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Comité consultatif canadien de la biotechnologie
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Innovations biotechnologiques et transformations institutionnelles dans le domaine de la santé : Rapport sommaire, synthèse et recommandations sur des questions de santé publique et de santé de la population

Daryl Pullman (auteur principal)
Phronesis Ethical Management Consulting
11, Princeton Place
Portugal Cove (T.-N.-et-L.)
A1M 3E2

Document remis le 31 mars 2003

Table des matières

  1. Introduction : L'exercice d'un discours moral
  2. Considérations factuelles : Établir le contexte — Que sommes-nous sûrs de savoir? Que croyons-nous savoir?
  3. Valeurs et principes partagés et vision commune
  4. Quelques considérations d'ordre conceptuel
  5. Notes complémentaires

Annexe I — Sommaire des discussions en table ronde de la première journée



I. Introduction : L'exercice d'un discours moral

Ce court rapport a pour objectif de présenter un résumé et une synthèse de certaines des idées, des concepts et des enjeux débattus à l'occasion de l'atelier du CCCB sur le thème de « La biotechnologie et l'innovation en santé ». Il porte avant tout sur les incidences et les transformations institutionnelles qui se produisent déjà en santé publique, à cause de l'avènement des innovations issues de la biotechnologie, et-ou qui sont prévues dans les trois à cinq années à venir et par la suite. Certaines recommandations précises sur les moyens à prendre pour que les politiques et les programmes mis en oeuvre à court terme permettent vraiment au Canada de préserver et d'élargir sa vision des soins de santé publique à l'avenir et de rendre son économie plus concurrentielle dans le marché mondial.

La santé publique est seulement l'un des thèmes abordés pendant le présent atelier. Il sera question aussi de soins de santé, de réglementation, de R-D et de commercialisation, autant de domaines où il faut s'attendre à des transformations institutionnelles. Étant donné que la santé publique est intimement liée aux changements escomptés dans ces domaines connexes, et qu'elle en subit de près les effets, c'est dans ce contexte plus vaste qu'il faut situer le débat sur la biotechnologie et la santé publique.

Le présent atelier peut s'envisager, à bien des égards, comme une sorte de microcosme du dialogue public actuel en vue de définir le Canada comme État-nation tout en dégageant parallèlement une vision de notre avenir. Dans une telle optique, ce dialogue constitue l'exercice d'un discours moral où tous ont un intérêt et auquel chacun participe soit directement, soit indirectement par l'entremise de ceux et celles qui représentent nos diverses causes et préoccupations. L'appellation de « discours moral » est l'une des façons de faire référence au contrat social par lequel nous nous définissons nous-mêmes en tant que collectivité morale, organisons nos institutions publiques et privées et gérons les activités de notre existence collective. Les participants à l'atelier personnifiaient toute une gamme de points de vue et d'intérêts divers. De fait, les cinq sphères d'influence autour desquelles s'articule l'organisation de l'atelier incarnent aussi des points de vue et des intérêts divers. Malgré ces différences, l'objectif commun de dégager une vision collective de l'avenir de la biotechnologie appliquée à la santé au Canada a permis aux participants d'en arriver à un degré appréciable de convergence et de progrès.

Cependant, que ce soit au niveau interpersonnel, institutionnel ou international, le discours moral peut se rompre pour bien des raisons, et cette rupture mène au désaccord, à la méfiance et au conflit plutôt qu'à l'entente, à la confiance et à la collaboration. La biotechnologie appliquée à la santé est un phénomène nouveau et relativement complexe dont les effets se font sentir chez presque toutes les institutions publiques et privées, et il faut donc s'attendre parfois à des désaccords et des malentendus. Avant de tenter un résumé et une synthèse du large éventail de points de vue et d'idées exprimés au cours de l'atelier, il serait utile de parler un peu des points et des causes de rupture du discour s moral, afin de situer les tensions diverses qui se sont clairement manifestées dans les débats auxquels a donné lieu l'atelier. En prévoyant les tensions et les sources possibles de désaccord et en les cernant, le Comité consultatif canadien de la biotechnologie (CCCB) pourra peut-être prendre des mesures à l'avance afin de préciser et de transmettre sa vision de la biotechnologie appliquée à la santé, en procédant d'une manière réceptive aux divers points de vue et aux tensions.

Les paragraphes qui suivent expliquent et illustrent brièvement les niveaux de base auxquels peut se produire la rupture du discours moral. Ces niveaux serviront ensuite de cadre organisationnel au résumé et à la synthèse des activités de l'atelier.

L'analyse de la façon dont survient la rupture du discours moral permet de cerner trois niveaux principaux de désaccord et-ou de malentendu, à savoir, le niveau factuel, le niveau des principes directeurs et le niveau conceptuel. Une courte description de chacun aide à situer le déroulement et l'orientation des discussions de l'atelier, ainsi que les tensions que celles-ci ont fait naître de temps à autre.

Le niveau factuel se rapporte simplement à la description élémentaire du phénomène à l'étude. Dans le cas qui nous intéresse, ce phénomène est celui de la biotechnologie appliquée à la santé. Certains pourront estimer qu'une description élémentaire saute aux yeux et est donc banale et sans intérêt. Or, à ce niveau des faits, toute désinformation, méprise ou supposition erronée est souvent cause première de bien des désaccords et, parlà, de défauts de communication. C'est pourquoi, aussi, il est notoirement difficile de décrire exactement une technologie qui se développe et se propage rapidement et d'essayer de prévoir en même temps la trajectoire future de l'innovation technologique. À en croire les prophètes de l'époque, l'avènement de l'automobile devait éliminer presque complètement la pollution causée par les quantités massives de crottin de cheval déposées dans les rues. Quant à la technologie nucléaire, les experts claironnaient que nous aurions là une source peu coûteuse d'énergie électrique. Et à peu près personne aujourd'hui ne vante les vertus du fameux bureau électronique, « sans papier », que devait nous apporter le nouve l âge de la technologie de l'information. La leçon à tirer de ces réflexions est la suivante : ce qui nous est présenté comme un fait n'est souvent que pure spéculation, et les résultats qui se produisent dans la réalité sont souvent radicalement différents. La façon dont la technologie s'intègre peu à peu à une société est très imprévisible et souvent contraire à toute logique1.

À ces premiers stades du développement de l'industrie de la biotechnologie, alors que la concurrence est tout spécialement féroce dans la course aux dollars des investisseurs et aux parts de marché, il est d'autant plus crucial de faire très attention à calmer le battage verbal et autre qui accompagne inévitablement les nombreuses prédictions formulées au sujet de notre avenir bio technologique. D'autre part, les expériences négatives vécues récemment lors de l'effondrement du cybermarché pourraient fort bien mettre sur la défensive les investisseurs éventuels dans les technologies nouvelles. Les prévisions offertes par les participants à l'atelier quant à l'orientation que prendrait la biotechnologie au cours des prochaines années sont à la fois optimistes et pessimistes2. Dans les deux cas, la leçon essentielle à retenir est que les déclarations prudentes et mesurées doivent constituer la norme à respecter par le CCCB lorsqu'il décrit ce qui s'est déjà passé dans le domaine et ose des prédictions sur ce qui pourrait se produire dans les années à venir.

Le niveau des principes directeurs est un autre lieu de rupture possible du discours moral. Les désaccords sur le plan des principes moraux sont souvent jugés implicitement comme constituant la source de la plupart des conflits moraux alors que dans les faits, en général, tel n'est pas le cas. Les principes moraux reproduisent les énoncés normatifs fondamentaux qui incarnent les valeurs de base au moyen desquelles nous nous définissons nous-mêmes en tant que personnes et en tant qu'entités sociales. Pour ne donner que quelques exemples évidents de ces principes moraux fondamentaux, mentionnons « ne pas causer de mal », « respecter la dignité humaine », « promouvoir une technologie viable dans l'intérêt de tous ». Chaque énoncé normatif est un principe directeur d'action avec lequel pratiquement tout le monde est d'accord. Il serait facile de dresser une longue liste de normes de ce genre. Même s'il arrive parfois que des personnes et groupes différents accordent à ces principes des rangs de priorité différents, ce qui mène à des conflits quant à leur mode de mise en pratique, il y a lieu de se sentir plutôt rassuré par le simple fait de ce degré généralement élevé d'accord parmi les intéressés au sujet des principes et de ce qu'ils véhiculent. À titre d'exemple, malgré les points de vue clairement différents des participants à l'atelier concernant le choix des priorités applicables à la biotechnologie, la séance de « visualisation d'avenir » de mercredi matin a permis de constater une convergence remarquable des opinions sur les valeurs déterminantes fondamentales. Le CCCB aurait intérêt à tabler sur cette base commune en formulant ses avis au sujet des orientations futures de la biotechnologie. Nous reviendrons sur ce point général sous peu.

