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Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : Incidences sur la compétence à témoigner

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

Novembre 2002

Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue du ministère de la Justice Canada.


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1.6 L’enquête en vue de l’assermentation : la première expérience d’un enfant à la barre

Traditionnellement, les tribunaux partout dans le monde procèdent à des enquêtes spéciales pour déterminer si un enfant est en mesure ou non de témoigner. Au Canada, nous faisons appel à une méthode plus discrétionnaire selon laquelle le témoignage des enfants est examiné sur le plan individuel et en contexte (Paccioco, 1996). Présentement, les enfants de moins de quatorze ans sont soumis à une enquête judiciaire dont le but est de déterminer s’ils possèdent la capacité intellectuelle et la capacité morale pour témoigner. Cette procédure est exposée à l’article 16 de la Loi sur la preuve au Canada (1985). Dans le contexte d’un voir dire, les deux principales questions abordées sont les capacités de communication de l’enfant et la compréhension de l’enfant de la notion du serment. Des critiques se sont élevées récemment au Canada au sujet de ce processus d’enquête en raison de la difficulté observée chez les enfants-témoins à participer à cette enquête (Bala, Lee et coll., 2001; ministère de la Justice du Canada, 2001; Park et Renner, 1998).

À la lumière de ce que nous savons au sujet du développement cognitif des enfants, il a été recommandé de modifier nos attentes et de revoir nos procédures touchant les enquêtes en vue de l’assermentation. Une autre recommandation plus radicale a été proposée, soit d’éliminer entièrement les enquêtes et de demander simplement aux enfants d’accepter de dire la vérité à la barre.

Bala, Lee et coll. (2001) abordent cette question dans l’article qu’ils ont publié récemment sur l’évaluation des compétences des enfants-témoins. Ils soulignent que la législation canadienne exige des enfants-témoins qu’ils comprennent des concepts comme la vérité, le mensonge, un serment et une promesse pour être reconnus compétents à témoigner. Bala, de concert avec ses collègues, a réalisé une étude sur le système judiciaire et la nature des questions posées aux enfants lors des enquêtes en vue de l’assermentation3. Ils ont conclu que de nombreuses questions morales, religieuses et sociales complexes étaient soulevées et que le niveau de raisonnement abstrait exigé des enfants-témoins se situait bien souvent au-delà de leurs capacités cognitives.

Dans une étude réalisée par le Child Witness Network (1999), et plus récemment par le ministère de la Justice du Canada (étude d’observation des procédures judiciaires du Toronto Child Abuse Center, 2001), des observateurs font remarquer le caractère très varié des questions posées aux enfants dans le cadre des enquêtes. Dans l’ensemble, eux aussi ont constaté qu’on posait souvent aux enfants des questions inappropriées au stade de développement et comprenant des idées complexes et un vocabulaire difficile. Ils ont également conclu qu’en grande partie, les questions posées lors des enquêtes dépassaient les capacités de compréhension de la plupart des enfants-témoins de moins de 14 ans.

On a également émis une critique au sujet de la définition du serment dans un contexte religieux entretenue par les tribunaux. Dans certains cas, des questions religieuses très complexes sont soulevées avec les jeunes enfants. Dans son étude, Bala indique que le système judiciaire s’attend de façon constante à ce que les enfants-témoins aient une formation religieuse ainsi qu’une compréhension religieuse du serment. L’étude d’observation du système judiciaire réalisée par le Toronto Child Abuse Center a également conclu que le système judiciaire s’attendait à ce que les enfants-témoins aient une compréhension religieuse du serment. En fait, les observateurs qui ont participé à l’étude ont indiqué que les enfants qui n’avaient pas été élevés dans la religion trouvaient les questions embarrassantes et inconfortables.

Dans l’ensemble, les études indiquent que les enquêtes semblent démontrer un manque de connaissance dans les tribunaux des tendances sur le développement des aptitudes cognitives et verbales des enfants. Pour les raisons susmentionnées, la pratique des enquêtes a été abolie dans certains pays tels que l’Angleterre, l’Écosse et la Nouvelle-Zélande. Ici, au Canada, nous avons examiné une proposition soumise par le ministère de la Justice dans un document de consultation portant sur la participation des enfants-témoins au processus judiciaire (ministère de la Justice du Canada, 1999), visant à abolir les enquêtes en vue de l’assermentation et à permettre aux enfants de tous âges de seulement promettre de dire la vérité, après leur avoir expliqué l’importance d’une telle promesse dans une cour de justice.

1.7 Contre–interrogatoire des enfants-témoins

Voici un peu plus de dix ans, un avocat de la défense a donné dans un article paru dans une revue canadienne intitulée The Lawyer’s Weekly (Schmitz, 1988) le conseil suivant concernant le contre-interrogatoire des enfants-témoins : « Vous devez entrer dans la salle de tribunal à titre d’avocat de la défense et faire pression sur le plaignant à l’audience préliminaire... obtenir toutes les preuves médicales, le dossier de la Société d’aide à l’enfance... attaquer l’enfant plaignant avec toutes les armes dont vous disposez, afin qu’il ou elle dise, je ne veux pas me présenter devant douze bons citoyens et répéter cette histoire abracadabrante que je viens de raconter au juge » (p. 22). Dans une cour criminelle, le processus du contre-interrogatoire est confrontationnel, accusateur et, à certains moments, intimidant. Dans leur étude sur les procédures criminelles (1996), Carter, Bottoms et Levine suggèrent que les enfants-témoins de tous âges sont susceptibles d’afficher une différence entre leur compétence à témoigner et leur témoignage proprement dit. Ils concluent que les avocats sont habiles à discréditer les enfants-témoins devant le tribunal en usant de stratégies conventionnelles qui intimident les enfants au point de les réduire au silence, qui les amènent à fournir des réponses contradictoires et qui suscitent chez eux une désorganisation et une détresse émotionnelle.

Lorsque des enfants sont interrogés au sujet de leur contre-interrogatoire, ils le présentent généralement comme la partie la plus stressante du procès. Dans une étude de suivi de trois ans portant sur les enfants-témoins (Sas et coll., 1993), on a demandé aux enfants-témoins ce qu’ils pensaient du contre-interrogatoire. Un adolescent l’a décrit en ces termes : « Dans tous les cas, on m’a posé des questions trompeuses ou des questions pièges » (p. 113). Un autre jeune enfant s’est rappelé ainsi son contre-interrogatoire : « La seule chose dont je me souvienne est l’insistance de l’avocat de la défense et la façon dont il a déformé tout ce que je disais et m’a fait sentir comme un criminel, et mon beau-père comme une victime » (p. 114). Un très jeune enfant a dit « Je l’ai détesté [l’avocat de la défense] à cause de la façon dont il posait les questions, il m’a fait peur » (p. 118).

Il ne fait aucun doute que cette étape du processus est particulièrement difficile pour les enfants et contribue souvent à leur défaite en tant que témoins crédibles. Bien que ce soit là le but avoué du contre-interrogatoire, la méthode employée ne tient pas compte du déséquilibre qui existe entre l’adulte qui questionne et l’enfant qui répond.

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