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Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : Incidences sur la compétence à témoigner

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

Novembre 2002

Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue du ministère de la Justice Canada.


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VI. ÉLABORATION D’UN MODÇLE PERMETTANT D’EXPLIQUER LES COMPÈTENCES EN MATIÈRE DE TÉMOIGNAGE

Nombreux sont les facteurs qui interagissent et influent sur les capacités de témoignage des enfants. Le schéma présenté au tableau 1 présente ces facteurs et fournit un modèle théorique qui expliquer la prestation des enfants à la barre. Malheureusement, plusieurs de ces facteurs ne sont pas considérés en temps normal dans une salle d’audience lorsqu’on évalue la crédibilité d’un enfant-témoin. Étant donné que le témoignage des enfants est différent sur le plan qualitatif de celui des adultes, on présume souvent que les enfants ne sont pas aussi fiables ou précis. On peut toutefois affirmer que peu d’ajustements sont apportés aux procédures judiciaires afin d’aider les enfants à témoigner.

Parmi les ouvrages récents portant sur le développement, on indique qu’il existe des différences individuelles chez les enfants en ce qui a trait à leurs capacités et à leurs tempéraments. Bien qu’il y ait incontestablement des tendances liées à l’âge, il est dangereux de présumer que tous les enfants d’un certain âge possèdent exactement les mêmes capacités. À titre d’exemple, Goodman et coll. (1998), dans un examen exhaustif des ouvrages portant sur les récits de témoins oculaires enfants, ont trouvé que les tempéraments individuels des enfants ainsi que leur réactivité physiologique ont un effet sur le niveau de stress qu’ils ressentent lors d’un événement ainsi que sur leurs capacités de remémoration.

L’âge et le stade de développement cognitif d’un enfant au moment où se produit un événement représentent également des facteurs qui ont une influence sur la quantité et le type de détails expérientiels qui sont enregistrés dans la mémoire. De façon typique, les jeunes enfants se souviennent de moins de détails que les enfants plus âgés à propos d’un événement. Cela est probablement dû à deux facteurs : ils comprennent moins bien ce qui arrive et enregistrent de ce fait moins d’information, et leur processus de rappel des souvenirs est moins bien développé, ce qui rend l’accès à leurs souvenirs plus difficiles. Les résultats des études qui indiquent que les souvenirs dont ils parviennent à se remémorer peuvent être très exacts sont toutefois encourageants. Évidemment, la clé est de les amener à reconstituer leurs souvenirs verbalement.

Il a également été démontré que la maturité sociale des enfants et leur stade de développement émotionnel avaient une incidence sur leur interprétation d’un événement, notamment sur sa signification personnelle. Les enfants ont une connaissance du monde et une expérience de la vie plus limitée, ce qui se traduit par une difficulté à analyser les situations sociales et le comportement des adultes. Ainsi, dans les cas d’abus sexuels, les jeunes enfants ne sont pas toujours conscients du fait qu’ils ont été abusés sexuellement. Ils ont de la difficulté à interpréter les comportements sexuels d’un abuseur en raison de leur manque de connaissances sur le plan sexuel et de leur naïveté sociale. Comme ils ne comprennent pas la signification des actes subtils, ils sont facilement la proie d’avances de nature sexuelle. Lorsque de jeunes enfants décrivent les abus sexuels dont ils ont été victimes lors des entrevues d’enquête, ils sont entravés non seulement par leur manque de connaissances sexuelles mais également par leur niveau de compréhension sociale générale.

Il est clair que lorsqu’on demande à des enfants de se remémorer des événements passés, divers facteurs augmentent ou diminuent leur capacité de rappeler leurs souvenirs à leur mémoire. L’un des plus importants facteurs est le temps écoulé entre la survenue de l’événement et l’interrogation. Les souvenirs des enfants, comme ceux des adultes, s’estompent avec le temps. Toutes les études laissent suggérer que chez les jeunes enfants, les souvenirs sont davantage touchés par le passage du temps que les souvenirs des enfants plus âgés. Plus longue est la période de temps écoulée entre l’événement et l’interrogatoire, plus les enfants ont de la difficulté à se remémorer leurs souvenirs. Le risque d’oubli augmente dans les cas où on découvre des actes d’abus commis dans un passé plus ou moins lointain et que de jeunes enfants sont interrogés au sujet d’événements qui se sont produits bien des années auparavant. Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne les détails secondaires. Il va sans dire que ces facteurs soulignent la nécessité d’interroger les enfants le plus rapidement possible après un événement.

Il a été démontré que la nature même d’un événement est un autre facteur qui influence la capacité des enfants à enregistrer leurs souvenirs et à se les remémorer. L’événement est-il particulièrement important? L’enfant a-t-il personnellement vécu l’événement ou en a-t-il été témoin? L’événement est-il un incident isolé ou s’est-il produit plusieurs fois? S’agit-il d’un événement traumatique qui provoque une grande détresse émotionnelle lorsqu’il est remémoré? Les études liées aux souvenirs traumatiques présentent des conclusions opposées en ce qui a trait aux liens entre le stress et la mémoire. Ce qui semble être vrai est qu’un stress traumatique trop important peut nuire au processus d’enregistrement en limitant ce qu’un enfant peut remarquer ou percevoir. Un niveau de stress trop élevé peut également nuire au processus de rappel en rendant l’accès aux souvenirs ardu.

