Énoncé concernant la Charte - Projet de loi C-75 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois

Déposé à la Chambre des communes le 29 mars 2018

Note explicative

La ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités de la ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer la conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, la ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen de la conformité d’un projet de loi avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique. Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte qui soient envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi

Considérations relatives à la Charte

La ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, afin d’évaluer sa conformité avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-75 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Aperçu

Le projet de loi C-75 modifierait le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois, afin de réduire les délais dans le système de justice pénale et de le rendre plus moderne et plus efficace. Ces modifications répondraient aux décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Jordan (2016) et R. c. Cody (2017) ainsi qu’aux préoccupations relevées dans le rapport du Sénat de juin 2017 intitulé « Justice différée, justice refusée ». Le projet de loi C-75 propose des modifications importantes, notamment en ce qui concerne la modernisation et la clarification de la mise en liberté sous caution, la façon dont les infractions contre l’administration de la justice sont traitées, les enquêtes préliminaires, la classification d’un certain nombre d’infractions criminelles et la gestion des dossiers judiciaires. Plusieurs des problèmes que le projet de loi C-75 vise à régler ont des effets disproportionnés sur des groupes qui sont surreprésentés dans le système de justice pénale du Canada, en particulier les Autochtones et les personnes issues de populations vulnérables, notamment celles avec des problèmes de santé mentale et de dépendances. Le projet de loi C-75 vise à corriger ces problèmes tout en assurant la sécurité des victimes et du public.

Le projet de loi actuelle comprend également les modifications législatives contenues dans le projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire), le projet de loi C-38, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), et le projet de loi C-39, Loi modifiant le Code criminel (dispositions inconstitutionnelles) et d’autres lois en conséquence. L’Énoncé concernant la Charte pour ces trois projets de loi a déjà été déposé au Parlement et le contenu est reproduit ci-dessous afin d’aider à éclairer le débat public et les débats parlementaires sur le projet de loi actuel.

Les principaux droits et les principales libertés protégés par la Charte pouvant être mis en jeu par les mesures proposées comprennent ce qui suit :

Pour les besoins du présent Énoncé, les modifications apportées par le projet de loi ont été regroupées par catégories, soit : le cautionnement, les infractions contre l’administration de la justice, la violence entre partenaires intimes, les enquêtes préliminaires, la reclassification des infractions, les plaidoyers de culpabilité, l’admission de la preuve de routine recueillie par la police et de la transcription de témoignages de policiers, les comparutions à distance, les modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, les réformes au processus de sélection du jury et la réintroduction de modifications législatives provenant d’autres projets de loi.

Cautionnement

Le projet de loi moderniserait les dispositions relatives à la mise en liberté avant le procès par la police, notamment en simplifiant les formes de mise en liberté existantes, en élargissant et en précisant les types de conditions de mise en liberté qui peuvent être imposées par un agent de la paix et en adoptant explicitement un « principe de retenue » pour la mise en liberté avant procès. Ces modifications favorisent la mise en liberté rapide des inculpés selon les conditions les moins lourdes qui conviennent dans les circonstances. De cette façon, les modifications favorisent les valeurs de la Charte, en particulier le droit à la liberté, à la présomption d’innocence et le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable.

De même, le projet de loi propose des modifications aux dispositions relatives à la mise en liberté avant procès par voie judiciaire, notamment en précisant le « principe de l’échelle ». Ce principe exige l’imposition de la forme de mise en liberté la moins lourde en indiquant clairement qu’un engagement monétaire devrait être préféré à un dépôt en espèce et en adoptant explicitement un « principe de retenue » en ce qui concerne le recours à la liberté sous caution. Ces modifications codifieraient en partie les lignes directrices énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Antic (2017) et favoriseraient les valeurs de la Charte mentionnées dans le paragraphe précédent.

L’article 227 du projet de loi modifierait le paragraphe 515(6) du Code criminel afin d’établir une inversion du fardeau de la preuve en ce qui concerne la mise en liberté sous caution de personnes qui auraient commis une infraction de violence à l’endroit d’un partenaire intime si la personne en cause a déjà été déclarée coupable d’une telle infraction. Une disposition d’inversion du fardeau de la preuve en matière de mise en liberté sous caution s’écarte à deux égards de l’approche généralement suivie en matière de mise en liberté sous caution : (1) elle présume que la mise en liberté sous condition devrait être refusée et que l’accusé devrait être détenu en attendant son procès; (2) elle exige que l’accusé démontre selon la prépondérance des probabilités pourquoi il devrait être mis en liberté en attendant son procès, au regard des trois motifs prévus par la loi relativement à la détention préalable au procès : le risque de fuite, la sécurité publique et la confiance du public envers l’administration de la justice. Pour être conforme à l’alinéa 11e) de la Charte, le fardeau de la preuve inversée doit correspondre à une « juste cause » de refuser la caution, c’est-à-dire que la mise en liberté sous caution ne doit être refusée que dans des cas bien précis et le refus doit s’imposer pour favoriser le bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution et il ne faut pas y recourir à des fins extérieures à ce système.

Les considérations suivantes appuient la compatibilité de l’article 227 du projet de loi avec l’alinéa 11e) de la Charte. D’abord, l’inversion du fardeau de la preuve restreindrait de façon limitée le droit à la mise en liberté sous caution et n’équivaudrait pas à la limitation totale de ce droit. Une privation de la mise en liberté sous caution ne serait prononcée qu’à l’égard des accusés qui ne peuvent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun des trois motifs prévus par la loi relativement à la détention préalable au procès ne s’applique à sa situation. Ensuite, l’inversion du fardeau de preuve serait limitée quant à son application à certains accusés qui ont déjà été déclarés coupables d’une infraction de violence à l’endroit d’un partenaire intime. En tant que groupe, ces personnes ont été jugées comme présentant un risque de commettre des actes de violence, ce qui exacerbe le risque de commission d’autres infractions envers leurs partenaires intimes. Ainsi, l’inversion du fardeau de preuve proposée est conçue de façon stricte afin de favoriser le bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution, principalement en assurant la sécurité publique.