Alors que les erreurs factuelles, les omissions et les exagérations peuvent facilement être évitées ou corrigées en consultant assidûment les données existantes, en approfondissant un tant soit peu la recherche ou simplement en faisant explicitement une distinction honnête entre ce qui est connu et ce qui ne l'est pas, et que les désaccords fondés sur des principes sont souvent question de rang de priorité plutôt que d'incompatibilité foncière des valeurs, les désaccords au niveau conceptuel sont souvent plus difficiles à cerner et à régler. Les concepts sont les termes fondamentaux qui définissent le sujet ou le champ de l'investigation. Dans le cas qui nous occupe, « biotechnologie », « santé » et « intérêt commun » sont des concepts représentatifs clés. Les participants à l'atelier les ont utilisés abondamment, ainsi que d'autres termes et concepts apparentés, pendant les discussions de groupes et au long des débats. Par ailleurs, l'atelier a peu donné l'occasion de préciser exactement le sens que les divers participants donnaient à ces mots et expressions essentiels.

Il est parfois facile de supposer que nous savons tous ce que nous entendons par biotechnologie, que nous avons une vision commune de ce qu'est la santé et que nous convenons du principe selon lequel la politique du Canada en matière de biotechnologie doit favoriser l'intérêt commun. Cepe ndant, il y a toutes sortes de manières de définir et d'utiliser tous les concepts pertinents présents dans ces propos. Les organisateurs de l'atelier ont décidé, par exemple, aux fins de la discussion, de séparer le concept de « soins de santé » de celui de « santé publique », ce qui a amené les participants du groupe sur la santé publique à se demander au départ comment on pouvait distinguer entre les deux notions. Après un moment de réflexion, ceux-ci en sont venus à conclure que « soins de santé » désignaient les soins donnés surtout par les médecins en milieu hospitalier, lesquels sont généralement inclus dans la Loi canadienne sur la santé (et que l'on pourrait appeler plus justement « soins des malades »), alors que « santé publique » se rapporterait plutôt aux grands déterminants de la santé tels que le milieu social et économique et l'environnement. Par conséquent, l'un des éléments clés du rapport du CCCB devrait être une tentative de clarification de certains des principaux concepts en cause. Encore une fois, dans les paragraphes qui suivent, nous essaierons de cerner certaines de ces questions conceptuelles essentielles, de déceler où et quand les divergences conceptuelles pourraient surgir et d'expliquer comment des différences de compréhension risquent de mener à la formulation de recommandations pratiques fondamentalement différentes.

Le bref aperçu ci-dessus de la nature du discours moral indique certains des points clés où le débat sur la politique peut tourner mal, et c'est autour de ces points que s'articule l'analyse ci-après3. Elle commence par un coup d'œil général sur l'état actuel des choses (c'est-à-dire, la situation factuelle) tel que nous le percevons. La section entière traite principalement des éléments descriptifs clés du contexte canadien et mondial d'aujourd'hui qui pourraient influer sur l'orientation du développement de la biotechnologie appliquée à la santé et-ou qui sont susceptibles d'ouvrir des débouchés précis pour la biotechnologie canadienne. Les « moteurs » de l'innova tion en biotechnologie qui ont fait l'objet de mention ou de discussions au cours de l'atelier, surtout ceux ayant trait à la santé publique, seront décrits sommairement. Viendra après un bref examen des valeurs communes et des principes directeurs qui ont semblé animer le débat durant l'atelier du CCCB, en particulier les valeurs et principes mentionnés lors de la « séance de visualisation d'avenir » de mercredi matin. Le rapport esquissera ensuite certains des grands concepts que le CCCB devra clarifier avant de formuler ses recommandations pratiques sur la biotechnologie appliquée à la santé. À titre d'exemple, durant l'atelier, la discussion a souvent tourné autour de notions fort différentes de biotechnologie et de santé et abouti ainsi à des visions fort différentes de notre avenir possible en biotechnologie. Tout au long de l'analyse, des questions et préoccupations de première importance concernant la biotechnologie appliquée à la santé et ses applications à la santé publique serviront à illustrer notre propos.

Le reste du rapport présentera des recommandations clés au sujet des domaines possibles de réforme institutionnelle touchant en général la biotechnologie appliquée à la santé et, en particulier, les applications de la biotechnologie à la santé publique. Il convient de faire remarquer, cependant, que les recommandations formulées dans les présentes sont, à moins d'indication contraire, celles de l'auteur et ne manifestent pas nécessairement les opinions des participants du groupe de discussion sur la santé publique. Cette mise en garde ne signifie pas que l'auteur veuille s'approprier le débat et ses conclusions, mais plutôt que les contraintes temporelles et organisationnelles n'ont pas laissé suffisamment de temps pour qu'il puisse se tenir une discussion détaillée à ce sujet. Les cas où une recommandation découle de commentaires précis exprimés par des membres du groupe de travail sur la santé publique sont indiqués comme tels dans le corps du texte.

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II. Considérations factuelles : Établir le contexte — Que sommes-nous sûrs de savoir? Que croyons-nous savoir?

Tel que mentionné précédemment, la description de l'état actuel de la biotechnologie appliquée à la santé et la prévision de ce qu'elle deviendra d'ici quelques années ne sont pas des tâches faciles. Il est cependant possible d'énoncer un certain nombre d'observations sur le contexte canadien en général et en particulier sur le climat qui entoure la biotechnologie appliquée à la santé, et ainsi d'aider peut-être à préciser notre vision d' avenir de la biotechnologie.

Penchons-nous d'abord sur l'évolution du contexte sociopolitique canadien. Depuis le rapatriement de la Charte canadienne des droits et libertés, il y a une vingtaine d'années, la société politique canadienne s'intéresse graduellement davantage aux droits et libertés de la personne. La Cour suprême assume plus que jamais un rôle pivot dans l'édification de la politique sociale au Canada, comme en font foi les nombreuses contestations fondées sur la Charte qui ont mené à l'invalidation d'anciennes lois (prenons, par exemple, le cas Morgenthaler). La passation de l'ALENA, conjuguée à cette poussée vers l'individualisme, donne aujourd'hui une culture canadienne beaucoup plus axée sur le consommateur et soucieuse des droits individuels. De fait, récemment, un comité sénatorial présidé par Michael Kirby déclarait prévoir que certaines dispositions de la Loi canadienne sur la santé pourraient être invalidées en vertu de l'article 7 de la Charte si l'accès aux interventions médicales possibles n'était pas ouvert aux patients en temps utile4. De telles considérations pourraient être lourdes de conséquences pour la biotechnologie appliquée à la santé au Canada, tant du point de vue de la demande des consommateurs désireux de se prévaloir des technologies nouvelles que de celui des gouvernements (fédéral et provinciaux) qui hésitent peut-être à appuyer des innovations biotechnologiques susceptibles d'entraîner de nouvelles dépenses élevées. Il se peut, bien sûr, que le secteur privé soit plus que disposé à mettre au point des innovations et à les offrir aux consommateurs tout comme il le fait déjà dans le cas de l'imagerie diagnostique, maintenant accessible dans des cliniques privées partout au pays. Toutefois, chaque pas fait dans cette direction crée des problèmes graves pour le système public de soins de santé. Au fur et à mesure que se font jour de nouvelles applications de la biotechnologie à la santé, les gouvernements fédéral et provinciaux devront peser soigneusement ce que leur moye ns leur permettent et ce qu'ils ne leur permettent pas et les incidences, sur l'ensemble du système de soins de santé géré par l'État, de l'offre d'un nombre croissant de produits et de services par le secteur privé. Il faudra procéder à un examen systémat ique de chacune de ces incidences de la biotechnologie. Qui plus est, l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) accorde jusqu'à maintenant une exemption fragile relativement au système canadien de soins de santé5, mais un engagement plus poussé du secteur privé canadien de la biotechnologie dans la prestation de produits et de services au système canadien de santé publique pourrait bien entraîner des contestations de la part de l'industrie américaine de la biotechnologie.

