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Étude de cas sur la conservation en Abitibi
(frontière Québec-Ontario)

ArborVitae Environmental Services
Boldon Group
Alexandre Boursier
Lorne Johnson
Thomas Stubbs


Cette étude de cas a été commandée comme recherche de base pour La Conservation du capital naturel du Canada: Le programme de la forêt boréale. Les opinions exprimées dans l’étude de cas sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement celles de la Table ronde nationale, de ses membres ou des membres du Groupe de travail du programme.

21 juillet 2004

4 Conclusions et analyses

4.1 Buts et objectifs régionaux

Nous n’avons trouvé aucun but ou objectif clairement défini en matière de développement durable ou d’aménagement du territoire pour ce qui est de la région sous étude. Questionnées sur l’existence d’une vision partagée à l’égard de la région, toutes les personnes interrogées ont répondu par la négative. Cette constatation ne doit pas surprendre étant donné la nature bipartite de la région sous étude et l’absence de mandat conféré aux deux gouvernements provinciaux d’élaborer un plan d’utilisation du sol ou de développement régional pour la région sous étude, ou d’un réel besoin à cet endroit.

En outre, le gouvernement provincial et les divers organismes de l’industrie n’affichent pas beaucoup d’intérêt pour ces questions ou communiquent peu avec leurs homologues situés de l’autre côté de la frontière. Il s’agit là d’une occasion ratée. En effet, de nombreux problèmes et enjeux communs pourraient être mieux traités dans un contexte d’échange des idées et expériences.

On s’attendrait à ce que le gouvernement fédéral puisse ou doive contribuer à fournir un degré de cohésion plus élevé dans la région sous étude. Toutefois, comme la région dépend en définitive des ressources naturelles et comme ce sont les gouvernements provinciaux qui détiennent et gèrent les terres publiques en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 (anciennement l’Acte de l’Amérique du Nord britannique 2), le gouvernement fédéral ne possède qu’une compétence restreinte en matière d’aménagement du territoire ou de programmes de mise en valeur. Certes, le Service canadien des forêts entreprend des recherches dans la région et fournit du financement aux forêts modèles des lacs Abitibi et Waswanipi; mais hormis ces cas, son intérêt direct dans la région demeure négligeable. Nous n’avons pas examiné les exigences en matière d’évaluation environnementale fédérale, ni les questions liées au commerce. En effet, ou bien ces sujets étaient peu pertinents pour cette étude de cas, ou bien ils étaient difficiles à cerner, ou encore ils n’avaient que des liens très indirects avec le contexte local. Les droits des autochtones sont éminemment pertinents à l’étude de cas, mais la discussion et l’analyse de ces droits et de leurs implications s’avèreraient très complexes et dépassent donc le cadre de la présente étude.

Certaines organisations exercent leurs activités des deux côtés de la frontière. Les plus notables sont les grandes sociétés d’exploitation et de transformation des ressources naturelles comme Abitibi-Consolidated, Domtar, Noranda-Falconbridge et Tembec, qui exercent leurs activités au Québec et en Ontario. L’organisme de la Forêt modèle du lac Abitibi se démarque aussi par ses nombreuses collaborations en matière de recherche, auxquelles participent des chercheurs des deux provinces; la coopération interprovinciale constituait un objectif clé de la FMLA qui a été adopté et appuyé par l’Université du Québec à Témiscamingue. Enfin, les Cris et les Algonquins ont aussi collaboré dans les deux provinces. Les réseaux de pistes de motoneige et de VTT ont aussi été désignés comme des exemples de réseaux chevauchant la frontière entre les deux provinces.

Dans un sens, même si les portions québécoise et ontarienne de la région sous étude présentent de nombreuses caractéristiques écologiques communes, il existe relativement peu de points communs sur les plans social et institutionnel. Il ne s’agit pas là d’une critique dans la mesure où la même situation prévaut, dans une mesure plus ou moins grande, de chaque côté des frontières provinciales au Canada. Les avantages afférents à une intensification de la collaboration transfrontalière ont été récemment reconnus dans une proposition d’entente entre l’Ontario et le Québec concernant les impacts environnementaux transfrontaliers. Celle-ci a été affichée sur le site web du Registre environnemental et de la Charte des droits environnementaux (numéro d’enregistrement PA04E0006) dans le but de recevoir les commentaires du public. Cette proposition émanant du ministère de l’Environnement ontarien envisage la mise sur pied d’un groupe de travail conjoint qui se réunira au moins une fois par an en vue de favoriser la compréhension mutuelle et la collaboration en matière d’environnement comme la qualité de l’air, les polluants atmosphériques, l’eau, ainsi que la conservation, la protection et la restauration du milieu naturel.

Sur certains sujets, l’Abitibi bénéficierait grandement d’une collaboration transfrontalière accrue. Parmi ceux-ci, on peut citer la gestion du caribou, les recherches et l’aménagement réalisés à l’échelle des paysages terrestres, la planification des bassins-versants et l’évaluation environnementale (notamment en ce qui concerne le lac Abitibi), ainsi que la planification de l’accès et son aménagement. Ces questions sont discutées plus en détail, ci-dessous.

Recommandation 1. Les différentes organisations devraient intensifier leurs efforts de collaboration avec leurs pendants de l’autre province aux fins d’échange d’idées et d’expérience. Les occasions offertes par la proposition d’entente relative aux impacts environnementaux transfrontaliers, ainsi que d’autres enjeux, devraient être mieux saisies. Mentionnons par exemple, les questions liées à la restructuration économique des industries exploitant les ressources naturelles et des communautés du Nord, de même que la mise à profit des avantages et ressources des communautés et organismes régionaux.

Même s’il n’est pas très logique d’élaborer un plan d’aménagement du territoire à l’échelle de la région sous étude, il existe des arguments sérieux en faveur de l’élaboration de plans d’aménagement régionaux pour l’Ontario et le Québec. En Ontario, le programme « Des terres pour la vie » a été entrepris à une vaste échelle régionale mais n’a produit aucun changement tangible et s’est mué en processus de négociation entre des parties prêtes à faire des compromis. À un moment, des plans infrarégionaux ont été envisagés, mais la proposition a été abandonnée. En guise d’aménagement du territoire, l’Ontario possède une série de directives sur l’aménagement du territoire des districts datant de 25 ans, qui ont été modifiées de temps en temps. Toutefois, celles-ci ne traitent pas de manière adéquate de questions comme l’accès, notamment l’accès par les VTT et les motoneiges ainsi que l’accès aux régions éloignées ou dépourvues de routes. Par conséquent, le processus de planification de l’aménagement forestier assurer la gestion des chemins d’accès forestiers et d’autres questions reliées à l’utilisation de la forêt, notamment celles qui touchent au tourisme en région éloignée.

