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Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux — Ébauche d’une proposition

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5. FORMULE « SANS PENSION ALIMENTAIRE POUR ENFANT »

Nous examinons ici la première de deux formules de base qui constituent le fondement des lignes directrices facultatives que nous proposons — la formule « sans pension alimentaire pour enfant ». Cette formule s'applique dans les cas où il n'y a pas d'enfant à charge et, par conséquent, aucune obligation alimentaire concomitante envers des enfants. En présumant du droit à la pension alimentaire, la formule produit des fourchettes pour le montant et la durée des pensions alimentaires pour époux.

Cette formule vise une gamme variée de situations de fait, le seul dénominateur commun étant l'absence d'obligation alimentaire concomitante envers un enfant ou des enfants à charge[14]. En réfléchissant à l'application de cette formule, nous avons divisé les mariages sans enfant à charge en trois grandes catégories selon la durée : les mariages de courte durée (moins de cinq ans), ceux de durée moyenne (de cinq à 19 ans) et ceux de longue durée (20 ans et plus).

La formule « sans pension alimentaire pour enfant » vise tous les mariages, quelle que soit leur durée, au cours desquels les époux n'ont pas eu d'enfant. La formule s'applique également aux mariages de longue durée qui ont compté des enfants qui ne sont plus à charge.

Il peut sembler impossible de mettre au point une formule qui peut générer des décisions de pension alimentaire adéquates à l'égard d'une telle diversité de situations conjugales. Nous avons adopté le concept de la « fusion au fil des années », sur lequel l'American Law Institute (ALI) s'est appuyé pour l'élaboration de ses lignes directrices et que nous abordons plus en détail ci-dessous. En gros, selon ce concept, plus un mariage s'étend dans le temps, plus les aspects économiques et non économiques de la vie des époux deviennent profondément fusionnés, ce qui a pour résultat que l'on se réfère alors plus souvent au critère du niveau de vie qu'avaient les époux pendant le mariage. En utilisant ce concept, qui établit un lien entre les questions de pensions alimentaires et la durée du mariage, nous avons mis au point une formule qui produit des résultats généralement compatibles avec la pratique courante, tout en offrant un canevas désormais nécessaire.

Dans le texte qui suit, nous décrivons tout d'abord la structure de base de la formule. Ensuite, nous analysons le concept de fusion au fil des années qui sous-tend la formule, ainsi que son lien avec les fondements existants des pensions alimentaires pour époux. Nous présentons plus loin un examen plus détaillé des diverses mesures que comporte l'application de la formule et une série d'exemples de son application. Enfin, nous abordons trois questions qui se posent une fois que la formule a établi les fourchettes pour le montant et la durée. La première porte sur la manière de fixer de façon précise les montants et la durée à partir des fourchettes produites par la formule. La deuxième porte sur la question de savoir si les résultats de la formule devraient être restructurés en faisant un compromis entre le montant et la durée. La troisième porte sur la question de savoir si les circonstances de l'espèce relèvent d'une exception justifiant un écart des résultats de la formule.

5.l Structure de base de la formule « sans pension alimentaire pour enfant »

L'encadré ci-dessous présente, dans son expression la plus simple, la formule proposée pour déterminer les pensions alimentaires pour époux si aucune pension alimentaire pour enfant n'est versée, après que le droit à la pension alimentaire a été établi. La formule contient en fait deux parties : l'une pour le montant et l'autre pour la durée. Elle donne comme résultat des fourchettes pour le montant et la durée, plutôt que des montants déterminés. Elle comporte deux facteurs essentiels. Le premier est l'écart des revenus bruts entre les époux. L'autre facteur est la durée du mariage, ou plus précisément, comme nous l'expliquons ci‑dessous, la durée de la période de cohabitation. Le montant et la durée de la pension alimentaire augmentent tous deux progressivement avec la durée du mariage.

Il faut garder à l'esprit que cette formule est destinée à s'appliquer au calcul initial de la pension alimentaire au moment de la séparation ou du divorce, en utilisant les revenus des époux au moment où le montant de la pension alimentaire est déterminé par le tribunal ou négocié par les parties[15]. Les ordonnances rendues d'après les lignes directrices facultatives pourront être modifiées à la lumière de l'évolution des circonstances au fil du temps. Elles peuvent aussi inclure des dispositions prévoyant la révision de la pension alimentaire. Une révision ou une modification ayant lieu ultérieurement peuvent entraîner une modification du montant ou de la durée pour l'avenir. De même, les parties qui négocient des ententes conformément aux lignes directrices facultatives peuvent prévoir la révision ou la modification de la pension alimentaire. La mesure dans laquelle les lignes directrices facultatives s'appliqueront au nouveau calcul des pensions alimentaires pour époux en cas de révision et de modification est abordée au chapitre 10.

Formule « sans pension alimentaire pour enfant »

Le montant varie de 1,5 % à 2 % de l'écart entre les revenus bruts des époux (« écart des revenus bruts ») par année de mariage (ou plus précisément, par année de cohabitation), jusqu'à un maximum de 50 %. La fourchette demeure fixe pour les mariages de 25 ans et plus, allant de 37,5 à 50 % de l'écart des revenus.

La durée varie de 0,5 à 1 an par année de mariage. Toutefois, la pension alimentaire est versée pendant une période indéfinie, si le mariage a duré 20 ans ou plus ou, si le mariage a duré cinq ans ou plus, lorsque les années de mariage et l'âge du bénéficiaire de la pension alimentaire (à la séparation) font au total 65 ou plus (« règle des 65 »).

Un exemple simple sera utile pour illustrer l'application de base de la formule « sans pension alimentaire pour enfant » avant d'aborder ses aspects plus complexes. Cet exemple vise principalement à illustrer les calculs de base requis selon la formule et à donner une idée des résultats. Il faut se rappeler que les résultats découlant de la formule ne sont que la première étape dans le calcul des pensions alimentaires pour époux d'après les lignes directrices facultatives. D'autres étapes importantes de l'analyse sont exposées ci‑dessous.

Exemple 5.1

Arthur et Isabelle se sont séparés après 20 ans de mariage. Ils ont un enfant. Pendant le mariage, Arthur, qui venait d'obtenir un diplôme en commerce lorsque les parties se sont rencontrées, travaillait dans une banque, gravissant les échelons pour finalement devenir directeur de succursale. Il a été muté à plusieurs reprises au cours du mariage. Son revenu annuel brut s'élève maintenant à 90 000 $. Isabelle a travaillé pendant quelques années au début du mariage comme caissière dans une banque, puis est ensuite restée à la maison jusqu'à ce que leur fils fréquente l'école à plein temps. Elle a travaillé à temps partiel comme commis dans un magasin jusqu'à la fin des études secondaires de son fils. Celui-ci est maintenant autonome. Isabelle travaille actuellement à plein temps comme réceptionniste et son revenu annuel brut est de 30 000 $. Arthur et Isabelle sont tous deux au milieu de la quarantaine.

Voici comment la pension alimentaire serait calculée selon la formule « sans pension alimentaire pour enfant », en présumant que le droit à une pension alimentaire a été établi.

Pour déterminer le montant :

  • calculer l'écart des revenus bruts entre les parties; dans ce cas :

    60 000 $ (90 000 $ moins 30 000 $);

  • calculer les pourcentages applicables au montant en multipliant la durée du mariage par le facteur durée de 1,5 à 2 % :

    1,5 X 20 ans = 30 %
    jusqu'à
    2 X 20 = 40 %

  • en appliquant le pourcentage pertinent à l'écart des revenus, la fourchette des montants serait la suivante :

    de 60 000 $ multiplié par 30 % = 18 000 $ par an (ou 1 500 $ par mois)
    à 60 000 $ multiplié par 40 % = 24 000 $ par an (ou 2 000 $ par mois).

La durée serait indéfinie parce que le mariage a duré 20 ans.

Ainsi, en présumant que le droit à une pension alimentaire est établi, la pension alimentaire pour époux, selon la formule se situerait dans la fourchette de 1 500 $ à 2 000 $ par mois, pour une durée indéfinie, sous réserve d'une demande de modification ou d'une révision de la situation.

Si elle reçoit une pension alimentaire de 1 500 $ par mois, au niveau le plus bas de la fourchette, Isabelle aura un revenu annuel brut de 48 000 $ et Arthur de 72 000 $. Une pension alimentaire de 2 000 $ par mois, au niveau le plus élevé de la fourchette, donnerait à Isabelle un revenu annuel brut de 54 000 $ et à Arthur de 66 000 $. Nous examinerons plus loin les facteurs qui détermineront le choix d'un montant précis à l'intérieur de cette fourchette.

5.1.1 Formule pour établir le montant

Plusieurs aspects de la formule pour l'établissement du montant doivent être soulignés. En premier lieu, la formule utilise les revenus bruts (c.-à-d. avant impôt) plutôt que les revenus nets (c.-à-d. après impôt). Le terme revenu est défini de la même manière que dans les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. Bien que les montants de revenu net puissent être un peu plus précis, la facilité du calcul (aucun logiciel requis) et la familiarité avec le concept font pencher la balance, à notre avis, en faveur de l'utilisation des montants de revenu brut. Comme vous le constaterez à la lecture du chapitre 6, les montants de revenu net sont utilisés dans l'autre formule « avec pension alimentaire pour enfant » en raison du traitement fiscal différent de la pension alimentaire pour époux et de celle pour enfant.

En deuxième lieu, la formule applique un pourcentage déterminé à l'écart des revenus entre les époux plutôt que des pourcentages spécifiques au montant global des revenus combinés des époux. Nous nous sommes inspirés ici des propositions de l'ALI et des lignes directrices du comté de Maricopa en Arizona, exposées dans le document de référence. L'écart des revenus entre les époux fonctionne comme une mesure substitutive de l'écart de la perte par rapport au niveau de vie pendant le mariage et, dans les mariages de longue durée avec enfants, de la différence des situations financières liée à l'impact des rôles assumés pendant le mariage sur la capacité des époux à générer des revenus. L'application du partage des revenus à l'écart des revenus entre époux constitue une autre différence par rapport à la formule « avec pension alimentaire pour enfant », dans laquelle l'utilisation des montants de revenu net exige un modèle de partage des revenus qui s'applique aux revenus combinés des époux.

En troisième lieu, notre formule pour l'établissement du montant n'utilise pas un pourcentage fixe ou unique pour le partage de l'écart des revenus. Plutôt, en nous inspirant encore ici des lignes directrices de l'ALI et de celles du comté de Maricopa et de leur concept sous-jacent de fusion au fil des années, notre formule inclut un facteur durée pour accroître le pourcentage des revenus partagés à mesure que la durée du mariage augmente. Le facteur durée que nous avons choisi se situe entre 1,5 et 2 % de l'écart des revenus bruts par année de mariage.

Nous avons élaboré les fourchettes des montants en déterminant tout d'abord le moment où le partage atteindrait son maximum, que nous avons établi à 25 ans. Nous nous sommes tout d'abord appuyés sur l'hypothèse selon laquelle le partage maximum devait se rapprocher sensiblement d'une opération d'égalisation des revenus, soit le partage de 50 % de l'écart des revenus bruts. Nous avons ensuite essentiellement travaillé à rebours pour établir le niveau de revenu annuel requis pour atteindre le partage maximum à la 25e année. Le résultat a été de 2 % par an. Au cours de l'élaboration de la formule, nous avons essayé plusieurs fourchettes de pourcentages (tels que 1 à 1,5 % par année de mariage), mais la fourchette de 1,5 à 2 % s'est révélée la plus compatible avec les niveaux usuels dans la pratique actuelle.

Nous avons choisi 50 % de l'écart des revenus (c.-à-d. l'égalisation des revenus) comme niveau maximum de partage des revenus, qui peut potentiellement être atteint après 25 ans de mariage et représente la fusion complète de la vie des époux. Nous avons aussi passé beaucoup de temps à examiner un plafond quelque peu moins élevé pour prendre en compte les effets incitatifs et les coûts liés au travail dans les situations où seul le payeur travaille. Parmi les autres possibilités étudiées, il y avait celle des 45 % de l'écart des revenus atteints après 22,5 ans ou celle des 48 % atteints après 24 ans. Cependant, nous avons également conclu qu'il pourrait y avoir des cas où l'égalisation des revenus serait la solution appropriée (par exemple, lorsque seul le revenu de retraite est partagé après un très long mariage, ou peut-être lorsque les deux époux travaillent après un mariage de longue durée, mais avec une disparité de revenus importante). Nous avons prévu cette possibilité dans la formule.