Il convient de faire observer aussi, en ce qui touche l'importance accrue donnée aux droits individuels depuis quelques années, que la recherche en génomique est collective, de par sa nature même. À titre d'exemple, les généticiens parlent d'étudier des familles, et non pas des individus, et l'accent est mis sur l'étude des populations. Cette orientation entraîne plusieurs conséquences dont l'une est que la prestation des soins de santé pourrait dépasser la relation traditionnelle médecin-patient et inclure des interactions du genre équipe soignante-famille. Les articles et rapports publiés dans le domaine accordent déjà beaucoup de place aux questions de protection de la vie privée et de consentement communautaire.

Les participants du groupe de discussion sur la santé publique ont abordé la question de la disposition générale de la population à accepter la biotechnologie. C'est une question qui reste discutable à presque tous points de vue. D'une part, il est indubitable que certains groupes d'intérêts spéciaux font pression sur l' État pour qu'il accélère l'accès à divers tests et traitements qui sont, d'ailleurs, de plus en plus faciles à obtenir6. Il y a évidemment des gens prêts à accueillir volontiers la « solution magique » promise par la technologie. D'autre part, cependant, nous assistons depuis quelques années à une montée en popularité des médecines dites douces et des médicaments complémentaires et à la manifestation d'un scepticisme croissant quant aux bienfaits éventuels de la science et de la technologie en matière de santé. L'opinion publique à cet égard est très capricieuse et la circonspection est de mise au moment de déterminer des tendances à partir des derniers sondages.

Après avoir décrit le contexte socio-politico-économique global au moyen de ces quelques observations générales, il est temps de passer à certaines des observations qui sont ressorties des discussions du groupe de travail sur la santé publique. Des commentaires viendront ensuite élaborer à partir de ces observations :

Après avoir décrit le contexte socio-politico-économique global au moyen de ces quelques observations générales, il est temps de passer à certaines des observations qui sont ressorties des discussions du groupe de travail sur la santé publique. Des commentaires viendront ensuite élaborer à partir de ces observations

Les « moteurs » de l'innovation biotechnologique qui figurent dans le diagramme cidessus visent à faire comprendre la multiplicité des pressions sociales, économiques et politiques qui influenceront l'avenir de la biotechnologie appliquée à la santé au Canada et dans le monde. À n'importe quel moment, certains de ces moteurs seront positifs et serviront à promouvoir la biotechnologie appliquée à la santé, et d'autres seront négatifs en ce sens qu'ils la freineront ou l'entraveront. La capacité de gérer d'énormes ensembles de données, par exemple, ouvre des possibilités sur le plan des études épidémiologiques dans la population. Par contre, en parallèle, des inquiétudes relatives à la sécurité pourront fort bien freiner les progrès dans ce même champ de recherche. La confiance du public, qui est étroitement liée à ces moteurs, sera soit minée soit amplifiée par les événements qui se produiront dans les prochains mois. Prenons par exemple la couverture médiatique de la mort de Jesse Gelsinger à la suite d'une thérapie génétique encore à l'état expérimental. Elle a approfondi le scepticisme de certains face aux applications de la biotechnologie, tout comme l'a fait la pléthore de rapports d'ordre général au sujet d'autres « fautes médicales » diffusés au cours des derniers mois, mais l'effet contraire pourrait découler de comptes rendus positifs de progrès réalisés en chirurgie à distance.

Une bonne part de ce qui se produira en biotechnologie appliquée à la santé dans l'avenir proche dépendra des perceptions du public. Le groupe de travail sur la santé publique a discuté longuement des problèmes liés à l'ignorance qui règne en matière de science et de technologie dans la société en général et qui peut se manifester de diverses façons. Pensons au problème du déterminisme génétique qui surgit en rapport avec les tests de dépistage de masse de certains états pathologiques appréhendés. Certaines personnes, en plus ou moins grand nombre, seront portées à voir avec une sorte de fatalisme génétique leur prédisposition décelée à telle ou telle maladie, et se diront voilà, si je suis prédisposée génétiquement à cette maladie, il est sûr que je l'aurai un jour. Une telle conviction risque de pousser une part de ces personnes à prendre des mesures prophylactiques (par exe mple, une double mastectomie) que ne justifient pas du tout les résultats des tests, alors que d'autres verront leur propre sort comme inévitable et ne feront donc rien pour y échapper. Ce phénomène ramène à l'esprit ce qui s'est passé dans une collectivité de la côte ouest de Terre-Neuve. Des chercheurs y avaient constaté un état génétique ralentissant la production de cholestérol à lipoprotéines de haute densité (HDL, le « bon » cholestérol). Lorsqu'ils ont conseillé aux personnes touchées de modifier leur régime alimentaire, leurs avis se sont heurtés à une réaction de « mangeons, buvons, faisons la fête puisque demain la mort s'en vient »7. Au fur et à mesure que s'accroissent les possibilités de dépistage génétique de masse de maladies de toutes sortes, il faudra pouvoir disposer d'un nombre grandissant de conseillers en génétique bien formés.

Recommandation — Avec l'essor du dépistage génétique de masse de diverses maladies, la société devra pouvoir compter sur un nombre croissant de conseillers en génétique. À l'heure actuelle, il n'y a que trois programmes de formation dans cette profession au Canada et il en sort seulement 14 nouveaux diplômés par an. Il faudra augmenter considérablement le nombre de ces programmes.

Parallèlement, sur le plan de la politique, il pourrait être prudent et respectueux de l'éthique d'insister pour qu'aucune campagne de dépistage génétique de masse ne soit mise en œuvre sans que les organisateurs ne soient sûrs au préalable de disposer des ressources humaines voulues en counseling génétique. Autrement dit, aucune donnée ne devrait être communiquée aux participants sans que ceux-ci aient d'abord été renseignés par des conseillers en génétique sur la signification réelle des résultats des tests. En outre, le dépistage est inutile s'il n'existe pas d'interventions raisonnablement efficaces et de prix abordables. L'utilité relative du dépistage de masse de nombreuses maladies continue de faire l'objet d'un débat passionné 8. Il faudra pousser plus loin la recherche avant de lancer tout autre programme en ce sens.

Cette ignorance quasi universelle au sujet de la biotechnologie en général et des tests de dépistage génétique en particulier peut se manifester aussi dans d'autres domaines. Les consommateurs non éclairés sont d'autant plus crédules devant des intérêts commerciaux qui représentent faussement aussi bien l'accès à certaines applications de la biotechnologie que les avantages à en espérer. Il faut donc à tout prix mettre plus d'effort à renseigner la population en lui faisant connaître équitablement les arguments pour et contre les diverses innovations de la biotechnologie. Devant la prolifération actuelle des messages publicitaires adressés directement aux consommateurs pour les amener à réclamer des produits pharmaceut iques et autres issus de la biotechnologie (nous y reviendrons plus bas), le gouvernement fédéral agirait avec prudence en mettant en œuvre ses propres campagnes de sensibilisation du public en ces matières.

Recommandation — Le gouvernement fédéral devrait monter une campagne de sensibilisation du public, semblable à celles sur le patrimoine canadien et « PARTICIPaction », afin d'éclairer les Canadiens sur les divers éléments de notre avenir biotechnologique potentiel.

L'ignorance des choses de la science et de la technologie est aussi le fait d'un autre groupe, celui des personnes qui ont reçu une bonne formation scientifique et connaissent bien les aspects techniques des technologies naissantes, mais qui ne comprennent pas les grands déterminants sociaux, culturels et environnementaux de la santé. Depuis le siècle dernier, la formation en médecine s'est transformée en un apprentissage hautement spécialisé, axé sur la science et fondé sur la technologie. Un grand nombre de médecins ont reçu une formation minime ou nulle dans les sciences sociales et les humanités et sont donc très mal outillés pour comprendre ces grands déterminants de la santé qui doivent se trouver au cœur même de tout programme progressiste de santé publique. Et pourtant, les médecins sont souvent une source clé des connaissances du public au sujet de la santé et des soins de santé, d'autant plus qu'ils constituent le point d'interface entre l'industrie et le consommateur de soins de santé. Il faut donc faire plus pour veiller à ce que les médecins acquièrent des notions de base plus générales et soient convenablement formés dans les sciences sociales et les humanités9. Une telle réorientation exigera peut-être la modification des conditions d'admission dans les écoles de médecine, par exemple, en accordant plus de poids à une formation générale de premier cycle axée sur les humanités, et une transformation radicale des programmes d'études en médecine afin d'y mettre en bonne place un paradigme de santé publique tel que les soins de santé primaires.