Le gouvernement de l’Ontario a récemment introduit un mécanisme appelé Entente d’intendance des ressources (EIR). Par la conclusion d’une EIR, deux parties (ou plus) du secteur privé, habituellement un établissement de tourisme en région éloignée et une société forestière, décident de la manière d’établir un équilibre entre les intérêts des deux parties. Les EIR peuvent être considérées comme une initiative visant à retirer au ministère des Richesses naturelles (MRN) le rôle d’intermédiaire et à permettre aux parties d’en arriver à une entente mutuellement acceptable. Toutefois, le MRN est appelé à participer lorsque certaines dispositions de l’EIR concernent la planification de l’aménagement forestier.

Au Québec, des initiatives locales de tables rondes, communément appelées tables de gestion intégrée des ressources (tables de GIR) ont été organisées pour échanger de l’information sur l’aménagement du territoire. En outre, des stratégies municipales sont coordonnées dans la partie québécoise de l’Abitibi par le truchement des tables de GIR. Une table particulière de GIR de l’Abitibi est organisée par le Conseil régional de développement de l’Abitibi-Témiscamingue. Le ministère québécois du Développement économique et régional et de la Recherche finance cette table de GIR au moyen d’un fonds qui confère à la table une grande indépendance par rapport à la source du financement. Composée de 77 membres, la table est l’une des plus efficaces dans la province. Ceux-ci comprennent des pourvoyeurs, des zecs, des trappeurs, des municipalités, le MRNFP, les industries et des ONG de protection de l’environnement.

La Loi sur les forêts exige que les sociétés élaborent un plan d’aménagement de chaque aire commune en collaboration avec les divers intervenants. Toutefois, ces derniers ont été dépassés par le processus. Dans la municipalité de la Vallée-de-l’Or, par exemple, il existe neuf aires communes, ce qui implique qu’il faut neuf consultations préalables et neuf consultations avant de pouvoir envisager d’élaborer des plans d’aménagement… Il y a aussi les réunions périodiques des nombreuses tables de GIR. Les sociétés ont beaucoup de mal à obtenir un niveau de participation conséquent parce que les personnes intéressées et les petites organisations n’ont pas les ressources suffisantes pour participer à toutes les réunions. La proposition avancée par la municipalité de Vallée-de-l’Or, consistant à canaliser les consultations préalables, les consultations et les tables de GIR au moyen de l’initiative de GIR, a été fort bien accueillie. Elle a même obtenu la participation d’une Première nation. Cependant, l’organisme Terres du MRNFP, le partenaire le plus important du gouvernement aux tables de GIR, ne participe pas régulièrement aux réunions des tables de GIR en raison de l’insuffisance de ses ressources et de l’absence de statut juridique des tables. Le ministère de l’Environnement ne s’est jamais présenté à ces tables pour des raisons analogues. Les consultants sont arrivés à la conclusion que les tables de GIR de l’Abitibi sont un excellent point de départ à un processus décisionnel qui dépasse les préoccupations socioéconomiques strictes.

Un aménagement du territoire à une échelle régionale peut faire progresser la conservation de différentes manières, principalement parce qu’il fournit un forum où toutes les parties intéressées peuvent s’asseoir autour d’une table en disposant des mêmes pouvoirs. Pour peu que la table soit bien orientée et bien menée – et que les participants aient l’occasion de développer une confiance et un intérêt mutuels – elle permet d’obtenir des résultats positifs en matière de conservation.

Comme autre avantage, notons que de nombreuses questions seront mieux résolues à une échelle régionale plus large que celle de nombreuses pratiques d’aménagement existantes et des zones d’aménagement. À titre d’exemples d’enjeux à une grande échelle, on peut citer l’intensité de la récolte dans les bassins-versants, les réseaux d’accès et la localisation d’aires de perturbation étendues, les régions éloignées ou dépourvues de routes, ainsi que les zones protégées. Le fait de travailler, à grande échelle, permet aussi de créer des occasions d’échanger un approvisionnement en bois entre les différentes unités d’aménagement forestier. Les espèces disposant de vastes territoires – comme le caribou des bois, le loup et le carcajou – sont mieux servies par des plans stratégiques à grande échelle. Pour être efficace, un aménagement régional devrait être mené à une échelle plus importante que celle des zones faisant l’objet de permis d’exploitation forestière, des unités d’aménagement de la faune sauvage, des districts administratifs du ministère provincial et d’une multitude d’autres zones qui se chevauchent.

Enfin, étant donné l’intensité d’utilisation croissante de la forêt, l’accès étendu à cette dernière et la valeur accrue de facteurs tels que l’absence de route, il se peut que les plans régionaux ou les directives en matière d’aménagement du territoire élaborées il y a seulement 10 ans soient périmés.

Recommandation 2. Le Québec et l’Ontario devraient entreprendre et faciliter des processus régionaux d’aménagement du territoire dans leurs parties respectives de l’Abitibi.

4.2 Obstacles et incitatifs économiques à la conservation

La thèse soutenue par le programme sur la forêt boréale de la TRNEE est qu’il existe une occasion limitée dans le temps d’établir un équilibre adéquat entre conservation et exploitation des ressources dans cet environnement. La TRNEE croit (et les consultants en conviennent) qu’elle fait l’objet de pressions croissantes relativement à l’exploitation des ressources et à la dégradation de l’environnement. Les principes de développement durable peuvent être aisément mis de côté en raison de l’absence d’une responsabilisation à long terme. Une utilisation à grande échelle ou un projet de mise en valeur fondé sur des projections optimistes ou, pire encore, trompeuses, ne sont pas réversibles, et il est fréquent que les impacts négatifs ne puissent être complètement atténués.

À l’instar de la plupart des régions rurales du Canada, l’Abitibi connaît à l’heure actuelle un déclin économique et social en apparence insoluble. Comme l’indique le Tableau 1, toutes les communautés de la région, sauf les autochtones, ont subi une diminution importante de leur population au cours des dernières années. Ce déclin s’explique, en grande partie, par la stagnation des débouchés économiques et l’insuffisance des perspectives susceptibles de retenir un grand nombre de jeunes adultes dans la région, surtout ceux qui possèdent un niveau de scolarité élevé. Ces communautés cherchent désespérément à conserver les emplois existants, faute de pouvoir en créer de nouveaux. Dans une telle situation, il devient difficile pour les collectivités de rejeter une proposition promettant de créer des emplois locaux. Elles sont aussi fortement incitées à maintenir les niveaux actuels de récolte de bois d’œuvre.

Pour tous ces motifs, le développement économique entre souvent en conflit avec les objectifs de conservation – ou tout ce qui serait susceptible de réduire l’emploi ou les autres avantages d’ordre économique. Dans le cadre de cette étude de cas, les consultants ont repéré plusieurs enjeux découlant du déséquilibre entre la volonté de favoriser le développement économique et les mécanismes de contrôle ou de sauvegarde. Ces enjeux touchent à l’hydroélectricité, à l’aménagement de zones protégées, à la certification des forêts ainsi qu’aux mines orphelines ou abandonnées.

