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Traitement par la justice pénale des homicides commis par un partenaire intime par opposition aux autres types d’homicides

  1. 5.0 Discussion et conclusion
    1. 5.2 Évaluer l’incidence des stéréotypes liés à la violence interpersonnelle

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5.2 Évaluer l’incidence des stéréotypes liés à la violence interpersonnelle

Le droit pénal reconnaît l’existence d’homicides de divers degrés ainsi que de variations dans l’ampleur du tort causé et le degré de culpabilité, selon un certain nombre de critères. La question de savoir comment comparer le contexte social et juridique dans lequel s’inscrivent les homicides (et d’autres crimes de violence) pour déterminer s’ils sont comparables (et, partant, méritent un châtiment semblable) et quels facteurs doivent être pris en considération dans le cadre d’une telle comparaison reste problématique. Bien que nous ayons pu tenir compte de divers facteurs permettant d’établir l’ampleur du tort causé ou le degré de culpabilité, nous ne disposions pas de détails suffisants pour analyser trois variables juridiques importantes – la préméditation, la provocation et l’intoxication. Si, comme le soutient Lundsgaarde (1977), la distinction établie en droit pénal entre l’homicide légitime et l’homicide illégitime découle de la coutume et de la culture de la société au sein de laquelle cette question juridique est tranchée, on peut dire la même chose de l’idée qu’on se fait du crime prémédité, de ce qui constitue de la provocation de la part de la victime et du degré d’intoxication suffisant pour justifier une réduction de la culpabilité. Il faudra donc déterminer, dans le cadre des recherches futures sur la justice pénale, quels sont les indicateurs fiables de ces variables et comment des données à leur sujet peuvent être recueillies de manière systématique.

De façon traditionnelle, les données relatives à ces variables juridiques ont dans une large mesure été exclues des études empiriques portant sur le processus pénal, et ce, malgré que ces dernières revêtent une importance cruciale dans le traitement des crimes de violence. Deux raisons peuvent expliquer cette situation. D’abord, peu de critères ont été établis pour l’évaluation de ces variables (par exemple, les indicateurs employés en sciences sociales devraient-ils être calqués sur les notions juridiques qui sous-tendent ces facteurs et, dans la négative, quels indicateurs valables les chercheurs peuvent-ils utiliser?). Ensuite, on rencontre une multitude d’obstacles lorsqu’on tente de réunir de l’information sur ces variables, notamment le temps requis pour obtenir des renseignements détaillés sur chaque affaire. Quelle que soit la raison de cet état de fait, les chercheurs qui étudient la justice pénale doivent s’efforcer de trouver des façons plus systématiques de recueillir des données sur ces facteurs, car non seulement ces derniers sont-ils pertinents sur le plan juridique, mais ils sont désormais associés à des stéréotypes courants au sujet de la violence interpersonnelle.

Il faut se rappeler que, d’après les recherches, on suppose plus souvent que la victime a une certaine part de responsabilité lorsque le crime met en cause des partenaires intimes que lorsqu’il s’agit d’un autre type de crime (Rapaport, 1991; Riedel, 1987; Wolfgang, 1957). Quand on parle de la responsabilité de la victime, il y a, en bout de ligne, la notion juridique de provocation qui peut atténuer aux yeux de loi la culpabilité du délinquant et entraîner une peine moins sévère (voir Miethe, 1987; Williams, 1976). Si l’on a plus tendance à considérer que la violence entre partenaires intimes est provoquée par la victime, alors l’accusé peut davantage invoquer comme défense la provocation dans ce type d’affaire. Il y a toutefois lieu de se demander si la provocation est vraiment plus fréquente dans les cas d’homicides commis par un partenaire intime, comparativement aux autres types d’homicides, ou s’il s’agit là d’une impression correspondant à un stéréotype répandu aussi bien dans la société qu’au sein du système de justice pénale, impression que les recherches n’ont pas encore confirmée. Pour répondre à cela, il faut d’abord définir ce qui constitue une provocation de la part de la victime, puis élaborer des indicateurs qui favorisent une collecte de données uniforme afin de documenter la question. Un tel exercice peut cependant poser des difficultés, étant donné que la notion juridique de provocation est l’une des plus controversées en droit pénal et qu’il est difficile de s’entendre sur sa définition. À ce jour, personne n’a examiné de façon systématique la validité de cette idée préconçue et d’autres stéréotypes relatifs à la violence entre partenaires intimes. Cette lacune soulève des problèmes, compte tenu de l’incidence possible de ces stéréotypes sur les idées préconçues et les réactions face aux crimes de violence. Nous abordons ci-dessous deux autres questions afin de mieux illustrer nos propos.

