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Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : Incidences sur la compétence à témoigner

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

Novembre 2002

Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue du ministère de la Justice Canada.


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1.4 Expérience qualitative des enfants appelés à témoigner

Lorsqu’un enfant entre dans une salle d’audience, il doit faire face à de nombreuses attentes qui sont implicites au rôle de témoin. Au Canada, l’accès à des services de préparation à la comparution varie selon la province et l’administration. Nombreux sont les enfants-témoins qui ne reçoivent pas de préparation officielle et à qui les procédures judiciaires et la terminologie légale employée dans les tribunaux ne sont pas expliquées. Certains enfants ne rencontrent l’avocat de la Couronne que le jour de l’audience et se présentent pour témoigner sans connaître quiconque dans la salle. Un certain nombre sont préparés grâce à des programmes d’aide aux victimes-témoins ou à des programmes qui s’adressent aux enfants-témoins.

Dans la salle d’audience, les enfants peuvent s’attendre à voir plusieurs adultes (personnel juridique au fait des procédures judiciaires), ainsi que bien sûr, l’accusé. Il est également possible que de simples citoyens assistent au procès à titre d’observateurs. Il arrive fréquemment que des parents ou des amis de l’accusé soient présents, ce qui peut représenter une autre source d’angoisse pour les enfants-témoins. Lorsqu’on y songe, les enfants vivent peu d’expériences qui les préparent à fournir des témoignages concernant des situations pénibles sur le plan émotionnel, à se présenter dans une salle d’audience et à parler en la présence de plusieurs adultes inconnus, dont certains leur sont peut-être hostiles.

Une étude effectuée récemment en Ontario sur neuf cents cas de violence présumée à l’égard d’enfants (South-Western Ontario Child Witness Network, 1999) a révélé que la plupart des enfants qui avaient témoigné n’avaient pas bénéficié d’un écran ou d’une télévision en circuit fermé, et n’avaient pas été accompagnés d’une personne de confiance à la barre. Dans le cadre de l’examen de la mise en application des modifications législatives au Canada (2001), Bala, Lindsay et coll. ont conclu que des mesures comme l’utilisation d’un écran ou d’une télévision en circuit fermé étaient rarement employées. Les enfants témoignent habituellement de la façon traditionnelle, comme les adultes.

L’étude réalisée par le Ontario Child Witness Network a révélé un autre fait important, à savoir que les parents sont souvent exclus de la salle d’audience lorsque les enfants témoignent, puisqu’ils représentent des témoins potentiels et qu’ils sont soumis à une ordonnance permanente de la Cour visant à exclure les témoins. Commentant sur la pratique voulant que les enfants se présentent seuls dans la salle d’audience, Myers compare l’expérience des enfants qui ont à subir une opération à celle d’être appelé à témoigner devant un tribunal dans le chapitre intitulé « A decade of international reform to accommodate child witnesses » (1996). Il en est venu à la conclusion suivante : « À l’hôpital, le soutien émotionnel fait partie intégrante du traitement, et les parents sont des partenaires dans la thérapie. Dans une salle d’audience, toutefois, les choses sont différentes. La tradition veut que les enfants se débrouillent seuls » (p. 234).

Des recherches récentes menées dans le domaine des sciences sociales ont démontré que les jeunes enfants à qui l’on demandait de se séparer d’une personne proche et d’accompagner un étranger dans un bureau inconnu ressentaient souvent une angoisse considérable (Saywitz et Elliot, 1999). Cette angoisse de la séparation est sans aucun doute légère comparée à l’angoisse que doivent ressentir les enfants lorsqu’ils entrent seuls dans une salle d’audience. Les recherches démontrent également que l’angoisse causée par la séparation est encore plus probable si un enfant a été maltraité dans le passé (Saywitz et Elliot, 1999), et la littérature clinique portant sur la violence intrafamiliale documente l’importance de la présence d’un parent non abuseur et solidaire auprès d’un enfant après le dévoilement (Sas et coll., 1995). Les enfants ont besoin de la présence d’un parent dans la salle d’audience. Il va de soi que les enfants maltraités sont encore plus vulnérables à la barre. Il est ironique que la majorité des enfants-témoins qui témoignent se présentent au tribunal pour parler de leurs propres expériences d’abus, mais que pour la plupart, ils doivent pénétrer dans la salle d’audience sans le soutien d’un parent.