Lorsqu’un enfant divulgue de l’information lors d’une enquête, il arrive malheureusement qu’il doive attendre un long moment avant de répéter son récit devant un tribunal. Même dans le meilleur des cas, les procès peuvent s’étaler sur plusieurs mois, voire des années, et il arrive que les enfants soient appelés à témoigner au sujet d’événements qui se sont produits des années auparavant. Malheureusement, les tribunaux s’attendent toujours à ce que les enfants fournissent non seulement des renseignements centraux mais également des détails secondaires, et ils sont en émoi lorsque leur témoignage contient moins de détails que leur déclaration initiale.

La capacité de se rappeler et de raconter un souvenir exige de retrouver une trace mnésique enregistrée et de communiquer verbalement cette trace. À cette étape-ci, les compétences langagières sont donc d’une importance capitale. Les capacités réceptives des enfants ont une influence sur leur capacité à comprendre les questions qui leur sont posées. Leurs capacités expressives déterminent la façon dont ils énoncent leurs réponses. Les enfants ont de la difficulté à comprendre les questions et à décrire des événements car ils n’ont pas le vocabulaire ni la compréhension verbale voulus et ils ne connaissent pas suffisamment les règles de la conversation courante.

Pour toutes les raisons précitées, la nature de l’entrevue d’enquête est très importante, en l’occurrence le type et la complexité des questions posées aux enfants et le style de l’interrogateur. La nature des questions posées aux enfants qui témoignent à la barre est d’une importance tout aussi grande. Le fait de poser des questions inappropriées au développement d’un enfant au moment de l’interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire est préjudiciable à leur témoignage.

Il est regrettable que les conclusions des études réalisées sur la sensibilité des enfants aux questions inappropriées ne soient mentionnées à la Cour que dans les cas où ont eu lieu des entrevues mal menées ou que de l’information ait été offerte après l’événement par des adultes inquiets. On a tendance à ne pas tenir compte du fait que les études portant sur les capacités cognitives et de communication des enfants, et notamment sur leur suggestibilité, s’appliquent également au contexte d’une salle d’audience. L’expérience de témoignage d’un enfant est certainement aussi importante que les entrevues judiciaires et les circonstances qui ont eu lieu après l’événement et qui ont précédé l’audience.

Les études laissent fortement suggérer que les enfants ont une prestation moins bonne lorsqu’ils sont craintifs, qu’ils se sentent intimidés, qu’ils se sentent angoissés en raison d’un manque de soutien et qu’ils n’ont pas les connaissances nécessaires pour interagir de façon appropriée dans un environnement donné. Il est possible d’éliminer certaines de ces préoccupations en préparant les enfants-témoins à leur comparution, car les enfants qui sont mieux préparés à tenir leur rôle de témoin ont une meilleure prestation à la barre. Le stress causé par la présence de l’accusé dans la salle d’audience peut être minimisé à l’aide de divers outils. Cependant, aucune préparation ni aucun outil ne peut faire une différence si le tribunal permet un contre-interrogatoire brutal et agressif. La plupart des enfants sont simplement incapables, sur le plan émotionnel, de composer avec ce niveau de pression sociale. En la présence d’une telle pression, l’écart entre la compétence à témoigner des enfants et leur prestation réelle s’agrandit et les enfants ne fournissent pas un témoignage adéquat.

Il est très important d’établir une distinction entre la compétence à témoigner et la prestation d’un témoignage. La prestation renvoie aux connaissances et aux capacités qui sont exprimées dans des circonstances idéales (Woolard et coll., 1996). La compétence renvoie à la capacité. Malheureusement, une salle d’audience ne représente pas une circonstance idéale. Lorsque nous parlons du potentiel des enfants à agir comme témoins, nous ne devons pas ignorer le fait qu’il existe toujours une interaction entre l’environnement de la salle d’audience et leur prestation.

En résumé, le champ de recherche axé sur les compétences des enfants fait preuve de polarisation et non d’intégration en ce qui concerne la compétence des enfants à témoigner (Saywitz et Camparo, 1998), et les recommandations qui visent les professionnels sont souvent contradictoires. Des opinions très dures ont été émises au sujet des capacités de témoignage des enfants.

Les études portant sur les capacités des enfants, notamment dans le domaine de la suggestibilité, suggèrent qu’il arrive bien souvent que les forces des enfants soient ignorées et leurs faiblesses mises en évidence. Dans tous les cas, les études mentionnées dans le présent rapport suggèrent que les enfants ont beaucoup d’informations à offrir qui sont pertinentes sur le plan juridique, et que leur participation au sein du système de justice pénale en tant que plaignant et témoin potentiel n’est pas malavisée. Ce serait plutôt les méthodes employées pour obtenir d’eux de l’information qui serait fautive, puisqu’elles se fondent sur un manque de compréhension des capacités des enfants et sur des attentes inappropriées pour leur âge. Le modèle présenté au tableau 1 permet de démontrer tous les facteurs qui ont des répercussions sur les capacités des enfants à témoigner et sur leurs prestations.

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