Il convient peut-être d'ajouter aux points de vue exposés précédemment une tendance à croire que l'innovation technologique permettra de gérer plus efficacement certaines maladies. Cette tendance nous ramène à ce que certains considèrent comme une sorte de « solution magique » technologique10. Des chercheurs prétendent, par exemple, que les nanodétecteurs permettraient de contrôler plus efficacement certains états pathologiques par le suivi en continu des glucoses, des taux de lipide et d'autres fonctions métaboliques. Il faut souligner qu'un bon nombre des applications nanotechnologiques susceptibles de quelque utilité à l'endroit d'une série limitée de maladies ne sont d'aucun intérêt réel pour la population en général. À titre d'exemple, la ca pacité de suivre en continu certaines glycémies et réactions métaboliques connexes, en vue de recommander un régime particulier d'alimentation et d'exercice physique, n'a pas vraiment grande importance pour la plupart des gens. Nous sommes déjà au courant des bons régimes alimentaires à suivre, du besoin de faire de l'exercice, et ainsi de suite. Un appareil de technologie de pointe capable de donner ces renseignements avec plus de précision ne produira pas de meilleurs résultats sur le plan de la santé si les personnes visées n'ont pas la volonté et la détermination voulues pour modifier leurs habitudes en ce sens.

Par contre, la nanotechnologie peut avoir de l'importance pour la santé de la population lorsque ses applications servent à surveiller la qua lité de l'eau et de l'air et à accroître notre capacité à réagir rapidement en cas de pollution grave. La catastrophe de Walkerton est encore présente dans tous les esprits et la mise en application des dispositions du Protocole de Kyoto se fait de plus en plus urgente. L'industrie canadienne de la biotechnologie pourrait trouver d'intéressantes occasions de tirer parti de ces épisodes du point de vue de la santé publique. Il ne faut pas oublier non plus les nouvelles inquiétudes soulevées par le terrorisme mondial, que certaines applications importantes de la biotechnologie pourraient peut-être aider à calmer. Il pourrait s'avérer possible aussi de surveiller plus directement les agents pathogènes communs transmis par les aliments et de prévenir ainsi les cas d'infection bactérienne (par exemple, au moyen de nanodétecteurs sur les emballages de produits alimentaires)11.

La pharmacogénomique promet d'arriver à confectionner des médicaments de plus en plus personnalisés lorsque notre connaissance du génome humain permettra la production de préparations pharmaceutiques conçues de manière à causer moins d'effets secondaires et à viser des populations précises au sein de sous-catégories de maladies. Les possibilités dans ce domaine sont sources d'autant de préoccupations. D'abord, puisque ces produits nouveaux sont destinés à de petits segments démographiques, il est permis de se demander si leur mise au point et leur fabrication seront économiquement réalisables. Cette réalité économique pourrait faire augmenter le nombre de groupes d'intérêt spécial qui organisent leurs propres levées de fonds pour encourager la recherche sur des médicaments bien précis. Il pourrait arriver aussi que certains états pathologiques soient carrément laissés de côté par les chercheurs en raison de la maigre valeur marchande. Le Canada devrait peut-être envisager des moyens d'encourager la recherche sur des maladies dites « orphelines », en procédant par mesure législative spéciale comme l'ont fait les États-Unis12, par d'autres mécanismes économiques tels les incitatifs fiscaux ou par le biais d'un système de partage des avantages selon lequel une part des profits tirés des médicaments qui rapportent des fortunes est recyclée dans la RD publique où ces fonds serviront à financer la recherche sur des maladies rares ou, tout au moins, le soin des patients atteints de telles maladies13.

Finalement, en réfléchissant à l'état actuel de la biotechnologie dans le domaine de la santé au Canada et à son avenir, il faut se rappeler un fait évident et souvent négligé en relation avec le secteur de la santé publique. Il s'agit de la simple constatation que les grands progrès réalisés en santé de la population depuis un siècle sont beaucoup plus le fruit d'une meilleure alimentation, de l'accès à l'eau potable et de meilleurs réseaux d'égouts que celui d'interventions technologiques spécialisées. Il est assez déconcertant, dans cette optique, de voir que le Joint Centre for Bioethics ouvre son rapport sur les « 10 plus importantes applications de la biotechnologie à la santé dans le monde » en déclarant que « Plus d'un milliard de personnes sont entrées dans le XXIe siècle sans avoir été touchées par la révolution sanitaire du siècle précédent qui a contribué à rehausser remarquablement la qualité et l'espérance de vie des habitants du monde industrialisé14 ». Les auteurs semblent partir d'une hypothèse voulant que la révolution sanitaire advenue dans le monde industrialisé soit attribuable aux technologies nouvelles et qu'il suffirait d'arriver à mettre ces technologies à la disposition des pays en développement pour régler les problèmes de santé de ces pays. Même s'il y a sans doute bien des innovations biotechnologiques qui seraient bénéfiques pour le monde en développement (comme nous le verrons plus loin), il est probable qu'un grand nombre d'interventions de faible technicité, liées à une meilleure alimentation, à l'eau potable et à de bons réseaux d'égouts, sont aptes à faire beaucoup plus pour améliorer la santé publique dans ces parties du monde15.

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III. Valeurs et principes partagés et vision commune

Il est évident que cet atelier avait pour but de réunir des experts représentant les points de vue de divers intéressés, afin de susciter un débat sur les questions et préoccupations nouvelles relatives à la biotechnologie dans le domaine de la santé. Comme on pouvait s'y attendre, les participants ont tenu des discussions animées et souvent houleuses. Il peut toujours arriver que ce genre de forum dégage beaucoup de chaleur mais peu de lumière, mais l'atelier a échappé à ce risque. Le moment déterminant à cet égard s'est produit pendant le débat libre du mercredi matin. Tout comme lors des autres séances, les participants ont exprimé des points de vue de toutes sortes au sujet de la tension générale entre l'opportunisme économique et les meilleurs moyens de promouvoir la santé, au Canada et dans les autres pays, mais la discussion s'est tournée éventuellement vers la manière dont le Canada veut se définir au sein de la collectivité mondiale. Il s'est avéré à la fois réconfortant et édifiant de constater un certain degré de convergence des esprits quant au rôle que peut jouer le Canada comme chef de file international en vue de l'établissement d'une norme mondiale en matière de santé. Dans les débats qui ont suivi, cette perspective générale s'est dégagée des travaux d'un certain nombre de petits groupes et elle a ensuite été définie de la façon la plus concise possible, fort probablement, dans l'énoncé de mission suivant : « Le Canada prendra la tête d'un mouvement mondial visant à élaborer et à commercialiser des technologies au service de l'environnement et de la santé humaine ».

Cet énoncé condense un certain nombre d'éléments importants. En premier lieu, il part d'une vision (et d'un mythe déterminant) du Canada qui se précise depuis quelques dizaines d'années. Ce mythe prend ses racines dans notre patrimoine multiculturel, notre conception de la santé comme un bien commun et notre imaginaire collectif (depuis les années Pearson) selon lequel les Canadiens sont des artisans du maintien de la paix internationale qui voient aux besoins des citoyens de leur pays comme à ceux de la collectivité mondiale. C'est un mythe important qui subit de durs revers depuis quelques années16. Il était donc plutôt rassurant de se retrouver dans une salle remplie de Canadiens qui, malgré la diversité considérable de leurs intérêts, avaient tous sincèrement une vision commune du Canada et de la biotechnologie appliquée à la santé et une volonté de tabler sur cette vision et d'étendre au monde entier ces valeurs et ces notions communes. Il convient de souligner, dans ce contexte, que la non-participation du Canada au conflit iraquien le met en excellente position pour garder une certaine distance par rapport à son tout-puissant voisin (et concurrent) du sud. Maintenant que les États-Unis semblent vouloir s'enfermer dans l'insularité et l'isolationnisme en matière de politique, tant nationale qu'étrangère, le Canada devrait tendre à un regain d'activité à l'échelle internationale. L'intérêt des pays du monde à l'égard de la paix et de la sécurité étant d'une intensité sans précédent, la vision canadienne de la biotechnologie devrait miser sur l'histoire de notre pays, sur sa position actuelle dans le monde et sur sa réputation d' artisan et de gardien de la paix mondiale. Le Canada n'est peut-être pas en mesure de fournir les troupes nécessaires à l'imposition de la paix, mais il peut certainement offrir les moyens biotechnologiques voulus pour contribuer à l'avènement de collectivités plus stables et plus viables dans le monde en développement, et aider ainsi à l'éclosion assurée de la paix17.

