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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Les brevets en génétique et la santé : Débats récents sur la politique officielleDocument rédigé pour le Comité consultatif canadien de la biotechnologieAoût 2003
E. Richard Gold Table des matières
AbrégéDepuis la parution du rapport final du CCCB sur le Brevetage des formes de vie supérieures, en juin 2002, plusieurs autres organismes, dont l'OCDE, le Nuffield Council et la Commission du Royaume-Uni sur les droits de propriété intellectuelle, se sont penchés sur la question du brevetage des gènes. Les rapports qui en sont ressortis, tout en concordant de façon générale avec les conclusions du CCCB, approfondissent encore plus le débat sur les enjeux sociaux et éthiques entourant ces brevets. Ils conviennent tous que les gènes sont brevetables, mais reconnaissent aussi qu'il pourra s'avérer nécessaire d'imposer certaines limites au nombre ou à la portée des brevets délivrés. En outre, un élément nouveau et important apporté à la politique des États -Unis dans ce domaine, en l'occurrence, l'élaboration de directives au sujet des brevets, pourrait avoir des conséquences pour les chercheurs et entrepreneurs canadiens désireux de vendre des produits ou services à nos voisins du Sud. IntroductionLe présent rapport, rédigé à la demande du CCCB, a pour but de résumer brièvement l'évolution des politiques visant les brevets délivrés relativement à des séquences d'ADN depuis la parution du rapport final du CCCB sur le Brevetage des formes de vie supérieures, en juin 2002. L'auteur décrit les rapports produits par plusieurs organismes sur cette question, ainsi que les initiatives gouvernementales prises dans divers pays au sujet du brevetage des gènes. Par contre, le présent rapport n'a pas pour but de passer en revue les articles et rapports universitaires récents dans ce domaine. Les offices des brevets de tous les pays industrialisés délivrent des brevets relatifs à des séquences d'ADN, à l'utilisation de ces séquences et aux méthodes servant à produire ou isoler ces séquences. Ces brevets s'appliquent à l'utilisation, la fabrication ou la vente de ces séquences (ou méthodes) dans le pays en question. (À titre d'exemple, un brevet canadien s'applique à des activités menées au Canada, alors qu'un brevet américain s'applique à l'utilisation ou à la vente de la séquence aux États-Unis). Les droits afférents au brevet ne couvrent pas les séquences d'ADN telles qu'elles existe nt dans la nature, par exemple, dans un corps humain, mais ils s'appliquent effectivement aux séquences sous une forme isolée ou modifiée. Même si la question du brevetage des séquences d'ADN a été réglée par les offices ou bureaux des brevets, la controverse n'en continue pas moins de régner quant à la sagesse et aux incidences des décisions prises. Nombreux sont ceux qui s'opposent, par exemple, à l'idée même de breveter la vie ou un composant du corps humain. De plus, on s'inquiète fortement des répercussions de tels brevets sur les soins de santé et sur l'agriculture. Le CCCB, au moins depuis les débuts de son projet de recherche sur le Brevetage des formes de vie supérieures, s'intéresse aux dimensions juridiques et éthiques du brevetage des séquences d'ADN humain et animal. Bien que le Comité, dans ses rapports diffusés jusqu'à maintenant, se soit contenté d'effleurer la question des brevets touchant les séquences d'ADN, il n'en a pas moins suivi de près l'évolution de cette question. En 2002, par exemple, il commandait l'élaboration d'un rapport décrivant les réalisations récentes en matière de brevetage de séquences d'ADN, lequel rapport analyse les préoccupations et les réactions suscitées par ce genre de brevets en Europe, aux États-Unis et au Canada, ainsi que les conventions et les documents internationaux pertinents. Le présent rapport constitue un suivi du premier. Plus particulièrement, le présent rapport étudie l'évolution de la situation du brevetage des séquences d'ADN depuis la parution, en novembre 2001, du rapport provisoire du CCCB sur le Brevetage des formes de vie supérieures, tout spécialement dans le secteur des soins de santé. Nous aborderons donc deux sujets bien précis, à savoir :