L’article 228 du projet de loi établirait de nouvelles exigences procédurales applicables préalablement à la désignation d’une personne comme caution. Une caution est une personne désignée par la cour pour superviser un inculpé ayant obtenu une mise en liberté sous caution et pour s’assurer que l’inculpé remplisse son engagement de comparaître à son procès. L’article 228 du projet de loi nécessiterait que cette personne fournisse à la cour une déclaration signée, exposant certains faits mentionnés à son égard, ainsi que plusieurs déclarations de reconnaissance des responsabilités qu’elle devra assumer. L’objectif de cette mesure est d’offrir une manière efficace de normaliser les renseignements de base fournis aux tribunaux en vue d’évaluer l’aptitude des personnes proposées à titre de caution. Cependant, l’article 228 du projet de loi serait susceptible d’avoir des répercussions sur l’accusé : si une personne désirant agir comme caution n’est pas en mesure de satisfaire à ces exigences, cela pourrait nuire à la capacité d’un accusé d’obtenir une mise en liberté avant procès et le tribunal pourrait être tenu de trouver d’autres moyens afin d’assurer un « cautionnement raisonnable ».

Les considérations suivantes appuient la compatibilité de l’article 228 du projet de loi avec l’alinéa 11e) de la Charte. D’abord, ces exigences ont un lien rationnel avec le bon fonctionnement du système de justice, puisqu’elles favorisent l’efficacité des audiences de cautionnement et des évaluations quant à savoir si une personne constitue une caution appropriée. Ensuite, le juge qui préside l’audience a le pouvoir discrétionnaire de dispenser une possible caution des exigences en matière de déclaration, s’il y a lieu.

Le projet de loi modifierait les dispositions portant sur les révisions judiciaires obligatoires à l’égard des ordonnances de détention préalable au procès, de manière à ce que ces révisions aient lieu aux 90 jours pour tous les accusés. Cette modification n’aurait pas d’incidence sur la fréquence des révisions obligatoires dans le cas des personnes accusées d’infractions punissables par mise en accusation, mais réduirait la fréquence dans le cas des personnes accusées d’infractions punissables par procédure sommaire. Actuellement, ces individus ont le droit de faire contrôler les motifs de leur détention tous les 30 jours. Par conséquent, cette modification pourrait avoir une incidence sur les droits de ces individus garantis par la Charte, en particulier le droit à la liberté garanti à l’article 7 et le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable garanti à l’alinéa 11e), car il est possible que moins d’audiences judiciaires obligatoires soient tenues pour examiner le refus d’une mise en liberté sous caution.

Les considérations suivantes appuient la conformité de ces modifications à la Charte. D’abord, s’il est préoccupé par le fait que les procédures se déroulent lentement et qu’un délai déraisonnable puisse en découler, le juge peut ordonner que les procédures soient accélérées et que la prochaine audience judiciaire obligatoire ait lieu avant la période par défaut de 90 jours. Ensuite, si l’accusé veut faire contrôler les motifs de sa détention avant la prochaine audience obligatoire, il a le droit « en tout temps », en vertu de l’article 520 du Code criminel, de demander la révision de l’ordonnance de détention.

Les infractions contre l’administration de la justice

Les articles 214 et 236 du projet de loi créeraient un mécanisme de rechange pour répondre à certaines infractions contre l’administration de la justice (p. ex., défaut de comparaître et non-respect des conditions de mise en liberté sous caution), lorsque le manquement en question a causé un préjudice aux victimes. Généralement, dans l’état actuel du droit, les affaires concernant le non-respect d’une condition ou le défaut de comparaître entraînent le dépôt d’une nouvelle accusation ou la révocation de la mise en liberté sous caution. Le projet de loi créerait un régime qui autoriserait les services de police à ne pas porter d’accusation contre des individus, mais qui exigerait que ceux-ci se présentent devant le tribunal dans le cadre d’une audience de renvoi judiciaire. À l’audience, le juge de paix disposerait d’un certain nombre d’options, entre autres : ne prendre aucune mesure, modifier les conditions de mise en liberté ou révoquer la mise en liberté sous caution (dans le cas de ceux qui n’ont pas respecté une condition de mise en liberté sous caution). Une fois qu’une décision est rendue, aucune autre accusation ne peut être portée relativement au manquement qui fait l’objet de l’audience.

L’audience de renvoi judiciaire pourrait avoir des incidences sur les droits des accusés garantis par la Charte, en particulier le droit à la liberté et le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable. Cependant, l’audience peut être considérée comme compatible avec ces droits puisque le juge de paix qui la préside aura le pouvoir discrétionnaire de répondre au manquement en fonction du contexte et en tenant compte des intérêts garantis par la Charte à l’accusé. Comparativement aux solutions de rechange actuelles, qui consistent à déposer une nouvelle accusation ou à révoquer la mise en liberté sous caution, l’audience de renvoi pour manquement offrirait une solution moins intrusive et mieux adaptée au système de justice pénale à l’égard de certaines infractions contre l’administration de la justice.

La violence entre partenaires intimes

L’article 297 du projet de loi créerait une nouvelle disposition dans la partie sur la détermination de la peine du Code criminel qui autoriserait le ministère public à demander une peine maximale plus élevée lorsque le délinquant est déclaré coupable par voie de mise en accusation d’une deuxième infraction ou d’une infraction subséquente de violence à l’endroit d’un partenaire intime.

L’article 296 du projet de loi modifierait les dispositions sur la détermination de la peine prévues au sous-alinéa 718.2a)(ii) du Code criminel afin de préciser que l’infraction perpétrée par le délinquant contre un partenaire intime constitue une circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine. L’article 296 précisera aussi que les partenaires intimes s’entendent de l’époux, du conjoint de fait, ancien ou actuel, ainsi que des partenaires amoureux.

Ces dispositions pourraient potentiellement mettre en jeu les droits garantis par l’article 12 de la Charte qui offre une protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Leur application pourrait donner lieu à l’infliction d’une peine plus élevée à l’égard du délinquant qui commet une infraction après l’entrée en vigueur des dispositions qu’à l’égard de celui qui commet une infraction avant que les modifications soient en vigueur.

Les facteurs suivants appuient la conformité à la Charte de ces mesures. Comme il a déjà été mentionné, l’article 12 de la Charte offre une protection contre tous traitements ou peines qui sont nettement démesurés compte tenu des circonstances. Il est improbable que les peines maximales plus élevées enfreignent l’article 12, étant donné que les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire nécessaire d’infliger des peines proportionnées. Bien qu’une peine démesurée infligée dans une affaire donnée puisse être rectifiée au stade de l’appel, la validité de la disposition sous-jacente en matière de détermination de la peine ne serait pas remise en question.