Exception faite des réserves déjà mentionnées, le récent rapport du Joint Centre for Bioethics sur les « 10 plus importantes applications de la biotechnologie à la santé dans les pays en développement18 » est d'une importance toute spéciale à cet égard. Le fait qu'une équipe canadienne ait pris sur elle de cerner ces besoins en biotechnologie appliquée à la santé et de rédiger ce rapport devrait être exploité en vue de conférer au Canada la place de pays chef de file de la création et de la mise en application de ces produits. Il faudrait aussi encourager des partenariats clés entre les universités et le secteur privé au sujet de ces enjeux et en confier la coordination à des organismes compétents rattachés au gouvernement fédéral ou à des instances internationales, par exemple, l'UNESCO, et ce dès le départ afin de garantir une transition sans heurt depuis le concept jusqu'à la R-D et éventuellement au marché et à la mise en application. Le séquençage du génome du paludisme, réalisé il y a déjà un bon moment en Colombie-Britannique mais qui ne semble pas retenir l'intérêt politique ou obtenir l'impulsion financière nécessaire à sa promotion sur la scène internationale, pourrait peut-être servir de banc d'essai à l'initiative internationale du gouvernement fédéral en matière de biotechnologie.

L'énoncé de vision proposé comporte un deuxième élément clé. En effet, il présuppose que les valeurs économiques et celles concernant la santé ne sont pas obligatoirement incompatibles et que la prospérité économique peut fort bien être un moyen de promotion de la santé. L'essentiel, toutefois, est de s'assurer que la promotion de la santé est toujours perç ue comme l'objectif, et le développement économique, comme le moyen d'atteindre l'objectif. Ce point sera tout spécialement crucial dans le marché intérieur canadien, où l'idée de considérer la santé comme un bien collectif est plutôt contestée ces derniers temps. Il faudra aussi mettre un accent accru sur les solutions aux problèmes de prestation des soins de santé qui sont basées sur les mécanismes du marché19. À mesure que les applications de la biotechnologie font leur apparition sur le marché et promettent des diagnostics plus rapides et plus efficaces, il faut s'attendre à des pressions accrues exigeant la prestation d'applications de plus en plus nombreuses par le secteur privé, ce qui pourrait entraîner une dégradation encore plus grave de la valeur de la santé comme bien collectif. Il faudra donc chercher des moyens originaux de réorganiser le système canadien de soins de santé de manière à recourir à des solutions basées sur les mécanismes du marché pour régler le problème de l'accès aux technologies nouvelles tout en préservant les principes fondamentaux d'un régime de soins de santé régi par l'État20.

Bien que ce qui précède ait servi à démontrer que les valeurs de santé et les valeurs économiques ne sont pas nécessairement en conflit, le fait est qu'elles le sont souvent, et la plupart du temps lorsque l'intérêt économique personnel supplante celui plus vaste de la santé publique ou qu'il exploite à mauvais escient les craintes relatives à la santé. Les moyens biotechnologiques nouveaux de dépistage de masse offriront de nombreuses possibilités à cet égard. À mesure que s'accroît la capacité de dépister des maladies d'origine génétique, et que deviennent disponibles d'autres tests, le public manifestera fort probablement des craintes plus graves et demandera plus expressément l'accès à ces produits. Les sociétés pharmaceutiques et les entreprises de biotechnologie qui fabriquent les produits en question auront un puissant intérêt financier à ce que la demande se crée. La commercialisation directe aupr ès des consommateurs, déjà fort répandue aux États-Unis, est un parfait exemple des moyens pris pour créer et mousser la demande. La compagnie Myriad, par exemple, exécute dans certains États une campagne bien orchestrée de promotion, auprès de toutes les femmes d'âge moyen, de son test de dépistage du gène BRCA. Dans un rapport récent, le British Medical Journal signale que des sociétés pharmaceutiques consacrent des sommes importantes à de prétendus groupes d'intérêt public qui font la promotion de produits tels que le test PSA de dépistage du cancer de la prostate21. Le génie est bel et bien sorti de sa lampe et n'y rentrera plus, dans ce cas, car l'affaire se déroule aux États-Unis et il est improbable que l'administration américaine revienne sur sa décision d'approuver la commercialisation directe auprès des consommateurs. Toutefois, le Canada devrait s'opposer énergiquement à tout changement à ses règlements en cette matière à l'intérieur de ses propres frontières, et prendre la tête du mouvement parmi les autorités de réglementation des autres pays en vue de fixer des normes convenables de marketing et des pénalités convenables pour les contrevenants. À mesure que l'industrie crée de nouveaux produits de santé non conventionnels, il faudra trouver de nouveaux modèles de collaboration entre les fournisseurs de produits et de services du secteur privé et les organes de financement public. Voici un exemple original récent de « responsabilisation pharmaceutique » sur lequel il est utile de méditer : « Une façon possible de réaliser le maximum d'avantages pourrait consister à établir une “garantie des effets” selon laquelle un fabricant de produits pharmaceutiques et les intervenants qui permettent la vente de ces produits sur ordonnance (c'est-à-dire, les autorités en matière de santé, de soins de santé primaires et de services hospitaliers) s'entendraient sur les effets à escompter de tel ou tel médicament administré dans tel ou tel cas. Par la suite, si le médicament ne donne pas les résultats escomptés, la société pharmaceutique serait tenue de rembourser au service de santé le coût du médicament en question22 ».

Enfin, deux autres valeurs se trouvent souvent en conflit : d'une part, le respect de la vie privée des personnes et, d'autre part, la nécessité de favoriser le bien collectif supérieur. Ce point est revenu souvent sur le tapis pendant l'atelier et il est particulièrement lourd d'incidences sur le plan de la santé de la population.

Les gens se préoccupent de plus en plus de la protection des données génétiques, ce qui mène l'État à fixer des normes très strictes concernant l'accès aux renseignements médicaux en général. Or, un tel degré de confidentialité risque d'avoir des conséquences qui pourraient être désastreuses pour la recherche épidémiologique à grande échelle. La tendance actuelle, aux États-Unis (HIPPA23) comme au Canada (LRPDE24), favorise la protection de la vie privée et des renseignements personnels. Il est urgent, toutefois, de tenir des discussions plus poussées en vue d'adopter des règlements qui permettent le genre d'accès aux dossiers médicaux qui est nécessaire aux études de surveillance, tout en veillant soigneusement à ce que les codes d'identification personnels soient enlevés et à ce que la vie privée des sujets de la recherche soit protégée. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont récemment émis un document qui traite de ces questions25 et constitue un excellent texte de référence26.

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IV. Quelques considérations d'ordre conceptuel

La présente section se penche sur les diverses façons dont sont définis ou interprétés, lorsque mentionnés, certains des concepts de base qui président au débat sur la biotechnologie appliquée à la santé. À certains égards, ce propos aurait dû figurer dans l'introduction puisque les concepts en question reviennent sans cesse tout au long du présent document. Il ne s'agit pas d'attribuer ici à ces concepts un sens normatif sur le plan de l'utilisation, mais plutôt de montrer qu'ils peuvent véhiculer des contenus fort différents selon le contexte. Il est important que le CCCB garde à l'esprit certaines de ces distinctions au moment de formuler ses recommandations au sujet de la politique officielle visant la biotechnologie et ses applications à la santé.

Prenons d'abord le mot lui-même de « biotechnologie ». Que recouvre-t-il? S'agit-il simplement d'un terme générique désignant une certaine catégorie d'outils envisagés hors de tout jugement de valeur, ou est-ce que les produits et dispositifs issus de la biotechnologie véhiculent leurs propres vale urs prioritaires? De nombreuses discussions entourant la philosophie de la technologie en général ont eu lieu durant le siècle dernier. Le théologien et philosophe français Jacques Ellul, par exemple, parle d'une « technologie autonome27 ». Selon lui, alors que nous croyons naïvement contrôler nos technologies pour les faire servir à nos fins, en réalité ce sont elles qui nous contrôlent. Les médecins d'aujourd'hui sont incapables de s'imaginer pratiquer leur art sans la technologie de pointe de l'imagerie clinique et lorsque la technologie fait défaut, le système de soins de santé s'en trouve quasiment immobilisé. Un bon nombre des principaux goulots d'étranglement du système actuel sont liés à l'imagerie diagnostique. Les patients la tiennent maintenant pour acquise et les médecins se croient incapables d'exercer sans elle, souvent par crainte de poursuites en justice. Il y a sans aucun doute des avantages singuliers, dans certains cas, à faire appel à l'imagerie de pointe, mais il est permis de se demander comment les médecins faisaient, il y a à peine 10 à 15 ans, pour soigner les malades sans recourir à ses technologies. La dépendance à l'endroit de la technologie affaiblit les compétences des médecins en matière de diagnostic et offre un nouveau terrain à l'opportunisme judiciaire. Il nous faut rester conscients de ces éventualités en explorant notre avenir en biotechnologie. Extrêmement rares sont les médecins qui résistent au raz-de-marée technologique et optent pour des interventions de faible technicité. L'une de ces exceptions, fort encourageante, se manifeste dans le code Ottawa Ankle Rules qui a pour objectif de réduire le nombre de radiographies superflues dans les cas de blessures à la cheville28.