Fondements du présent rapportDans la Recommandation 10 de son rapport provisoire de novembre 2001 sur le Brevetage des formes de vie supérieures (ci-après le « Rapport provisoire »), le CCCB propose « l'instauration d'un programme systématique de recherche sur l'effet des brevets en biotechnologie sur les services de santé1 ». Cette recommandation n'a pas été conservée dans le rapport final parce que les provinces et le gouvernement fédéral avaient déjà, à ce moment-là, entamé un processus visant à régler ces questions. Le rapport final sur le Brevetage des formes de vie supérieures (ci-après le « Rapport final »), diffusé en juin 2002, déclare ce qui suit : Le CCCB est d'avis que la proposition de l'Ontario voulant que les provinces et le gouvernement fédéral travaillent de concert à déterminer les effets négatifs du système de brevetage sur le régime public des soins de santé, puis à y réagir, constitue le moyen tout indiqué pour tenir compte de ces préoccupations. Ces questions sont fort importantes, comme le soulignait le Rapport provisoire, mais elles ne se situent pas au cœur du projet actuel sur la propriété intellectuelle en biotechnologie (p. 23) Le Rapport final propose également, à la Recommandation 7, « que le gouvernement fédéral, en consultation avec les autres ordres de gouvernement et les autres intéressés, élabore des politiques et des pratiques propres à encourager le par tage des bienfaits qui découlent de recherches faisant appel au matériel génétique2 ». Incidences des brevets en génétique et dans des domaines connexesDepuis la parution du Rapport final du CCCB, il s'est produit des changements à plusieurs égards en ce qui concerne le brevetage des séquences d'ADN. D'abord, un bon nombre d'organismes ont fait paraître des rapports sur la question. Mentionnons le rapport du Nuffield Council on Bioethics, intitulé « The ethics of patenting DNA : a discussion paper3 » (Document de discussion sur l'éthique du brevetage de l'ADN); le rapport de la Commission du Royaume- Uni sur les droits de propriété intellectuelle, intitulé « Integrating Intellectual Property Rights and Development Policy4 » (Intégration des droits de propriété intellectuelle à l'élaboration de la politique officielle); et le rapport de l'OCDE intitulé « Genetic Inventions, Intellectual Property Rights and Licensing Practices : Evidence and Policies5 » (Inventions génétiques, droits de propriété intellectue lle et pratiques en matière d'octroi de licences). Deuxièmement, certains gouvernements et certains organismes gouvernementaux de l'étranger procèdent actuellement à des recherches sur les différents aspects du brevetage des séquences d'ADN et, en particulier, sur les conséquence de ces brevets pour les systèmes de soins de santé. En troisième lieu, divers gouvernements nationaux et provinciaux tiennent des discussions au sujet du brevetage des séquences d'ADN, tout spécialement dans le contexte des soins de santé. Les rapports Deux des trois rapports mentionnés plus haut portent précisément sur la question du brevetage des séquences d'ADN, et le troisième, celui de la commission du Royaume-Uni sur les droits de propriété intellectuelle, analyse aussi le brevetage des séquences d'ADN dans le cadre d'un examen global des craintes relatives aux droits de propriété intellectuelle dans les pays en voie de développement. La présente section résume les conclusions de chacun des trois rapports. Rapport du Nuffield Council Le Nuffield Council on Bioethics a rendu public son rapport sur l'éthique du brevetage des séquences d'ADN en juillet 2003, un mois après la parution du Rapport final du CCCB. Le rapport du Conseil était le fruit de deux ans de travail et de consultations auprès d'experts. L'objectif du rapport était énoncé comme suit (traduction) :
Les auteurs du rapport ont cerné les trois arguments suivants qui ont trait à l'éthique et ont été invoqués en relation avec le brevetage des séquences d'ADN (traduction) :
Partant de ces préoccupations, l'analyse contenue dans le rapport peut se résumer comme suit :
Rapport de la Commission du Royaume-Uni sur les droits de propriété intellectuelle C'est en septembre 2002 que la Commission a remis son rapport sur les droits de propriété intellectuelle et les pays en voie de développement. La Commission était composée de spécialistes des droits de propriété intellectuelle et de l'éthique. Le rapport aborde plusieurs thèmes dont la santé, les ressources agricoles et génétiques, les connaissances traditionnelles et les indications géographiques, les logiciels et l'Internet, la réforme des brevets, les capacités institutionnelles et l'architecture internationale. Dans le rapport, la Commission s'est demandé comment les droits de propriété intellectuelle pourraient être amenés à jouer un rôle en vue (traduction) « d'atténuer