Même au niveau maximum du partage, la formule n'exige pas que la pension alimentaire représente 50 % de l'écart des revenus des époux après 25 ans, mais prévoit plutôt des pensions alimentaires dans la fourchette se situant entre 37,5 et 50 %. Compatible avec le droit actuel, la formule ne constitue pas un mécanisme général d'égalisation des revenus. Elle reflète toutefois la pratique actuelle qui accorde des pensions alimentaires généreuses après un long mariage et elle est compatible avec la méthode d'établissement de la pension alimentaire préconisée dans l'arrêt Moge — celle permettant l'atteinte d'un niveau de vie sensiblement équivalent après un mariage de longue durée.

En évaluant la formule de fixation du montant, il est important de garder à l'esprit que les pourcentages ne sont pas des pourcentages du revenu du payeur. Ce sont les pourcentages de l'écart des revenus entre les époux. Si le revenu du bénéficiaire est nul, les deux mesures seront les mêmes, mais pas s'il a un revenu.

5.1.2 Formule pour établir la durée

À l'instar du montant, la durée de la pension alimentaire augmente en proportion de la durée du mariage dans la formule que nous proposons. Sous réserve des dispositions spéciales concernant la pension alimentaire pour une durée indéfinie, notre formule produit :

  • une durée minimale de la moitié de la durée du mariage;
  • une durée maximale représentant la durée du mariage.

Tout comme la formule pour la fixation du montant, cette formule s'inspire des propositions de l'ALI et du concept de la fusion au fil des années. La durée du mariage ne peut cependant pas constituer le seul facteur pour établir la durée de la pension alimentaire dans le cas des mariages sans enfant à charge. L'âge constitue également un facteur important, puisqu'il a une incidence sur la capacité de devenir autonome.

Il est vrai qu'en vertu de cette formule la fourchette des durées est très large, permettant qu'une pension alimentaire se situant à la limite supérieure de la fourchette soit en effet le double de la valeur de celle de la limite inférieure. Nous regrettons de n'avoir pu en arriver à une fourchette plus étroite. Compte tenu des incertitudes entourant la durée en vertu du droit actuel, c'est la meilleure qu'on puisse avoir pour le moment. Comme le souligne le document de référence, le comté de Maricopa a fait face à des difficultés similaires lors de la mise au point d'une formule pour l'établissement de la durée qui correspondait au droit en vigueur. Nous espérons que l'expérience des lignes directrices facultatives permettra de rétrécir la fourchette des durées au fil du temps.

Nous faisons la mise en garde suivante : si les limites de durée que nous estimons généreuses selon la formule sont jugées inappropriées, la formule devrait être complètement revue et les montants produits devraient être diminués. Le montant et la durée sont des éléments liés à la formule, ils forment un tout. Utiliser une partie de la formule sans l'autre minerait l'intégrité et la cohérence du régime. Comme nous le verrons plus loin, les lignes directrices facultatives prévoient une restructuration qui permet de prolonger la durée en diminuant le montant mensuel de la pension alimentaire.

5.1.2.1 Le problème de la durée

Les difficultés liées à l'élaboration de lignes directrices sur la durée, particulièrement pour les mariages de durée moyenne, ont été abordées ci-dessus, au chapitre 4. La formule « sans pension alimentaire pour enfant » donne lieu à des limites de durée dans le cas de bien des mariages pour lesquels il n'y a pas d'enfant à charge. Les limites de durée constituent un problème en vertu du droit actuel, surtout pour les mariages de durée moyenne.

Après l'arrêt Moge, les ordonnances à durée limitée sont devenues de moins en moins répandues. Après l'arrêt Bracklow, qui reconnaissait que l'époux payeur n'avait pas nécessairement l'obligation de répondre à tous les besoins de son ex-époux, certains juges ont remis des délais, du moins pour les ordonnances alimentaires non compensatoires. Alors que les parties négocient encore souvent des limites de durée dans le cadre d'ententes et d'ordonnances de consentement, de nombreux tribunaux voient les délais d'un mauvais œil, sauf dans le cas de mariages de courte durée. On tient pour acquis que les mariages de longue durée entraînent une pension alimentaire indéfinie, mais dans les mariages de durée moyenne, la durée de la pension alimentaire demeure très incertaine.

Dans les ordonnances rendues par les tribunaux dans les cas de mariages de durée moyenne, la question de la durée est souvent reportée à plus tard, pour être traitée au moyen de révisions et de modifications successives. En vertu des pratiques actuelles, l'incertitude quant à la durée peut mener à des pensions alimentaires mensuelles peu élevées, les juges ou les avocats craignant que tout montant mensuel de pension alimentaire puisse être versé pendant une longue période, même indéfiniment. Par ailleurs, les limites de durée sont courantes dans les ententes en matière de pensions alimentaires.

À notre avis, des délais raisonnables sont un élément essentiel des lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux pour les mariages de durée moyenne, particulièrement si ces lignes directrices doivent produire des mensualités raisonnables. L'arrêt Bracklow a insisté sur l'interrelation entre le montant et la durée, reconnaissant qu'un montant peu élevé de pension alimentaire versé pendant une longue période équivalait à une pension alimentaire plus élevée versée pendant une période plus courte.

Les limites de durée que produit notre formule peuvent être très généreuses. Pour les mariages de durée moyenne, elles peuvent s'étendre sur de très longues périodes, allant jusqu'à 19 ans. Ces limites de durée sont donc très différentes des délais courts et arbitraires de trois à cinq ans qui sont devenus la norme en vertu du modèle de la rupture nette des pensions alimentaires pour époux, que l'arrêt Moge a rejeté. Les délais prévus par ces lignes directrices doivent être évalués dans le contexte où ils s'appliquent. Ils peuvent se prolonger pendant de longues périodes et, dans le cas où les mariages ont une durée importante, peuvent s'appliquer de concert avec des mensualités généreuses.

5.1.2.2 Période indéfinie

La formule que nous proposons prévoit aussi que la pension alimentaire aura une durée indéfinie lorsque le mariage aura duré 20 ans ou plus (la règle des 20 ans). La jurisprudence actuelle appuie l'idée que la pension alimentaire pendant une période indéfinie est appropriée après un mariage qui a duré longtemps. En effet, dans certaines régions du pays, il est difficile d'attribuer une limite de temps aux pensions alimentaires après 15 ans de mariage.

L'utilisation du mot indéfini signifie simplement que l'ordonnance initiale ne prévoit aucune limite de temps pour le versement de la pension alimentaire. Une ordonnance alimentaire pour une durée indéfinie n'est pas nécessairement synonyme de pension alimentaire permanente et ne signifie certainement pas que la pension alimentaire sera maintenue indéfiniment au niveau fixé par la formule. En vertu du droit actuel, les ordonnances alimentaires indéfinies sont susceptibles d'être modifiées selon l'évolution de la situation des parties au fil du temps et la pension alimentaire peut même prendre fin si le fondement du droit à la pension alimentaire disparaît. Les ordonnances alimentaires d'une durée indéfinie peuvent également comporter des conditions de révision. Les lignes directrices facultatives ne modifient en rien cette situation puisqu'elles s'appliquent dans le cadre juridique existant.

La formule prévoit aussi la possibilité d'octroyer une pension alimentaire pendant une durée indéfinie même dans les cas où le mariage n'a pas duré 20 ans, si le nombre d'années de mariage plus l'âge du bénéficiaire de la pension alimentaire au moment de la séparation est égal ou supérieur à 65 (la règle des 65). Par conséquent, si un mariage de dix ans prend fin lorsque l'épouse a 55 ans, elle pourra recevoir une pension alimentaire pendant une durée indéfinie parce le nombre d'années de mariage (10) plus son âge (55) est égal à 65. Ce raffinement apporté à la formule pour l'établissement de la durée est destiné à répondre à la situation des époux plus âgés qui ont été économiquement dépendants pendant un mariage de durée moyenne et qui peuvent avoir de la difficulté à devenir autonomes compte tenu de leur âge. La règle des 65 pour la pension alimentaire indéfinie ne s'applique pas aux mariages de courte durée (moins de cinq ans), compte tenu de la présomption du droit actuel selon laquelle des mariages de courte durée produisent des obligations alimentaires limitées.

Nous avons longuement débattu la question de savoir si un élément lié à l'âge devrait toujours être exigé pour la pension alimentaire d'une durée indéfinie, c.-à-d. est-ce que la règle des 65 devrait s'appliquer même à l'égard des mariages de longue durée. En vertu de la règle des 20 ans sans exigence d'âge, par exemple, un époux âgé de 38 ans qui met fin à un mariage qui a duré 20 ans aurait droit à une pension alimentaire d'une durée indéfinie. Certains soutiendront qu'une pension alimentaire pendant une durée indéfinie n'est pas appropriée dans le cas d'un époux encore relativement jeune et capable de devenir autonome. Si la règle des 65 devait s'appliquer de façon générale, la pension alimentaire ne pourrait pas avoir une durée indéfinie, même après 20 ans de mariage, à moins que le bénéficiaire ne soit âgé d'au moins 45 ans.

Plusieurs considérations nous ont menés à la conclusion selon laquelle la règle des 20 ans sans exigence liée à l'âge était le choix le plus approprié. Premièrement, une épouse qui s'est mariée jeune et qui a passé les 20 années suivantes à s'occuper des enfants pourrait être plus désavantagée que la personne qui se marie plus vieille et qui a pu acquérir des compétences professionnelles avant de se retirer du marché du travail. De même, en vertu du droit actuel, il serait très difficile d'imposer un délai à l'égard d'une pension alimentaire après 20 ans de mariage, même si l'autonomie et la fin éventuelle de la pension alimentaire étaient envisageables pour l'avenir. Une ordonnance caractéristique prévoirait une pension alimentaire pour une durée indéfinie sujette à une révision ou à une modification. Une ordonnance alimentaire indéfinie d'après les lignes directrices facultatives serait identique. Comme c'est le cas en vertu du droit actuel, les ordonnances de pension alimentaire pour une durée indéfinie prononcées en vertu des lignes directrices ne signifieraient pas nécessairement que la pension alimentaire est permanente. Elles reflèteraient simplement le fait qu'il est inapproprié de tenter d'imposer des délais à la pension alimentaire dans les ordonnances initiales.

5.2 Fusion au fil des années et théories actuelles concernant les pensions alimentaires pour époux

L'idée qui sous-tend la formule « sans pension alimentaire pour enfant » et qui explique le principe du partage des revenus en proportion de la durée du mariage est la fusion au fil des années. Nous utilisons cette expression, que nous avons tirée des propositions de l'ALI et qui est abordée plus en détail dans le document de référence, pour rendre l'idée selon laquelle à mesure qu'un mariage dure, les époux fusionnent plus en profondeur leur vie économique et non économique, chaque époux prenant d'innombrables décisions pour adapter ses aptitudes personnelles, son comportement et ses moyens financiers à ceux de l'autre époux. Selon la formule proposée, l'écart des revenus entre les époux représente la différence dans la perte du niveau de vie conjugal. La formule pour l'établissement du montant ainsi que celle pour la fixation de la durée reflètent toutes deux l'idée selon laquelle plus le mariage dure, plus l'époux ayant un revenu faible devrait être mis à l'abri d'une telle perte de niveau de vie.

Selon la formule que nous proposons, les mariages de courte durée sans enfant donneront lieu à des pensions alimentaires très modestes, tant au niveau du montant que de la durée. Dans les cas où les ressources sont adéquates, la pension alimentaire pourrait être versée sous forme de montant forfaitaire. Les mariages de durée moyenne donneront lieu à des pensions alimentaires transitoires de durées différentes, augmentant avec la durée de la relation. Les mariages de longue durée produiront de généreuses pensions alimentaires pour époux pour une durée indéfinie, ce qui donnera aux époux un niveau de vie presque équivalent après la rupture du mariage. Cette formule génère les mêmes fourchettes pour les mariages de longue durée dont les partenaires n'ont pas eu d'enfant que pour les mariages de longue durée dont sont issus des enfants maintenant autonomes.

Bien que l'expression ne soit pas courante, la notion de fusion au fil des années, qui établit un lien entre l'importance de la demande de pension alimentaire pour époux et la durée du mariage, sous-tend en bonne partie le droit actuel. L'acceptation la plus évidente de ce principe est formulée dans le passage très souvent cité du juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Moge :

Même si les principes régissant l'obligation alimentaire axés sur un partage équitable ne garantissent pas à chacune des parties le niveau de vie qu'elle avait durant le mariage, cette norme est loin d'être sans intérêt en matière de droit aux aliments ... Le mariage devant être considéré comme une entreprise commune, plus longue est la durée de la relation et plus grande est l'union économique entre les parties, plus forte sera la présomption d'égalité du niveau de vie des deux époux après sa dissolution.[16]

La fusion au fil des années représente un moyen efficace d'englober les objectifs à la fois compensatoires et non compensatoires des pensions alimentaires pour époux que notre droit a reconnu depuis les arrêts Moge et Bracklow. En vertu du droit actuel, les deux sortes de demandes de pension alimentaire en sont venues à être analysées en termes de perte du niveau de vie qui existait pendant le mariage. Les budgets, et plus particulièrement les budgets déficitaires, jouent maintenant un rôle de premier plan dans la quantification de cette baisse de niveau de vie. Dans la formule présentée, l'écart des revenus entre les époux sert de mesure substitutive pratique et efficace pour établir la perte du niveau de vie qui existait pendant le mariage, remplaçant l'incertitude et l'imprécision générées par les budgets. La durée du mariage dicte alors l'étendue de la demande de protection contre cette perte du niveau de vie conjugal.