Pour cette raison, nous devons considérer la possibilité que les attentes de la société vis-à-vis des enfants appelés à témoigner devant un tribunal vont bien au-delà de ce que la plupart des enfants sont en mesure de supporter. Nous devons nous demander quelles sont les conséquences de faire témoigner un enfant fortement angoissé. Nous disposons maintenant de preuves empiriques qui indiquent que si un enfant est traumatisé lors de sa comparution, ce traumatisme peut avoir une incidence sur le témoignage et comment celui-ci est présenté, et, par le même fait, sur la crédibilité de l’enfant aux yeux du jury ou du juge (Hamblen et coll., 1997; Saywitz et Elliot, 1999; Stafford et Asquith, 1992). Il va de soi que si les besoins émotionnels des enfants-témoins sont ignorés, cela peut avoir des résultats négatifs sur l’issue finale d’un procès.

1.5 Comprendre les attentes des enfants qui témoignent

Quelles sont les exigences caractéristiques du témoignage? Dans le cadre de ses observations sur le témoignage des enfants (1993), Walker a défini six attentes fondamentales entretenues envers les enfants-témoins : 1) ils ont observé ou vécu la situation en question, 2) ils se rappellent de l’événement en question, 3) ils peuvent communiquer leurs souvenirs verbalement, 4) ils comprennent les questions qui leur sont posées à la barre, 5) ils sont capables de répondre intelligemment aux questions qui leur sont posées, et 6) ils sont conscients du fait qu’ils doivent dire la vérité.

Melton (1981), qui avait écrit sur ce sujet plus de dix ans auparavant, suggère qu’un enfant-témoin doit avoir : 1) les habiletés cognitives nécessaires pour comprendre ce qui lui est arrivé, 2) être capable d’organiser ses expériences sur le plan cognitif, 3) être capable de distinguer les souvenirs en question d’autres souvenirs ou phantasmes, et 4) être capable de conserver et de démontrer ses capacités dans des conditions stressantes. Dans les analyses faites par Walker (1993) et Melton (1981), nous retrouvons la notion selon laquelle les enfants doivent être en mesure d’ordonner les événements dans l’espace et le temps, de décentrer leur expérience et leurs émotions, et de contrôler leurs réactions et leur compréhension lorsqu’ils conceptualisent leur témoignage.

Dans leur examen du comportement des enfants-témoins, Greenhoot, Ornstein, Gordon, et Baker-Ward (1995) suggèrent que la reconstitution verbale des événements chez les jeunes enfants ne reflète pas nécessairement ce dont ils se souviennent réellement, parce qu’ils ne peuvent répondre aux exigences comportementales et cognitives d’un interrogatoire. Cela est particulièrement vrai pour ce qui est des expériences devant les tribunaux et ne s’applique pas qu’aux jeunes enfants. Les enfants plus âgés éprouvent également souvent de la difficulté à témoigner. Outre les exigences cognitives et comportementales propres aux témoignages, on s’attend implicitement à ce que les enfants tolèrent les pressions émotives auxquelles on les soumet.

Il n’est un secret pour personne que de meilleurs résultats sont obtenus avec les enfants lorsque ceux-ci se sentent à l’aise et comprennent ce qui est attendu d’eux. Une étude réalisée il y a plus de dix ans par Peters (1991) indique que la mémoire des enfants est affaiblie lorsque ces derniers sont questionnés au sujet d’une situation stressante par une personne qui adopte une attitude de confrontation. Moston et Engelberg (1992) suggèrent que la tâche de témoigner pourrait être facilitée avec le soutien de la société. Ils notent également que l’environnement physique intimidant du tribunal peut nuire au témoignage des enfants agissant à titre de témoins oculaires.

Dans leur manuel intitulé Interviewing children in a forensic context (1999), Saywitz et Elliot recommandent fortement que l’ambiance ne soit pas accusatrice, intimidante ou condescendante. Ils citent de nombreuses études suggérant que l’angoisse a un impact négatif sur la mémoire des enfants. Chacun sait que l’atmosphère d’une salle d’audience peut à l’occasion être très tendue. Les enfants possèdent-ils vraiment la résilience émotionnelle voulue pour composer avec de telles pressions?

À la perspective d’avoir à témoigner dans un environnement intimidant, qui suffit à gêner la plupart des enfants, vient s’ajouter le fait que les procédures se déroulent dans une langue étrangère désignée sarcastiquement sous le vocable de « jargon juridique » (Quas, Goodman, Ghetti et Redlich, 2000), ce qui rend l’expérience encore plus difficile. Comme nous l’expliquerons en détail plus loin, de nombreux termes juridiques sont inconnus des enfants, les phrases sont trop déroutantes et les questions trop abstraites. Lorsqu’on additionne à ces obstacles les autres stresseurs décrits plus haut, la tâche de témoigner peut sembler insurmontable aux enfants.

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