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Traitement par la justice pénale des homicides commis par un partenaire intime par opposition aux autres types d’homicides
- 3.0 L'étude
- 3.1 L’homicide en tant que type de crime de violence
3.0 L’ÉTUDE
Notre étude se fonde sur les recherches menées par Dawson (2004)
et examine l’issue des affaires d’homicides survenues à Toronto, en Ontario,
entre 1997 et 2002. Le fait de disposer de données plus récentes
nous a permis d’examiner les tendances qui se dégagent des décisions
judiciaires concernant un type de crime de violence pendant une période
de près de trois décennies (de 1974 à 2002). Notre objectif
premier était de vérifier si les homicides commis par un partenaire
intime recevaient un traitement différent de celui réservé
aux autres types d’homicides et, le cas échéant, si ce traitement
avait changé au fil des ans. Il s’agit là de questions importantes,
car la façon dont les tribunaux du Canada et d’autres pays développés
réagissent à la violence entre partenaires intimes suscite, depuis
plusieurs décennies, de nombreux débats. Dans la partie qui suit,
nous présentons les avantages qu’il y a à prendre l’homicide comme
unité d’analyse dans le cadre d’une étude sur la justice pénale
et la violence.
3.1 L’homicide en tant que type de crime de violence
On a critiqué le choix de l’homicide comme unité d’analyse, soulignant
que ce dernier constituait une catégorie de crimes trop restreinte qui
excluait de nombreuses infractions avec violence étroitement liées
à l’homicide (les voies de fait, par exemple) (voir Simon, 1996b). Toutefois,
ce choix comporte un certain nombre d’avantages, notamment et en premier lieu
le fait que les cas non signalés sont apparemment moins courants
lorsqu’il s’agit d’homicide que dans tous les autres cas de crime de violence.
Par exemple, la majorité des criminologues soutiennent qu’il y a, dans
l’application du droit pénal, un phénomène d’« entonnoir »
en ce qui a trait aux crimes (Gomme, 1998). Selon cette théorie, tous
les crimes peuvent, virtuellement, être connus, mais la plupart ne sont
pas recensés et échappent aux statistiques officielles. Le
nombre de crimes commis est donc beaucoup plus élevé que le nombre
d’affaires criminelles donnant lieu à l’imposition d’une peine (Roberts
et Cole, 1999). Cet état de fait peut s’expliquer par plusieurs raisons,
l’une d’entre elles (mais non la moindre) étant que les victimes et les
témoins omettent souvent de signaler les crimes aux autorités
concernées. Par conséquent, les responsables de la justice pénale
ne prennent connaissance que d’un faible nombre de crimes. Parmi ceux qui sont
signalés, la majorité ne donnent pas lieu à des poursuites
en raison du phénomène d’entonnoir qui se produit à diverses
étapes du processus pénal. Par exemple, certaines données
canadiennes indiquent qu’entre 2 % et 5 % des crimes signalés
entraînent une condamnation et, partant, l’imposition d’une peine (Dutton,
1988; Roberts et Cole, 1999).
Les statistiques officielles sur les homicides sont cependant considérées,
en règle générale, comme un indicateur raisonnablement
fiable du nombre réel de meurtres (au sens courant) commis au cours d’une
année ainsi que des caractéristiques de leurs auteurs. Cela est
notamment dû au fait que, comme nous l’avons mentionné ci-dessus,
la plupart des homicides sont signalés à la police, ce qui réduit
au minimum les risques de biais liés au non-signalement. De plus, comparativement
à d’autres crimes signalés, les homicides font généralement
l’objet d’enquêtes particulièrement poussées en raison de
la gravité de l’infraction en cause. L’information disponible est donc
plus précise et plus détaillée. Enfin, étant donné
le consensus social autour de la gravité du crime d’homicide, la majorité
des auteurs d’homicide sont poursuivis et punis de façon plus ou moins
sévère.5
Enfin, le fait de se centrer sur l’homicide en tant que type de crime de violence
présente un dernier avantage, à savoir qu’il y a en général
une similitude sur le plan de la gravité de l’infraction et du tort causé
à la victime (c’est-à-dire la mort). L’emploi de l’homicide comme
unité d’analyse permet de vérifier, dans une certaine mesure,
le type de violence et la gravité de cette dernière. Toutefois,
il arrive parfois qu’une personne en tue une autre sans jamais être inculpée
d’homicide ni condamnée pour ce crime. Ce genre de situation est attribuable
au fait qu’il existe deux catégories d’homicides, soit l’homicide coupable
et l’homicide non coupable.6
Dans notre étude, nous n’examinons que les homicides coupables. Si le
fait de se centrer sur ce dernier type d’homicides permet de vérifier
de prime abord la gravité de l’infraction en tenant compte d’un nombre
minimal de variables distinguant les divers types d’homicides, la loi reconnaît
divers degrés de culpabilité dans les cas d’homicides coupables.
Chaque catégorie d’homicide coupable correspond à un degré
de tort et de culpabilité différent associé à divers
critères (voir l’encadré 2).
Encadré 2 : L’homicide coupable et la
loi
Le paragraphe 222(4) du Code criminel du Canada (le Code)
définit trois types d’homicides coupable : le meurtre, l’homicide
involontaire coupable et l’infanticide. La distinction entre ces trois
infractions est importante, car chacune entraîne une peine différente.