La fusion au fil des années comporte un aspect nettement compensatoire. Une des façons répandues pour les époux de fusionner leur vie économique est la division des rôles dans le mariage pour répondre aux tâches liées à l'éducation des enfants. Les demandes compensatoires destinées à remédier à un désavantage économique causé par la prise en charge de la responsabilité principale des soins aux enfants seront significatives dans une importante catégorie de mariages que vise la formule « sans pension alimentaire pour enfant », soit les mariages de longue durée qui ont produit des enfants maintenant autonomes. Nous avons d'ailleurs commencé à élaborer des lignes directrices facultatives en fonction de ces cas, à l'égard desquels le droit actuel reconnaît le bien-fondé de demandes compensatoires importantes en accordant de généreuses pensions alimentaires pour époux. Notre formule produit également de généreuses pensions alimentaires pour époux dans ces cas, pouvant atteindre 40 % de l'écart des revenus entre les époux après 20 ans de mariage et augmentant à 50 % après 25 ans.

En théorie, les demandes compensatoires se concentrent sur la perte de capacité financière de l'époux à plus faible revenu, l'évolution de la carrière, les prestations de retraite et ainsi de suite pour avoir été le principal responsable du soin des enfants. En pratique cependant, après l'arrêt Moge, les tribunaux ont commencé à s'attaquer aux obstacles présentés par la quantification avec un tant soit peu de précision, particulièrement pour les mariages de plus longue durée, en mettant au point des mesures substitutives de perte économique qui mettent l'accent sur le niveau de vie pendant le mariage. Une telle mesure prend également en compte les avantages économiques du mariage sous la forme du maintien de la capacité de gagner un revenu et de son évolution pendant le mariage. Ce faisant, les tribunaux pouvaient s'appuyer sur les commentaires du juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Moge, cités ci-dessus, concernant la pertinence continue du niveau de vie pendant le mariage en vertu du modèle compensatoire des pensions alimentaires pour époux.

Lors de l'attribution de pensions alimentaires pour époux dans les cas de mariages traditionnels de longue durée, les tribunaux ont commencé à définir le but poursuivi en fournissant à l'époux à plus faible revenu un niveau de vie raisonnable évalué par rapport au niveau de vie pendant le mariage. De plus en plus, la norme pour établir la pension alimentaire pour époux dans les mariages de longue durée est devenue grosso modo une équivalence des niveaux de vie. Cette évolution dans notre droit, qui quantifie la pension alimentaire compensatoire dans le cas de mariages de longue durée en fonction du niveau de vie pendant le mariage, a ouvert la voie à une formule de partage des revenus telle que la nôtre.

Tout en incluant les demandes compensatoires, la fusion au fil des années comporte aussi un important aspect non compensatoire. Dans les cas de mariages traditionnels de longue durée qui ont produit des enfants devenus adultes, il est maintenant répandu de voir des pensions alimentaires pour époux justifiées à deux titres. Les demandes de pension alimentaire non compensatoire reposant sur la dépendance pendant une longue période sont fréquemment utilisées pour suppléer aux demandes compensatoires fondées sur la perte de capacité de gain. Dans les mariages où les époux n'ont pas eu d'enfant, l'autre segment des mariages visés par la formule « sans pension alimentaire pour enfant », les demandes de pension alimentaire pour époux sont souvent de nature non compensatoire, et donc fondées sur les besoins, la dépendance et la perte du niveau de vie qui existait pendant le mariage. La fusion au fil des années vise ces demandes non compensatoires.

Un des principaux défis du droit des pensions alimentaires pour époux depuis l'arrêt Bracklow a été bien sûr de cerner de façon précise la notion de pension alimentaire non compensatoire ou fondée sur des besoins. Selon une interprétation de l'arrêt Bracklow, le soutien non compensatoire est ancré dans la dépendance économique et l'interdépendance des époux, pour reprendre les termes du juge McLachlin. Cet arrêt reconnaît la difficulté de démêler des vies entremêlées de façon aussi complexe pendant de longues périodes. Selon cette interprétation large de l'arrêt Bracklow, que plusieurs tribunaux ont acceptée, le besoin n'est pas restreint aux situations de nécessité économique absolue, mais est une notion relative liée au niveau de vie au cours du mariage. De ce point de vue, le droit à une pension alimentaire non compensatoire peut être établi habituellement chaque fois que l'époux à plus faible revenu subit une diminution importante de niveau de vie après la rupture du mariage en raison de la perte d'accès au revenu de l'autre époux, dont le montant et la durée sont réglés conformément au sens de l'équité d'un seul juge.

La fusion au fil des années inclut ce point de vue large du soutien non compensatoire et offre une certaine structure pour la quantification des pensions alimentaires accordées à ce titre. La fusion au fil des années reconnaît la fusion complexe des aspects économiques et non économiques que comporte le mariage, ainsi que les façons très diverses dont les époux adaptent leurs aptitudes et leur comportement à ceux de l'autre époux. Cette notion prend non seulement en compte les pertes économiques évidentes entraînées par le mariage, mais encore les éléments de dépendance et les attentes qui se développent dans les relations conjugales et qui augmentent avec la durée de la relation. La formule que nous proposons, fondée sur la fusion au fil des années, vise donc les demandes non compensatoires fondées sur la baisse du niveau de vie après la rupture du mariage (ou plus précisément, sur la diminution disproportionnée du niveau de vie par rapport à l'autre époux). Plus la durée du mariage augmente, plus notre formule offre des montants élevés de pension alimentaire pour des périodes plus longues pour amortir la baisse de niveau de vie de l'époux qui gagne le revenu le plus faible.

Notre formule produit les mêmes fourchettes dans le cas des longs mariages de couples qui n'ont pas eu d'enfant que dans celui des longs mariages de couples dont les enfants sont maintenant grands. Ce résultat est un reflet de ce que nous trouvons en vertu du droit actuel : les mariages de longue durée dans lesquels il y a une dépendance économique donnent lieu à d'importantes obligations en matière de pensions alimentaires pour époux, peu importe la source de la dépendance.

Les mariages de couples qui n'ont jamais eu d'enfant peuvent évidemment donner lieu à des demandes compensatoires de même qu'à des demandes non compensatoires. Un des époux peut avoir subi une importante perte économique découlant du mariage, par exemple en déménageant ou en abandonnant son emploi. Ou encore, un époux peut avoir donné un avantage économique à l'autre, par exemple en finançant des études universitaires ou autres ou une formation. Si le mariage a duré relativement longtemps, notre formule produira des pensions alimentaires suffisamment généreuses pour compenser adéquatement toute perte ou tout désavantage économique important ou les avantages conférés. Toutefois, dans le cas des mariages de plus courte durée, la formule produira uniquement des pensions alimentaires modestes représentant une demande limitée (non compensatoire) à l'égard de la baisse de niveau de vie que les demandes compensatoires peuvent ne pas combler. Comme nous le verrons plus loin, nous avons réglé ce problème en reconnaissant une exception pour les demandes compensatoires disproportionnées qui dépassent les montants calculés selon la formule dans les cas de mariages de plus courte durée.

Un dernier point doit être souligné à l'égard du lien entre cette formule et les théories existantes sur les pensions alimentaires pour époux en vertu de la Loi sur le divorce. S'appuyant comme elle le fait sur la notion de fusion au fil des ans, notre formule « sans pension alimentaire pour enfant » n'inclut pas directement la théorie de l'obligation sociale fondamentale de la pension alimentaire non compensatoire que l'arrêt Bracklow semblait appuyer, de l'avis de certains[17]. Cette théorie quelque peu douteuse, analysée plus en détail dans le document de référence, comprend les besoins dans le sens absolu de l'incapacité de combler les besoins de base et ancre l'obligation de combler ces besoins dans le statut du mariage lui-même. La formule que nous proposons engendre des pensions alimentaires qui combleront dans une certaine mesure les besoins de base lorsqu'ils existent, mais limite l'étendue de toute obligation sociale fondamentale en fonction de la durée du mariage. Cependant, les exceptions que reconnaît la formule et qui sont présentées plus loin offrent certains accommodements à l'égard des éléments d'une obligation sociale fondamentale.

5.3 Application de la formule

Nous abordons ici plus en profondeur plusieurs questions précises que soulève l'application de la formule « sans pension alimentaire pour enfant ».

5.3.1 Le droit à pension est la première question à régler

Ces lignes directrices facultatives, qui produisent des fourchettes de montants et de durées, ne s'appliquent qu'une fois le droit aux aliments établi. La simple existence d'un écart entre les revenus, qui entraînerait un montant en vertu de la présente formule, n'accorde pas automatiquement un droit à la pension alimentaire pour époux. Depuis l'arrêt Bracklow, le fondement du droit aux aliments est très vaste. Une importante disparité entre les revenus des époux (et par conséquent une importante baisse de niveau de vie pour l'époux qui gagne un revenu plus faible) mène en règle générale à l'affirmation du droit à une certaine pension alimentaire, même s'ils sont uniquement restreints et transitoires. Dans les cas où il y a eu des enfants, une importante disparité entre les revenus des époux reflète aussi, du moins en partie, les répercussions des responsabilités liées à l'éducation des enfants sur la capacité de gagner un revenu. Mais il est toujours loisible au juge de conclure à l'absence du droit à une pension alimentaire en présence d'un ensemble de faits particuliers et à la lumière des objectifs de la Loi sur le divorce en matière de pensions alimentaires.

Dans l'exemple 5.1, nous avons présumé que le droit existait tant pour des motifs compensatoires que non compensatoires. On pourrait décrire Isabelle comme autonome en raison de son emploi à plein temps qui lui fournit un revenu de 30 000 $. Toutefois, à notre avis, compte tenu de l'importante disparité entre les revenus des parties (60 000 $), de la durée du mariage (20 ans) et du solide fondement factuel d'une demande compensatoire pour perte de capacité de gagner un revenu en raison des responsabilités assumées pour l'éducation des enfants, un tel argument serait peu susceptible d'être accepté. Si les faits étaient radicalement modifiés, que la disparité entre les revenus était beaucoup plus petite et qu'il n'y avait pas d'enfant, la conclusion quant au droit à une pension alimentaire serait peut-être différente.

5.3.2 Aucun écart minimum de revenu n'est fixé

Bien que certaines lignes directrices déterminent en effet un écart minimum de revenu avant que le partage des revenus n'entre en jeu (par exemple, les principes de l'ALI prévoient une disparité entre les revenus de 25 %), la formule que nous proposons ne le fait pas. Nous estimons qu'une telle exigence relève du droit à une pension alimentaire et, comme nous l'avons souligné ci-dessus, ces lignes directrices facultatives ne portent pas sur ce droit. La question de savoir quand un écart de revenus devient insignifiant lorsqu'il s'agit de déterminer le droit à pension d'un époux a été laissée aux décisions discrétionnaires, conformément au droit en vigueur.

Exiger une disparité minimale entre les revenus pour déclencher le partage des revenus crée également un effet d'escalade tel qu'un dollar supplémentaire peut, par exemple, représenter la différence entre l'absence de partage des revenus et, selon la durée du mariage, le partage d'un pourcentage potentiellement élevé de l'écart des revenus entre les époux. En ne se préoccupant pas du droit à une pension alimentaire, les lignes directrices évitent ce problème.

5.3.3 Établir le revenu selon la formule « sans pension alimentaire pour enfant »

Le calcul du revenu brut de chaque époux est une étape critique de la formule « sans pension alimentaire pour enfant ». Comme dans le cas des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, la détermination précise du revenu deviendra une question beaucoup plus importante dans le cas des pensions alimentaires pour époux que dans le passé. Les régimes de partage des revenus sont directement fonction des revenus. Il n'est plus possible de faire des ajustements approximatifs de montants. Par conséquent, il y aura des raisons de contester un revenu puisqu'il établit le montant de pension alimentaire pour époux à verser. Toutefois, ces lignes directrices facultatives produisant des fourchettes et non des montants précis, une précision absolue n'est peut-être pas aussi nécessaire dans la détermination d'un revenu qu'elle l'est en vertu les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.