Les enquêtes préliminaires

Une enquête préliminaire est une audience tenue pour établir si la preuve est suffisante pour que l’inculpé soit renvoyé à procès relativement à l’infraction alléguée. Actuellement, une enquête préliminaire a lieu, selon le cas, lorsqu’un prévenu a) est inculpé d’un acte criminel (hormis certaines infractions exclues) et qu’il choisit d’être jugé devant une cour supérieure; b) est inculpé d’une infraction mentionnée à l’article 469 du Code criminel et qu’il demande à ce qu’une telle enquête soit tenue. Le projet de loi limiterait le recours aux enquêtes préliminaires aux adultes accusés d’infractions passibles d’un emprisonnement à perpétuité (p. ex. meurtre, perpétration d’un acte criminel pour une organisation criminelle ou un groupe terroriste, enlèvement et incendie criminel).

Les considérations suivantes appuient la conformité des modifications aux droits de l’accusé à un procès équitable. Comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans R. c. S.J.L.(2009), la Constitution ne garantit pas le droit à une enquête préliminaire et la fonction de communication préalable de la preuve dans le cadre de l’enquête en soi est assurée par le ministère public lorsqu’il se conforme à ses obligations de divulguer à l’accusé les éléments de preuve pertinents. L’élimination de l’enquête préliminaire à l’égard de certaines infractions pourrait accélérer le déroulement des procès, protégeant ainsi le droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable comme le garantit l’alinéa 11b) de la Charte.

Les modifications établiraient également que le juge présidant l’enquête préliminaire peut limiter la portée de celle-ci à des questions précises et restreindre le nombre de témoins qui seront interrogés sur ces questions. Le droit de l’accusé ou de son avocat de contreinterroger un témoin de la poursuite, prévu à l’alinéa 540(1)a) du Code criminel, serait préservé. On reconnaît ainsi que le juge de paix a le pouvoir de régir l’enquête et de s’assurer qu’elle se déroule efficacement. Le juge de paix serait tenu d’exercer ce pouvoir de façon à promouvoir une enquête rapide et équitable. De cette manière, le juge de paix tiendrait compte du droit de l’accusé à une procédure équitable et de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable.

La reclassification des infractions

Le projet de loi convertirait en infractions mixtes, à quelques exceptions près, toutes les infractions prévues au Code criminel punissables par mise en accusation et passibles d’un emprisonnement maximal de 10 ans ou moins. La conversion en infractions mixtes aurait pour résultat que ces infractions pourraient être poursuivies par mise en accusation ou par procédure sommaire. Cela nécessite que des modifications soient apportées dans l’ensemble du Code criminel. Le projet de loi augmenterait aussi la peine maximale par défaut pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire de manière à la faire passer à deux ans moins un jour; l’amende maximale qui serait imposée à l’égard des infractions punissables par procédure sommaire serait maintenue à 5000 $. Dans certains cas, cela signifierait que la peine d’emprisonnement maximale prévue pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire serait augmentée, parce que des peines maximales inférieures à deux ans moins un jour (p. ex., 6 ou 18 mois) sont en ce moment prévues pour ces infractions.

Ces modifications pourraient mettre en jeu l’article 12 de la Charte, lequel prévoit la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités. Elles pourraient entraîner l’imposition de peines plus sévères pour un contrevenant qui commet une infraction après l’entrée en vigueur des dispositions que pour un contrevenant qui commet la même infraction et qui est condamné à une peine avant l’entrée en vigueur des modifications.

Les facteurs suivants appuient la compatibilité de la mesure avec la Charte. Comme  mentionné, l’article 12 de la Charte confère une protection contre les traitements ou peines exagérément disproportionnés dans les circonstances. Il est peu probable que les peines maximales plus sévères contreviennent à l’article 12, car les tribunaux conservent leur pouvoir discrétionnaire d’imposer des peines proportionnelles. Une peine disproportionnée dans une affaire donnée pourrait être rectifiée au stade de l’appel; toutefois, la validité de la disposition de détermination de la peine sous-jacente ne serait pas remise en question.

Certaines infractions, qui seraient converties en infractions mixtes ou dont la peine sur déclaration sommaire de culpabilité serait uniformisée, comportent des peines minimales obligatoires qui vont d’amendes obligatoires à des peines d’emprisonnement obligatoires.
Par exemple, l’article 255 du Code criminel prévoit des amendes minimales obligatoires et des peines d’emprisonnement minimales obligatoires pour les infractions de conduite avec capacités affaiblies et de refus d’obtempérer à un ordre donné (p. ex., fournir un échantillon d’haleine). Les peines minimales varient d’une amende de 1 000 $ pour une première infraction, à une peine d’emprisonnement d’au moins 30 jours pour une deuxième infraction et jusqu’à 120 jours d’emprisonnement pour chaque infraction subséquente. Le projet de loi modifierait l’alinéa 255(1)c) afin de faire passer la peine d’emprisonnement maximale sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire de 18 mois à deux ans moins un jour. Cette modification est aussi proposée dans le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport), qui est actuellement devant le Sénat.

Dans le cadre de cette reclassification, le projet de loi modifierait l’infraction qui prévoit que quiconque publie un libelle diffamatoire, qu’il sait être faux, de sorte qu’une personne serait passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Cette infraction interdit les attaques injustifiables à la réputation d’une personne. Bien que cette disposition puisse mettre en jeu la liberté d’expression, garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, la Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt R. c. Lucas (1998), que cette infraction constituait, aux termes de l’article premier de la Charte, une limite raisonnable à la liberté d’expression.

En plus de convertir en infraction mixte l’infraction visée à l’article 440 du Code criminel (enlever des matières qui constituent une barre naturelle), l’article 170 du projet de loi abrogerait la disposition portant inversion du fardeau de la preuve. À l’heure actuelle, si la personne accusée de l’infraction visée à l’article 440 souhaite invoquer en défense qu’elle avait la permission écrite du ministre des Transports, il lui incombe de prouver qu’elle avait obtenu la permission selon la prépondérance des probabilités. Cette disposition fait intervenir l’application de l’alinéa 11d) de la Charte puisqu’elle pourrait faire en sorte que l’accusé soit déclaré coupable de l’infraction visée à l’article 440 même s’il subsiste un doute raisonnable quant à sa culpabilité.