À la suite de l’abolition de la peine de mort, en 1976 (par l’adoption
du projet de loi C-105), deux catégories de meurtres ont été
créées, soit les meurtres au premier degré et les
meurtres au deuxième degré. Le meurtre au premier degré
se caractérise par un ou plusieurs des aspects suivants :
1) il est commis avec préméditation et de propos délibéré :
2) il englobe le meurtre d’un agent de police, d’un directeur ou
d’un autre fonctionnaire ou employé permanent d’une prison dans
l’exercice de ses fonctions; 3) la mort est causée en commettant
ou en tentant de commettre certains autres actes criminels (détournement
d’aéronef, enlèvement et séquestration, harcèlement
criminel ou agression sexuelle, par exemple). Les meurtres qui ne répondent
pas à au moins un de ces critères sont considérés
comme des meurtres au deuxième degré. Si la nuance entre
les deux types de meurtre est souvent fine (Boyd, 1988), l’élément
qui est habituellement en jeu réside dans la préméditation
et le caractère délibéré de l’acte posé
(Grant et coll., 1998).
Au Canada, les meurtres au premier degré ont, proportionnellement
à l’ensemble des homicides coupables pour lesquels des accusations
ont été portées par la police, augmenté entre
1977 et 1990, mais leur nombre s’est ensuite stabilisé et ils représentaient
en 2002 environ la moitié (52 %) de tous les homicides signalés
au pays (CCSJ, 2003a). En revanche, les homicides classés par la
police parmi les meurtres au deuxième degré ont diminué
pendant cette même période et constituent maintenant à
peu près le tiers (37 %) de tous les homicides (CCSJ, 2003a).
De façon traditionnelle, cependant, seules 5 % des personnes
accusées d’homicide coupable, environ, sont condamnées pour
meurtre au premier degré, et à peu près 30 %
sont déclarées coupables de meurtre au deuxième degré
(Boyd, 1988). Aux termes de l’article 235 du Code, quiconque
commet un meurtre au premier degré ou un meurtre au deuxième
degré doit être condamné à l’emprisonnement
à perpétuité. Toutefois, la peine minimale pour le
meurtre au premier degré est de 25 ans de prison sans possibilité
de libération conditionnelle, alors qu’elle peut est de 10 ans
sans cette possibilité dans les cas de meurtre au deuxième
degré.
L’homicide coupable qui n’est pas considéré comme un meurtre
peut constituer un homicide involontaire coupable (article 234 du
Code). L’homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut
être réduit à un homicide involontaire coupable si
« la personne qui l’a commis a ainsi agi dans un accès de
colère causé par une provocation soudaine » (paragraphe 232(1)
du Code). Une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle
suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser
est une provocation et peut entraîner la réduction de l’accusation
à celle d’homicide involontaire coupable si « l’accusé
a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir pu reprendre son sang-froid »
(s. 232(2) CCC). De façon générale, en droit
pénal canadien, l’élément mental constitue le facteur
déterminant lorsqu’il s’agit de décider si l’infraction
correspond à un meurtre ou à un homicide involontaire coupable.
Par conséquent, la notion de provocation entre en jeu dans la décision
relative au degré de culpabilité ou au caractère
répréhensible de l’acte, mais d’autres facteurs, tels que
l’intoxication, sont aussi à prendre en considération (Grant
et coll., 1998). Malgré des fluctuations annuelles, on note qu’environ
10 % de tous les homicides coupables sont initialement considérés
par la police comme des homicides involontaires coupables (CCSJ, 2003a).
Cependant, de façon traditionnelle, plus de 60 % de l’ensemble
des personnes accusées d’homicide sont condamnées pour homicide
involontaire coupable (Boyd, 1988). Cette infraction entraîne comme
peine maximale l’emprisonnement à perpétuité, mais
aucune peine minimale n’y est rattachée.
L’infanticide constitue le dernier type d’homicide sous le régime
du Code. Il est définit comme le fait, pour une mère,
de causer par un acte ou une omission volontaire la mort de son enfant
nouveau-né. L’enfant doit avoir moins de un an et la mère
doit, au moment de l’acte ou de l’omission, ne pas être complètement
remise d’avoir donné naissance à l’enfant (elle peut par
exemple souffrir de troubles mentaux ou de dépression à
la suite de l’accouchement). L’infanticide est passible d’une peine maximale
de cinq ans d’emprisonnement. Les statistiques les plus récentes
indiquent qu’environ 1 % des homicides coupables sont classés
dans la catégorie de l’infanticide, proportion qui est restée
relativement stable au fil des ans (CCSJ, 2003a).
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5 En se centrant sur les résultats
du processus pénal, on exclut divers types d'homicide, notamment les
cas où il y a décès du contrevant (souvent par suicide),
les cas où l'auteur du crime n'est pas identifié (affaires non
résolues) et les cas où un mandat d'arrestation a été
émis contre l'accusé, mais n'a pas encore été exécuté.
6 L'homicide non coupable ou
justifiable englobe les actes mortels posés par des militaires en temps
de guerre, par des agents de police ou par des gardiens de prison dans l'exercice
de leurs fonctions ou par des bourreaux agissant pour le compte d'un État,
ainsi que les actes mortels commis en état de légitime défense
ou sous la contrainte, par exemple. L'homicide non coupable est donc soit accidentel,
soit lié à des activités licites (Grant et coll., 1998)
et n'est donc pas considéré comme une infraction criminelle.
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