En vertu de cette formule, le point de départ de la détermination du revenu est la définition de « revenu » donnée dans les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, y compris les rajustements prévus à l'annexe III. Tout comme en vertu de celles-ci, de nombreuses questions complexes surgiront au moment du calcul du revenu, lorsque l'époux est travailleur autonome ou lorsqu'il a d'autres revenus qu'il ne tire pas d'un emploi. De même, il peut être nécessaire d'attribuer un revenu dans les situations où le revenu d'un époux ne reflète pas sa capacité de gagner sa vie de façon appropriée.

Comme c'est le cas en vertu des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, un revenu peut être attribué à l'époux payeur. Cependant en vertu des lignes directrices que nous proposons, les montants de pension alimentaire se fondent sur le revenu des deux époux et la question de l'attribution d'un revenu à l'époux bénéficiaire peut également se poser. Une telle situation risque peu de se produire au moment des demandes initiales, mais surviendra plutôt dans le cadre de révisions ou de modifications ultérieures, s'il est démontré que l'époux bénéficiaire n'a pas fait les efforts appropriés pour atteindre son autonomie. L'application des lignes directrices aux révisions et aux modifications est présentée au chapitre 10.

L'attribution d'un revenu est le bon outil d'après les lignes directrices facultatives pour régler les questions liées à l'effet dissuasif qu'entraîne la générosité du montant de la pension alimentaire pour époux envers l'autonomie, particulièrement si les niveaux de revenus sont élevés. Dans la pratique courante, ces préoccupations au sujet de l'autonomie mènent souvent à des rajustements imprécis à la baisse des montants de pension alimentaire prévu dans les ordonnances initiales. Selon les lignes directrices facultatives, la fourchette des montants est déterminée en fonction du revenu des époux et de tels rajustements imprécis (sauf à l'intérieur de la fourchette) ne sont pas possibles. Si un époux ne fait pas d'efforts raisonnables pour atteindre pleinement sa capacité de gagner sa vie, un revenu peut lui être attribué à l'occasion d'une révision ou d'une modification ultérieure.

5.3.4 Déterminer la durée du mariage

La formule pour établir le montant et celle pour établir la durée s'appuient toutes deux sur la durée du mariage. Bien que nous utilisions l'expression « durée du mariage », qui est commode, la véritable mesure d'après les lignes directrices facultatives est la période de cohabitation. Cette période comprend la cohabitation avant le mariage et prend fin à la séparation. L'inclusion de la cohabitation avant le mariage pour la détermination de la « durée du mariage » est compatible avec ce que font maintenant la plupart des juges, lorsqu'ils établissent les pensions alimentaires pour époux. Cette façon de définir la durée d'un mariage favorise aussi l'application des lignes directrices facultatives dans le cadre des lois provinciales sur les pensions alimentaires pour époux, qui s'appliquent aux relations hors mariage, tant entre conjoints de sexes opposés qu'entre conjoints de même sexe.

Nous n'avons pas de règles précises pour déterminer la durée des mariages. La démarche la plus simple est d'arrondir à la hausse ou à la baisse à la prochaine année complète et c'est ce que nous avons fait dans les exemples présentés. Une autre démarche, un peu plus compliquée, est d'accepter les semestres et d'arrondir à la hausse ou à la baisse en fonction de cette période de six mois. Puisque la formule produit des fourchettes et non des chiffres précis, il n'est pas nécessaire de calculer la durée des mariages de façon absolument précise. L'addition ou la soustraction d'une demi-année n'influera sans doute pas beaucoup ou pas du tout sur le résultat.

5.3.5 Application des formules principalement aux ordonnances initiales

Le principal rôle des formules prévues par ces lignes directrices facultatives consiste à établir des fourchettes pour les décisions initiales concernant les pensions alimentaires pour époux fondées sur le revenu (ou le revenu attribué) des époux à ce moment-là. Les ordonnances rendues d'après les lignes directrices facultatives sont, comme celles rendues en vertu du droit actuel, susceptibles d'être modifiées dans l'avenir s'il y a un changement dans les circonstances et peuvent aussi inclure des dispositions prévoyant leur révision[18]. La mesure dans laquelle les lignes directrices facultatives s'appliqueront aux modifications et aux révisions est abordée au chapitre 10.

La possibilité d'une modification ou d'une révision devrait être envisagée au moment d'évaluer le caractère approprié des résultats produits par la formule. Il ne faudrait pas présumer que les montants découlant de la formule demeureront les mêmes pendant toute la durée de l'ordonnance alimentaire. Le montant pourrait par exemple être modifié à la baisse à un certain moment si le revenu du bénéficiaire augmente ou si un revenu fictif lui est attribué.

Il en va de même pour la durée. Une ordonnance initiale pour une pension alimentaire illimitée d'après les lignes directrices facultatives, comme dans l'exemple 5.1, n'est pas nécessairement une ordonnance permanente. Le montant que reçoit Isabelle selon la formule pourrait être modifié à la baisse au fil du temps, et l'ordonnance pourrait également prendre fin si sa situation changeait de façon tellement radicale que son droit à une pension alimentaire s'éteignait. Dans les cas où la formule produit des limites de durée, comme en vertu du droit actuel, le changement de situation peut entraîner la réduction du montant et, dans certains cas, sa réduction à zéro ou sa cessation avant l'expiration de la limite de durée. À mesure que la durée d'un mariage augmente, il en va de même des limites de durée selon la formule, créant ainsi une plus forte possibilité que la pension alimentaire soit modifiée ou même qu'elle prenne fin avant l'expiration de la limite de durée prévue. Le droit actuel permet également la modification des ordonnances à durée déterminée en prolongeant le versement des pensions alimentaires pour époux au-delà de la limite de durée, sous réserve de l'exigence du par. 17(10) de la Loi sur le divorce, qui prévoit que si la demande est présentée après l'échéance de son terme, le changement de situation sur lequel la modification est fondée doit être lié au mariage.

5.3.6 La formule en tant que point de départ

Les résultats de la formule, soit les fourchettes qu'elle produit pour les montants et les durées, sont conçus pour être un point de départ utile pour l'établissement des pensions alimentaires pour époux. Nous explorons à présent ce que cela signifie, à savoir la manière d'utiliser les fourchettes, la façon de restructurer les résultats de la formule en faisant des ajustements entre le montant et la durée, ainsi que les cas où il sera approprié de s'écarter des résultats de la formule en reconnaissant qu'il s'agit d'une exception.

Toutefois, avant d'aborder ces questions, nous présentons d'autres exemples de l'application de la formule afin de fournir une base plus concrète en vue de l'analyse qui suit.

5.4 Exemples d'application concrète de la formule

5.4.1 Exemple d'un mariage de courte durée

Selon notre définition, les mariages de courte durée sont ceux de moins de cinq ans. Dans ces cas, la formule « sans pension alimentaire pour enfant » produit de très petits montants pour des périodes très courtes. La règle des 65, qui permet le versement de pensions alimentaires d'une durée illimitée aux époux plus âgés dans les mariages de moins de 20 ans, ne s'applique pas aux mariages de courte durée. En conséquence, la pension alimentaire aura toujours une durée limitée dans le cas des mariages de courte durée. La restructuration, décrite plus loin, peut être utilisée pour convertir une pension alimentaire en somme forfaitaire si les ressources sont disponibles. Les résultats de la formule sont compatibles avec le droit actuel selon lequel, à moins de circonstances exceptionnelles, les mariages courts engendrent des obligations alimentaires très restreintes, dans la mesure, bien entendu, où existe un droit à pension.

Exemple 5.2

Laurent et Diane ont été mariés pendant seulement quatre ans. Ils n'ont pas eu d'enfant. Diane était âgée de 25 ans et Laurent avait 30 ans lorsqu'ils se sont rencontrés. Au moment de leur mariage, Diane était une artiste dont le revenu annuel brut s'élevait à peine à 12 000 $; elle donnait des cours d'arts plastiques à des enfants. Laurent est professeur de musique et son revenu annuel brut atteint 60 000 $. Encouragée par Laurent, Diane a cessé de travailler pendant son mariage pour se consacrer à la peinture.

Le droit à une pension alimentaire est la question préliminaire à régler avant l'application des lignes directrices facultatives. À la lumière de ces faits, compte tenu de la disparité entre les revenus et du fait que Diane ne travaillait pas au moment de la rupture du mariage, le droit à une pension alimentaire sera vraisemblablement reconnu.

Les conditions pour une pension alimentaire illimitée ne s'appliquent pas et la limite de durée serait calculée sur la base de 0,5 à 1 an de pension alimentaire par année de mariage.

Pour calculer le montant de la pension alimentaire au moyen de la formule :

  • déterminer l'écart des revenus bruts entre les époux :

    60 000 $ - 0 = 60 000 $

  • déterminer le pourcentage applicable en multipliant la durée du mariage par 1,5 ou 2 :

    1,5 X 4 ans = 6 %
    ou
    2 X 4 ans = 8 %

  • appliquer le pourcentage pertinent à l'écart de revenus :

    6 % X 60 000 $ = 3 600 $ par année (300 $ par mois)
    ou
    8 % X 60 000 $ = 4 800 $ par année (400 $ par mois)

Durée de la pension alimentaire = (0,5 ou 1) X 4 années de mariage = de 2 à 4 ans.

Selon la formule « sans pension alimentaire pour enfant », le résultat est une pension alimentaire se situant entre 300 $ et 400 $ par mois pendant 2 à 4 ans.

En utilisant la restructuration, décrite ci-dessous, cette modeste pension alimentaire pourrait être convertie en une somme forfaitaire ou en une pension alimentaire périodique qui serait versée pendant une très courte période, une année par exemple.

5.4.2 Exemples de mariages de durée moyenne

Dans les mariages de durée moyenne (de 5 à 19 ans), la formule produit des montants qui augmentent à mesure que la durée du mariage se prolonge, allant de pourcentages relativement faibles à une extrémité du spectre à des montants relativement généreux après 15 ans de mariage, alors qu'il est possible que des pensions alimentaires atteignent 30 % de l'écart des revenus bruts. Sauf dans les cas où la « règle des 65 » s'applique, la formule prévoit des limites de durée qui varient en fonction de la durée du mariage. Les fourchettes de durées sont toutefois très étendues, autorisant largement la prise en compte des faits particuliers d'un cas donné.

Cette catégorie comprend un large éventail de cas mettant en jeu de nombreux objectifs de la pension alimentaire. C'est à l'égard de ces cas que le droit actuel est le plus incohérent; ils ont suscité les plus grands défis dans l'élaboration d'une formule unique qui produirait des résultats acceptables. Nous avons conclu que notre formule fondée sur la fusion au fil des années offrait le meilleur point de départ. Mais il est évident que c'est dans ces cas qu'il faudra recourir le plus souvent à la restructuration afin d'atténuer les résultats de la formule et où il y aura le plus grand nombre de recours à la notion d'exceptions.

Exemple 5.3

Gérard et Nicole sont mariés depuis dix ans. Ils se sont mariés à la fin de la vingtaine. Nicole a maintenant 38 ans. Gérard a un emploi de vendeur d'ordinateurs. Nicole est coiffeuse. Ils ont tous deux travaillé pendant leur mariage. Ils n'ont pas eu d'enfant. Le revenu annuel brut de Gérard s'élève à 65 000 $ et celui de Nicole à 25 000 $.

Le droit aux aliments est une question préalable qui doit être tranchée avant que les lignes directrices facultatives ne s'appliquent. Il serait possible de soutenir qu'il n'en y a pas dans ce cas : Nicole a un emploi à plein temps et pourrait subvenir à ses besoins, et il n'existe pas de fondement compensatoire pour assurer une pension alimentaire. Elle subira toutefois une baisse importante de son niveau de vie en conséquence de la rupture du mariage, de même qu'elle est susceptible d'avoir des difficultés économiques avec un salaire de 25 000 $. Le droit actuel accorderait à Nicole au moins une pension alimentaire transitoire non compensatoire pour lui permettre de s'adapter à un niveau de vie moins élevé.

Dans cet exemple, les conditions pour une pension alimentaire d'une durée illimitée ne sont pas réunies. Le mariage a duré moins de 20 ans et ne tombe pas sous le coup de la « règle des 65 » pour assurer une pension alimentaire illimitée parce l'âge de Nicole au moment de la séparation (38) plus les années de mariage (10) donnent seulement 48, ce qui est sous la barre des 65.

Pour calculer le montant de la pension alimentaire au moyen de la formule :

  • déterminer l'écart des revenus bruts entre les époux :

    65 000 $ - 25 000 $ = 40 000 $

  • déterminer le pourcentage applicable en multipliant la durée du mariage par 1,5 ou 2 :

    1,5 X 10 ans = 15 %
    ou
    X 10 ans = 20 %

  • appliquer le pourcentage pertinent à l'écart de revenus :

    15 % X 40 000 $ = 6 000 $ par année (500 $ par mois)
    ou
    20 % X 40 000 $ = 8 000 $ par année (667 $ par mois)

Durée de la pension alimentaire = (0,5 ou 1) X 10 années de mariage = de 5 à 10 ans.