4.2.1 Hydroélectricité

La production d’hydroélectricité est largement répandue en Abitibi. Les niveaux d’eau de nombreux lacs et rivières sont régulés par des barrages. Par ailleurs, les récents changements survenus au sein des marchés de l’électricité, notamment en Ontario, ont conduit les propriétaires de barrages à exercer leurs droits pour maximiser leurs profits durant l’été 2003, période où les prix de l’électricité étaient élevés et où l’électricité manquait. Pour donner une idée des prix extrêmement élevés pouvant être tirés de la vente de l’électricité, on a rapporté qu’Abitibi-Consolidated avait suspendu sa production de jour à son usine de pâtes et papiers afin de vendre de l’électricité au réseau électrique de la province.

Comme toutes les sociétés de production d’électricité étaient fortement encouragées à produire de l’électricité durant les périodes où les prix étaient élevés, elles ont fait varier les niveaux d’eau à des amplitudes qui n’avaient jamais été atteintes auparavant pendant l’été, faisant fi des engagements visant le maintien de niveaux d’eau constants. (Par exemple, la figure 3 montre les limites d’exploitation de la Ontario Power Generation prescrites pour le lac Mattagami, soit une amplitude étroite au cours de l’été et une amplitude plus large de presque 5 mètres durant le reste de l’année.) Cela signifie que, par moments, les barrages ont vite été grand-ouverts afin de profiter d’une période de prix élevés, puis de nouveau fermés lorsque les prix ont baissé. Cette pratique a gravement perturbé l’écoulement fluvial et les niveaux des lacs, et eu un impact négatif sur les populations aquatiques et les amateurs de plein air. (Le fait d’ouvrir grand un barrage plusieurs fois d’affilée peut avoir pour conséquence de vider les petits lacs de la plupart des poissons qui s’y trouvent.)

Parallèlement, de nombreux baux pour l’exploitation de ressources hydroélectriques en Ontario viennent à échéance et sont en cours de renégociation. Des plans d’aménagement des eaux sont exigés. Selon un fonctionnaire gouvernemental, nombreux sont ceux qui pensent qu’une goutte d’eau qui n’est pas utilisée pour faire tourner une turbine est une goutte d’eau perdue : « C’est un peu comme si on s’adressait aux sociétés forestières d’il y a 30 ans. » Les dirigeants du secteur de l’hydroélectricité vont devoir prendre conscience des répercussions écologiques de leurs méthodes extrêmes de régulation du niveau des eaux, et reconnaître qu’il convient de les éviter. Pour l’instant toutefois, il n’existe aucun moyen juridique permettant d’exiger de tels efforts de conservation.

Dans la partie québécoise de l’Abitibi, l’impact de la fluctuation de l’eau reliée à la production d’hydroélectricité est limité. Il y a eu un cas dans la partie sud de la région sous étude, au nord de la réserve faunique de La Vérendrye, où les amateurs de plein air se sont plaints de changements brusques dans le niveau de l’eau. La participation d’Hydro-Québec à la table de GIR de la municipalité de Val-d’Or a permis d’atténuer, pour les usagers du parc, les impacts négatifs des niveaux d’eau fluctuants.

4.2.2 Obstacles à la création de zones protégées

Autre enjeu : le manque de zones protégées dans la région de l’Abitibi visée par l’étude de cas. On estime actuellement que la quantité de zones protégées dans la région sous étude augmentera d’environ 2,5 %, au fur et à mesure que l’Ontario classera des zones protégées grâce à l’Accord sur les forêts de l’Ontario. Toutefois, les consultants n’ont pu avoir de chiffres exacts sur les endroits susceptibles d’obtenir le statut de zones protégées. En outre, le gouvernement québécois a indiqué que de nouvelles zones protégées seront annoncées au cours de l’automne 2004, lesquelles comprendront des zones situées en Abitibi.

Les consultants ont reconnu que la représentation en Abitibi doit être envisagée dans un contexte de processus d’aménagement couvrant des zones bien plus étendues. L’Accord sur les forêts de l’Ontario a notamment fait passer à 12 % la proportion totale de zones protégées en Ontario. Le Québec s’active aussi à augmenter le nombre de ses zones protégées. En l’an 2000, les zones protégées du Québec de catégories I, II et III, telles qu’elles sont définies par l’UICN (Union mondiale pour la nature), représentent environ 2,8 % de la province, dont plus de la moitié est située dans la toundra (1,6 %). Des 1 091 zones protégées existant en 1999 au Québec, 943 présentaient une superficie de moins de 10 km2, 117 de 10 à 100 km2, et 31 de plus de 100 km2, ce qui donne une superficie totale de 47 355 km2. Moins d’un quart de ces zones tombent dans les catégories I et II de l’UICN. En 2002, toutefois, le gouvernement québécois annonçait la création de 6 parcs et de 11 réserves territoriales de zones protégées dans la forêt boréale et sur la Côte-Nord. Cette initiative fera passer la superficie totale des zones protégées sur le territoire québécois de 2,8 % à 4,8 %. Cette annonce fait partie du Plan d’action du Québec, dont l’objectif est de protéger 8 % de la superficie totale du Québec d’ici à 2005.

Néanmoins, les consultants ont remarqué que, en dépit de ces considérations, la proportion des zones protégées dans la région sous étude se situe bien en deçà des repères communs. Même si cette étude de cas vise principalement la portion non classée des terres, un réseau de zones protégées constitue la pierre angulaire de toute stratégie d’aménagement forestier durable. La superficie modeste de nombreuses zones protégées, conjuguée au fait qu’elles ne sont pas reliées entre elles, rend négligeable leur contribution à la conservation dans l’ensemble de l’Abitibi; surtout en raison de l’échelle des perturbations naturelles, de la taille des parcelles et des parcours naturels de la faune.

Un événement récent qu’il convient de mentionner est l’établissement du Cadre de conservation de la forêt boréale réalisé par la Société pour la protection des parcs et des sites naturels au Canada et WWF Canada. L’initiative boréale canadienne (IBC) propose qu’au moins la moitié de la région boréale soit constituée en un réseau étendu de zones protégées interconnectées. Parmi les signataires du Cadre de conservation figurent, Alberta-Pacific Forest Industries, Canards Illimités Canada, Domtar Inc., Forest Ethics, la Nation Innu, Poplar River First Nation, Suncor Energy Inc, Tembec Forest Industries, les Premières nations Deh Cho, la Société pour la protection des parcs et des sites naturels, et WWF Canada.

À la lumière de ces conclusions et étant donné l’intention du gouvernement québécois d’augmenter les zones protégées dans la province, nous formulons la recommandation suivante.

Recommandation 3. L’Abitibi devrait être reconnue comme hautement prioritaire pour ce qui est de la création de zones protégées supplémentaires.