Le philosophe Albert Borgmann va plus loin dans l'étude approfondie de la nature de la technologie, en partant de ce qu'il appelle le « paradigme de l'appareil » (The Device Paradigm29). Borgmann soutient qu'il est dans la nature même de la technologie contemporaine de ramener des phénomènes complexes à des problèmes discrets dont la résolution est la raison d’être de la conception des dispositifs technologiques modernes. Les appareils, dans la terminologie de Borgmann, fournissent des commodités et, ce faisant, font souvent oublier le contexte dans lequel le soi-disant problème est advenu. Pensez, par exemple, à un poêle à bois. Envisagé en fonction du paradigme de l’appareil, le poêle à bois est un appareil technologique conçu pour produire une commodité particulière (la chaleur). Étant donné que l’utilisation du poêle à bois est une activité à haute intensité de main-d'œuvre, qu'elle n'est pas sans danger et qu'elle permet de chauffer seulement une surface limitée, la technologie du poêle à bois est inefficiente. En comparaison, le chauffage central produit de la chaleur (la commodité) avec beaucoup plus d'efficience. Cela dit, Borgmann nous demande de réfléchir à ce qu'un poêle à bois peut incarner dans une maison où il est la source principale de chaleur. D'abord, celui-ci représente une série de tâches domestiques et de responsabilités connexes qui ne peuvent s'accomplir que si les membres de la famille agissent en coopération. Il faut quelqu'un qui sache manier la hache avec dextérité, et peut-être quelqu'un d'autre qui sache allumer un feu. Par les soirées froides, les membres de la famille se réunissent dans la pièce où trône le poêle et se livrent à des occupations collectives plutôt que de se répartir dans les pièces de la maison pour vaquer séparément à leurs propres affaires. Bref, il est clair que le poêle à bois, loin d'être un simple appareil produisant une commodité discrète, devient le lieu où converge toute une gamme de pratiques sociales.

Borgmann a peut-être une notion un peu romantique de ce qu'est la vie quotidienne dans un monde de faible technicité, mais il n'en reste pas moins que sa thèse de base mérite réflexion au moment d'envisager l'avenir avec la biotechnologie. L'histoire de la technologie est depuis toujours dominée par la recherche de la solution magique. Encore une fois, il est fort possible que certaines applications de la biotechnologie à la santé permettent de réduire à de simples commodités des phénomènes sociaux complexes et fassent disparaître, du même coup, des occasions d'interaction sociale. L'un des conférenciers de l'a telier a imaginé, par exemple, des « ordinateurs éthiques » qui pourraient visiter les personnes âgées vivant dans la solitude. Si le « compagnonnage » est éventuellement ramené au rang d'une commodité pouvant être produite par la technologie, alors il se peut que les ordinateurs deviennent une solution possible au problème de la solitude, mais tout laisse penser que le besoin de compagnonnage humain est un peu plus complexe. Un autre exemple intéressant se trouve dans la liste des 10 plus importantes applications de la biotechnologie, mentionnée précédemment. Il s'agit du « contrôle féminin de la protection contre les maladies sexuellement transmissibles ». Il y a certainement là une préoccupation valide et il est bien possible que les innovations biotechnologiques permettant d'y remédier donnent des résultats positifs à court terme, mais il faut toujours se méfier des solutions magiques. Dans le cas présent, la solution offerte risque de nous pousser à éviter de relever le défi des transformations sociales complexes qui s'imposent pour que les femmes échappent à la domination masculine dans tous les aspects de leur vie, dont un seulement est lié au comportement sexuel30.

Jeremy Rifkin propose un antidote intéressant au réductionnisme technologique critiqué par Borgmann, sous la forme de ce qu'il décrit comme une vision écologique du développement technologique31. Plutôt que d'envisager la nature à la manière de Bacon, c'est-à-dire, comme une entité à dominer par des moyens scientifiques et technologiques visant à diviser pour régner, « les écologistes favorisent des formes plus subtiles de manipulation conçues dans le but de rehausser la nature plutôt que de la subjuguer et de rompre les rapports que nous avons avec elle, en cherchant toujours à préserver la diversité écologique et à maintenir les liens communautaires32 ». Même si le modèle réductionniste a bien servi jusqu'ici l'industrie et les services de soins de santé intensifs de courte durée, le modèle écologique est plus propice à des progrès et applications de la technologie dans le domaine de la santé publique.

La conclusion de cette digression plutôt longue est que les transformations technologiques sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît à prime abord. En ce moment où le Canada songe à son avenir en biotechnologie, il faudra procéder à des évaluations exhaustives des incidences technologiques à tous les niveaux. Le CCCB pourrait recommander la mise en œuvre de programmes interdisciplinaires en plus grand nombre à travers le pays afin d'encourage r une collaboration plus étroite entre les chercheurs de tout un éventail de domaines pour évaluer les effets à long terme de la biotechnologie. L'université de Waterloo, par exemple, a mis sur pied, il y a près de 15 ans déjà, un Centre for Society, Technology and Values en faisant le projet d'entreprendre des travaux de ce genre. Ce projet ne s'est jamais réalisé, cependant, parce que les mécanismes institutionnels actuels en matière de financement, de nomination à des postes en faculté et de questions connexes d'infrastructure ne conviennent tout simplement pas au soutien de travaux interdisciplinaires et prolongés de cette nature. En résumé, le « bébé » de tout le monde n'est la responsabilité de personne (l'éternelle tragédie de la propriété commune). Le JCB de l'université de Toronto semble toutefois avoir fait tomber quelques obstacles sur la voie de la coopération. Quoi qu'il en soit, il vaut certainement la peine de chercher à comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas et de trouver des sources de financement continu et de longue durée qui encourageront les institutions (universités et organismes de financement) à modifier leur structure interne, à créer des modèles nouveaux de travail interdisciplinaire et à favoriser une plus grande collaboration. Certaines possibilités de renouvellement des corps professoraux, offertes dans le cadre de programmes récents, sont un pas dans la bonne direction. Il faut que d'autres suivent, parce que nous avons beaucoup de chemin à faire avant d'arriver au but.

Recommandation : Mettre sur pied des Centres d'excellence en R-D et en commercialisation mondiale de la biotechnologie. Utiliser un modèle à financement généreux et créer des programmes interdisciplinaires exigeant des partenariats à l'échelle nationale (par exemple, l'unité de recherche en services de santé du Nord, à l'Université du Manitoba; le programme de santé communautaire de l'université Memorial; l'université du Nord de la Colombie-Britannique à Prince George) et à l'échelle internationale avec des établissements des pays en développement afin de collaborer à la recherche de solutions viables à des problèmes locaux. L'exigence de partenariat rattachée à la présente recommandation découle de la constatation que les économies d'échelle et la masse critique de compétences dont ces centres ont absolument besoin mènent généralement à leur insertion dans les grandes universités des métropoles. Si le partenariat avec des établissements éloignés est exigé (plutôt qu'encouragé) et qu'une part importante du budget de recherche doit être consacrée aux besoins de ces collectivités locales, nous verrons s'accroître remarquablement la probabilité de transferts de connaissances et de l'avènement de technologies endogènes.

Le concept de santé est un autre de ces concepts clés qui se prêtent à des interprétations diverses. La distinction entre « soins de santé » et « santé publique » a déjà été mentionnée. Compte tenu de l'interprétation du concept de santé dans la Loi canadienne sur la santé (c'est-à-dire, principalement, des services hospitaliers dont la prestation relève de médecins), il est clair que la notion dominante de ce qu'est la santé, dans l'esprit des Canadiens, concorde surtout avec la mentalité de « diviser pour régner » que Rifkin associe à une vision baconienne du réductionnisme scientifique et technologique (pensons seulement à l'expression populaire de « vaincre la maladie »). Là encore, il faut se rappeler que la santé publique se fonde sur une conception écologique plus vaste qui accorde une plus gr ande importance aux déterminants sociaux, culturels et environnementaux de la santé, lesquels ne sont peut-être pas propices à des applications de la technologie qui relèvent du paradigme de l'appareil. Cependant, si le Canada replace maintenant sa vision de l'avenir de la biotechnologie dans un paradigme écologique plus vaste, il pourrait fort bien se mettre en excellente position dans le monde comme l'un des mandataires clés de la biotechnologie au service de la paix et de la sécurité internationales.