Le résultat selon la formule est une pension alimentaire de 500 $ à 667 $ par mois pendant 5 à 10 ans.

En conformité avec le droit actuel, la formule produit essentiellement une pension alimentaire complémentaire modeste pendant une période transitoire pour aider Nicole à s'adapter à son nouveau niveau de vie.

Avec une pension alimentaire de 500 $ par mois, à l'extrémité inférieure de la fourchette, Nicole aurait un revenu annuel brut de 31 000 $ et Gérard un revenu annuel brut de 59 000 $. Avec une pension alimentaire de 667 $ par mois, au seuil supérieur de la fourchette, Nicole aurait un revenu annuel brut de 33 000 $ et Gérard, 57 000 $. Dans un mariage de cette durée, la formule n'égalise pas les revenus.

Certains pourraient trouver trop faible le montant produit selon la formule, même au seuil supérieur de la fourchette. Il serait possible de soutenir que, en conformité avec le droit actuel, toute ordonnance transitoire devrait donner à Nicole un niveau de vie qui se rapproche un peu plus du niveau de vie durant le mariage pendant une période transitoire. Comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, une telle restructuration du résultat de la formule est possible pour en arriver à des montants plus élevés sur une durée plus courte.

Si les faits étaient différents et que le mariage était plus court, soit seulement sept ans,la fourchette de pourcentages de l'écart des revenus bruts à partager serait ramenée à 10,5 et 14 %. La fourchette de durées aussi serait moindre. La formule produirait une pension alimentaire pour époux entre 350 $ et 467 $ par mois (ou 4 200 $ à 5 600 $ par an), pour une durée de 3,5 à 7 ans.

Exemple 5.4

Le mariage de Joseph et Monique a duré 12 ans. Il s'agissait d'un second mariage pour les deux. Joseph était âgé de 50 ans quand ils se sont rencontrés. C'est un homme d'affaires dont le revenu annuel brut s'élève à 100 000 $. Maintenant âgé de 62 ans, Joseph est en bonne santé, adore son travail et ne prévoit pas prendre sa retraite dans un avenir rapproché. Monique avait 45 ans lorsqu'ils se sont rencontrés; elle travaillait pour Joseph. Pendant son premier mariage qui a duré 20 ans, Monique est restée au foyer et a reçu une pension alimentaire pendant une durée déterminée. Au moment de leur rencontre, elle occupait un emploi administratif de bas niveau gagnant un revenu annuel brut de 20 000 $. Aujourd'hui âgée de 57 ans, Monique n'a pas occupé d'emploi pendant le mariage.

Le droit à une pension alimentaire est une question préalable qui doit être tranchée avant que les lignes directrices facultatives ne s'appliquent. Compte tenu de la durée du mariage et de l'absence totale de revenu pour Monique, le droit à une pension alimentaire pour des motifs non compensatoires ne devrait pas soulever d'objection.

Pour calculer le montant de la pension alimentaire au moyen de la formule :

  • déterminer l'écart des revenus bruts entre les époux :

    100 000 $ - 0 = 100 000 $

  • déterminer le pourcentage applicable en multipliant la durée du mariage par 1,5 ou 2 :

    1,5 X 12 ans = 18 %
    ou
    X 12 ans = 24 %

  • appliquer le pourcentage pertinent à l'écart de revenus :

    18 % X 100 000 $ = 18 000 $ par année (1 500 $ par mois)
    ou
    24 % X 100 000 $ = 24 000 $ par année (2 000 $ par mois)

La règle des 65 régirait la durée dans ce cas. L'âge de Monique au moment de la séparation (57) plus les années de mariage (12) donnant un total de 65 ou plus (69 dans les faits), la formule prévoit une pension alimentaire pendant une durée illimitée, plutôt qu'une fourchette de durées de 6 à 12 ans uniquement fondée sur la durée du mariage. Toutefois, il y aurait vraisemblablement une modification du montant au moment de la retraite de Joseph.

Le résultat selon la formule est une pension alimentaire de 1 500 $ à 2 000 $ par mois pour une durée indéfinie, sous réserve d'une modification et peut-être d'une révision.

La pension alimentaire prévue au seuil inférieur de la fourchette donnerait à Monique un revenu annuel brut de 18 000 $ et à Joseph, 72 000 $. Au seuil supérieur de la fourchette le revenu annuel de Monique serait de 24 000 $ et celui de Joseph, 66 000 $. Encore ici, en raison de la durée du mariage (12 ans), la formule ne produit pas un résultat qui se rapprocherait d'une égalisation des revenus.

Joseph tirant son revenu d'une entreprise, cette situation de fait soulèverait de nombreuses questions complexes concernant l'établissement de son revenu. Il est peu vraisemblable qu'un revenu serait attribué à Monique dans le cadre d'une ordonnance initiale de pension alimentaire, compte tenu de son âge et de sa longue période hors de la vie active. Un revenu pourrait lui être attribué à l'occasion d'une modification ou d'une révision ultérieure s'il est démontré que Monique peut gagner un revenu et qu'elle ne parvient pas comme il convient à subvenir à ses propres besoins. Si elle commençait à gagner un revenu plus tard, la pension alimentaire serait rajustée d'après les lignes directrices facultatives dans le cadre d'une demande de modification, comme on le verra au chapitre 10.

Imaginons maintenant que le mariage a été plus court et n'a duré que sept ans. Comme dans les faits de l'exemple original, Monique et Joseph sont respectivement âgés de 57 et 62 ans au moment de la séparation. Pour un mariage de sept ans, la fourchette de pourcentages de l'écart des revenus bruts se situe entre 10,5 et 14 %. La règle des 65 ne s'appliquerait plus à la détermination de la durée. Ainsi, selon la formule, la pension alimentaire pour époux se situerait entre 875 $ et 1 167 $ par mois (ou 10 500 $ à 14 000 $ par an), pour une durée de 3,5 à 7 ans. Dans ce cas, la restructuration pourrait être utilisée pour prolonger d'un an la durée maximale, jusqu'à ce que Monique atteigne l'âge de 65 ans et puisse alors recevoir des prestations de retraite.

5.4.3 Exemples de mariages de longue durée

Dans les cas de mariages de longue durée (20 ans ou plus), la formule produit de généreux niveaux de pension alimentaire pour époux pendant des périodes illimitées, reflétant la fusion relativement complète de la vie des époux. Les mariages de longue durée visés par la formule « sans pension alimentaire pour enfant » appartiennent à deux catégories : ceux où il y a eu des enfants qui ne sont plus à charge et ceux où il n'y a pas eu d'enfant.

La jurisprudence actuelle accorde de façon relativement constante des pensions alimentaires généreuses et illimitées dans les cas de mariages de longue durée traditionnels ou quasi-traditionnels avec enfants, conçues pour fournir à chacun des ex-époux un niveau de vie à peu près équivalent. Il faut cependant reconnaître que d'une région à l'autre du pays, tous n'ont pas la même compréhension de ce qui est généreux. Il est plus difficile de trouver un consensus sur les résultats appropriés dans le cas de longs mariages sans enfant ou de ceux dont les deux époux ont eu un emploi à plein temps, avec ou sans enfant. Les fourchettes selon la formule proposée ont été mises au point en sachant qu'elles devraient viser les cas de mariages de longue durée dans les deux catégories, où il existe une disparité importante entre les revenus mais sans possibilité d'une demande compensatoire claire.

L'exemple 5.1 présenté plus haut illustrait l'application de la formule à un mariage de longue durée avec enfants et dans lequel l'épouse gagnait un revenu secondaire. L'exemple 5.5 présenté ci-après contient le scénario familier d'un mariage traditionnel de très longue durée.

Exemple 5.5

Jean-François et Francine ont été mariés pendant 28 ans. Il s'agissait d'un mariage traditionnel dans lequel Jean-François a gravi les échelons professionnels et gagne maintenant un revenu brut de 100 000 $ par an, tandis que Francine est restée à la maison et a élevé leurs deux enfants, maintenant adultes et autonomes. Francine a 50 ans et est sans revenu. Jean-François est âgé de 55 ans.

Le droit à une pension alimentaire n'est pas remis en cause ici et les lignes directrices facultatives s'appliquent donc. Le mariage ayant duré plus de 25 ans, la fourchette maximum pour les montants s'applique, soit 37,5 à 50 % de l'écart des revenus bruts.

Pour calculer le montant de la pension alimentaire au moyen de la formule :

  • déterminer l'écart des revenus bruts entre les époux :

    100 000 $ - 0 = 100 000 $

  • le pourcentage maximum applicable se situe entre 37,5 et 50 % de l'écart des revenus bruts
  • appliquer le pourcentage pertinent à l'écart de revenus :

    37,5 % X 100 000 $ = 37 500 $ par année (3 125 $ par mois)
    ou
    50 % X 100 000 $ = 50 000 $ par année (4 167 $ par mois)

La durée de la pension alimentaire est illimitée parce que le mariage a duré plus de 20 ans.

Selon la formule, la fourchette des montants de pension alimentaire se situe entre 3 125 $ et 4 167 $ par mois pour une durée illimitée, sous réserve d'une modification ou d'une révision.

Une pension alimentaire de 3 125 $ par mois, à l'extrémité inférieure de la fourchette donnerait à Francine un revenu brut de 37 500 par an et à Jean-François, un revenu brut de 62 500 $. Si la pension alimentaire était de 4 167 $ par mois, à l'extrémité supérieure de la fourchette, le revenu annuel brut de chaque partie serait de 50 000 $. Dans ce cas, une pension alimentaire se situant à l'extrémité supérieure de la fourchette ne serait pas appropriée, compte tenu de la nécessité de reconnaître les frais que Jean-François doit engager pour gagner un revenu. Une pension alimentaire fondée sur 50 % de l'écart des revenus bruts donnerait dans les faits à Francine un revenu net plus élevé que celui de Jean-François.

Il ne convient pas d'attribuer un revenu à Francine dans l'ordonnance initiale, compte tenu de son absence prolongée de la vie active, particulièrement si l'ordonnance est rendue presque au moment de la séparation. Cependant, à un certain moment, dans le cadre d'une modification ou d'une révision, un revenu pourra lui être attribué et la pension alimentaire pour époux établie de nouveau si la preuve démontre qu'elle ne fait pas d'efforts raisonnables pour contribuer à sa subsistance. Comme nous le verrons plus en détail au chapitre 10, l'ordonnance pourrait également être modifiée au fil du temps en fonction de nombreux autres changements possibles dans la situation des parties, la plus probable étant la retraite de Jean-François.

L'exemple 5.6 présente un mariage de longue durée sans enfant.

Exemple 5.6

Richard est un professeur dont le revenu annuel brut atteint 75 000 $. Il est à la fin de la quarantaine. Sa femme, Micheline, a le même âge. Elle a fait des études pour enseigner la musique, mais a travaillé comme violoniste indépendante pendant la plus grande partie du mariage et son revenu brut actuel est de 15 000 $. Micheline était également responsable de l'organisation de leur vie sociale très active et de leurs longues vacances. Ils ont été mariés pendant 20 ans et n'ont pas eu d'enfant.

Le droit à une pension alimentaire semble facile à établir dans ce cas compte tenu de l'écart important entre les revenus des parties, du peu de revenu que tire Micheline de son travail et de la durée du mariage.

Pour calculer le montant de la pension alimentaire au moyen de la formule :

  • déterminer l'écart des revenus bruts entre les époux :

    75 000 $ - 15 000 $ = 60 000 $

  • déterminer le pourcentage applicable en multipliant les années de mariage par 1,5 ou 2 :

    1,5 X 20 ans = 30 %
    ou
    2 X 20 ans = 40 %

  • appliquer le pourcentage pertinent à l'écart de revenus :

    30 % X 60 000 $ = 18 000 $ par année (1 500 $ par mois)
    ou
    40 % X 60 000 $ = 24 000 $ par année (2 000 $ par mois)

La durée de la pension alimentaire est illimitée parce que le mariage a duré 20 ans.

Selon la formule, la fourchette des montants de pension alimentaire se situe entre 1 500 $ et 2 000 $ par mois pour une durée illimitée, sous réserve d'une modification ou d'une révision.

Une pension alimentaire au seuil inférieur de la fourchette donnerait à Micheline un revenu annuel brut de 33 000 $ et à Richard un de 57 000 $. Une pension alimentaire se situant au seuil supérieur de la fourchette donnerait à Micheline un revenu annuel brut de 39 000 $ et à Richard un revenu annuel brut de 51 000 $.