la pauvreté, d'aider à combattre les maladies, d'améliorer la santé des mères et des enfants, de faciliter l'accès à l'éducation et de contribuer au développement durable » (p. 1). Les membres de la Commission en sont venus à la conclusion suivante : bien que les enjeux de propriété intellectuelle soient importants dans le monde industrialisé, le coût d'une réaction inadéquate est encore plus grand dans les pays en voie de développement. La Commission s'est tournée vers les données de politique offic ielle et les données empiriques, là où ces dernières existaient, pour formuler des recommandations visant à aider le monde en développement dans le domaine de la santé et dans d'autres champs d'activité. Tout en reconnaissant les avantages généraux des droits de propriété intellectuelle, du moins pour les pays industrialisés, la Commission conclut que les droits de brevet devraient être conférés avec prudence. À l'instar du Nuffield Council, la Commission fait valoir que les critères de brevetage devraient être assujettis à des normes strictes et qu'il faudrait limiter la portée de tout brevet. Elle affirme aussi la nécessité d'encourager la concurrence et d'instaurer des sauvegardes afin de garantir que les droits de brevet ne sont pas exploités à mauvais escient. En ce qui concerne les brevets sur des séquences d'ADN, la Commission recommande ce qui suit (traduction) : Si les pays industrialisés permettent le brevetage des gènes comme tels, il faut des règlements ou des directives qui restreignent les revendications aux utilisations clairement indiquées dans la description du brevet, afin d'encourager la poursuite des recherches et l'élargissement de l'application commerciale de toute nouvelle utilisation du gène (p. 118). Cette recommandation est semblable en nature à celle contenue dans le rapport du Nuffield Council, et elle appuie la démarche générale proposée par le CCCB en matière de directives dans la Recommandation 10 du Rapport final du Comité6. Rapport de l'OCDE En décembre 2002, l'OCDE diffusait un rapport sur le brevetage des séquences d'ADN, en basant ses analyses sur les résultats d'une réunion de spécialistes tenue à Berlin, en janvier 2002, sous le parrainage du gouvernement de l'Allemagne. Le rapport de l'OCDE offre un cadre à l'application des lois sur les brevets aux séquences d'ADN, et présente un résumé des propos des participants à la réunion de Berlin, pour en arriver finalement à la conclusion qu'aucun motif important ne permet de mettre en doute la brevetabilité des séquences d'ADN et que rien encore ne permet de croire à un effondrement général du système de brevetage. Le rapport n'en admet pas moins que l'absence de preuves d'un effondrement systémique ne signifie pas l'impossibilité que le système de brevetage retarde la recherche-développement. Un tel risque est particulièrement réel dans le domaine des tests génétiques de diagnostic, malgré l'insuffisance actuelle des données sur cette question. Le rapport fait cependant une mise en garde à l'effet qu'au fur et à mesure de l'évolution des pratiques d'octroi de licences, il est essentiel que les décideurs se fassent un devoir de bien comprendre le rôle des licences par rapport à l'accès aux techniques génétiques. Enfin, à l'instar du CCCB dans la Recommandation 10 de son Rapport provisoire, l'OCDE conclut à la nécessité d'approfondir les recherches qui permettront de mieux comprendre les effets des brevets et des licences en technologie génétique. Dans son rapport, l'OCDE relève un certain nombre de problèmes à régler relativement au brevetage des séquences d'ADN, dont :
Il est intéressant de constater que le rapport de l'OCDE tient pour acquise l'existence de certaines dispositions de protection qui sont contenues dans les lois sur les brevets mais qui, comme le fait remarquer le CCCB dans son Rapport final sur le Brevetage des formes de vie supérieures, n'existent pas au Canada dans une forme suffisamment élaborée. À titre d'exemple, le rapport de l'OCDE souligne le rôle d'une procédure de contestation (réclamée par le CCCB dans la Recommandation 13 de son Rapport final) et celui de l'octroi obligatoire de licences (dans les cas de risques pour la santé), qui sont moins aboutis au Canada que dans de nombreux autres pays. Conclusions relatives aux rapports étudiés Bien que rédigés à pa rtir de points de vue différents, les trois rapports mettent en évidence les trois mêmes besoins concernant les brevets en génétique, à savoir :