Les consultants notent que l’Accord sur les forêts de l’Ontario prévoit un cadre stratégique appelé « Espace de croissance », en vertu duquel toute expansion d’un nouvel approvisionnement en bois doit être accompagnée d’une expansion équivalente des zones protégées dans la province. Le mécanisme prévu par le cadre Espace de croissance constitue une bonne manière d’augmenter le nombre de zones protégées en Ontario, vu que l’Accord sur les forêts visait à compléter davantage le réseau ontarien de zones protégées. Comme indiqué ci-dessus, le gouvernement du Québec travaille actuellement à augmenter le nombre de zones protégées sur son territoire, ce qui constitue une bonne occasion de répondre à cette recommandation dans la partie québécoise de la région sous étude.

4.2.2.1 Opinion publique

Nous croyons que la faible proportion de zones protégées en Abitibi est en partie attribuable à un manque de soutien du public à l’échelon local. Toutefois, lors de nos entrevues, cette perspective a été exprimée surtout par les représentants de l’industrie (y compris ceux du secteur du tourisme) et des administrations municipales. En fait, les habitants de la région semblent être en faveur de la création de zones protégées supplémentaires, comme le démontrent les commentaires émis lors de l’atelier organisé à Rouyn-Noranda.

L’Initiative boréale canadienne a eu l’amabilité de fournir aux consultants des extraits des sondages d’opinion réalisés au mois d’avril 2003 par McAllister Opinion Research. Des sous-sondages distincts ont été réalisés en Ontario et au Québec. L’Initiative boréale canadienne a résumé ainsi les résultats pertinents :

[Traduction] Les sondages 3réalisés en Ontario ont montré que 60 % des Ontariens appuieraient vigoureusement la création, dans la province, de zones naturelles protégées supplémentaires où les activités industrielles comme l’exploitation forestière et minière seraient interdites, tout en autorisant les activités de loisirs comme le camping et la pêche ; et que 30 % seraient plutôt en accord avec une telle mesure. En outre, 68 % des répondants ont indiqué qu’avant d’autoriser tout nouveau projet de mise en valeur dans la forêt boréale, des plans d’aménagement devraient être créés afin de désigner les régions à protéger comme aires de nature sauvage et celles qui seraient utilisées pour des activités industrielles, comme l’exploitation forestière ou minière. Seulement 28 % des personnes interrogées sont d’avis que les décisions sur le développement industriel dans la région boréale devraient être prises au cas par cas, sans attendre les plans d’aménagement du territoire.

Au Québec, 76 % des répondants 4appuieraient vigoureusement la création de zones protégées supplémentaires, où les activités industrielles comme l’exploitation forestière ou minière seraient interdites, mais en autorisant les activités de loisirs comme le camping et la pêche. Lorsqu’on leur a demandé qui, de la création de zones protégées supplémentaires dans la région boréale québécoise visant à conserver les écosystèmes naturels, ou du maintien des emplois et de l’investissement en NE CRÉANT PAS de zones protégées supplémentaires, devait l’emporter, 87 % des personnes interrogées ont indiqué que le gouvernement québécois et l’industrie devraient créer davantage de zones protégées.

Les résultats de ces sondages appuient la thèse voulant qu’une proportion importante de l’opinion publique soit en faveur de l’augmentation des zones protégées, même s’il faut préciser que ces sondages ont été réalisés auprès de la population dans son ensemble sans cibler en particulier les résidents de la région de l’Abitibi sous étude.

4.2.2.2 Concessions minières

Selon les consultants, une autre raison expliquant l’insuffisance des zones protégées dans la région sous étude proviendrait de la protection juridique importante dont jouissent les titulaires de concessions minières. En vertu des lois sur les mines des deux provinces, une « concession minière » désigne une parcelle de terre, y compris les terres immergées, qui a été jalonnée et enregistrée conformément aux lois sur les mines et à leurs règlements. Les lois sur les mines prévoient où les concessions peuvent être jalonnées et quels sont les droits d’un concessionnaire. Le principe de base est qu’une concession minière, une fois enregistrée, bénéficie d’un statut juridique très privilégié. L’Abitibi jouissant d’un potentiel minéral élevé, la majeure partie de la région est jalonnée, ce qui rend très difficile pour les gouvernements provinciaux de supplanter les droits d’un concessionnaire ou de l’obliger à vendre. Cette difficulté est exacerbée par les dispositions de la Loi sur les mines pour l’Abitibi, qui permet à un concessionnaire de conserver ses droits pour une période de temps prolongée moyennant le respect des dispositions de la loi. Nous avons appris que de nombreuses zones protégées du Patrimoine vital qui n’ont pas encore été classées ont été retenues aux fins de négociations sur les concessions minières.

Les commentaires émis à l’occasion de l’atelier de Rouyn-Noranda suggèrent que la région sous étude ne saurait constituer un exemple représentatif ou juste de l’impact de l’exploitation minière sur la création de zones protégées; la région sous étude coïncide parfaitement avec la zone géologique de l’Abitibi, la cible la plus importante pour l’industrie minière dans tout le Québec. « Il est évident que cette région sera plus affectée », a affirmé un participant, indiquant du même coup que, dans l’ensemble du Québec, seulement 4,5 % du territoire fait l’objet de concessions minières. Une grande partie de ces concessions visent les diamants (c.-à.-d. qu’elles sont situées dans le Grand Nord).

L’ensemble de l’industrie minière estime que sa contribution sur le plan économique est sous-évaluée tant en matière d’aménagement du territoire que généralement. Au cœur de la question de l’évaluation de cette contribution réside la difficulté d’évaluer la valeur nette actuelle d’un potentiel minéral dans une région donnée; alors que la probabilité de trouver un gisement exploitable sur un hectare donné est très faible, la découverte d’un gisement entraîne des bénéfices très substantiels. Comme la probabilité de mise en valeur d’une mine sur un hectare donné est faible, la valeur attendue par hectare est peu élevée. Cette évaluation, lorsqu’elle est intégrée à un cadre d’aménagement du territoire, relègue l’exploitation minière au bas de la liste des utilisations du sol dites « intéressantes ». Les consultants conviennent que cette situation suscite une divergence dans les perspectives sur l’évaluation des concessions minières. Toutefois, l’industrie ne peut pas s’attendre à jouir d’un si haut degré de priorité en matière d’aménagement alors que d’autres utilisations du sol potentielles, notamment les zones protégées, sont effectivement bloquées.

Les consultants proposent une solution de compromis consistant à réviser le statut des concessions minières essentiellement inactives. La définition légale de ce qui constitue un « niveau exigé d’activité » sur une concession minière pourrait être modifiée. Subsidiairement, il pourrait être équitable d’augmenter fortement le coût de renouvellement d’une concession minière afin de décourager le concessionnaire de détenir une concession minière sans avoir réalisé une enquête active sur celle-ci. Il pourrait être aussi approprié de faciliter le rachat par le gouvernement de concessions minières dans des régions désignées comme réserves de conservation.

Recommandation 4. Les gouvernements provinciaux devraient revoir les exigences juridiques incombant aux titulaires de concessions minières, notamment les dispositions touchant leur renouvellement, afin de s’assurer qu’elles font l’objet d’une enquête active et diligente, et d’éviter que les concessions inactives paralysent les décisions en matière d’aménagement du territoire.

