrinsèquement au mandat du CCCB et qui intéressent probablement beaucoup les partenaires et les intervenants du CCCB.


  1. 1 Espey 1997, p. 10. Barrett offre une bonne introduction à cette stratégie dans sa thèse de doctorat présentée récemment et portant sur le colza canola. Katherine Barrett, Canadian Agricultural Biotechnology : Risk Assessment and the Precautionary Principle, Département de botanique de l’université de la Colombie- Britannique, thèse de doctorat, 1999, p. 79-80.
  2. 2 Espey 1997, p. 10. Les chiffres datent de 1992. Il faudrait les mettre à jour et les présenter sous forme de graphique afin de montrer la croissance rapide de la biotechnologie.
  3. 3 Voir Barrett.
  4. 4 Conseil des sciences du Canada, Rapport 42, La génétique et les services de santé, Ottawa 1991; Commission de réforme du droit du Canada, Genetic Heritage (document de réflexion produit par B.M. Knoppers) Ottawa, 1991. Voir aussi L’énoncé de politique des trois conseils sur l’éthique de recherche avec des êtres humains, Ottawa, 1998.
  5. 5 Commission de réforme du droit du Canada, Obtention et transfert des tissus et des organes humains, Ottawa 1992. Voir aussi L’énoncé de politique des trois conseils sur l’éthique de recherche avec des êtres humains, Ottawa,1998.
  6. 6 Conseil de recherches médicales du Canada, Lignes directrices concernant la recherche sur les thérapies somatiques chez les humains, Ottawa, 1992. Voir aussi L’énoncé de politique des trois conseils sur l’éthique de recherche avec des êtres humains, Ottawa,1998.
  7. 7 Commissaire à la protection de la vie privée, Le dépistage génétique et la vie privée, Ottawa, 1992.
  8. 8 Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Un virage à prendre en douceur, Ottawa, 1993.
  9. 9 Agriculture Canada, Direction de l’inspection des aliments, Communiqué : Étiquetage des aliments issus du génie génétique, Ottawa, décembre 1995.
  10. 10 Il s’agit de Santé Canada, d’Industrie Canada, de Pêches et Océans Canada, d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, de Ressources naturelles Canada, d’Environnement Canada et d’Affaires étrangères et Commerce international Canada.
  11. 11 L’adresse du site Web du CCCB est (http://cbac.gc.ca)
  12. 12 La recherche sur des sujets humains et la recherche sur des animaux sont deux domaines d’action indirecte de l’État.
  13. 13 (http://www.socialsciences.uottawa.ca/governance/fra/index.asp)
  14. 14 Ibid.
  15. 15 Voir le Rapport public sur la régie interne des Instituts de recherche en santé du Canada, 1999, p. 7.
  16. 16 Voir l’article de Allen Buchanan, « Toward a Theory of the Ethics of Bureaucratic Organizations », Business Ethics Quarterly, 1996.
  17. 17 Voir l’ouvrage de Patricia Day et Rudolph Klein, Accountabilities : Five Public Services, Tavistock Publications, Londres (R.-U.), p. 26-27, 1987, et aussi Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington, p. 243, une comparaison entre les processus décisionnels ouverts aux professionnels et les processus décisionnels démocratiques.
  18. 18 Thomas Hurka, « Ethical Principles », dans Harold Coward et Thomas Hurka, Ethics and Climate Change, Wilfrid Laurier University Press, Waterloo, Ontario, p. 23, 1993.
  19. 19 En général, dans le présent document, les mots « morale » et « éthique » sont utilisés de façon interchangeable comme des termes de signification à peu près équivalente. Il est utile de faire la distinction entre, d’une part, « l’éthique » et, d’autre part, la « morale » et les « valeurs », parce qu’il arrive parfois que le sens moral d’un individu (p. ex., le sens du bien et du mal) ou son sens des valeurs (p. ex., ce que cette personne considère comme les éléments d’une bonne vie) s’exprime principalement dans des actions et des sentiments et non pas dans des jugements explicites raisonnés et justifiés par une structure logique des principes déclarés qui forment l’objet premier d’étude de la philosophie morale.
  20. 20 Dans leur rapport de 1992 destiné à la Coalition autochtone pour la recherche en Ontario, intitulé « Finding a Balance of Values » et déposé auprès de la Commission des évaluations environnementales de l’Ontario, McDonald, Stevenson et Cragg définissent l’éthique descriptive comme « la branche de l’éthique qui décrit la moralité et les valeurs de personnes ou de groupes, telles que manifestées dans les coutumes, les pratiques, les traditions et les idéologies. Basée sur les travaux des anthropologues, des sociologues et d’autres spécialistes des sciences sociales, sur l’étude directe de textes et sur des témoignages, l’éthique descriptive s’efforce d’interpréter et de structurer les pratiques, ainsi que les moyens susceptibles de pouvoir servir à les fonder ou à les justifier » (traduction libre).