Malgré des différences de particularités entre les solutions proposées, ces conclusions se rapprochent nettement des recommandations du CCCB dans son Rapport final. Projets de recherche gouvernementaux Le gouvernement de l'Australie a pris la tête du mouvement pour examiner à fond les liens entre les brevets relatifs aux séquences d'ADN et le système de soins de santé. À la demande de l'État, la Commission du droit de l'Australie (Australian Law Commission) examine (traduction) « les incidences des lois et pratiques actuelles de brevetage, y compris l'octroi de licences, dans le domaine des gènes, de la génétique et des technologies connexes, sur la recherche, sur l'industrie de la biotechnologie et sur la prestation rentable des soins de santé en Australie7 ». La Commission doit rendre son rapport au gouvernement d'ici juin 2004. Au Canada, le ministère de la Justice a commandé une étude au sujet de l'information contenue dans les gènes, des brevets relatifs aux gènes et des droits de la personne. Réalisée par Richard Gold et Timothy Caulfield, cette étude se penche sur les rapports entre les droits de la personne et les renseignements génétiques et cherche à déterminer comment les droits conférés par brevet peuvent influer sur l'avènement des droits de la personne à l'échelle internationale. Voici à quelles conclusions en viennent les auteurs (traduction) : Le fait d'adopter une démarche fondée sur les droits de la personne pour analyser les préoccupations d'ordre social et éthique soulevées par les innovations en génétique humaine ne mène pas automatiquement ni inévitablement à l'élaboration de politiques d'intérêt public. Il offre cependant un cadre commun au sein duquel évaluer, peser et mettre en équilibre ces diverses préoccupations… L'OCDE a entamé un projet d'élaboration de directives en matière d'octroi de licences, entre les secteurs privé et public, relativement aux séquence d'ADN et à d'autres applications technologiques8. Ce projet, approuvé par un Comité directeur responsable du projet en mai 2003, doit produire la version finale des directives d'ici le printemps 2004. Débats gouvernementaux Tel qu'expliqué dans le Rapport final du CCCB, la Communauté européenne (CE) a tenté de régler la question des brevets de biotechnologie au moyen de sa Directive sur la protection juridique des innovations biotechnologiques. La Directive devait être mise en œuvre dans les 15 pays de la CE avant juillet 2000 mais, malgré son adoption, plusieurs pays, dont la France et l'Allemagne, n'ont pas encore modifié leurs lois nationales pour s'y conformer. Il semblerait cependant que l'Allemagne en soit arrivée à envisager de transposer la Directive sans y apporter de changements substantiels, mais aucune loi n'a encore été édictée à cette fin. En France, la Directive s'est heurtée à encore plus de difficultés avec la nomination de M. Jean-François Mattéi au poste de ministre de la Santé. M. Mattéi s'oppose depuis longtemps à la Directive et surtout aux dispositions exigeant d'autoriser le brevetage des séquences d'ADN. En conséquence, toute tentative de transposition de la Directive dans la législation française est maintenant suspendue. Comme le mentionne le Rapport final, l'Ontario a proposé une réunion des gouvernements provinciaux et fédéral en vue de débattre certaines préoccupations, touchant la politique de la santé, soulevées par la délivrance de brevets concernant des séquences d'ADN humain. Le CCCB appuie cette proposition dans son Rapport final en déclarant ce qui suit : Le CCCB est d'avis que la proposition de l'Ontario voulant que les provinces et le gouvernement fédéral travaillent de concert à déterminer les effets négatifs du système de brevetage sur le régime public des soins de santé, puis à y réagir, constitue le moyen tout indiqué pour tenir compte de ces préoccupations (p. 23). Depuis la proposition formulée par l'Ontario, des hauts fonctionnaires fédéraux et provinciaux de la santé se sont réunis à une ou deux occasions pour s'entretenir de leurs préoccupations. Ils conviennent généralement de la nécessité d'études plus poussées, mais croient que, d'ici-là, les gouvernements devraient explorer les possibilités d'action à leur disposition, y compris des mesures législatives modifiant la Loi sur les brevets pour garantir l'accès aux tests génétiques de diagnostic. Malgré cette convergence d'opinion, il demeure, surtout dans certaines directions générales d'Industrie Canada, une forte opposition à modifier la Loi sur les brevets sans disposer d'abord de preuves indubitables que là réside l'unique