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Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : Incidences sur la compétence à témoigner

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

Novembre 2002

Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue du ministère de la Justice Canada.


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1.2 Réception de l’enfant-témoin dans la salle d’audience

Étant donné que nous faisons appel à la loi pour lutter contre la violence faite aux enfants, le témoignage des jeunes enfants contre leurs agresseurs présumés est devenu, dans les faits, la pierre angulaire des poursuites judiciaires (Woolard, Repucci et Redding, 1996). En l’absence d’un plaidoyer de culpabilité, on attend habituellement des enfants qu’ils témoignent au sujet de leur soi-disant victimisation aussi bien lors de l’audience préliminaire qu’au procès.

L’examen du projet de loi C-15, qui a duré quatre ans, a révélé que la participation des enfants au sein du système judiciaire canadien avait augmenté (Comité permanent sur la justice et Solliciteur général, 1993). Cela a été jugé encourageant, l’augmentation constante du nombre d’enfants appelés à témoigner étant perçue comme un signe que les modifications apportées au Code criminel afin de faciliter les témoignages d’enfants étaient efficaces. Il est certain qu’un plus grand nombre d’affaires liées à des abus envers des enfants étaient entendues partout au pays.

Dans une étude multisites sur les enfants-témoins intitulée I’m doing my job in court, are you? Questions for the Criminal Justice System, plus de 900 cas de violence infantile traités par divers tribunaux du sud-ouest de l’Ontario ont été passés en revue (South-Western Ontario Child Witness Network, 1999). Les chercheurs ont conclu que 80 % des enfants avaient témoigné aux audiences préliminaires, et 88 % aux procès. Ces chiffres indiquent clairement que la participation des enfants au processus judiciaire a été essentielle aux poursuites.

Une autre étude plus récente portant sur la participation d’enfants-témoins à des procès criminels indique que dans un peu plus de la moitié des 251 cas d’abus relevés par les services offerts aux victimes par le ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse, des enfants ont été appelés témoigner, et plusieurs plus d’une fois (Services aux victimes du ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse, 2000). Les autres enfants aiguillés vers les Services aux victimes attendaient de témoigner. Les statistiques citées dans les études de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse qui portent sur la participation des enfants-témoins à des procédures judiciaires confirment la tendance décrite sept ans plus tôt par le Comité permanent sur la justice et le Solliciteur général.

Les modifications apportées aux lois n’ont pas eu un effet aussi prononcé sur l’expérience qualitative de la plupart des enfants qui témoignent devant les tribunaux. Plusieurs travaux de recherche ont mis en lumière le traumatisme secondaire auquel sont exposés les enfants lorsqu’ils entrent dans une salle d’audience (Bala, 1993; Park et Renner, 1998; Sas et coll., 1993 et 1995, ministère de la Justice du Canada, 2001). Malgré les modifications législatives qui ont été apportées, les chercheurs ont signalé des expériences négatives concernant des enfants appelés à témoigner.

Les expériences négatives sont attribuables dans une large mesure à la réticence de l’appareil judiciaire, des avocats de la Couronne et, plus particulièrement, des avocats de la défense à traiter les enfants avec plus de délicatesse. Au Canada, à défaut de mettre en application avec constance les dispositions législatives permettant de minimiser le stress du témoignage chez les enfants, comme celles qui prévoient l’utilisation d’écrans et de télévisions en circuit fermé, ou de faire en sorte que des personnes de confiance accompagnent les enfants à la barre, de nombreux enfants sont intimidés et extrêmement angoissés lorsqu’ils doivent témoigner (Bala, Lindsay et coll., 2001; Park et Renner, 1998; South-Western Ontario Child Witness Network, 1999).