La notion d'état de santé33 est un autre concept déterminant qui est en train de se transformer sous l'effet de la révolution biotechnologique. Avec l'arrivée du dépistage de masse de certaines maladies et la reconnaissance d'un nombre croissant de « gènes pathologiques », une nouvelle catégorie de diagnostic se fait jour. Il s'agit du diagnostic d'état de santé « à risque34 ». Au fur et à mesure des progrès, les gens réclameront de plus en plus l'évaluation des risques relatifs qu'ils courent. Il est donc esse ntiel d'informer le public au sujet de la nature du risque dans ce contexte, afin d'empêcher le vain gaspillage des ressources limitées qui sont affectées aux soins de santé.

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V. Notes complémentaires

Les propos tenus dans les pages qui précèdent visaient à prévoir certaines des principales transformations institutionnelles dont la venue pourrait être précipitée par les nouvelles applications de la biotechnologie. Les commentaires exprimés découlent des discussions tenues lors de l'atelier d'Ottawa, les 25 et 26 mars 2003, mais ils mettent aussi en évidence des points sur lesquels l'auteur se sentait relativement mieux préparé à élaborer. Il se pourrait fort bien que le présent document ait passé sous silence certaines des convictions et préoccupations essentielles des membres du groupe de travail sur la santé publique. Dans un effort pour au moins témoigner de ces préoccupations, l'auteur termine par les notes qu'il a prises à la fin du premier jour de l'atelier (annexe I).

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Annexe I — Sommaire des discus sions en table ronde de la première journée

  1. Principales incidences de la biotechnologie appliquée à la santé

    • Pharmacogénomique
    • Dépistage de diagnostic
      • Prévention de la maladie
      • Intervention prophylactique
        • Dans certains cas, économies possibles pour le système de soins de santé

    • Biorestauration
      • Solutions à faible technicité dans plusieurs domaines à partir de la liste des 10 principales applications de la biotechnologie (JCB)

    • Nanotechnologie
      • Biodétection
      • Contrôle et surveillance

  2. Institutions trans formatrices (trouver de bons exemples)

    • Changer les structures organisationnelles pour
      • établir les priorités
      • acquérir plus de souplesse

    • Accès à l'information
      • Besoin d'une meilleure interface entre les chercheurs et les praticiens
      • Besoin de simplifier la transposition des connaissances pour aller de ce que nous savons jusqu'au mode de mise en application

    • La tension sera exacerbée entre la protection de la vie privée et le besoin public de savoir
      • Les craintes légitimes motivées par l'ouverture des dossiers médicaux, les problèmes de discrimination pour des raisons génétiques, etc. mènent à régimes plus stricts de protection des renseignements personnels, partout dans le monde
      • Ce qui précède est lourd d'incidences pour la recherche épidémiologique si les chercheurs sont tenus d'obtenir un consentement direct avant de pouvoir consulter les renseignements médicaux personnels
      • Politique : dans certains cas, le plus convenable serait peut-être de prévoir un mécanisme d'abstention

  3. Liens avec d'autres domaines

    • Le mode d'évolution de la réglementation à cet égard influera sur les progrès

    • Le consumérisme mènera à une demande croissante de la part du public en vue d'avoir accès à des technologies qui sont offertes ailleurs. Mise en garde répétée : les forces du marché décideront de la manière dont est agencée et présentée une bonne part de l'information concernant les technologies naissantes. Il faudra absolument faire l'éducation du public en cette matière. Nous n'avons pas besoin de technophobes luddites, mais pas non plus de technophiles ou « technomorons ».

    • En raison de la rapidité avec laquelle les nouveaux agents pathogènes et les technologies génétiques correspondantes se propagent dans le monde, il faudra une plus grande collaboration au niveau international dans les domaines de l'évaluation et de la gestion des risques.
      • Encore une fois, les forces du marché sont plus propices à l'accroissement de la collaboration internationale (par exemple, aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, ou ADPIC) que ne le sont les motivations liées à la santé

    • La santé de la population à l'échelle de la planète obligera à une collaboration et coopération internationales pour assurer le transfert rapide au monde en développement des toutes nouvelles applications de la biotechnologie
      • Implications pour la sécurité mondiale (voir Kaplan, The Coming Anarchy)

    • Possibilité de faire de la santé publique l'équivalent des soins de santé primaires, en ce sens que la prévention se pratique de façon plus systématique par le biais des divers programmes de santé publique, au point que les soins donnés par les médecins sont perçus comme secondaires. En cette matière, il serait peut-être important de modifier la rhétorique entourant les soins de santé et d'en venir à parler des soins primaires comme de la santé publique et de la prévention, et à parler de la bonne intendance de nos ressources en santé comme d'une responsabilité personnelle et communautaire, etc.

Idées et perspectives

  • Voir la santé comme un continuum sans divisions fermes entre la santé publique et les soins de santé personnels — individu, famille, collectivité, population, planète. Penser écologiquement (Rifkin).
  • Donner plus d'importance à la prévention et à la gestion du mode de vie. Dans cette optique, il faut penser à des produits commercialisables qui seront créés et utilisés en vue de servir à la santé de toute la population. Au Canada, l'industrie pourrait peut-être se mettre en quête des types d'innovation biotechnologique prévus dans le rapport du JCB, et trouver des moyens d'entrer en action à ce niveau.
  • Il faudra des changements structuraux considérables avant de pouvoir cesser de voir le médecin comme le prestateur des soins de santé primaires. La santé de la population a besoin de solutions axées sur la population entière et visant plus loin que la simple interaction patient-médecin.

Risques principaux à gérer

  • Faux positifs et faux négatifs
  • Déterminisme génétique et réductionnisme
    • Possibilités de discrimination
    • Eugénisme

  • Gestion des données
    • Opposition entre contrôle privé et accès public (pour les besoins de la recherche épidémiologique)

  • Étapes fautives — De mauvaises expériences à ces premiers stades amèneront le public à perdre confiance
    • Attentes irréalistes, espoirs déçus. Nécessité d'informer soigneusement le public pour contrer les effets du battage médiatique au sujet de la génétique

  • La participation exagérée des intérêts commerciaux pourrait mener à une détérioration encore plus grave de l'idée de la santé comme bien collectif

Vision de la biotechnologie

  • Une démarche participative par opposition à une démarche individuelle du patient-consommateur
    • Meilleur partage de l'information
    • Meilleure divulgation des risques

  • Définir les populations cibles en fonction des interventions positives possibles et non pas seulement en fonction des problèmes cernés
    • Besoin d'améliorer l'infrastructure de santé publique. Y intégrer des infirmières et des conseillers en génétique

  • Éducation permanente
    • Le grand public a besoin de mieux comprendre les notions scientifiques de base
    • Les médecins ont besoin de mieux comprendre les principes humanistes de base et de savoir offrir plus que de simples solutions magiques technologiques, qu'il s'agisse de pilules, de nouvelles interventions génétiques ou de quoi que ce soit d'autre

Un point clé à retenir ici est que les faits élémentaires déjà connus au sujet de la gestion du mode de vie (moins de stress, meilleure alimentation, exercice, etc.) sont les mêmes aujourd'hui que depuis des siècles et ne vont pas se mettre à changer simplement parce qu'on s'y intéresse de plus près. De fait, des technologies soi-disant transformatrices antérieures ont déjà montré qu'elles pouvaient compliquer la vie encore plus. Il faut sans cesse se méfier du réductionnisme et du « miracle » technologique.