solution pour calmer les craintes relatives au système de soins de santé. L'Ontario et les autres provinces n'en continue pas moins d'exprimer leurs craintes avec insistance. Analyse Il existe actuellement très peu de travaux empiriques sur les liens entre la recherchedéveloppement et le brevetage des séquences d'ADN et l'accès aux services de santé. Deux études, réalisées par un groupe de recherche sous la direction de Jon Merz et Mildred Cho, ont permis de constater que le brevetage des séquences d'ADN diminuait la recherchedéveloppement de nouveaux tests génétiques et limitait l'accès à ces tests9. Les renseignements anecdotiques recueillis par les membres du groupe de recherche semblent indiquer, par exemple, que les chercheurs refusent de divulguer des mutations nouvelles advenant dans les séquences d'ADN brevetées, de crainte que cette divulgation ne les expose à des poursuites en contrefaçon de brevet. L'étude du Nuffield Council et celle de l'OCDE prennent très au sérieux les craintes concernant les effets négatifs possibles du brevetage de séquences d'ADN sur la recherche clinique. Le rapport de l'OCDE, en particulier, souligne le besoin de recherches plus poussées dans ce domaine. Il se fait ainsi l'écho des conclusions exprimées par le CCCB dans la Recommandation 10 de son Rapport provisoire. Il est possible que le projet de l'OCDE, visant l'élaboration de directives en matière d'octroi de licences ainsi que de recommandations au sujet de l'exemption pour fins de la recherche (de façon analogue à la Recommandation 5 du CCCB), trace une voie à suivre pour l'avenir. Les travaux que doit effectuer la Commission du droit de l'Australie promettent de mener à des preuves empiriques et à des recommandations de principe au sujet des liens entre le brevetage des séquences d'ADN et la santé. Dans le monde universitaire, Gold et al. préconisent le recours à des méthodes « transdisciplinaires » pour aborder la question des brevets de biotechnologie en général et, en particulier, celle du brevetage des séquences d'ADN10. Une telle façon de procéder réunirait les compétences de disciplines diverses dont le droit, l'économie, l'éthique, la philosophie, la gestion et la science politique et permettrait de les allier à celles de représentants de la fonction publique, de l'industrie et de la société civile en vue d'étudier le rôle des brevets de biotechnologie à l'échelle nationale et internationale. Répercussions des directives relatives à l'utilité, adoptées en janvier 2001 par l'USPTOLes directives En janvier 2001, le United States Patent and Trademarks Office (USPTO) émettait de nouvelles directives visant directement l'application du critère d'utilité au brevetage des séquences d'ADN (ci-après « Directives sur l'utilité »)11. Au même moment, l'USPTO diffusait aussi de nouvelles directives de description écrite (ci-après « Directives sur la description ») concernant les mêmes demandes de brevet12. Les Directives sur l'utilité manifestent le point de vue de l'USPTO quant à la façon dont le critère d'utilité afférent aux lois américaines sur les brevets devrait être interprété et appliqué dans le contexte du brevetage de séquences d'ADN. Ces Directives n'ont pas force obligatoire, puisque les tribunaux ont le dernier mot dans l'interprétation des lois sur les brevets, y compris en ce qui concerne la signification du critère d'utilité. Il n'en reste pas moins que les Directives sur l'utilité lance un message clair aux inventeurs relativement à l'interprétation que l'USPTO donnera à la Loi sur les brevets des États-Unis. Se fondant sur la jurisprudence, l'USPTO déclare que toute invention, y inclus celles faisant intervenir des séquences d'ADN, doit avoir une utilité crédible, spécifique et substantielle. Ces questions font l'objet d'une analyse dans le Rapport final du CCCB (p. 14), et il n'est donc pas nécessaire d'en donner ici une longue explication. Ce qu'il est important de savoir, cependant, c'est que les brevets sont accordés uniquement lorsque la demande de brevet décrit une fonction clairement reconnaissable et non triviale et que, d'après les connaissances actuelles du domaine, il est raisonnable de croire (ou crédible) que l'invention se comporte de la manière décrite dans la demande de brevet. Étant donné que la modélisation informatique de la fonction des séquences d'ADN n'est pas encore estimée fiable dans la pratique, les demandes de brevet qui concernent la fonction de telles séquences et se basent uniquement sur des modèles informatiques ne sont pas