En abrogeant la disposition portant inversion du fardeau de la preuve relativement au moyen de défense de la permission écrite, l’article 170 du projet de loi supprimerait le fardeau de preuve incombant actuellement à l’accusé, de sorte qu’il n’aurait qu’à produire une preuve soulevant un doute raisonnable sur le fait qu’il avait la permission écrite du ministre des Transports. Cet article favorise donc le respect du droit, garanti à l’alinéa 11d) de la Charte, d’être présumé innocent jusqu'à ce que la culpabilité soit prouvée hors de tout doute raisonnable.

Dispositions de coordination avec le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport)

Le présent projet de loi comporte également des dispositions de coordination concernant le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois. Le projet de loi C‑46 propose de moderniser les infractions relatives aux moyens de transport, y compris les infractions de conduite avec capacités affaiblies. S’il est adopté, le projet de loi C-46 maintiendrait les peines minimales obligatoires (PMO) existantes et en créerait de nouvelles. Ces nouvelles peines comprennent des amendes minimales obligatoires de 1 500 $ pour les premières infractions de conduite avec une alcoolémie élevée lorsque celle-ci est de cent vingt milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang et de 2 000 $ lorsque celle-ci est de cent soixante milligrammes par cent millilitres de sang ou pour un conducteur qui refuse d’obtempérer à un ordre donné.

Les dispositions sur les peines minimales obligatoires pourraient potentiellement mettre en jeu les droits garantis par l’article 12 de la Charte, soit le droit d’être protégé contre les traitements ou peines cruels et inusités. Ces dispositions pourraient constituer un écart au principe général de proportionnalité en matière de détermination de la peine. La capacité d’un juge à concevoir une peine qui est appropriée et proportionnée au regard des circonstances peut être limitée en présence d’une PMO.

Les considérations suivantes appuient la conformité de ces PMO à la Charte. Les PMO actuelles en matière de conduite avec capacités affaiblies sont parmi les moins sévères prévues au Code criminel. Les PMO reposent sur les principes de détermination de la peine que sont la dénonciation et la dissuasion générale et spécifique, notamment dans le cas de peines croissantes pour les récidivistes. La conduite avec capacités affaiblies est une infraction grave, qui comporte un haut degré de culpabilité morale. Les PMO servent à dénoncer et à dissuader cette conduite qui est une cause importante des décès et des blessures d’origine criminelle au Canada. En outre, les PMO en matière de conduite avec facultés affaiblies ne s’appliquent pas dans maintes circonstances différentes, mais visent plutôt un champ restreint d’actes graves qui comportent un haut degré de culpabilité morale. Compte tenu de la gravité de ces actes et de l’importance de la dissuasion, les PMO ne sont pas nettement démesurées.

Les amendes les plus sévères pour les conducteurs présentant une alcoolémie élevée, qui sont proposées dans le projet de loi C-46, prévoient des peines plus sévères lorsqu’un individu a choisi de conduire avec les facultés fortement affaiblies. Cela reflète une peine accrue pour une conduite qui est particulièrement dangereuse et téméraire. Les alcoolémies élevées sont couramment considérées comme des circonstances aggravantes dans les décisions en matière de détermination de la peine et, aux termes du Code criminel, une alcoolémie de 160 mg/100ml (deux fois la limite prévue par la loi) ou plus élevée doit être considérée comme une circonstance aggravante. Les peines en question sont modestes en ce sens qu’elles représentent des sanctions monétaires et non des peines d’emprisonnement obligatoires. Elles se situent aussi au bas de l’échelle des peines généralement infligées par les tribunaux dans de telles circonstances.

Pour que le régime législatif fonctionne comme prévu, les PMO pour refus de se conformer doivent concorder avec la peine minimale infligée pour conduite avec facultés affaiblies, une infraction qui aurait pu être mise au jour si le conducteur avait accédé à la demande. La PMO de 2 000 $ pour refus de se conformer fait en sorte que le conducteur n’a plus aucun intérêt à refuser de se conformer à la demande du policier. À l’instar de la PMO pour conduite avec un taux d’alcoolémie « supérieur à 0,08 », cette peine est une amende pécuniaire et non une peine d’emprisonnement. En règle générale, les tribunaux considèrent que les peines sous forme d’amendes pécuniaires ne sont pas exagérément disproportionnées compte tenu du mécanisme disponible pour atténuer les difficultés financières des contrevenants qui ne sont pas en mesure de payer dans le délai prescrit.

Les plaidoyers de culpabilité

L’article 270 du projet de loi modifierait les dispositions du Code criminel en matière de plaidoyers de culpabilité en vue d’exiger que le tribunal soit convaincu que les faits justifient l’accusation, une condition pour accepter un plaidoyer de culpabilité. Cette condition figure déjà à l’article 36 de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA), qui reconnaît la vulnérabilité des adolescents. Les modifications s’expliquent par le fait que de nombreux adultes dans le système de justice pénale sont eux aussi vulnérables et qu’elles fourniraient une protection supplémentaire à l’accusé innocent qui plaide coupable parce qu’on lui a refusé la mise en liberté sous caution ou pour éviter d’attendre trop longtemps avant de subir son procès, en plus de favoriser le respect des droits à la liberté et à un procès équitable garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte.

Admission de la preuve de routine recueillie par la police et de la transcription de témoignages de policiers

L’article 278 du projet de loi permettrait l’introduction de certains éléments de preuve par des policiers sous forme écrite. Il s’agit d’un écart par rapport à la façon habituelle d’aborder la preuve dans des poursuites criminelles, plus particulièrement dans les procès, où la preuve est généralement introduite par témoignage oral et où le témoin a l’occasion d’être contreinterrogé. L’article 278 du projet de loi permettrait que la preuve de routine recueillie par la police, si elle est par ailleurs admissible par témoignage, soit admise en preuve dans des poursuites criminelles au moyen d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle. Le juge présidant l’audience aurait le pouvoir discrétionnaire d’admettre ou non cette preuve présentée sous forme écrite. Le juge aurait également le pouvoir discrétionnaire d’exiger la présence du policier en cour pour qu’il subisse un interrogatoire principal ou pour qu’il soit contreinterrogé. La présence du policier pourrait être exigée par le juge, de son propre chef, ou à la demande d’une partie.

De même, l’article 294 du projet de loi prévoirait que la transcription de témoignages de policiers est admissible dans les procès criminels, lorsque ceux-ci ont été donnés en présence de l’accusé dans le cadre d’un voir-dire ou d’une enquête préliminaire relativement à la même accusation. Le juge présidant l’audience aurait le pouvoir discrétionnaire d’exiger la présence du policier en cour, pour qu’il subisse un interrogatoire principal ou pour qu’il soit contreinterrogé.