Les défenseurs des droits des enfants ont suggéré que les difficultés marquées qu’éprouvent les enfants à témoigner ne résultent pas simplement de la réticence à changer les façons de faire dans les tribunaux, mais sont le symptôme d’une culture judiciaire négative sous-jacente qui demeure insensible à la vulnérabilité émotionnelle des enfants et qui est mal informée sur leurs capacités et leurs limites. En surface, on permet l’accès des enfants au tribunal en raison des modifications apportées aux lois. Une fois qu’ils y sont, cependant, cette culture judiciaire négative devient prépondérante et peu de mesures – voire aucune – n’est mise à la disposition des enfants-témoins. Des observateurs auprès de la cour sont d’avis que ce qui se passe dans une salle d’audience peut bien souvent diminuer la capacité des enfants à témoigner.

Les enfants-témoins doivent composer avec de nombreux stresseurs : les contre-interrogatoires récusatoires et intimidants sont permis et fréquents, et le vocabulaire employé dans les tribunaux est spécialisé et formel. Très peu d’enfants ont la possibilité de témoigner derrière un écran ou au moyen d’une télévision en circuit fermé, bien que la présence de l’accusé dans la salle d’audience les rende très craintifs. Les enfants doivent souvent témoigner deux fois, soit à l’audience préliminaire et au procès. Il s’écoule beaucoup de temps entre les audiences, ce qui donne lieu à de longues périodes d’angoisse anticipatrice. Tout ceci va à l’encontre de l’esprit de la loi, qui reconnaît les points vulnérables des enfants et prévoit des modifications progressives aux lois en vue de réduire le stress du témoignage.

Comme l’ont décrit Park et Renner (1998), notre système juridique actuel engendre des procédures et des tactiques qui créent du stress et poussent les enfants-témoins à un niveau qui dépasse leurs capacités, ce qui les empêche de fournir un témoignage complet et véridique. D’autres ont documenté le fait que les capacités des enfants sont toujours ignorées dans les tribunaux, et qu’en résultat, les enfants sont régulièrement soumis à des questions inappropriées et à des procédures complexes qu’ils ne comprennent pas (Bala, Lee, Lindsay et Talwar, 2001).

La façon dont les enfants-témoins sont traités au Canada n’est pas très différente d’ailleurs. Pour décrire l’expérience des enfants-témoins en Grande-Bretagne, Bull et Davies (1996) citent un article paru en 1994 dans le Daily Telegraph, en Angleterre, qui raconte comment un enfant de onze ans témoignant au procès des membres d’un réseau d’exploitation sexuelle infantile a enduré un contre-interrogatoire de six jours et a pleuré plusieurs fois (p. 97). Plusieurs groupes de défense des enfants du monde entier ont affirmé que le système de justice pénale ignorait les points vulnérables particuliers des enfants-témoins (Davies, 1991; Dent et Flin, 1992; Freshwater et Aldridge, 1994; Goodman et coll., 1993; Hamblen, Leibergott et Levine, 1997; Maunsell, 2000; Pipe, Henaghan, Bidrose et Egerton, 1996; Whitcomb, 1992).

À peu près au même moment où le projet de loi C-15 a été adopté par le parlement canadien en 1988, d’autres pays ont mis en oeuvre des modifications législatives touchant les enfants–témoins2. En 1996, dans un livre intitulé International Perspectives on Child Abuse and Children’s Testimony publié par Bette Bottoms et Gail Goodman, on note que la mise en oeuvre de diverses modifications législatives se fait lentement dans le monde (Bottoms et Goodman, 1996). Ainsi donc, le Canada ne se démarque pas des autres pays pour ce qui est de son manque d’enthousiasme à mettre en oeuvre les nouvelles dispositions.

1.3 Facteurs de stress liés à la post-divulgation

Afin de comprendre les difficultés auxquelles peut être confronté un enfant lorsqu’il témoigne devant un tribunal, il faut comprendre non seulement le rôle de l’enfant-témoin à la Cour, mais également les événements qui se sont produits dans la vie de l’enfant pendant la période qui s’est écoulée après le dévoilement et avant le procès. Après un dévoilement, les enfants et leur famille sont entraînés dans un processus complexe que la plupart ne comprennent pas. Les enfants ne savent pas qu’ils auront à témoigner devant un tribunal des mois ou des années plus tard au sujet de ce qui leur est arrivé. Selon l’âge qu’ils ont, il est possible qu’ils ne sachent même pas ce qu’est un tribunal!