Micheline sera certainement obligée d'augmenter son revenu et de subvenir à ses propres besoins. Dans l'application de la formule, la question se posera de savoir si un revenu annuel brut de 30 000 $ devrait être attribué à Micheline aux fins d'établir la pension alimentaire initiale. Si c'était le cas, la pension alimentaire selon la formule serait ramenée à une fourchette de 1 125 $ à 1 500 $ par mois (ou 13 500 $ à 18 000 $ par an).

Il est très probable que Micheline bénéficiera d'un délai (par exemple, un ou deux ans) avant qu'on ne s'attende à ce qu'elle gagne un revenu de ce niveau, et qu'il y aura rajustement de la pension alimentaire, après révision de la situation.

5.5 Utilisation des fourchettes

La formule « sans pension alimentaire pour enfant » produit des fourchettes de montants et, si les conditions pour le versement pendant une durée illimitée n'existent pas, des fourchettes de durées aussi. Les fourchettes permettent aux parties et à leurs avocats, ou au tribunal, d'ajuster le montant et la durée pour répondre aux caractéristiques spécifiques de l'espèce d'après les facteurs et les objectifs que la Loi sur le divorce prévoit pour la pension alimentaire.

Dans cette section, nous pouvons souligner uniquement de façon très générale les types de facteurs qui pourraient être pris en compte pour la fixation de montants précis et de durées de versements et qui pourraient jouer en faveur d'une extrémité ou l'une autre des fourchettes. La plupart des facteurs pertinents seront les mêmes que ceux utilisés dans la jurisprudence où les tribunaux exercent leur pouvoir discrétionnaire, à la différence qu'ils s'appliqueront dans les limites créées par la formule. De même, tout comme dans le droit actuel, il n'y aura pas qu'un seul facteur déterminant et plusieurs facteurs pourront jouer un rôle dans une affaire donnée, avec parfois des orientations différentes.

En premier lieu, une demande clairement compensatoire peut être un facteur qui favorise l'octroi d'une pension alimentaire se situant à l'extrémité plus élevée des fourchettes, tant pour le montant que pour la durée. Un époux qui a subi un important désavantage financier découlant des rôles joués pendant le mariage et dont les demandes ont à la fois un fondement compensatoire et non compensatoire peut avoir une demande de pension alimentaire plus solide qu'un époux dont la situation financière ne découle pas des rôles assumés pendant le mariage et qui peut uniquement faire valoir une demande de pension alimentaire non compensatoire fondée sur la perte du niveau de vie dont il bénéficiait pendant le mariage. Dans les exemples 5.1 et 5.5 portant tous deux sur des mariages de longue durée dans lesquels un des époux avait sacrifié des possibilités d'emploi pour élever les enfants, le caractère clairement compensatoire de la demande de pension alimentaire pourrait faire pencher la balance en faveur d'une pension alimentaire à l'extrémité supérieure de la fourchette, contrairement à d'autres exemples dans lesquels il n'y avait pas d'enfant.

En deuxième lieu, dans un cas où le bénéficiaire a un revenu limité et/ou une capacité restreinte de gagner un revenu,en raison de l'âge ou d'autres circonstances, les besoins du bénéficiaire peuvent pousser la pension alimentaire vers l'extrémité supérieure des fourchettes de montants et de durées. À l'inverse, l'absence d'un besoin impérieux peut être un facteur qui joue en faveur du seuil inférieur de la fourchette. Dans l'exemple 5.4, où Monique est sans emploi à l'âge de 57 ans, ce facteur lié aux besoins pourrait favoriser une pension alimentaire se situant à l'extrémité supérieure de la fourchette. Par contre, dans l'exemple 5.3, dans lequel Nicole n'a que 38 ans et gagne 25 000 $ par an, le facteur « besoin » peut ne pas être aussi impérieux, invitant à considérer une pension alimentaire se situant vers le seuil inférieur de la fourchette. Dans l'exemple 5.1, l'absence de besoin impérieux chez Isabelle, compte tenu de son revenu annuel de 30 000 $, pourrait amener à fixer une pension alimentaire à l'extrémité inférieure de la fourchette, mais sa demande clairement compensatoire viendrait contrer cette situation.

En troisième lieu, la répartition des biens peut avoir une incidence lorsque la pension alimentaire se situe dans les fourchettes de montants et de durées. À titre d'exemple, l'absence de biens à partager pourrait favoriser une pension alimentaire se situant à l'extrémité supérieure de la fourchette, alors qu'un partage inégal en faveur d'un époux favoriserait une pension alimentaire à l'extrémité inférieure de la fourchette.

En quatrième lieu, les besoins et la capacité limitée de payer chez l'époux payeur peuvent inciter à fixer une pension alimentaire se situant à l'extrémité inférieure des fourchettes. Ces facteurs auront manifestement une importance particulière à l'extrémité inférieure, même au-dessus du « plancher » de 20 000 $. (Le plancher est décrit au chapitre 7.) Dans certains cas où le besoin de l'époux bénéficiaire est pressant, l'époux payeur peut aussi avoir de la difficulté à maintenir un niveau de vie modeste. Une situation où les dettes sont supérieures à l'actif et où l'époux payeur assume une part disproportionnée de ces dettes peut également faire baisser une pension alimentaire vers l'extrémité inférieure. Il sera souvent toutefois nécessaire d'aller au-delà de la formule pour répondre à une telle situation; les exceptions ci-dessous abordent plus en détail la question de l'impact des dettes. Comme nous l'avons déjà souligné, dans le cas des mariages de longue durée où l'époux bénéficiaire n'a pas eu d'emploi et est resté à la maison à plein temps, l'égalisation des revenus (l'extrémité la plus élevée de la fourchette) ne prend pas en considération les coûts de l'époux payeur liés au travail rémunéré (outre les déductions dont il peut jouir); une pension alimentaire moins élevée dans la fourchette serait nécessaire dans ce cas.

En cinquième lieu, les mesures d'incitation à l'autonomie peuvent prendre des orientations différentes. Comme cela se produit souvent en vertu du droit actuel, une pension alimentaire peut être établie à l'extrémité moins élevée des fourchettes afin d'inciter le bénéficiaire à faire de plus grands efforts pour atteindre son autonomie, bien que l'attribution d'un revenu soit également une mesure efficace à cet égard. Par ailleurs, la nécessité de favoriser l'autonomie pourrait mener à une pension alimentaire se situant à l'extrémité supérieure de la fourchette, si cela signifiait que l'époux bénéficiaire pouvait suivre de nouveau une formation ou des études menant à un emploi plus rémunérateur et à une pension alimentaire moins élevée à long terme.

Cette liste de facteurs n'est pas exhaustive, mais simplement une tentative visant à définir quelques-uns des facteurs les plus évidents qui pourraient avoir une incidence sur l'établissement du montant et de la durée à l'intérieur des fourchettes. Les fourchettes donnent également une marge de manœuvre afin de tenir compte des différences locales et régionales dans les pensions alimentaires octroyées, compte tenu que dans certaines parties du pays (en Ontario, notamment à Toronto) les pensions alimentaires sont plus élevées qu'ailleurs (les Maritimes, par exemple).

5.6 Restructuration

La formule « sans pension alimentaire pour enfant » produit des chiffres distincts pour le montant et la durée. Au chapitre 4, nous avons parlé du concept de restructuration qui permet de moduler le montant et la durée, dans la mesure où la valeur totale de la pension alimentaire restructurée reste à l'intérieur des montants globaux ou du total produit par la formule, lorsque le montant et la durée sont combinés. Un certain rajustement du montant par rapport à la durée aura lieu lorsque la durée et les montants précis seront déterminés à l'intérieur des limites des fourchettes. Cependant, dans certains cas, une pension alimentaire appropriée devra être rajustée au-delà des limites prévues par les fourchettes de la formule. La restructuration permet à la formule de continuer à servir d'outil pour guider les écarts par rapport aux fourchettes, car la valeur totale de la pension alimentaire demeure à l'intérieur des montants globaux établis par la formule. De cette manière, la restructuration est différente des exceptions, présentées ci-après, qui, elles, permettent véritablement de s'écarter des résultats proposés par la formule.

Comme nous l'avons souligné au chapitre 4, il y a au moins trois manières d'utiliser la restructuration :

  • octroyer d'emblée un montant plus élevé au-delà de la fourchette de la formule et raccourcir la durée;
  • allonger la durée au-delà de la fourchette de la formule et diminuer le montant de la pension alimentaire mensuelle;
  • fixer une somme forfaitaire combinant montant et durée.

Selon les lignes directrices facultatives, la restructuration sera principalement appliquée dans les cas régis par la formule « sans pension alimentaire pour enfant ». La diminution du montant en échange de l'allongement de la durée que comporte la restructuration exige que la pension alimentaire ait une durée fixe. En conséquence, il sera possible d'y recourir uniquement dans les cas où la formule produit des limites de durée plutôt qu'une pension alimentaire illimitée. Elle s'appliquera donc moins à la formule « avec pension alimentaire pour enfant », présentée au chapitre 6, selon laquelle la durée est souvent incertaine.

Lorsque nous mettions au point la formule « sans pension alimentaire pour enfant », nous avons constaté que des cas problèmes, dans lesquels les résultats de la formule semblaient au départ ne pas correspondre aux pratiques en vigueur, ont souvent trouvé une solution satisfaisante grâce à la restructuration. De la même manière, nous prévoyons que, dans la pratique, les nombreux cas dans lesquels le résultat de la formule semble de prime abord inapproprié seront résolus en rajustant le montant et la durée. Les pensions alimentaires demeureront ainsi compatibles avec les montants globaux ou totaux produits par la formule.

La restructuration implique inévitablement une certaine part de supposition pour déterminer les équivalences entre les pensions alimentaires restructurées et les résultats des formules. Mais il s'agit là d'une façon de faire que les avocats en droit de la famille connaissent déjà bien dans le cas des négociations en vue d'un règlement à l'amiable. La restructuration par paiement d'une somme forfaitaire ou l'augmentation du montant au-delà des montants prévus par la formule suppose, bien entendu, que le payeur a la capacité de payer.

Nous présentons maintenant quelques exemples des différentes manières d'utiliser la restructuration. Nous avons utilisé des calculs très simples qui ne tiennent pas compte de la valeur temporelle de l'argent, des divers aléas futurs qui pourraient avoir une incidence sur la valeur des pensions alimentaires versées pendant une longue période, ni des conséquences fiscales de différentes pensions alimentaires. Nous avons supposé que la troisième manière d'utiliser la restructuration, soit la conversion d'une ordonnance périodique en somme forfaitaire dans le cas d'un mariage court, est connue et simple. Nous n'avons donc pas fourni d'exemple précis. Son utilisation est suggérée dans l'exemple 5.2.

Le premier exemple consiste en l'octroi d'emblée d'un montant plus élevé au-delà de la fourchette de la formule. Il est possible d'obtenir ce résultat en choisissant une limite de durée à l'extrémité la plus courte de la fourchette ou même au-dessous. L'octroi d'un montant d'emblée plus élevé que ce que prévoit la fourchette peut convenir dans le cas de mariages plus courts à l'égard desquels les montants périodiques issus de la formule sont relativement modestes. La restructuration permettrait d'établir une pension alimentaire transitoire généreuse, mais de durée relativement courte. Dans la pratique actuelle, les pensions alimentaires pour époux dans de telles situations sont influencées par l'idée d'atteindre une rupture assez rapide des liens entre les parties pour leur permettre d'aller de l'avant. L'octroi d'un montant d'emblée plus élevé peut aussi être souhaitable si l'époux bénéficiaire a besoin d'un important montant de pension pendant une courte période en vue d'entreprendre un programme de formation ou d'études pour gagner un revenu plus élevé.

Exemple 5.7

Nous reprenons ici le cas de Gérard et de Nicole de l'exemple 5.3 qui ont été mariés pendant dix ans et n'ont pas eu d'enfant. Ils sont tous deux à la fin de la trentaine et employés à plein temps. Le revenu annuel brut de Gérard s'élève à 65 000 $ (il vend des ordinateurs) et Nicole gagne 25 000 $ comme coiffeuse.

Selon la formule « sans pension alimentaire pour enfant », un mariage de dix ans donne lieu à une fourchette de montants se situant entre 15 et 20 % de l'écart des revenus bruts. La formule donnerait une pension alimentaire pour époux se situant entre 500 $ et 667 $ par mois (ou 6 000 $ à 8 000 $ par an) pendant une période de cinq à dix ans.