4.2.2.3 Possibilité annuelle de coupe

Les consultants ont aussi appris que les gouvernements provinciaux exerçaient une pression importante pour maintenir la possibilité annuelle de coupe existante. Cette pression semble être particulièrement forte au Québec, ce qui pourrait expliquer la faible proportion de zones protégées dans cette province par rapport aux normes et aux repères nationaux. La pression découle du désir de préserver l’emploi dans les régions éloignées, d’appuyer l’industrie forestière canadienne (qui fait face à de nombreux défis à l’heure actuelle) et, peut-être accessoirement, d’assurer des revenus provenant des redevances forestières. L’industrie estime aussi que le maintien de la possibilité annuelle de coupe conditionne, à la fois, la rentabilité et la taille des entreprises, ce qui est considéré comme avantageux lorsqu’il s’agit de faire concurrence à d’autres sociétés multinationales dans le secteur. Au Québec, la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise étudie ces questions ainsi que d’autres enjeux. Dirigée par Guy Coulombe, la Commission a été créée à la suite du rapport d’un vérificateur général provincial, ayant conclu que les méthodes de calcul des possibilités forestières du Québec étaient dépassées et menaient à une surévaluation. La Commission est censée livrer son rapport en décembre 2004.

Ces dernières années, les possibilités annuelles de coupe dans de nombreuses unités d’aménagement forestier en Ontario ont baissé et, tant le gouvernement que l’industrie, ressentent le besoin de maintenir les niveaux de coupe. En Ontario comme au Québec, les niveaux de récolte stables ou décroissants sont attribuables à des directives récentes en matière de protection de l’environnement (notamment celles qui augmentent la quantité de matière ligneuse conservée sur les parcelles de récolte et celles visant à réserver des blocs boisés importants à des fins d’habitat), ainsi qu’aux changements dans la structure de la classe d’âge de la forêt. Dans les forêts de la région sous étude, il existe une quantité importante de matière ligneuse d’âge avancé et une quantité moins élevée de matière ligneuse plus jeune et d’âge intermédiaire. Au fur et à mesure que la matière ligneuse est récoltée et que la zone de bois d’œuvre émergente se rétrécit, la possibilité annuelle de coupe décroît. Toutefois, l’un des principaux enjeux sur le plan de l’écologie est de déterminer combien de matière ligneuse d’âge avancé doit être conservée dans la forêt. Il est démontré que s’il n’y avait pas eu de récolte, plus de 55 % de la forêt de la ceinture d’argile dépasserait 100 ans, et les études de deux zones de 825 000 hectares et de 1 580 000 hectares révèlent une moyenne d’âge actuelle de 172 et de 139 ans, respectivement (Lefort 2003). Cette situation est attribuée au fait que la région a subi relativement peu de perturbations à la suite d’une série de feux importants en 1923. Cependant, il va sans dire qu’il y a un prix à payer quant à la possibilité annuelle de coupe actuelle pour les nombreux acquis en matière de conservation, sauf si des mesures d’atténuation sont prises.

L’une des mesures d’atténuation les plus évidentes serait d’intensifier l’aménagement forestier. Même si les avantages inhérents à l’intensification peuvent sembler douteux, une approche dite « en triade » a été mise de l’avant et adoptée dans certaines juridictions. Sous son expression la plus simple, cette stratégie envisage trois intensités d’aménagement forestier sur un territoire donné : des zones d’aménagement intensif, des zones d’aménagement de faible intensité ou extensif, et aucune exploitation forestière (c.-à-d. des zones protégées) sur le reste du territoire. Ce concept peut être appliqué de différentes manières avec de multiples variantes, mais une application classique prévoit un aménagement intensif de 10 à 15 % d’un territoire donné et la protection de la même proportion, ainsi qu’un aménagement extensif des 70 % à 80 % restants. Au fond, l’approche en triade tire parti du potentiel d’aménagement intensif afin de doubler, au moins, les rendements en bois annuels moyens traditionnels, ce qui permet d’augmenter le nombre de zones protégées et de conserver un aménagement forestier d’intensité relativement faible sur le territoire restant. C’est l’approche en triade qui sous-tend l’Accord sur les forêts de l’Ontario.

Il est important de noter que l’approche en triade n’est pas sans inconvénients, puisqu’elle suppose l’augmentation des dépenses liées à l’aménagement forestier. Il s’agit ainsi de savoir qui va payer. L’industrie est préoccupée par le fait que le mode de tenure n’est pas suffisamment sûr. Cette insécurité a longtemps été évoquée par l’industrie comme une raison principale du manque relatif d’investissements dans l’aménagement forestier intensif en Ontario et au Québec, même si les consultants estiment qu’elle a pu parfois exagérer ce problème.

Recommandation 5. Le Québec devrait adopter une approche en triade et l’Ontario devrait en poursuivre la mise en œuvre par le truchement de l’initiative Patrimoine vital.

4.2.3 Certification des forêts

Au cours des 10 dernières années, la certification des forêts est passée du concept à la réalité pour les aménagistes forestiers, qui peuvent désormais choisir de faire certifier leurs forêts ou non. La certification est conférée par des organismes indépendants pour les forêts où ont été mis en place des systèmes et approches en matière d’aménagement qui satisfont à des normes élevées et codifiées. Il existe au Canada quatre options de certification :

  • la norme Z809, Système d’aménagement forestier durable, de l’Association canadienne de normalisation (CSA);
  • la norme sur la forêt boréale (Boreal Forest Standard) du Forest Stewardship Council Canada (FSC);
  • la norme de l’initiative sur la forêt durable (Sustainable Forest Initiative Standard) de l’American Forest & Paper Association (SFI);
  • la norme ISO 14000 formulée sur mesure pour les activités forestières.

Chacune de ces quatre normes diffère sur le plan de leur étendue et de leur rigueur. Les normes CSA, FSC et SFI ont un vaste champ d’application, car elles touchent à des aspects d’ordre écologique, social et économique. Elles renferment certains aspects qui dépassent leurs exigences minimales et représentent l’excellence en matière de pratiques forestières. La norme ISO 14000 est non contentieuse et vise plus spécifiquement l’existence d’un système d’aménagement.

La certification est surtout intéressante pour les sociétés qui vendent aux consommateurs des produits fabriqués à partir de ressources forestières et celles qui sont soucieuses d’exercer leurs activités avec l’assentiment du public et de se démarquer du reste de l’industrie. En définitive, on s’attend à ce que la certification fasse remonter le niveau général des normes de l’industrie. L’Ontario a récemment annoncé que tous les titulaires de permis d’aménagement forestier dans cette province devront recevoir une certification selon les normes CSA, FSC ou SFI d’ici à 2007.