Les concepts d’intention et de préméditation. Deux des distinctions les plus importantes qui existent en droit en ce qui concerne l’homicide sont les différences établies entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable, d’une part, et, d’autre part, les meurtres du premier et du deuxième degré. De façon plus particulière, précisons que c’est généralement l’intention de tuer qui différencie le meurtre de l’homicide involontaire, et la préméditation (c’est-à-dire que l’acte est commis avec préméditation et de propos délibéré) qui, en ce qui a trait aux meurtres, distingue le meurtre au premier degré du meurtre au deuxième degré. En termes simples, l’homicide prémédité est considéré comme le plus grave en droit pénal. Cette distinction repose sur la notion selon laquelle il y a une plus grande [TRADUCTION] « culpabilité morale liée au meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré qui justifie une peine plus sévère (…) lorsqu’on enlève la vie à un être humain » (Grant et coll., 1998, pp. 7-8; paragraphes 232(2)*** et 231(2) du Code criminel). Le sens de l’expression « avec préméditation et de propos délibéré » a soulevé bien des discussions en jurisprudence, mais n’a pas été examiné dans les études portant sur la justice pénale et visant une compréhension des raisons qui président à l’imposition de certaines sanctions dans des cas donnés. Pourquoi l’intention et la préméditation sont-elles des éléments importants lorsqu’on cherche à comprendre la façon dont les homicides mettant en cause des partenaires intimes et les autres types d’homicides sont traités par la justice pénale?

Nous rappelons que le fait de tuer quelqu’un sous le coup de la colère ou d’une autre émotion forte peut souvent atténuer la culpabilité de l’auteur de l’homicide parce qu’on présume que cette émotion a altéré sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré. Il arrive donc que les intervenants du système de justice pénale fassent preuve de plus d’indulgence à l’égard des crimes attribuables à une perte de sang-froid parce qu’ils supposent que l’accusé a été privé du pouvoir d’agir de façon préméditée et délibérée ou, à tout le moins, de former une intention (Rapaport, 1994). Étant donné que les crimes commis sous le coup d’une perte de sang froid (souvent appelés « crimes passionnels ») sont souvent associés dans l’esprit des gens aux meurtres commis par un partenaire intime, ils peuvent faire l’objet d’un traitement plus indulgent. Par conséquent, les questions qu’il faut se poser sont les suivantes : les homicides commis par un partenaire intime relèvent-ils davantage du « crime passionnel » que les autres types d’homicides? Comportent-ils moins d’éléments de préméditation? Bien que les théoriciennes et les chercheuses féministes remettent en question depuis longtemps l’idée préconçue selon laquelle la violence entre partenaires intimes est uniquement faite d’actes commis sous le coup de la colère ou motivées par la passion, ces questions n’ont pas été examinées de façon systématique jusqu’à maintenant. À ce sujet, une étude qualitative réalisée en Australie indique que la majorité des hommes qui tuent leur femme réfléchissent longuement à leur geste avant de passer à l’acte. Elle révèle en outre que bon nombre des hommes qui assassinent leur conjointe savent exactement ce qu’ils font au moment où ils commettent leur crime et qu’ils ont plutôt tendance à manifester un soulagement lorsqu’ils ont atteint leur but, soit la mort de leur conjointe (Polk, 1994 : 193). De plus, cette étude montre que, si le degré d’intention peut varier, dans la majorité des cas où un homme tue sa partenaire intime, il existe des éléments qui démontrent clairement la préméditation dans les circonstances ayant précédé le passage à l’acte (Polk, 1994  31). Il est donc important que les recherches futures se penchent sur la question de savoir comment la notion juridique d’intention ou, à tout le moins, la notion de préméditation peut expliquer la différence entre le traitement accordé aux homicides commis par un partenaire intime et celui réservé aux autres types d’homicides.