Compte tenu de l'âge des parties, de leur situation d'emploi et de la durée de leur mariage, la pension alimentaire appropriée dans ce cas serait vraisemblablement une pension alimentaire permettant aux parties de couper les liens relativement vite. Les mensualités que produit la formule pourraient également sembler modestes quand on les compare à celles de la pratique actuelle. Il serait possible de répondre à ces deux préoccupations en offrant une pension alimentaire transitoire plus importante que ne le permet la formule, par exemple 1 300 $ par mois (ce qui représente environ 39 % de l'écart des revenus) pendant seulement trois ans, plutôt que pendant la durée minimale de cinq ans dictée par la formule.

En recourant à la restructuration, il est nécessaire de calculer les montants globaux ou totaux que donne la formule lorsque le montant et la durée sont combinés. Dans ce cas-ci, le montant de pension alimentaire le plus faible selon la formule et la pension alimentaire la plus élevée s'établissent comme suit :

  • 500 $ par mois pendant 5 ans (500 $ X 60 mois) = 30 000 $
  • 667 $ par mois pendant 10 ans (667 $ X 120 mois) = 80 040 $.

La pension alimentaire proposée de 1 300 $ par mois pendant trois ans, dont la valeur totale s'élève à 46 800 $, serait possible en application du mécanisme de la restructuration, dans la mesure où elle se situe effectivement à l'intérieur des résultats globaux produits par la formule, même si elle se situe en dehors des fourchettes spécifiques de montants et de durées.

Bien que cet exemple utilise un montant mensuel fixe pour la durée de la pension alimentaire restructurée, il serait également possible d'utiliser la restructuration dans le cas de pensions alimentaires dégressives, à condition que le montant total de la pension alimentaire se situe dans les limites de la fourchette, selon la formule. Dans l'exemple ci-dessus, la restructuration permettrait de fixer une pension alimentaire mensuelle de 1 500 $ pour la première année, de 1 000 $ pour la deuxième année et de 750 $ pour la troisième année. La valeur totale de la pension alimentaire, soit 39 000 $, se situe à l'intérieur des montants globaux calculés selon la formule.

Le deuxième exemple illustre l'application du mécanisme de la restructuration lorsqu'il s'agit d'allonger la durée au-delà de la fourchette de la formule en réduisant le montant. Selon la période d'allongement de durée souhaitée, le montant peut être réduit en le choisissant dans l'extrémité inférieure de la fourchette de la formule ou en fixant un montant au-dessous de celle-ci. Cette manière d'utiliser la restructuration peut être souhaitable dans le cas de mariages de durée moyenne dans lesquels l'époux bénéficiaire aura des besoins à long terme et serait mieux servi par des suppléments de revenu modestes mais pendant une longue période, que par des versements plus généreux mais pendant la plus brève durée proposée par la formule.

Exemple 5.8

Mario et Ginette ont été mariés 15 ans et n'ont pas eu d'enfant. Ils sont tous deux âgés de 45 ans. Ginette enseigne l'éducation physique et gagne un revenu brut de 70 000 $ par an. Mario a eu un emploi d'entraîneur pendant les premières années de leur mariage, mais a dû s'arrêter en raison d'une maladie débilitante. Il reçoit maintenant des prestations d'invalidité du RPC qui s'élèvent à 10 000 $ par an.

Dans le cas d'un mariage de 15 ans, la formule prévoit une fourchette de montants entre 22,5 et 30 % de l'écart des revenus bruts. La formule produit comme résultat une fourchette de pension alimentaire pour époux de 1 125 $ à 1 500 $ par mois (ou 13 500 $ à 18 000 $ par an), pour une durée allant de 7,5 à 15 ans.

Une pension alimentaire versée pendant 15 ans prendrait fin lorsque Mario atteindrait l'âge de 60 ans. La solution souhaitable dans ce cas-ci pourrait être d'assurer un soutien à Mario jusqu'à l'âge de 65 ans, lorsqu'il commencera à recevoir des prestations de retraite. Une restructuration permettrait une telle solution.

Les montants globaux de la fourchette de la formule se situent entre 101 250 $ et 270 000 $ calculés comme suit :

  • 1 125 $ par mois pendant 7,5 ans (1 125 $ X 90 mois) = 101 250 $
  • 1 500 $ par mois pendant 15 ans) (1 500 $ X 180 mois) = 270 000 $.

En raison des besoins de Mario et de la durée du mariage, la pension alimentaire se situerait probablement au seuil supérieur tant de la fourchette de montant que de celle de la durée.

En recourant à la restructuration, la pension alimentaire pourrait être allongée à 20 ans jusqu'à ce que Mario atteigne 65 ans, si le montant était établi à l'extrémité inférieure de la fourchette, soit 1 125 $ par mois. Dans ce cas, le montant total de la pension alimentaire (1 125 $ par mois pendant 240 mois) serait équivalent au montant global maximum prévu par la formule, soit 270 000 $.

De même, si Mario et Ginette avaient chacun cinq ans de moins et qu'une pension alimentaire de 25 ans était nécessaire jusqu'à ce que Mario ait atteint l'âge de 65 ans, le montant pourrait être réduit à 900 $ par mois (ou 18 % de l'écart des revenus bruts), puisque la valeur totale de la pension alimentaire (900 $ X 300 mois = 270 000 $) équivaudrait encore ici au montant global maximum prévu par la formule.

Bien que cet exemple allonge la durée sur une période déterminée, il serait peut-être aussi possible d'utiliser la restructuration pour allonger la durée indéfiniment, tout en reconnaissant que la valeur totale d'une pension alimentaire illimitée ne peut être calculée avec précision. Essayer de déterminer jusqu'où le montant de la pension alimentaire de durée illimitée doit baisser pour atteindre globalement une valeur équivalente à celle produite par la formule devra inévitablement se faire avec un peu de flair.

5.7 Exceptions

Les formules sont destinées à produire des résultats appropriés dans la majorité des cas où il n'y a pas d'enfant à charge. Elles ont été conçues pour couvrir un large éventail de cas courants. Il y aura cependant des cas inhabituels ou qui sortent de l'ordinaire, à l'égard desquels les formules produiront des résultats incompatibles avec les facteurs et les objectifs des ordonnances alimentaires prévus dans la Loi sur le divorce. La seule manière d'obtenir des résultats appropriés consistera alors à s'écarter des formules.

Dans le contexte des lignes directrices facultatives, le mot exceptions renvoie aux possibilités d'écart par rapport aux résultats qui se situent dans les fourchettes de montants et de durée des pensions alimentaires pour époux prévues par les formules. Les exceptions représentent la dernière étape de l'établissement d'une pension alimentaire dans les cas visés par la formule « sans pension alimentaire pour enfant ». Cette formule offre deux autres possibilités, abordées plus haut, permettant de modeler les pensions alimentaires afin de répondre aux conditions précises de cas individuels. Premièrement, les fourchettes de montants et de durées laissent une grande marge de manœuvre pour un rajustement de la pension alimentaire en regard des faits particuliers d'une affaire donnée. Deuxièmement, le mécanisme de la restructuration offre un moyen supplémentaire d'augmenter le montant et la durée au-delà des fourchettes de la formule ou de les diminuer en deçà de celles-ci. Les exceptions ne devraient être invoquées que lorsqu'aucun de ces deux moyens ne peut apporter une solution satisfaisante au regard des faits inhabituels d'un cas particulier.

Comme nous l'avons souligné tout au long de ce document, ces lignes directrices facultatives sont non officielles et non contraignantes. En principe, il est possible d'ignorer les résultats des formules chaque fois qu'ils sont jugés inappropriés. La possibilité de s'écarter des résultats produits par les formules aurait fort bien pu être laissée à l'évaluation au cas par cas, sans qu'il soit nécessaire d'élaborer des catégories spécifiques d'exceptions. À notre avis cependant, il était important, pour maintenir l'intégrité des lignes directrices facultatives, que nous proposions de définir et de dresser une liste d'exceptions. Seuls les avantages systémiques de la cohérence, de la prévisibilité et de l'équité inciteront les personnes impliquées à utiliser les fourchettes des formules (modifiées par le mécanisme de la restructuration). Avec le souci de préserver les principes de cohérence et de prévisibilité, nous avons donc décidé que des exceptions devaient être énoncées, permettant ainsi de baliser les possibilités de s'éloigner du résultat produit par les formules.

Nous admettons d'emblée que toute liste d'exceptions détaillée, quelle qu'elle soit, ne pourra jamais être exhaustive. Il y aura toujours des situations de fait uniques et inhabituelles dans les cas de pensions alimentaires pour époux, comme en droit de la famille en général. Nous ne pouvons même pas créer de catégories pour ces cas. Mais il existe des catégories bien connues de cas épineux qui surviennent assez régulièrement pour qu'une exception puisse à la fois en reconnaître l'existence et offrir certaines orientations en vue de leur solution. Conformément aux principes juridiques traditionnels, le fardeau de la preuve devrait incomber à l'époux qui entend bénéficier de l'une de ces exceptions.

Les exceptions énumérées et présentées ci-dessous sont sans surprise. Il est par contre plus probable que les situations de fait omises de la liste susciteront des commentaires. Les exceptions seront sans aucun doute traitées plus en profondeur lors des prochaines phases de discussions.

Nous nous concentrons ici sur la manière dont ces exceptions s'appliqueront dans les cas sans enfant à charge. Leur application dans les cas où il y a des enfants à charge est abordée au chapitre 6, qui porte sur la formule « avec enfant à charge ».

5.7.1 Exception compensatoire

Le concept de fusion au fil des années, comme nous l'avons expliqué plus haut, inclut à la fois des éléments compensatoires et non compensatoires. Dans les mariages de plus longue durée, plus particulièrement dans les mariages « traditionnels » dans lesquels un époux a peu ou pas de revenu, la formule « sans pension alimentaire pour enfant » produit des fourchettes de pourcentages élevés pour le partage de l'écart des revenus bruts. Dans ces mariages plus longs, en reconnaissant qu'il existe une base solide pour des demandes non compensatoires en regard du niveau de vie conjugal, les montants de la formule reconnaîtront également qu'il peut exister un fondement compensatoire aux demandes visant à prendre en compte toute perte de capacité de gagner un revenu ou toute répercussion néfaste sur la carrière.

Pour les mariages de courte ou de moyenne durée, cependant, la formule « sans pension alimentaire pour enfant » produit des montants de pension alimentaire moins élevés, reflétant la moins grande importance des considérations compensatoires, surtout que la plupart de ces mariages seront des mariages sans enfant. L'aspect transitoire de la pension alimentaire non compensatoire sera plus important dans ces mariages de courte et de moyenne durée, la transition étant plus longue ou plus courte en fonction des attentes et de la dépendance qui découlent de la durée du mariage.

Mais, certains mariages de courte ou de moyenne durée peuvent comporter des demandes compensatoires élevées, disproportionnées en regard de la durée du mariage, même lorsqu'il n'y a pas d'enfant. Ces demandes compensatoires peuvent être liées à une perte économique ou viser une demande en restitution pour un avantage économique conféré. Certains exemples nous viennent à l'esprit :

  • un époux est muté dans le cadre de son emploi, à une ou à plusieurs reprises, forçant l'autre époux à abandonner son emploi et à gagner un revenu secondaire;
  • un époux déménage à l'autre bout du pays pour se marier, abandonnant ainsi son travail ou son entreprise pour ce faire;
  • un époux travaille pour financer les études postsecondaires ou professionnelles de l'autre, mais le couple se sépare peu après l'obtention du diplôme, comme dans l'affaire Caratun c. Caratun[19], avant que l'époux pourvoyeur ait pu profiter des avantages de la capacité accrue de gagner un revenu de l'autre époux.

Il pourrait sans aucun doute y avoir d'autres exemples.

Si un époux demandeur peut prouver le bien-fondé d'une telle demande compensatoire disproportionnée, cette « exception » permettrait alors l'établissement particularisé d'un montant de pension alimentaire pour époux, fondé sur l'importance et la nature de cette demande. La formule sera de peu d'utilité ici.

Les principes de la compensation énoncés dans l'arrêt Moge, et confirmés dans l'arrêt Bracklow, continuent à évoluer avec la jurisprudence. Ainsi, la portée précise de cette « exception » pourra refléter cette évolution.

5.7.2 Maladie et invalidité

La formule peut répondre à de nombreux cas de maladie ou d'invalidité. Le besoin d'une pension alimentaire à long terme ou illimitée pour le bénéficiaire constituera souvent la question centrale dans de tels cas. Selon la formule « sans pension alimentaire pour enfant », la pension alimentaire illimitée est possible après 20 ans de mariage ou en s'appuyant sur la règle des 65. De plus, dans la plupart des mariages de moyenne à longue durée, les fourchettes de durées et de montants offrent une marge de manœuvre importante pour répondre adéquatement aux besoins d'un époux malade ou invalide.