Même si l’on s’interroge sur l’importance de la demande de produits issus de forêts certifiées et sur la volonté des clients de payer plus cher pour des produits certifiés, la plupart des sociétés forestières ont déjà fait au moins une demande pour une des normes de certification. En Abitibi, la forêt Gordon Cosens a récemment fait l’objet d’un audit aux fins de certification par le FSC et la forêt Roméo Malette doit bientôt faire l’objet d’une vérification; Tembec s’est engagée à faire certifier toutes les zones pour lesquelles elle détient un permis d’aménagement forestier d’ici à la fin de 2005. Les forêts Iroquois Falls et Nighthawk, gérées par Abitibi-Consolidated, division forestière de l’est de l’Ontario, ont fait l’objet d’une recommandation en vue de leur certification selon la norme CSA Z809. Abitibi-Consolidated a déjà obtenu une certification en vertu de la norme CSA Z809 pour 1,6 million d’hectares de forêt dans la partie québécoise de l’Abitibi. D’autres sociétés ont obtenu la certification de 3,4 millions d’hectares supplémentaires en vertu de la norme SFI. Avec 8 % de son territoire forestier certifié en vertu d’un des trois principaux systèmes de certification (FSC, CSA et SFI), le Québec se situe encore en deçà de la moyenne canadienne de 25 % ; toutefois, son territoire forestier est régi en grande partie par la norme ISO 14000.

Dans le cadre de cette étude de cas, il convient de mentionner plusieurs sujets de préoccupation clés. La première touche au rôle des gouvernements provinciaux en matière de certification des sociétés. Si, à l’heure actuelle, il incombe aux sociétés de faire les démarches pour demander une certification, il n’en reste pas moins que les normes de certification visent la forêt dans son ensemble et non pas une entreprise en particulier. Or, comme les gouvernements provinciaux sont chargés d’aménager les parties non ligneuses des ressources forestières (par ex. les espèces sauvages), ils peuvent constituer un obstacle à la certification s’ils échouent dans l’exercice de cette responsabilité.

Le second sujet a trait aux coûts de la certification. Selon une étude qui a évalué l’impact éventuel d’une certification visant deux unités d’aménagement forestier (dont l’une est située en Abitibi), l’approvisionnement en bois serait réduit de 10 à 30 % (Callaghan and Associates 2003). Le fait de remplir les exigences de la certification a aussi pour résultat d’augmenter de façon importante les coûts par mètre cube de bois récolté.

Enfin, certains arrangements sur le mode de tenure ne sont pas nécessairement compatibles avec la certification. On peut citer, comme exemple, les aires communes faisant l’objet d’une tenure au Québec, lesquelles sont définies comme des zones exploitées par plusieurs sociétés différentes sans qu’aucune d’entre elles n’endosse la responsabilité principale. Les arrangements relatifs au mode de tenure indiquent le volume de bois d’œuvre pouvant être récolté. Ainsi, comme il n’y a pas de titulaire principal de permis, personne n’a intérêt à dépasser les exigences minimales car il n’y a aucune garantie d’obtenir les bénéfices futurs attachés au respect de normes plus élevées. Même si la CSA prévoit des exigences précises pour obtenir une certification en vertu d’arrangements de tenure fondés sur le volume récolté, il est évident qu’il est plus difficile d’obtenir une certification dans ce cas que lorsqu’une seule société obtient une concession pour exercer ses activités dans une zone déterminée. Les consultants remarquent que, jusqu’à très récemment, la Colombie-Britannique possédait un certain nombre de zones aménagées de cette manière (connues sous le nom de zones d’approvisionnement en bois d’œuvre ou Timber Supply Areas). Cependant, ces zones ont été concédées à des sociétés précises en fonction d’un secteur donné, en partie à cause de la certification.

Recommandation 6. Les gouvernements provinciaux devraient appuyer les initiatives des sociétés forestières visant à demander la certification en supprimant les obstacles institutionnels à cette dernière, en satisfaisant à leurs responsabilités en matière d’aménagement et en offrant à ces sociétés des mesures d’encouragement, dont la simplification des exigences en matière de planification des activités d’exploitation et une réduction des droits de coupe.

4.2.4 Mines orphelines ou abandonnées

La loi oblige l’industrie minière à déclasser et à réhabiliter des mines après leur fermeture, afin d’éliminer tout danger à la sécurité publique et de réduire les risques écologiques. Les sociétés doivent déposer un plan de fermeture et fournir une garantie financière sur leur capacité de financer le plan. Toutefois, il s’agit d’une loi relativement récente, et il existe un grand nombre d’anciennes mines et de bassins à stériles en Abitibi, qui datent d’une période antérieure aux exigences actuelles relatives à la fermeture. Ces vieux sites sont susceptibles de constituer un danger pour la sécurité et de poser des risques écologiques. C’est pourquoi leur traitement a récemment été désigné comme prioritaire par de nombreux programmes gouvernementaux sur l’environnement. À l’échelle nationale, l’initiative pour les mines orphelines ou abandonnées a été établie en 2002 et a commencé à traiter de questions comme le partage des coûts du nettoyage, l’établissement des priorités quant aux sites à réhabiliter et autres sujets touchant la législation (voir www.abandoned-mines.org).

Le gouvernement québécois a été très actif dans ce dossier pendant de nombreuses années 5. Dès 1985, un inventaire des travaux préparatoires dangereux a été créé, ce qui a permis de dénombrer 1 650 sites. D’autres sites se sont ajoutés dans les années subséquentes. Rien qu’en Abitibi-Témiscamingue, 1 157 de ces sites ont été recensés. Dès 2001, on recense 1 129 travaux préparatoires réalisés, et 200 à traiter. Le gouvernement a aussi été très actif en matière de décontamination des résidus miniers, en particulier les vieux bassins à stériles. En 1982, un inventaire des bassins à stériles en Abitibi-Témiscamingue a permis de repérer 50 sites, 423 ayant été recensés dans toute la province. Le nettoyage a débuté en 1989, et les dépenses ont augmenté rapidement au point où, entre 1994-1995 et 2001-2002 (années des données les plus récentes), on dépensait en moyenne plus de 2 millions de dollars par an. Le total des dépenses publiques et privées jusqu’à nos jours est de 40 millions de dollars; on estime qu’il faudrait 75 millions de dollars pour nettoyer les sites dangereux restants.

4.3 Conservation de la diversité biologique

Au cours des deux dernières décennies, la conservation de la diversité biologique est devenue un élément majeur du développement durable, en général, et de l’aménagement forestier durable, en particulier.

Le gouvernement fédéral a commandité l’élaboration d’une stratégie nationale des forêts et d’une stratégie canadienne de la biodiversité. Ces deux stratégies appuient la conservation de la diversité biologique, mais n’ont pas eu de répercussions sur le plan de la réglementation jusqu’à l’adoption de la Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral. L’Ontario et le Québec tentent tous deux de protéger la diversité biologique sur la partie non classée de la forêt en maîtrisant l’aménagement forestier; la conservation de la biodiversité à l’échelle des paysages est surtout apparente dans les plans d’aménagement forestier à long terme élaborés, eu égard aux unités d’aménagement forestier situées dans chaque province. Toutefois, les deux provinces ont adopté des approches très différentes en matière de biodiversité à l’échelle des paysages.