Que signifie être  « trop intoxiqué »? Dans l’affaire Sheppard, survenue à l’Île-du-Prince-Édouard, les médias ont fait savoir que les résidents de la province étaient indignés par le fait que l’accusation initiale de meurtre au deuxième degré avait été réduite à une accusation d’homicide involontaire coupable (ministère de la Justice, 2003). Cependant, la réduction de l’accusation avait été décidée parce que les autorités compétentes estimaient qu’il n’aurait pas été possible d’obtenir une condamnation pour meurtre du fait que l’accusé était trop intoxiqué pour former une intention (ministère de la Justice, 2003). Selon Grant et coll. (1998), la justice pénale a, de façon traditionnelle, réagi de manière ambivalente à l’intoxication à l’alcool ou aux drogues (p. 6-28), l’intoxication volontaire n’étant généralement pas considérée comme un facteur atténuant (ministère de la Justice, 2003). Pour les chercheurs qui étudient la justice pénale et veulent mieux comprendre son processus, les questions liées à l’intoxication et à la façon dont on la conçoit, tant juridiquement que culturellement, revêtent de l’importance. Par exemple, que signifie l’expression « trop intoxiqué » en droit pénal? En d’autres termes, quel est le degré d’intoxication requis pour que la capacité de l’accusé à former une intention soit considérée comme diminuée? Comment les chercheurs évaluent-ils le degré d’intoxication de l’accusé et d’où tirent-ils l’information relative à cet aspect? Y a-t-il des idées préconçues liées à la culture au sujet des comportements pouvant être « excusés » en raison du degré d’intoxication de la personne? Comment ces idées entrent-elles en jeu dans le processus pénal en fonction de la relation entre la victime et l’accusé?

En résumé, disons que les recherches ont montré que les divers types de relation pouvant exister entre la victime et l’accusé donnent lieu à des « scénarios » concernant les crimes de violence et les personnes qu’ils mettent en cause, scénarios pouvant faire en sorte que certains délinquants sont traités avec plus d’indulgence (Miethe, 1987; voir également Sudnow, 1965). Comme nous l’avons mentionné précédemment, ces scénarios peuvent poser problème, étant donné que peu d’études systématiques se sont penchées sur leur validité (ou celle des stéréotypes qui y sont associés) en ce qui a trait à la relation intime et à la violence et qu’ils peuvent avoir une incidence sur les décisions prises dans le processus pénal. Les difficultés liées à de telles études découlent, dans ce cas également, de l’absence d’information sur le sujet dans les documents officiels que les chercheurs utilisent généralement pour recueillir des données. De plus, étant donné que la quantité et le type d’information consignée dans ces documents varient, certains renseignements seront parfois fournis, et parfois pas. Il n’est donc pas toujours possible de procéder à des comparaisons systématiques et fiables en raison du manque de données. Soulignons à nouveau que cette lacune tient grandement au fait que la collecte de données et la production de documents en vue de la constitution des dossiers relatifs aux affaires criminelles ne visent pas à servir les fins des recherches menées dans le domaine de la justice pénale. On doit donc établir de nouvelles méthodes pour la collecte de données afin de pouvoir examiner le processus pénal, ce qui, nous le répétons, exige une collaboration accrue entre les intervenants du système de justice pénale et les chercheurs.

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