Dans certains mariages de moyenne à longue durée, à l'égard desquels la formule impose des limites de durée, il peut être judicieux de recourir au mécanisme de restructuration. Selon celui-ci, le montant mensuel pourrait être réduit et la durée prolongée au-delà du maximum, notamment lorsque la pension alimentaire pour époux permet de faire le pont jusqu'à la retraite, alors que s'ouvre le droit du bénéficiaire aux prestations de retraite et de vieillesse. Pour être efficaces, les montants de la pension alimentaire calculés selon l'écart des revenus bruts devraient être suffisamment importants pour que le montant mensuel réduit de la pension alimentaire soit raisonnable. L'exemple 5.8, le cas de Ginette et de Mario, où Mario souffre d'une maladie chronique à la fin de leur mariage de 15 ans, montre comment la restructuration peut répondre aux besoins d'un époux malade ou invalide.

Il y aura des cas où aucun des résultats de la formule ne pourra répondre adéquatement aux besoins d'un époux bénéficiaire malade ou invalide et où il sera nécessaire de s'écarter de la formule. En règle générale, il s'agira de cas où le bénéficiaire est plus jeune, de mariages plus courts ou de situations où le revenu du payeur est modeste. Dans le cadre d'une telle exception, nous croyons qu'il devrait être possible d'allonger la limite de durée maximum, tout en maintenant le montant à l'intérieur de la fourchette, plus précisément à l'extrémité inférieure de la fourchette ou proche de celle-ci. Nous préférons cette solution pour les cas exceptionnels de maladie ou d'invalidité, compte tenu du fait que le montant de la pension alimentaire demeurerait néanmoins à l'intérieur des fourchettes de la formule.

Pour illustrer ceci, modifions quelque peu les faits de l'exemple 5.3, le cas de Gérard et de Nicole.

Exemple 5.9

Gérard et Nicole ont été mariés pendant dix ans. Nicole a maintenant 38 ans et Gérard gagne 65 000 $. Ils n'ont pas eu d'enfant. Supposons que Nicole a travaillé comme coiffeuse, gagnant 25 000 $ par an, mais qu'elle est tombée malade et devenue incapable de travailler vers la fin du mariage, sans perspective d'amélioration de son état. Elle reçoit maintenant 10 000 $ par an en prestations d'invalidité du RPC.

Selon la formule « sans pension alimentaire pour enfant », les pourcentages applicables au titre du montant après dix ans de mariage seraient toujours 15 à 20 %, mais s'appliqueraient maintenant à un écart des revenus bruts de 55 000 $. La pension alimentaire pour époux calculée selon la formule se situerait entre 687 $ et 917 $ par mois (ou 8 250 $ à 11 000 $ par an) pour une durée de cinq à dix ans.

En bénéficiant de la durée maximum, Nicole recevrait la pension alimentaire pour époux uniquement jusqu'à l'âge de 48 ans. Imaginons que Nicole souhaite recevoir une pension alimentaire jusqu'à l'âge de 60 ans, soit 12 années supplémentaires pour une durée totale de 22 ans.

La restructuration suivante pourrait être tentée : le montant global maximum s'élèverait à 110 000 $ (917 $ par mois pendant dix ans). S'il est étalé sur 22 ans (et sans tenir compte de l'actualisation du montant), il pourrait produire une somme annuelle de 5 000 $ (ou 417 $ par mois).

Puisque Nicole aurait sans aucun doute besoin de plus de 5 000 $ par année, elle pourrait soutenir qu'elle tombe sous le coup de l'exception pour maladie et invalidité. Notre solution privilégiée, si la demande de pension alimentaire de Nicole au-delà de ce que prévoit la formule est jugée impérative, serait d'allonger la durée de la pension alimentaire jusqu'à l'âge de 60 ans comme Nicole le demande, mais pour un montant se situant à l'extrémité inférieure de la fourchette, soit 687 $ par mois ou 8 250 $ par an.

Cependant, ce cas ne serait pas nécessairement considéré comme une exception pour maladie et invalidité. En vertu du droit actuel, la pension alimentaire illimitée que demande Nicole pourrait ne pas être acceptée et les résultats de la formule, sous réserve d'une restructuration, pourraient être jugés appropriés. Dans l'affaire Bracklow par exemple, où une demande de pension alimentaire a été faite par un époux invalide dans des circonstances assez semblables à celles-ci, le résultat final a été conforme à notre formule, sans qu'il y ait une demande d'exception.[20]

Dans l'affaire Bracklow, la relation avait duré sept ans. Au moment du premier procès, M. Bracklow gagnait un revenu brut de 44 000 $ par an et le revenu que Mme Bracklow tirait des prestations du RPC s'élevait à 787 $ par mois, ou environ 9 500 $ par an. Le résultat final, en prenant en compte la pension alimentaire provisoire versée, a été une ordonnance à durée limite de 440 $ par mois pendant un peu plus de sept ans. Notre formule donne un résultat semblable : après un mariage de sept ans, la fourchette de pension alimentaire représente de 10,5 à 14 % de l'écart des revenus bruts, soit 34 500 $ dans ce cas-ci. La fourchette de montants de la pension alimentaire se situerait donc entre 301 $ et 402 $ par mois (ou 3 623 $ à 4 830 $ par an) pour une durée de 3,5 à 7 ans. Les résultats de notre formule pourraient également être adéquats dans le cas de Gérard et de Nicole.

Ce que nous proposons ici constitue une exception restreinte pour les cas de maladie et d'invalidité, puisque les tribunaux considèrent souvent ces cas comme exceptionnels. Certains pourraient proposer d'ajouter une exception similaire fondée sur l'âge pour les époux bénéficiaires plus âgés. À notre avis, la formule « sans pension alimentaire pour enfant » offre suffisamment de latitude pour répondre aux préoccupations fondées sur l'âge. L'âge du bénéficiaire constituera un facteur pour fixer le montant et la durée à l'intérieur des fourchettes et il y a également la règle des 65 pour les pensions alimentaires illimitées. D'autres voudront même élargir cette exception au-delà des scénarios de maladie et d'invalidité, à quelque chose qui ressemble plus à une exception fondée sur une obligation sociale fondamentale permettant de répondre aux besoins de base, quels qu'ils soient, au-delà de tout montant calculé en vertu des formules. Nous sommes d'avis que compte tenu de son ampleur, la reconnaissance d'une telle obligation sociale fondamentale minerait l'intégrité et la cohérence de toute formule ou ligne directrice facultative.

5.7.3 Paiement des dettes

L'existence de dettes matrimoniales n'a pas nécessairement de répercussion sur les pensions alimentaires pour époux. Les dettes sont souvent prises en compte de façon suffisante lors du partage des biens, en réduisant le montant partageable. Toutefois, lorsqu'un couple dispose d'une valeur nette négative (c.-à-d. que le passif est supérieur à l'actif), l'attribution du paiement des dettes peut avoir un effet considérable sur la capacité de payer. Si le payeur est tenu de payer une part disproportionnée des dettes, il est possible que les montants de pension alimentaire calculés selon la formule doivent être quelque peu réduits. La réduction pourrait ne s'appliquer qu'à une période précise, en fonction du solde à payer. À la fin de cette période, la pension alimentaire pourrait être automatiquement ramenée à l'intérieur de la fourchette ou, dans certains cas, un examen de la situation pourrait être ordonné à ce moment-là. Mais si l'actif est supérieur aux dettes, il y a peu de raisons d'y voir une exception fondée sur les dettes, étant donné que la partie responsable des dettes aura généralement le capital nécessaire ou d'autres éléments d'actif suffisants.

Nous avons examiné, puis rejeté, la possibilité de prévoir des exceptions plus larges ou supplémentaires fondées sur la répartition des biens. Certains ont proposé que l'octroi important de biens soit un cas d'exception, qu'il résulte du partage d'un ensemble important de biens ou d'un partage inégal des biens en faveur du bénéficiaire. À cet égard, les biens et la pension alimentaire sont des mesures de redressement financier interchangeables. Ainsi, l'octroi important de biens peut justifier une pension alimentaire pour époux moins élevée, particulièrement dans le cas de règlements négociés. Bien que ce point de vue trouve effectivement un certain écho dans la jurisprudence, cela est vrai également du principe, plus fondamental encore, selon lequel le partage des biens et l'octroi des pensions alimentaires sont régis par des principes juridiques distincts et servent des fins différentes, faisant en sorte que l'octroi important de biens ne devrait pas en soi dicter une réduction significative du montant de la pension alimentaire pour époux. Qui plus est, le partage des biens est une question qui relève de la compétence des provinces et des territoires, alors que la pension alimentaire pour époux relève de la Loi sur le divorce, qui est une loi fédérale. La reconnaissance explicite d'une exception en raison de l'attribution importante de biens viendrait, selon nous, consacrer une approche pourtant contestée.

Les lignes directrices facultatives peuvent déjà répondre à quelques-unes des préoccupations relatives à la présence d'actifs. Premièrement, on attend de chaque époux qu'il tire un revenu raisonnable de ces éléments d'actif, de même qu'un revenu peut être attribué fictivement à un époux qui omet de le faire. Le revenu attribué aura une incidence sur l'application de la formule. Deuxièmement, comme nous l'avons mentionné plus haut, la présence de biens peut constituer, dans certains cas, l'élément qui permettra de régler la question de savoir si une pension alimentaire doit se situer à l'extrémité supérieure ou inférieure des fourchettes de montants et de durées, que ce soit dans des cas d'absence de biens à partager, d'un partage inégal en faveur d'un époux ou de paiements d'égalisation continus. Troisièmement, les cas dans lesquels il y a beaucoup de biens sont généralement ceux où les revenus sont importants et où entrent en jeu les plafonds au-delà desquels la formule ne s'applique plus nécessairement (voir le chapitre 7).

Un dernier point concernant les biens : les présentes lignes directrices facultatives sur le montant et la durée ne modifient pas le droit énoncé dans l'arrêt Boston c. Boston[21], régissant la question de la double ponction, principalement en regard des régimes de retraite. Cette approche jurisprudentielle qui prévoit une limitation possible du montant de la pension alimentaire demeure inchangée, dans la mesure où une partie des revenus pourrait effectivement être exclue de la formule dès lors qu'elle a déjà fait l'objet d'une certaine répartition dans le cadre du partage des biens.

5.7.4 Obligations alimentaires antérieures

L'obligation de verser une pension alimentaire à un ex-époux ou à des enfants issus d'une relation antérieure aura une incidence sur la pension alimentaire à verser à un époux ultérieur. En règle générale, les tribunaux ont adopté la démarche selon laquelle la première famille est servie en premier, sous réserve d'une exception très restreinte pour les payeurs qui gagnent un revenu peu élevé. Selon la jurisprudence actuelle, les tribunaux établissent le montant de la pension alimentaire au profit d'un deuxième époux en prenant en compte les obligations alimentaires antérieures ainsi que le budget du payeur.

L'introduction d'une méthode de partage des revenus pour fixer la pension alimentaire pour époux dans le cadre d'une formule nécessitera la mise en place d'une exception expresse en regard d'obligations alimentaires antérieures. L'exception pourrait s'appliquer soit à l'époux payeur, soit à l'époux bénéficiaire, bien que la question surgisse surtout à l'égard des payeurs. Le plus souvent, l'obligation alimentaire antérieure vise une pension alimentaire pour enfant, mais la pension alimentaire pour époux peut aussi être visée après un long premier mariage et un deuxième mariage de plus courte durée.

Dans les cas d'obligations alimentaires antérieures, le revenu brut d'un époux devra être rajusté pour tenir compte de ces obligations, avant de calculer l'écart des revenus bruts et d'appliquer les fourchettes de pourcentages à cet écart. Le rajustement d'une obligation alimentaire antérieure envers un époux est simple, puisque les pensions alimentaires pour époux se fondent sur les revenus « bruts » ou avant impôt : il suffit de déduire le montant de la pension alimentaire pour époux du revenu brut de l'époux, afin d'établir son revenu brut. Dans le cas d'une obligation de pensions alimentaires pour enfant, le calcul est un peu plus compliqué, puisque les pensions alimentaires pour enfant se fondent sur le revenu « net » ou après impôt : premièrement, il faut augmenter le montant de la pension alimentaire pour enfant pour qu'il reflète le taux marginal d'imposition du payeur à l'égard du montant payé et ensuite déduire du revenu brut de l'époux le montant ainsi augmenté.

La déduction de cette obligation alimentaire antérieure a pour effet de réduire le revenu brut de l'époux touché. En règle générale, dans le cas de l'époux payeur, celui-ci aura donc un revenu moins élevé, l'importance de l'écart des revenus bruts sera réduite et le montant de pension alimentaire pour le deuxième époux sera donc moindre.

5.7.5 Pensions provisoires

Lorsqu'il y existe des circonstances financières difficiles à l'étape provisoire, des exceptions peuvent être faites, comme l'explique le chapitre 8.

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