  21. 21 Barrett (p. 50) décrit le principe de précaution comme étant principalement un concept juridique déclarant qu’il « vaut mieux prévenir que guérir » ou affirmant, comme elle l’explique : « De façon plus exacte, bien que peut-être moins claire,… qu’il soit préférable d’avoir à peu près raison en temps opportun, compte tenu des conséquences qu’il y a à avoir très tort plutôt que d’avoir raison de façon absolue, mais trop tard. »
  22. 22 Cette caractérisation de l’éthique théorique est tirée de McDonald, Stevenson et Cragg, 1992.
  23. 23 Cette énumération est tirée de Manuel Velasquez, Business Ethics : Concepts and Cases, troisième édition, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, N.J., p. 13, 1991.
  24. 24 Hare, R.M, Freedom and Reason, Oxford University Press, Oxford, 1963.
  25. 25 Kurt Baier, The Moral Point of View, Cornell University Press, 1957.
  26. 26 Kurt Baier
  27. 27 Avec un ouvrage paru en 1984 et intitulé Reasons and Persons, le philosophe anglais Derek Parfit a provoqué un renouveau d’intérêt à l’endroit de cette question. Les économistes David Davidson et Charles Blackorby, de l’université de la Colombie-Britannique, ont publié divers écrits dans lesquels ils explorent, avec beaucoup de subtilité et de raffinement mathématique, les enjeux qui y sont liés.
  28. 28 L’éthique normative peut se décrire comme « la branche de l’éthique qui s’occupe non pas tant d’étudier les mœurs et les valeurs ou d’élaborer des théories à leur sujet, mais plutôt de poser concrètement des jugements normatifs sur des actions, des personnes et des caractères à l’aide d’un vocabulaire de morale et de valeurs. À titre d’éthique (par opposition à une moralité naïve), l’éthique normative utilise l’éthique descriptive et l’éthique théorique ou y trouve des lumières ». Ibid.
  29. 29 L’université Harvard a présenté une demande de brevet au Canada pour sa carcinosouris. Voir la cause President and Fellows of Harvard College c. (Canada) Commissaire aux brevets (2000) A-334-98. Appel autorisé par la Cour suprême du Canada, octobre 2000.
  30. 30 Espey (p. 4-5) soutient que la façon dont le gouvernement a traité la question de la SBTr montre comment l’absence de souci explicite pour les incidences publiques de la biotechnologie est source de problèmes. Dans le présent rapport, par contre, l’exemple de la SBTr sert à illustrer la valeur de la réflexion éthique au moment de cerner les dimensions de base du débat sur la biotechnologie.
  31. 31 Les utilitaristes de la première heure, tel Jeremy Bentham, voyaient l’utilité ou le bien-être comme une sorte d’état de sensation, à savoir, le plaisir. Ceux venus par la suite, dont les économistes actuels du bien-être, voient dans le bien-être la satisfaction de préférences exprimées.
  32. 32 Robert Nozick , Anarchy, State, and Utopia, Basic Books, New York, p. 29, 1974.
  33. 33 Cragg (1999) prétend que des expressions telles que « valeurs fondamentales » et « valeurs symboliques » saisissent mieux l’usage réel que l’expression « valeurs intrinsèques » utilisée traditionnellement par les philosophes.
  34. 34 Dans un rapport inédit de 1999, Cragg soutient, d’un ton persuasif, que le fait de traiter des valeurs fondamentales ou symboliques comme de simples valeurs économiques est le genre de malentendus qui empêchent toute discussion cohérente. Il fonde son argumentation sur une analyse de plusieurs différends ayant pris place au Canada en matière d’environnement. Wesley Cragg, « Mapping Values, Descriptive Axiology and Applied Ethics : Lessons from Four Environmental Ethics Case Studies », Association canadienne de philosophie, 1999.
  35. 35 Will Kymlicka, « Approaches to the Ethical Issues Raised by the Royal Commission’s Mandate », dans New Reproductive Technologies, Ethical Aspects, Études de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, vol. 1, Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, p. 13, 1993.
  36. 36 Rawls, John, A Theory of Justice, Harvard University Press, Cambridge, Mass., p. 578-579, 1971.
  37. 37 Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Duckworth Press, Londres, p. 24, 1977.
  38. 38 Dworkin, p. 28.
  39. 39 Pour consulter le cadre décisionnel élaboré par McDonald, voir le site Web (www.ethics.ubc.ca).
  40. 40 L’article 15 de la Charte mentionne aussi « le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi ».