acceptées pour le moment. En outre, les Directives sur l'utilité exigent que la demande de brevet décrive une fonction claire du gène; il n'est pas suffisant de simplement déclarer que l'action du gène est intéressante. Les Directives sur la description représentent une interprétat ion plus rigoureuse de exigences relatives à la description contenues dans les lois américaines sur les brevets. Les directives en question n'étant pas exposées dans le Rapport final du CCCB, nous en donnons maintenant les points principaux. Essentiellement, les Directives sur la description obligent les déposants de demande de brevet à démontrer qu'ils sont « en possession pleine et entière » de l'invention qu'ils revendiquent. Un inventeur est « en possession » d'une invention lorsqu'il peut montrer, avec des détails précis, chacun des aspects de l'invention ainsi que les limites de l'invention. Selon le texte même des Directives sur la description (traduction) : Un déposant montre qu'il est en possession de l'invention revendiquée en décrivant ladite invention, y compris ses limites, à l'aide de moyens de description tels que textes, maquettes, figures, diagrammes et formules qui définissent clairement l'invention. Les Directives sur la description énumèrent plusieurs manières par lesquelles un déposant peut prouver sa pleine et entière possession de l'invention qu'il revendique comme sienne. Elles suggèrent aussi aux examinateurs de demandes de brevet de procéder selon les étapes suivantes pour évaluer la possession (sauf les parties entre guillemets, les explications sont celles de l'auteur du présent rapport) :
Les Directives sur la description permettent aussi à un déposant de revendiquer un « genre » d'invention en présentant le type de description ci-dessus relativement à « un nombre représentatif d'espèces » du genre en question. Les mots-clés, dans ce cas, sont « nombre représentatif », que les Directives sur la description définissent comme suit (traduction) : Un « nombre représentatif d'espèces » veut dire que les espèces qui sont convenablement décrites sont représentatives du genre entier. Ainsi, lorsqu'il y a variation importante au sein du genre revendiqué, le déposant est tenu de décrire une gamme d'espèces suffisante pour manifester cette variation. Par ailleurs, il peut arriver qu'une seule espèce suffise à décrire adéquatement le genre. Ce qui constitue un « nombre représentatif » est fonction inverse des compétences et des connaissances pertinentes (p. 1106). Parmi leurs incidences possibles, les Directives sur la description pourraient rendre plus difficile aux déposants de revendiquer quoi que ce soit de plus que les séquences précises d'ADN qu'ils décrivent et expliquent en détail dans leur demande, c'est-à-dire qu'il pourrait être interdit aux déposants de revendiquer les mutations de ces séquences à moins de pouvoir démontrer qu'ils savent si ces mutations ont les mêmes caractéristiques déterminantes que la séquence divulguée en entier dans la demande de brevet. Effets des Directives aux États-Unis Il règne un certain degré de controverse quant à savoir si les Directives sur l'utilité représentent effectivement un changement dans les pratiques en usage à l'USPTO. Certains prétendent, à partir de renseignements anecdotiques, que les Directives sur l'utilité ne font que confirmer les pratiques de l'USPTO. Quoi qu'il en soit, la plupart des intéressés conviendraient certainement que les Directives sur l'utilité représentent une interprétation plus stricte du critère d'utilité que celle utilisée par l'USPTO au début des années 1990. Le fait que l'USPTO ait pu élaborer une interprétation plus stricte du critère en question avant la diffusion effective des Directives sur l'utilité (dans leur forme provisoire ou finale) ne dément en rien la réalité que, à un moment ou à un autre de la fin des années 1990, il y a eu resserrement de l'interprétation du critère. Il n'existe pas de bonnes preuves statistiques illustrant les conséquences que les Directives sur l'utilité et des Directives sur la description ont pu avoir pour le brevetage des séquences d'ADN aux États-Unis. Une étude réalisée par le groupe de Robert Cook-Deegan (maintenant à l'université Duke), à partir de la base de données créée par LeRoy Waters sur les brevets concernant l'ADN, montre que le nombre total de ces brevets s'accroissait constamment aux États-Unis, du moins jusqu'en décembre 2001. Néanmoins, les statistiques signalent une baisse légère du nombre de brevets délivrés en 2000, peut-être en