4.3.1 Biodiversité à l’échelle des paysages

En Ontario, la Loi sur la durabilité des forêts de la Couronne fait de la durabilité de la forêt l’objectif principal de l’aménagement forestier sur les terres de la Couronne. Le MRN exige que les plans de gestion forestière définissent une orientation à l’échelle des paysages, et les considérations à l’échelle des paysages sont venues jouer un rôle majeur dans l’aménagement de la forêt. Le MRN a rédigé des guides de gestion forestière concernant des méthodes visant à imiter les configurations de la perturbation naturelle et à assurer l’habitat du caribou et de la martre. Ces guides donnent des orientations, notamment les niveaux minimums acceptables d’habitat exigés pour les plans de gestion forestière de 20 ans. Le guide sur l’imitation des configurations de la perturbation naturelle vise à reproduire la configuration « naturelle » de la taille, de l’emplacement et de la structure des parcelles, en adoptant une approche de filtre brut pour conserver la biodiversité. L’une des raisons à l’origine de ce guide a été la reconnaissance que l’extinction des feux et les limites imposées à la taille des parcelles de récolte avaient eu pour effet de réduire la taille moyenne des parcelles créées dans les forêts, de sorte qu’elles étaient beaucoup plus modestes que celles issues de processus naturels. Même si la science qui sous-tend ces guides est encore jeune, ces derniers représentent la meilleure information disponible. Néanmoins, des interrogations demeurent en ce qui concerne l’impact des mesures prévues dans ces guides ainsi que leurs avantages et leurs coûts. (Il convient de noter que le guide sur le caribou ne s’applique que dans la région nord-ouest de l’Ontario; il n’a pas d’équivalent pour la région nord-est de cette province.)

La biologie de la conservation, qui est devenue une discipline au cours des deux dernières décennies, a fourni aux aménagistes forestiers une série pratique de principes qui, à condition d’être appliqués, permettront de protéger effectivement la diversité biologique. Même si la preuve de l’efficacité de ces principes ne pourra être établie que dans quelques décennies, ils reçoivent un large appui et font partie du cadre des normes, critères et indicateurs établis pour la certification SFM. L’Ontario a intégré un certain nombre d’exigences de gestion à l’échelle des paysages parmi les plus avant-gardistes du pays. Cependant, un petit nombre de ces idées, surtout en matière d’aménagement à l’échelle des paysages, ont été reprises dans les exigences reliées à l’aménagement forestier au Québec. En outre, aucun aménagement à long terme de la faune sauvage ou modélisation de l’espace n’est réalisé au Québec, alors que de tels aménagements existent depuis plusieurs années dans de nombreuses juridictions.

Des exigences particulières en matière d’aménagement à l’échelle des paysages ont été appliquées de façon sélective aux unités d’aménagement forestier du Québec. Fait remarquable, le MRNFP a recours à la coupe mosaïque à titre d’approche du filtre brut dans le cadre de l’aménagement de l’habitat de la faune sauvage (ainsi que l’établissement de zones protégées et le maintien de la forêt aux derniers stades de succession écologique). Même s’il existe une preuve scientifique de la manière dont les coupes mosaïques affectent la biodiversité dans certaines régions, leur impact n’a pas été établi pour l’Abitibi. Certains chercheurs craignent que les récoltes mosaïques modifient substantiellement la distribution naturelle et la configuration de la future forêt et ainsi en intensifient la fragmentation. Surtout, cette pratique n’a pas pour effet de reproduire les configurations des paysages naturels, les tailles des parcelles et les configurations des forêts en Abitibi. En revanche, la plupart des personnes interrogées ont convenu que la pratique a des effets positifs sur l’aspect visuel et la faune sauvage.

Le fait que les plans sont élaborés pour des unités de gestion particulières (taille moyenne d’environ 750 000 hectares) réduit l’efficacité de l’aménagement à l’échelle des paysages. Le guide de l’Ontario sur le caribou recommande d’évaluer l’habitat à une échelle de 700 000 hectares, et le guide sur la martre suggère qu’entre 10 et 15 % de la forêt située dans l’unité de gestion soit constituée en blocs de 3 000 à 5 000 hectares. Le fait de maintenir cette répartition de la forêt en vastes blocs de conifères mûrs crée des contraintes importantes en matière de planification et a pour effet de réduire la possibilité annuelle de coupe. Un aménagement visant à créer des blocs très étendus de forêt pourrait être réalisé plus efficacement à une échelle plus grande que celle d’une simple unité d’aménagement forestier, car la petite échelle de cette dernière laisse peu de marge de manœuvre pour remplir les exigences en matière d’habitat et de récolte. Dans la même veine, le guide relatif à l’imitation des configurations de la perturbation naturelle envisage un aménagement à une échelle infrarégionale.

Lorsqu’on aménage de vastes blocs de paysage comme celles-ci dans des régions situées sur la frontière provinciale, il serait avantageux de tenir compte du paysage qui se trouve dans la province adjacente.

Recommandation 7. Les gouvernements provinciaux devraient élaborer des méthodes d’aménagement forestier à une échelle plus vaste que celle d’une unité d’aménagement particulière.

La fragmentation constitue une menace commune et répandue à la diversité biologique, et elle est source d’inquiétudes pour la forêt boréale; les guides de l’Ontario sur la martre et le caribou exigent tous deux le maintien de la connectivité. Les indices de fragmentation et d’interdépendance sont surveillés dans le cadre des plans de gestion forestière; toutefois, l’interprétation des valeurs-indices est controversée. Les consultants estiment d’une manière générale que la fragmentation n’est pas un enjeu important en Abitibi – il en existe d’autres plus urgents en ce moment.

Enfin, les forêts anciennes de tous types suscitent une attention croissante. La plupart des plans forestiers prévoient maintenant des cibles visant à maintenir certaines proportions de peuplement pour chaque section d’aménagement en peuplement ancien et très ancien, les proportions ciblées étant souvent fondées sur les modèles de feu. Le principe consistant à récolter les peuplements « les plus anciens d’abord » est tombé en désuétude. Au Québec, on conseille encore de créer une forêt possédant une répartition égale des classes d’âge (c.-à-d., une forêt normalisée). Comme le respect pur et simple de cette stratégie conduirait à éliminer les peuplements anciens, le Québec a établi de nouveaux objectifs visant à maintenir 33 % des proportions historiques des vieux peuplements dans chaque unité d’aménagement. Cet objectif sera inséré dans les prochains plans généraux d’aménagement (devant entrer en vigueur en janvier 2006) et progressivement appliqué sur une période de 15 à 20 ans de manière à atténuer les impacts d’ordre socioéconomique. De nombreux groupes ont fait valoir que cet objectif modeste ne suffira pas à arrêter la diminution de la proportion des forêts aux derniers stades de succession écologique.