Les considérations suivantes favorisent la compatibilité des articles 278 et 294 du projet de loi avec la Charte, en particulier avec le droit à un procès équitable et le droit à une défense pleine et entière (article 7 et alinéa 11d)). Il importe de souligner que, dans les deux cas, le juge présidant l’audience aurait le pouvoir discrétionnaire d’exiger le témoignage du policier en question et qu’il subisse un contre‑interrogatoire. Lorsque la protection des droits de l’accusé garantis par la Charte exigerait que le juge assigne le policier pour qu’il soit contreinterrogé, le juge serait en mesure de le faire. Qui plus est, s’agissant de l’article 278, la preuve de routine recueillie par la police devrait être « par ailleurs admissible », et le juge serait habilité à refuser d’admettre la preuve sous forme écrite au besoin. En exerçant son pouvoir discrétionnaire à cet égard, le juge serait guidé par divers facteurs, dont le droit de l’accusé à une défense pleine et entière et l’importance de favoriser un procès équitable et efficace. En ce qui a trait à l’article 294, l’accusé aurait été présent à l’audience initiale devant le juge au cours de laquelle la preuve de la police a été fournie, de sorte que l’accusé aurait alors bénéficié des garanties procédurales, ce qui comprend habituellement la possibilité de contreinterroger le témoin de la police.

Les comparutions à distance

Le projet de loi modifierait le Code criminel afin de moderniser et de faciliter la comparution par audioconférence ou vidéoconférence de toute personne qui prend part à des poursuites criminelles, y compris le juge, tout au long du processus de justice pénale.

Le tribunal serait habilité à permettre l’utilisation d’une telle technologie pour faciliter les comparutions à distance à toute étape du processus, sous réserve de certaines circonstances et dans certaines situations, en tenant compte de certains facteurs (p. ex., le droit de l’accusé à un procès équitable, la nature de la preuve du témoin, la gravité de l’infraction et les coûts).

Ces modifications visent à favoriser la bonne administration de la justice, notamment en veillant à ce que la procédure soit juste et efficace, tout en respectant les droits de l’accusé à un procès équitable et à une défense pleine et entière garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. L’utilisation de cette technologie serait discrétionnaire, permettant ainsi à la cour de soupeser les facteurs pertinents.

Les modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents

Le projet de loi apporterait diverses modifications à la LSJPA en vue de favoriser une réponse plus souple aux infractions contre l’administration de la justice, tant à l’étape de la mise en liberté sous caution que lorsque l’adolescent contrevient aux conditions de sa peine purgée dans la collectivité (sans placement sous garde). Les modifications auraient pour effet : de favoriser une augmentation du recours aux mesures extrajudiciaires le cas échéant; d’incorporer la nouvelle audience de renvoi en cas de manquement et de l’adapter au contexte de la LSJPA; d’exiger que le procureur général examine toute accusation portée ou recommandée contre un adolescent relativement à un manquement à des conditions ou à un défaut de comparaître, lorsque l’accusation relative à l’infraction substantielle initiale est suspendue ou retirée. Les modifications augmentent également les possibilités de demander le contrôle judiciaire des peines ne comportant pas de placement sous garde, tout en permettant à la cour de révision d’imposer des conditions supplémentaires ou plus sévères au besoin. Enfin, les modifications limitent également les circonstances dans lesquelles une peine comportant un placement sous garde pourrait être infligée à un adolescent qui a commis une infraction contre l’administration de la justice.

Certains aspects de ces propositions pourraient avoir des incidences sur les droits des adolescents accusés d’infractions criminelles, en particulier sur le droit à la liberté et sur le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable. L’audience de renvoi en cas de manquement pourrait faire en sorte que l’adolescent soit renvoyé sous garde dans l’attente de son procès ou qu’on lui impose des conditions de mise en liberté plus sévères. De même, les modifications apportées à l’examen des peines ne comportant pas de placement sous garde pourraient entraîner l’imposition de conditions plus sévères. Toutefois, ces modifications sont conformes aux droits garantis par la Charte, puisque le juge présidant l’audience aura le pouvoir discrétionnaire de répondre au manquement selon le contexte, en prenant compte des droits de l’adolescent que lui garantit la Charte. Comparées au dépôt d’accusations ou à la révocation de la mise en liberté sous caution, ces modifications permettent au système de justice pénale de trouver une réponse moins intrusive et plus adaptée lorsque l’adolescent contrevient aux conditions d’une ordonnance de cautionnement ou d’une peine ne comportant pas de placement sous garde.

Les articles 364 à 377 du projet de loi moderniseraient les dispositions de la LSJPA concernant la libération avant procès par la police et les tribunaux. De plus, les modifications apportées à la LSJPA codifieraient un principe de retenue relativement aux conditions imposées à la mise en liberté par voie judiciaire. De plus, elles interdiraient expressément l’imposition de conditions de libération avant procès et l’utilisation de la détention pour remplacer des mesures sociales qui conviennent davantage (p. ex. la protection de l’enfant ou des soins de santé mentale). Ces modifications favorisent la mise en liberté opportune des adolescents selon les conditions les moins sévères qui conviennent dans les circonstances. De cette façon, les modifications contribuent à promouvoir les valeurs consacrées par la Charte, en particulier le droit à la liberté et à la présomption d’innocence et le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable.

De même, le projet de loi édicterait un principe de retenue relativement aux conditions imposées lors de la détermination de la peine. Ce principe contribuerait à promouvoir les valeurs consacrées par la Charte parce qu’il viserait à atténuer davantage les restrictions à la liberté qui découlent d’une peine visée par la LSJPA.

Les réformes au processus de sélection du jury

Le projet de loi modifierait le Code criminel de manière à y abolir les récusations péremptoires, à habiliter le juge à trancher toutes les récusations motivées et à promulguer d’autres mesures visant à renforcer le régime de sélection du jury.

En ce moment, la poursuite et l’accusé ont tous les deux droit au même nombre de récusations péremptoires; ce nombre varie selon la nature de l’infraction. Une récusation péremptoire permet à la poursuite ou à l’accusé d’exclure un candidat juré sans donner de motifs. Cela a conduit à des préoccupations selon lesquelles ces récusations peuvent être utilisées de manière discriminatoire par la poursuite et par l’accusé. En outre, la poursuite et l’accusé disposent d’un nombre illimité de récusations motivées fondées sur les motifs prévus par le Code criminel. Ces récusations resteront dans le Code criminel après l’entrée en vigueur du présent projet de loi. L’élimination des récusations péremptoires du Code criminel pourrait mettre en jeu les droits de l’accusé à un procès équitable, droits garantis aux alinéas 11d) et 11f) de la Charte.