raison de l'incertitude entourant les Directives sur l'utilité et les Directives sur la description, qui étaient alors en cours de formulation. Quoi qu'il en soit, le brevetage a repris de plus belle en 2001 et continue de progresser. Malgré l'absence de preuves statistiques des effets des Directives sur l'utilité et des Directives sur la description, des données empiriques provenant du milieu du brevetage permettent de croire qu'il est devenu plus difficile d'obtenir un brevet et que la portée des brevets est plus étroite qu'auparavant. S'il en est réellement ainsi, ce n'est pas tellement à cause des Directives sur l'utilité mais plutôt à celle des exigences des Directives sur la description, qui ont servi à limiter à la séquence exacte inscrite les revendications concernant les séquences d'ADN. Cette évolution pourrait aussi être attribuable aux progrès des compétences scientifiques qui rendent maintenant plus facile et évidente la reconnaissance des séquences d'ADN. Toutefois, au vu de la jurisprudence américaine en cette matière13, on peut conclure que l'évidence ne constitue pas un obstacle majeur aux États-Unis. Effets des Directives à l'extérieur des États-Unis Les fondements législatifs et jurisprudentiels du critère d'applicabilité (ou d'utilité) industrielle sont beaucoup moins développés en Europe et au Canada qu'aux États-Unis. Dans ce cas encore, des données anecdotiques montrent que l'Office européen des brevets (d'après le rapport du Nuffield Council) et l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) semblent partir de la position selon laquelle ils appliquent la même norme d'utilité que celle énoncée dans les Directives sur l'utilité, mais ce parallélisme est difficile à dé montrer parce que ni l'un ni l'autre des deux Offices concernés n'a émis de déclaration faisant autorité sur ce point (voir la Recommandation 10 du Rapport final du CCCB). La raison de cette absence tient au fait que, contrairement aux États-Unis, où le critère d'utilité s'appuie sur des fondements jurisprudentiels solides, les autres pays, et surtout le Canada, ne disposent pas de telle jurisprudence, et il est possible que ce défaut dissuade l'OPIC d'adopter une position nette, car il courrait alors le risque de voir ses décisions portées en appel. Les bases législatives du critère de description ne sont pas les mêmes aux États-Unis que dans les autres pays, étant donné que les règlements américains de brevetage comportent aussi une exigence d'habilitation (enablement), ce qui rend encore plus difficile toute généralisation à partir des pratiques américaines. Quels que soient les changements apportés, ou non, aux règles canadiennes ou européennes à cause des Directives sur l'utilité et des Directives sur la description adoptées aux États-Unis, il est important de rappeler que les inventeurs canadiens, s'ils veulent être sûrs de pouvoir accéder au plus grand marché du monde, celui des États-Unis, doivent demander et obtenir des brevets américains. En conséquence, que l'OPIC suive ou non la pratique américaine en délivrant les brevets canadiens, les inventeurs et les entrepreneurs canadiens devront se plier aux directives américaines pour protéger réellement la valeur de leurs inventions. ConclusionsLes préoccupations et questions soulevées par le brevetage des séquences d'ADN se font de plus en plus complexes depuis un an ou deux. Les décideurs semblent maintenant accepter, de concert avec le milieu universitaire14, que les séquences d'ADN sont brevetables. L'attention se porte maintenant sur l'utilisation que les titulaires font de leurs brevets et, en particulier, sur la facilité ou la difficulté relative de l'obtention de licences, à prix raisonnable, auprès des titulaires de brevets. Toutes les études publiées depuis un an illustrent cette démarche, bien qu'elles diffèrent quant à la mesure de leur perception du système de brevetage comme ayant des effets négatifs sur la recherche et les soins de santé. Il est possible de tirer une conclusion générale de ces faits et propos. Tous les chercheurs qui se sont penchés sur la question des liens entre le brevetage des séquences d'ADN et le système de soins de santé sont d'avis qu'il faudra probablement corriger la situation, soit en instaurant des directives non exécutoires, soit au moyen d'une réforme législative, ou en conjuguant ces deux modes d'action.
Annexe A
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Création: 2005-07-13 Révision: 2005-07-13 ![]() |
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