La mauvaise compréhension qu’ont les enfants des étapes d’une poursuite au criminel a été mise en lumière dans une étude de suivi s’échelonnant sur trois ans qui a été réalisée avec des enfants qui avaient témoigné dans une cour criminelle à London, en Ontario. L’étude a été effectuée dans le cadre du projet des enfants-témoins, à la London Family Court Clinic, en Ontario (Sas et coll.; 1993). Pour cette étude, on a mené des entrevues de suivi auprès d’un certain nombre d’enfants-témoins afin de connaître leur point de vue relativement à leur expérience au tribunal et d’élaborer des recommandations pour améliorer les procédures. On a découvert que les enfants qui avaient dévoilé leur état de victimisation ignoraient généralement que la police serait prévenue et plus encore, qu’ils auraient à témoigner devant un tribunal. Même les enfants plus âgés étaient très peu conscients du processus amorcé par suite de leurs dévoilements.

En outre, les enfants n’étaient pas préparés aux changements importants qui se sont ensuivis dans leur vie privée, en particulier si l’accusé était un parent, un proche ou un membre de leur collectivité. Dans plusieurs cas, des enfants ont été forcés de changer d’école lorsque l’accusé était un enseignant, ou encore de déménager s’il était un membre de leur groupe religieux ou un voisin.

La conclusion la plus frappante, toutefois, réside dans le fait que la plupart des enfants-témoins désiraient simplement que l’abus cesse et ne prévoyaient pas qu’ils auraient à témoigner suivant le dévoilement. Les enfants n’étaient pas préparés aux interrogations intrusives des autorités compétentes, ni aux examens physiques et aux réactions de leurs proches et d’autres personnes face à leurs informations troublantes. Et dans tous les cas, ils n’étaient pas préparés à l’interrogatoire agressif auquel ils ont été soumis à la barre, ni au fait que la plupart du temps, leurs parents ne pouvaient être présents dans la salle d’audience au moment de leur témoignage. Pendant les séances de préparation à la comparution, les enfants étaient souvent saisis d’incrédulité lorsqu’ils apprenaient qu’ils ne seraient qu’à quelques pieds de l’accusé lorsqu’ils témoigneraient. La plupart des enfants de moins de douze ans qui ont participé à l’étude n’avaient même jamais pensé que l’accusé serait dans la salle d’audience!

Les enfants qui ont participé à l’étude ont dû passer à travers un processus judiciaire long et pénible sur le plan émotionnel, car il s’est à plusieurs reprises écoulé deux ans entre la première audience et le procès. Cette étude sur les enfants-témoins a révélé que l’expérience était éprouvante pour de nombreux enfants et que de nombreux facteurs de stress pouvaient surgir de façon inattendue.

D’autres chercheurs ont également documenté le fait que les mois qui précèdent le témoignage d’un enfant devant le tribunal, que ce soit à l’audience préliminaire ou au procès, sont souvent empreints d’une angoisse anticipatrice concernant le témoignage à venir (Goodman, Bottoms, Schwartz-Kenny et Rudy, 1991; Runyan, Everson, Edelsohn, Hinter et Coulter, 1988; Whitcomb, Runyan, Devos et Hunter, 1991). La plupart du temps, lorsque l’enfant entre dans la salle d’audience, plusieurs mois ont passé pendant lesquels de nombreux changements se sont produits dans leur existence. Leurs vies se sont arrêtées et ils ont dû revivre la violence qu’ils ont subie maintes et maintes fois dans leur pensée pour se préparer à témoigner.

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