Les éléments suivants appuient la compatibilité de cette mesure à la Charte. La Charte garantit le droit à un procès devant un tribunal indépendant et impartial et le droit à un jury impartial et représentatif. La Cour suprême du Canada a statué que les récusations motivées constituent une mesure de protection essentielle du droit de l’accusé à un jury équitable et impartial. Ce droit reste protégé, puisque les parties disposent toujours d’un nombre illimité de récusations motivées pour éliminer des candidats jurés qui ne peuvent agir en toute impartialité dans une affaire donnée.

Le projet de loi moderniserait le libellé de l’alinéa 638(1)d) du Code criminel; cette disposition permet à la poursuite ou à l’accusé de présenter une demande de récusation motivée à l’égard d’un juré du fait que ce juré est un « étranger ». La disposition sera modernisée; dorénavant, elle stipulera qu’un juré non canadien peut faire l’objet d’une demande de récusation motivée. L’exclusion des résidents permanents des fonctions de jurés peut mettre en jeu leurs droits à l’égalité garantis au paragraphe 15 (1) de la Charte.

Les considérations suivantes appuient la compatibilité de cette mesure avec la Charte. Comme c’est le cas dans toutes les sociétés démocratiques, la citoyenneté est un statut auquel se rattachent certains droits, privilèges et obligations. La fonction de juré a historiquement été considérée comme l’un des devoirs associés à la citoyenneté. Un juré doit avoir le statut de citoyen, parce qu’à titre de juge des faits dans un procès criminel, il participe directement au processus décisionnel judiciaire et exerce des fonctions dans un processus ou une structure de l’État (au sens large). L’exigence selon laquelle les jurés doivent être citoyens du Canada facilite l’exercice de leur importante fonction dans le processus de justice criminelle et accroit la confiance de l’accusé et du public envers le jury.

Réintroduction des modifications législatives provenant d’autres projets de loi

Le projet de loi inclut également les modifications législatives figurant dans le projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire), le projet de loi C‑38, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes) et le projet de loi C-39, Loi modifiant le Code criminel (dispositions inconstitutionnelles) et d’autres lois en conséquence. Les énoncés concernant la Charte pour ces trois projets de loi ont déjà été déposés et le contenu de ces énoncés est reproduit ci‑dessous pour aider à orienter le débat public et parlementaire relativement au présent projet de loi.

Projet de loi C‑28, Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire), maintenant incorporé au projet de loi C-75

Considérations fondées sur la Charte en ce qui a trait aux dispositions actuelles sur la suramende compensatoire

La suramende compensatoire est une sanction (pécuniaire) additionnelle d’un montant fixe qui est imposée d’office aux contrevenants adultes au moment de la détermination de la peine. Lorsqu’un contrevenant est condamné pour de multiples infractions au Code criminel ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances en même temps, une suramende compensatoire est imposée de façon cumulative pour chaque infraction.

L’article 12 de la Charte interdit l’imposition de peines exagérément disproportionnées. Dans certaines circonstances, les dispositions actuelles sur la suramende compensatoire peuvent exiger d’un juge d’imposer des suramendes compensatoires importantes, par exemple lorsque de multiples suramendes sont imposées de façon cumulative à des contrevenants relativement à des infractions contre l’administration de la justice, qui ne causent aucun préjudice à une victime. Un tel cumul de suramendes compensatoires risque d’être considéré comme une peine exagérément disproportionnée.

Le paragraphe 15(1) de la Charte protège les droits à l’égalité. Dans certaines circonstances, les dispositions sur la suramende compensatoire peuvent avoir des effets disproportionnés sur les membres de groupes marginalisés de la société et ces effets sont susceptibles d’être jugés discriminatoires.

Article 304 : Pouvoir discrétionnaire des juges dans certaines circonstances

Le projet de loi répondrait à ces considérations fondées sur la Charte en conférant expressément aux juges un pouvoir discrétionnaire dans certaines circonstances. Par exemple, les juges auraient le pouvoir discrétionnaire d’exempter un contrevenant du paiement de la suramende compensatoire lorsque ce dernier établit que ce paiement lui causerait un « préjudice injustifié » au sens des dispositions modifiées. Ce pouvoir discrétionnaire permettra de promouvoir les valeurs fondamentales sous-jacentes à la Charte, notamment la liberté, l’égalité et le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Les modifications les plus importantes à cet égard sont celles qui figurent à l’article 304 : l’exception fondée sur les infractions prévue au paragraphe 737(1.1) et l’exemption fondée sur le « préjudice injustifié » prévue aux paragraphes 737(5) à (6.1) inclusivement.

Le paragraphe 737(1.1) confère aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer moins de suramendes compensatoires qu’il y a d’infractions lorsque le cumul des suramendes serait disproportionné et lorsque ces infractions sont relatives à des défauts de comparution ou à des manquements aux conditions d’une mise en liberté si ces manquements n’ont pas causé de dommages—matériels, corporels ou moraux—ou de pertes économiques à une victime.

Le paragraphe 737(5) confère au contrevenant le droit de demander une exemption du paiement de la suramende compensatoire et permet au juge d’approuver la demande lorsque le contrevenant le convainc que le paiement lui causerait un préjudice injustifié. Le préjudice injustifié dans ces circonstances est défini au paragraphe 737(6) et s’entend de l’incapacité du contrevenant de payer une suramende compensatoire en raison de sa situation financière précaire, notamment parce qu’il est sans emploi ou sans domicile, n’a pas suffisamment d’actifs ou a des obligations financières importantes à l’égard des personnes à sa charge.

Ces modifications conféreraient aux juges un pouvoir discrétionnaire qui pourrait être exercé en conformité avec les principes établis de détermination de la peine et avec la Charte. Peut-être plus important encore, au regard de la Charte, ces modifications permettraient aux juges de tenir compte de la situation particulière de chaque contrevenant (y compris des contrevenants marginalisés) lorsque celui‑ci est condamné pour certaines infractions contre l’administration de la justice ou lorsque l’exemption fondée sur le « préjudice injustifié » s’applique.

Projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), maintenant incorporé au projet de loi C-75

Promouvoir les valeurs qui sous-tendent la Charte, notamment le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités (art. 12 de la Charte)

L’ancien projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), a été sanctionné en juin 2015, mais n’est pas encore entré en vigueur. Le projet de loi C-452 modifierait le Code criminel en édictant l’article 279.05, lequel exigerait que les tribunaux imposent des peines consécutives pour les infractions de traite de personnes et toute autre infraction connexe basée sur les mêmes faits, dont un grand nombre sont passibles de peines minimales obligatoires d’emprisonnement. La plupart des infractions de traite de personnes sont passibles de peines minimales obligatoires allant de un an à six ans. Puisque les peines minimales obligatoires sont susceptibles de limiter de manière injustifiable le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels ou inusités, garanti par l’article 12 de la Charte, et que l’exigence relative à l’imposition de peines consécutives vient ajouter à cette préoccupation, ce projet de loi permettrait de faire entrer en vigueur l’ensemble du projet de loi C-452, à l’exception de la disposition sur les peines consécutives obligatoires.  

Plus précisément, l’article 279.05 risque d’être jugé comme étant une restriction injustifiable au droit protégé par l’article 12 de la Charte. Les tribunaux ont conclu que le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités vise à empêcher l’imposition de peines exagérément disproportionnées. Même si, de façon générale, les peines infligées pour des infractions basées sur les mêmes faits sont purgées de façon concurrente, l’article 279.05 exigerait que de telles peines soient purgées de façon consécutive, lorsque le contrevenant est condamné en même temps pour une infraction de traite de personnes et pour toute autre infraction basée sur les mêmes faits. Au regard de l’article 12 de la Charte, cette disposition pourrait être particulièrement préoccupante lorsque l’acte vise la perpétration de multiples infractions de traite de personnes et autres infractions, à l’égard de multiples victimes par exemple, qui peuvent être passibles de peines minimales obligatoires. Les tribunaux seraient tenus d’imposer ces peines consécutivement, quelle que soit la situation particulière du contrevenant, ce qui risquerait de donner lieu à des peines exagérément disproportionnées dans certaines circonstances raisonnablement prévisibles. Une peine exagérément disproportionnée est par définition une peine « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » et une peine « odieuse ou intolérable » pour la société. Un tel résultat pourrait porter atteinte à la protection contre toute peine cruelle et inusitée garantie par l’article 12 de la Charte.

La décision de ne pas faire entrer en vigueur l’article 279.05 est compatible avec l’engagement que le gouvernement a pris de veiller à ce que toute législation respecte et maintienne les droits garantis par la Charte. Cette décision permettrait également au gouvernement de poursuivre, dans le cadre de sa vaste révision du système de justice pénale, l’examen approfondi qu’il fait des dispositions connexes prévoyant l’imposition de peines obligatoires. Pour l’instant, les autres dispositions du projet de loi C-452 seraient mises en vigueur; elles sont compatibles avec les valeurs qui sous‑tendent la Charte et permettent de renforcer la réponse du Canada en matière de droit pénal à l’égard de la traite de personnes et de l’exploitation.

Le droit de l’inculpé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable (al. 11d) de la Charte)

Par ailleurs, le projet de loi C-452 modifierait le Code criminel en édictant le paragraphe 279.01(3). Le paragraphe 279.01(3) permet à un poursuivant de prouver un des éléments de l’infraction de traite de personnes—soit qu’un accusé exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements de la victime—en démontrant que l’accusé vit ou se trouve habituellement en compagnie de la victime. Généralement, un poursuivant doit prouver tous les éléments d’une infraction hors de tout doute raisonnable, par preuve directe ou circonstancielle. Dans ce cas-ci, bien que l’accusé aurait l’occasion de soulever un doute raisonnable, le poursuivant aurait seulement besoin de prouver que l’accusé vit ou se trouve habituellement en compagnie de la victime afin de démontrer un des éléments de l’infraction de traite—soit le contrôle, la direction ou l’influence sur les mouvements de la victime. Pour cette raison, le paragraphe 279.01(3) pourrait être considéré comme une exception au droit que la Charte garantit à un accusé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable (al. 11d)). Toute restriction au droit protégé par l’al. 11d) de la Charte doit être raisonnable et sa justification doit pouvoir se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, comme l’exige l’article premier de la Charte.

Dans sa décision R. c. Downey, rendue en 1992, la Cour suprême du Canada a confirmé la validité d’une présomption similaire en matière de preuve dans le contexte des infractions relatives à la prostitution. Les considérations suivantes appuient la justification de la présomption prévue au paragraphe 279.01(3). Premièrement, le fait de procéder plus efficacement à la poursuite des trafiquants de personnes constitue un objectif urgent et réel. Deuxièmement, la présomption est en soi raisonnable à tirer. Troisièmement, elle a une incidence minimale sur la présomption d’innocence puisqu’elle touche seulement un élément de l’infraction et qu’elle est réfutable si l’accusé présente un élément de preuve qui permet de soulever un doute raisonnable. Enfin, la présomption est une réponse conçue pour surmonter les difficultés de preuve susceptibles d’exister dans le cadre des poursuites relatives à la traite de personnes, eu égard à la vulnérabilité des victimes et au déséquilibre du pouvoir entre celles-ci et leurs trafiquants. Par exemple, des plaignantes vulnérables craignent souvent de subir des représailles de la part de leurs trafiquants, et de ce fait, éprouvent des difficultés à les dénoncer.

Projet de loi C‑39, Loi modifiant le Code criminel (dispositions inconstitutionnelles) et d’autres lois en conséquence maintenant incorporé au projet de loi C-75

Promouvoir la primauté du droit en abrogeant ou en modifiant les dispositions invalides du Code criminel

Le projet de loi abrogerait ou modifierait plusieurs dispositions du Code criminel qui ont été précédemment déclarées inopérantes par la Cour suprême du Canada parce qu’elles sont contraires à la Charte :

Ces modifications proposées favoriseraient la primauté du droit, qui, comme le prévoit le préambule de la Charte, constitue un des principes constitutionnels de base du Canada.

La Charte fait partie de la Constitution du Canada, qui est la loi suprême du pays. Lorsqu’il adopte de nouvelles lois, le Parlement doit faire tous les efforts nécessaires pour respecter la Charte. Les tribunaux canadiens déterminent si une loi est conforme à la Charte. Les lois jugées contraires à la Charte par les tribunaux sont invalides, ce qui les rend inopérantes. Cela confirme la primauté de la Charte et la primauté du droit.