  41. 41 Jonathan D. Moreno, Deciding Together : Bioethics and Moral Consensus, Oxford University Press, New York, p. 45, 1995. Moreno ajoute aussi (p. 39) que « le consensus est un trait inévitable de la prise des décisions en matière morale, mais qu’il est source d’anxiété pour les théoriciens de la morale. Comme le souligne Jennings, le consensus renforce les structures de pouvoir, canalise et neutralise les conflits et disperse la responsabilité. Ce faisant, il se trouve à appuyer les structures établies de domination. Pourtant, les appels au consensus sont partout. Et sans consensus, comment pourrait-on faire prévaloir quelque notion nouvelle que ce soit dans les affaires humaines, même si elle est celle qui convient, sans procéder par la force? » (traduction libre)
  42. 42 Espey (p. 3) fait remarquer que « pour un gouvernement, la question critique est de savoir comment justifier ses politiques devant les citoyens qu’il sert. Dans une société où le consensus en matière de politique est rare ou inaccessible, c’est le processus qui légitime la politique ». Les principes dont il est question ici englobent aussi bien ceux de procédure que ceux de fond.
  43. Espey, p. 3.
  44. 44 En langage courant, le terme « risque » dénote la possibilité d’une situation néfaste, nuisible ou non désirée.
  45. 45 A. Tversky et D. Kahneman, « Belief in the Law of Small Numbers », dans Judgement Under Uncertainty : Heuristic and Biases, D. Kahneman, P. Slovic et A. Tversky (réd.), Cambridge University Press, Cambridge. p. 23-31, 1982. Voir aussi K.S. Schrader-Frechette, Risk and Rationality : Philosophical Foundations for Populist Reforms, University of California Press, Berkeley, p. 77-88, 1991.
  46. 46 Conrad G. Brunk, Lawrence Haworth et Brenda Lee, Value Assumptions in Risk Assessment : A Case Study of the Alachlor Controversy, Wilfrid Laurier University Press, Waterloo, Ontario, 1991.
  47. 47 Brunk, p. 93-95.
  48. 48 Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington, p. 140.
  49. 49 Ibid, p. 148.
  50. 50 Maragaret A. Somerville, « Are We Just ‘Gene Machines’ or Also ‘Secular Sacred’? », dans « New Science to a New Societal Paradigm », Policy Options, no 16, p. 5, mars 1996. Citée par Schrecker, Hoffmaster, Somerville et Wellington, p. 251.
  51. 51 Voir Santé Canada, « New Reproductive and Genetic Therapies : Setting Boundaries, Enhancing Health », juin 1996.
  52. 52 Voir McDonald, article sur les conflits d’intérêts affiché au site Web (www.ethics.ubc.ca) et aussi McDonald et al., The Governance of Health Research Involving Human Subjects, Commission du droit du Canada (à paraître sous peu), dont la section F-1 porte sur les conflits d’intérêts au sein des institutions. Les principes généraux du règlement des conflits d’intérêts sont exposés dans « Hands : Clean and Tied, Dirty and Bloody » Dirty Hands, David Shugarman et Paul Rynard (réd.), Broadview Press, Peterborough, Ontario, p. 187-198, 2000.
  53. 53 Katherine Barrett Canadian Agricultural Biotechnology : Risk Assessment and the Precautionary Principle, thèse de doctorat, Département de botanique, université de la Colombie-Britannique, p. ii-iii, 1999.
  54. 54 Tel qu’indiqué dans McDonald et al., The Governance of Health Research Involving Human Subjects, Commission du droit du Canada (à paraître sous peu), l’homologue apparent du CCCA pour ce qui est des êtres humains, soit le Conseil national de l’éthique de la recherche sur des êtres humains, dispose d’un mandat très restreint qui ne l’autorise pas à façonner ni même à éclairer la politique nationale du Canada en matière de recherche sur des êtres humains. Voir la section F-1e.
  55. 55 Derek Jones, p. 14, 1999.
  56. 56 Jones 1999,, tableau A, p. 12.
  57. 57 Baruch Brody, The Ethics of Biomedical Research : An International Perspective, Oxford University Press, Oxford, p. 36, 1998.
  58. 58 p. 148.
  59. 59 Les vérifications internes sont réservées à l’usage de l’entreprise concernée. Les vérifications externes visent à rassurer d’autres intervenants, tels les investisseurs et les créanciers, quant à l’exactitude et à la fiabilité du rapport financier.
  60. 60 L’Institut international des ressources phytogénétiques fait partie du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, un organisme renommé pour son travail en faveur de la révolution verte par l’intermédiaire de l’Institut international du riz et d’autres organes semblables axés sur le maïs, le blé, la pomme de terre, etc. L’information présentée ici me vient de M. Gene Namkoong (Ph.D., faculté des sciences forestières, université de la Colombie-Britannique), un chercheur de réputation mondiale et un pionnier de la génétique forestière.
  61. 61 Les mêmes questions se sont posées au sujet de la révolution verte des années 1960.
http://cccb-cbac.ca


    Création: 2005-07-13
Révision: 2005-07-13
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