1 Pourquoi la vidéo VHS l'a-t-elle remporté sur BetaMax, une technique supérieure? Comment se fait-il que le système d'exploitation Mac n'ait pas conquis le marché entier de l'informatique?
2 Comparer, par exemple, les propos de Lynn Curry dans « Biometrics busts budgets » à ceux d'Elly Alboim dans « Health industries power Canadian economy ».
3 L'auteur a bien tenté d'organiser l'analyse d'après des questions de description, de principes et de concepts, mais la nature du sujet à traiter fait qu'il y a de nombreuses aires de chevauchement entre les sections du présent rapport.
4 Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie, présidé par le sénateur Michael Kirby. La santé des Canadiens — Le rôle du gouvernement fédéral, Volume six : Recommandations en vue d'une réforme.
5 See Brian Laghi, “NAFTA Could Hike Health Expenses,” The Globe and Mail, Sept. 28, 2002: A10.
6 Arthur Allen, “Who Owns My Disease?” Mother Jones, Nov-Dec 2001.
7 Charlie Gillis, « “Doomed” Newfoundlanders Opt to Eat, Drink and Be Merry », The National Post, 12 avril 1999, A1-2.
8 H. M. Malm, « Medical Screening and the Value of Early Detection: When Unwarranted Faith Leads to Unethical Recommandations », Hastings Center Report, janvier-février 1999, p. 26-37, et D.J. Watmough et al., « Does Breast Cancer Screening Rest on a Wobbly Hypothesis? », Journal of Public Health Medicine, vol. 19, no 4, 1997, p. 375-379.
9 La référence bibliographique m'échappe pour le moment, mais j'ai en mémoire une lettre reçue il y a un an ou deux de l'une des entités médicales organisatrices (le Conseil médical du Canada ou peut-être le Collège royal), dans laquelle on demandait que les médecins praticiens reçoivent une formation plus spécialisée sur les nouvelles applications de la biotechnologie. À mon avis, c'est exactement ce qu'il ne faut pas faire. La faculté de médecine de l'université Brown, par exemple, offre un nouveau stage clinique en biotechnologie qui « relie la formation en médecine et le monde des affaires comme cela ne s'était jamais vu auparavant » ( voir les détails). Il y a là un précédent des plus inquiétants auquel les universités canadiennes doivent résister. Un document récent de Santé Canada, intitulé « Imputabilité sociale : Une vision pour les facultés de médecine du Canada », semble proposer un programme plus convenable ( voir les détails).
10 Dans ce contexte, une croyance naïve peut parfois entraîner des conclusions hâtives, comme le montre, par exemple, cette déclaration récente tirée d'une revue de cardiologie : « Nous commençons à retracer les voies chimiques, mécaniques et électriques effectives qui mènent à l'endommagement du cœur ou à sa mort. Lorsque nous aurons trouvé comment entraver ces voies et faire obstacle à la séquence des événements, nous aurons vaincu la maladie cardiaque » (traduit de J. Flower et al. « Technological advances and the next 50 years of cardiology », J Am Coll Cardiol, avril 2000, no 35 (5 Suppl B), p. 81B-90B.
11 Cependant, tel que mentionné ailleurs dans le présent rapport, la tendance existera toujours à chercher un sentiment de sécurité dans l'existence de la « solution magique » technologique. Il y a une solution beaucoup moins technique au problème généralisé des intoxications alimentaires : montrer aux gens comment préparer et conserver les aliments.
12 « Rare Diseases Orphan Product Development Act of 2002 », 107th Congress of the United States of America.
13 La province de Terre-Neuve-et-Labrador songe à instaurer une politique de partage afin de pourvoir à ces cas. Lire D. Pullman et A. Latus, Policy Implications for Commercial Human Genetic Research in Newfoundland and Labrador, janvier 2003.
14 Joint Centre for Bioethics, Top 10 Biotechnologies for Improving Global Health, p. 1, traduction.
15 Les technologies d'assainissement de l'environnement se classent au quatrième rang dans cette liste des 10 plus importantes applications de la biotechnologie. Les trois premières places vont à des techniques de diagnostic et de traitement de maladies infectieuses. Si l'assainissement de l'environnement passait du quatrième au premier rang, les trois autres perdraient beaucoup de leur urgence.
16 Se reporter aux commentaires sur la Charte canadienne des droits et libertés et à l'ALENA plus haut dans le présent rapport.
17 Voir, par exemple, Robert Kaplan, « The Coming Anarchy », dans Atlantic Monthly, février 1994, p. 44-76. Kaplan souligne que « Les Saddam Husseins de l'avenir auront plus de possibilités, et non pas moins. En plus d'engendrer des conflits tribaux, la pénurie croissante de ressources imposera de lourdes contraintes à bien des peuples qui, au départ, n'ont jamais pu se donner de tradition démocratique ou institutionnelle perceptible. » Il ajoute : « Là où a toujours sévi une pauvreté de masse, le peuple trouve sa libération dans la violence », et « un grand nombre des habitants de la planète, qui n'ont jamais pu connaître le confort et la stabilité de l'existence des classes moyennes, voient la guerre et la vie de caserne comme un pas d'ascension sociale et non pas comme une dégradation. » (traduction). Ce simple énoncé pourrait à lui seul servir de manifeste à l'avenir de la biotechnologie au Canada.
18 Daar, A.S. et al, « Top 10 Biotechnologies for Improving Health in Developing Countries », Joint Centre for Bioethics, université de Toronto, 2003.
19 Le projet de loi 11 de l'Alberta est un bon exemple, mais les recommandations de la commission Kirby en comprennent plusieurs autres. C'est toute la question du consumérisme dans le domaine des soins de santé qui est en cause ici, et il s'impose de l'examiner plus minutieusement. Lire Herzlinger, R. E, Market Driven Health Care, Addison-Wesley, Reading (Mass.), 1997, et aussi le compte rendu de l'ouvrage de Herzlinger par Alexander Wyke, « Can patients drive the future of health care? », dans Harvard Business Review, juillet-août 1997, p. 146-150.
20 Lire, par exemple, D. Pullman et L. Twells, « Pareto Optimal User Fees: A Canadian Case Study in Ideological Compromise », en cours d'examen par l'International Journal of Health Services.
21 Jeanne Lenzer, « Lay campaigners for prostate screening are funded by industry », BMJ, no 326, 29 mars 2003, p. 680.

« Un groupe de non-spécialistes de sexe masculin qui fait campagne pour convaincre les hommes de se faire administrer le test à antigène prostatique spécifique pour le dépistage du cancer de la prostate reçoit 95 p. 100 de son financement de l'industrie pharmaceutique, selon ce qu'a avoué, la semaine dernière, le directeur général du groupe. »

« Le groupe en question, appelé Us Too! International, a également dirigé une attaque contre deux médecins qui avaient écrit des articles, dans le San Francisco Chronicle (18 janvier 2002, p. A-29) et dans le BMJ (2002, no 324, p. 431)[texte complet offert gratuitement], où ils affirmaient que le dépistage de routine du cancer de la prostate n'a aucune efficacité démontrée par des preuves scientifiques. Le groupe Us Too! International, qui se prétend “la plus grande au monde de toutes les organisations de bienfaisance populaires, indépendantes et axées sur les patients”, compte 380 sections dans neuf pays dont les États- Unis, le Canada, l'Australie et le Royaume-Uni. Il insiste beaucoup sur son autonomie, disant n'être “redevable à aucune compagnie”, et se présente comme un groupe qui offre des occasions de “discuter objectivement de solutions médicales de remplacement” ».

22 S. Chapman et al., « Setting up an outcome guarantee for pharmaceuticals: new approach to risk sharing in primary care », BMJ, no 236, 29 mars 2003, p. 707-709, traduction.
23 Health Insurance Portability and Accountability Act.
24 Loi sur les renseignements personnels et les documents électroniques.
25 Instituts de recherche en santé du Canada, Utilisation secondaire de renseignements personnels en recherche sur la santé : Études de cas, novembre 2002.
26 Voir aussi le document de la Human Genetics Commission du Royaume-Uni, Inside Information: Balancing interests in the use of personal genetic information, mai 2002.
27 J. Ellul, The Technological Society, Random House, New York, 1964.
28 L. M. Bachmann et al., « Accuracy of Ottawa ankle rules to exclude fractures of the ankle and mid-foot : systemic review », BMJ, no 326, 2003, p. 417.
29 Albert Borgmann, Technology and the Character of Contemporary Life, U of Chicago Press, Chicago, 1984.
30 Le dernier numéro du Bulletin de la recherche sur la politique en matière de santé, de Santé Canada, traite de l'importance de la culture pour les Autochtones en tout ce qui a trait à la santé et aux soins de santé. Les technologies ont tendance à créer leurs propres cultures, et des dimensions importantes de la culture humaine se perdent dans le processus.
31 J. Rifkin, The Biotech Century, Putnam, New York, 1998.
32 Rifkin, p. 228.
33 L'un des « Four Strong Winds » de Michael Decter.
34 R. H. Keenan, « The at-risk health status and technology: A diagnostic invitation and the “gift” of knowing », Soc Sci Med, vol. 42, no 11, 1996, p. 1545-1553.

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    Création: 2005-07-13
Révision: 2006-06-21
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