Un jugement déclarant qu’une loi est incompatible avec la Charte n’entraîne pas automatiquement la suppression des dispositions inconstitutionnelles des recueils de lois, puisque la modification du texte des lois fédérales nécessite l’adoption d’une loi. L’abrogation ou la modification par le Parlement d’une loi invalide peut être considérée comme une étape finale qui illustre entièrement la primauté du droit, puisqu’elle s’assure que la loi « sur papier » reflète l’état actuel du droit au Canada. Cela constitue l’objet et l’effet général du projet de loi C‑39.

L’abrogation des dispositions du Code criminel finalement déclarées invalides par la Cour suprême du Canada, tout comme les modifications des dispositions visant la suppression de certains termes également déclarées invalides par la Cour suprême du Canada, ne soulève pas d’impact juridique significatif sur les droits protégés par la Charte au-delà de la promotion générale de la primauté du droit.

Le projet de loi contient aussi des modifications visant à abroger l’interdiction des relations sexuelles anales (article 159), proposées initialement dans le projet de loi C‑32, Loi relative à l’abrogation de l’article 159 du Code criminel. Bien que la Cour suprême du Canada ne se soit jamais penchée sur la constitutionnalité de l’article 159, les tribunaux de cinq provinces ainsi que la Cour fédérale du Canada ont établi qu’il violait la Charte. Le texte qui suit fait partie de l’Énoncé concernant la Charte qui a été déposé dans le cadre du projet de loi C-32.

Abrogation de l’article 159 du Code criminel

« Relations sexuelles anales » est le terme moderne de « sodomie »; ce type de relations était à l’origine interdit par l’infraction de « sodomie ». D’autres types de relations autrefois considérées comme étant « immorales » ou « contre nature », mais ne comportant pas de rapports sexuels, étaient interdits par l’infraction de « grossière indécence ». En 1969, le Code criminel a été modifié afin de décriminaliser la « sodomie » et la « grossière indécence » entre époux de sexe opposé et entre adultes âgés d’au moins 21 ans, pourvu qu’il y ait consentement et que les actes soient commis dans l’intimité. En 1988, l’infraction de « grossière indécence » a été abrogée, alors que celle de « sodomie » a pris le nom de « relations sexuelles anales » et que l’âge du consentement est passé de 21 à 18 ans.

Les infractions de « sodomie » et de « grossière indécence » trouvent leur origine dans les anciennes lois sur la sodomie et ont été importées dans la première version du Code criminel canadien de 1892.

Les infractions générales d’agression sexuelle prévues au Code criminel (les articles 271 à 273) et les infractions sexuelles concernant expressément les enfants (p. ex., les articles 151 à 153) englobent toutes les activités sexuelles non consensuelles, y compris les activités sexuelles avec une personne n’ayant pas atteint l’âge du consentement. Ces interdictions s’appliquent à toute la gamme des actes sexuels.

Le Code criminel fixe à 16 ans l’âge du consentement à une activité sexuelle. Dans certaines circonstances, par exemple lorsque l’activité se déroule dans le cadre d’une relation d’autorité, de confiance ou de dépendance, ou dans le cadre d’une relation où il y a exploitation d’un adolescent, l’âge du consentement est fixé à 18 ans.

(i) effets sur l’égalité

L’abrogation de l’article 159 du Code criminel favoriserait les droits à l’égalité protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte, selon lequel la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous. L’article 159 interdit les relations sexuelles anales, sauf si les actes sont commis entre époux ou entre deux personnes âgées d’au moins 18 ans, et qu’ils sont consensuels et ont lieu dans l’intimité. L’infraction avait un effet différencié sur les hommes homosexuels, dont les activités sexuelles consensuelles étaient ciblées de manière particulière aux fins d’interdiction par le Code criminel.

Par ailleurs, les tribunaux de cinq provinces de même que la Cour fédérale (Section de première instance) ont conclu que l’article 159 établissait une discrimination injustifiée fondée sur les motifs de distinction illicite de l’orientation sexuelle, de l’âge et de l’état civil.

(ii) effets sur la liberté et l’autonomie

L’abrogation de l’article 159 aurait pour effet de promouvoir les droits à la liberté protégés par l’article 7 de la Charte, et ce, parce qu’une poursuite fondée sur l’article 159 pouvait donner lieu à une peine d’emprisonnement, et que l’article 159 englobait les activités sexuelles consensuelles.

L’article 7 de la Charte protège contre les atteintes à la liberté qui dérogent aux principes de justice fondamentale. Il protège notamment contre les lois qui sont arbitraires, dont la portée est excessive ou qui sont exagérément disproportionnées. L’article 159 est vulnérable sur chacun de ces trois motifs.

Article 156 proposé du Code criminel

Les infractions générales d’agression sexuelle et les infractions sexuelles concernant les enfants s’appliquent aux infractions sexuelles qui auraient été commises depuis que ces infractions sont entrées en vigueur en 1983 et 1988, respectivement. Les dispositions abrogées pourront encore servir à intenter des poursuites pour une conduite antérieure à 1983, lorsque les dispositions générales relatives aux infractions sexuelles sont entrées en vigueur. Certaines de ces dispositions abrogées, qui sont antérieures à la Charte, pourraient ne pas respecter les normes actuelles requises par la Charte. Dans certains cas, cependant, ces dispositions (y compris celles en matière de sodomie et de grossière indécence) sont encore nécessaires pour poursuivre les auteurs d’anciennes infractions sexuelles qui seraient considérées comme des infractions si elles étaient commises aujourd’hui. Les auteurs de tels actes doivent être poursuivis en vertu des dispositions qui existaient à l’époque où les actes auraient été commis. L’adoption de l’article 156 proposé aurait pour effet de limiter les poursuites à celles qui ne soulèvent pas de préoccupations relatives à la Charte. En particulier, l’article 156 empêcherait de recourir à ces dispositions abrogées pour poursuivre ceux qui se sont livrés à des activités sexuelles consensuelles qui étaient illégales à l’époque, mais qui ne le seraient plus de nos jours.

Bien que l’application actuelle de certaines dispositions abrogées en matière d’infractions sexuelles puisse donner lieu à des atteintes aux articles 7 et 15 de la Charte pour des raisons semblables à celles déjà invoquées en rapport avec l’article 159, l’article 156 vise à limiter l’éventail des comportements passibles de poursuites dans des limites qui respectent la Charte.