4.3.2 Biodiversité des espèces

Un deuxième aspect de la biodiversité est le niveau des espèces particulières. Il existe quelques approches étendues en matière de conservation de la diversité des espèces, outre les mesures à l’échelle des paysages décrites précédemment. Les espèces en péril qui jouissent d’un certain degré de protection juridique, tant au fédéral qu’au provincial, constituent un sujet de préoccupation. La Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral, qui a reçu la sanction royale en décembre 2002, interdit de tuer, de blesser, de harceler ou de capturer les espèces énumérées. La loi est circonscrite aux espèces de compétence fédérale; elle s’applique donc à toutes les eaux navigables (régies par la réglementation établie par le ministère des Pêches et des Océans). Toutefois, les provinces sont largement responsables de la protection des espèces situées sur les terres publiques et privées. L’Ontario possède une loi analogue à la Loi sur les espèces en péril fédérale. La Loi sur les espèces en voie de disparition de cette province interdit la destruction volontaire des espèces en voie de disparition visées par la loi et de leur habitat.

L’aménagement forestier au Québec et en Ontario exige le recours à des stratégies de filtre fin (c.-à-d. qui visent à protéger certaines espèces particulières) pour protéger les espèces en péril et autres. L’Ontario exige qu’un plan de gestion forestière aborde la question de la contribution de l’unité de gestion à la fourniture de l’habitat pour les espèces vulnérables, menacées et en voie de disparition. Dans les deux provinces, la base de données des valeurs du plan d’aménagement forestier doit comprendre l’information pertinente sur le type d’habitat qui est important pour ces espèces. En Abitibi, les espèces désignées les plus notables sont le caribou des bois, le carcajou et le pygargue à tête blanche, et éventuellement le couguar de l’est. Des guides de gestion forestière ont été élaborés pour les nids du pygargue à tête blanche et pour le caribou, en ce qui a trait à la partie nord-ouest de l’Ontario. Des stratégies de filtre fin sont appliquées au Québec pour d’autres espèces vulnérables, menacées et en voie de disparition, dont la tortue des bois et le faucon pèlerin. Des guides sont en cours d’élaboration pour d’autres espèces vulnérables, menacées et en voie de disparition.

D’autres guides de gestion forestière ont été rédigés pour des espèces qui ne sont pas vulnérables, menacées ou en voie de disparition, comme la martre, l’orignal, et les rapaces (autres que le pygargue à tête blanche) et le héron. En outre, en Ontario, les guides de sylviculture prévoient des mesures pour les espèces arborescentes situées aux extrémités de leurs territoires. Les sujets qui vivent aux extrémités sont davantage susceptibles de posséder des caractéristiques génétiques différentes de celles des sujets moyens d’une population et qui auront un rôle très important à jouer lorsqu’il s’agira de permettre aux espèces de migrer au moment où les changements climatiques auront été enclenchés.

4.3.3 Biodiversité génétique

La conservation de la biodiversité génétique est peut-être l’aspect le plus complexe de la diversité à surveiller et à protéger. Les mesures prises à l’échelle des paysages et des espèces visent aussi à appuyer la conservation de la diversité génétique. En outre, les aires des arbres ont été divisées en zones de prédilection génécologique, qui empêchent le mouvement des semences forestières.

4.3.4 Résumé sur la biodiversité

Le désir de conserver la diversité biologique a remplacé l’objectif principal poursuivi par l’aménagement forestier. Au lieu de la production de flux de produits, l’accent est mis désormais sur la conservation de la santé et de l’intégrité écologique de la forêt en utilisant les produits qu’elle est en mesure de donner. Alors que la biologie de conservation est encore émergente et que l’efficacité des mesures prises jusqu’à maintenant demeure inconnue, les principes de la conservation de la biodiversité ont été traduits en pratique sur le terrain, et ce à plusieurs échelles. Les mesures prises semblent avoir limité les possibilités d’expansion de l’industrie forestière. Elles ont aussi interdit l’exploration minière dans diverses zones. Ces mesures auront peut-être pour effet de stabiliser la diversité biologique aux niveaux actuels. Toutefois, lorsque les causes sous-jacentes à la rareté de certaines espèces touchent à leur sensibilité vis-à-vis de l’activité humaine et de l’accès des hommes à leur habitat, il n’est pas évident que les sacrifices requis pour conserver ces éléments sensibles de diversité seront jamais réalisés.

En outre, l’hypothèse de travail est que les nouvelles approches sur la conception des interventions en matière de récolte offriront des conditions écologiques analogues à celles qui seraient présentes si le feu ou les insectes étaient moins bien contrôlés. Il s’agit d’une hypothèse audacieuse, et son degré d’exactitude sera primordial pour décider de la santé future de la ressource.

4.4 Conservation des ressources en eau

La qualité de l’eau constitue un élément primordial de l’aménagement durable. Elle revêt une importance croissante et suscite de plus en plus l’intérêt du public. L’industrie forestière a été très réglementée et surveillée. Il est empiriquement démontré que les sociétés minières sont moins sévèrement réglementées (ou peu sanctionnées) en ce qui concerne les traversées de cours d’eau et des travaux aux alentours des cours d’eau, alors que l’agriculture est autorisée à exercer des pratiques qui ne seraient pas permises dans d’autres secteurs. L’impact que les mines orphelines ou abandonnées ont sur la qualité de l’eau est aussi en cours d’évaluation. La régulation de l’eau par les génératrices hydroélectriques est aussi devenue un enjeu de conservation en Abitibi; ces questions sont abordées dans la section 4.2.

En matière de foresterie, les principales mesures de conservation de la qualité de l’eau consistent à aménager des zones tampons le long des voies navigables et des lacs, et à soigneusement planifier et construire des traverses de cours d’eau et des ponceaux. Les sociétés commencent aussi à envisager des limites supérieures aux proportions des bassins versants qui peuvent demeurer dans l’état où ils ont été laissés après une récolte récente à un moment donné. En revanche, la pression exercée sur les sociétés de maintenir le niveau de récolte pousse celles-ci à envisager une récolte partielle dans les zones riveraines. Ce type de récolte est rarement pratiqué, mais actuellement permis lorsque son impact sur les cours d’eau est présumé négligeable (lorsque les berges sont planes et que le littoral est stable). Jusqu’à présent, de nombreuses sociétés en Ontario ont évité de recourir à la coupe des zones riveraines parce que le coût par mètre cube est plus élevé que la moyenne, et parce qu’il pourrait susciter des plaintes de la part du public.

L’intérêt inhérent à l’aménagement de zones tampons et les incidences de la coupe totale ou partielle de peuplements situés dans les zones riveraines sont controversés. Il est peu contesté que les zones tampons offrent un degré élevé de protection. Toutefois, les feux de friches brûlent souvent jusqu’au rivage. Aussi, par souci de cohérence avec l’orientation générale d’une politique visant à favoriser l’imitation des processus naturels, il faudrait couper quelque peu jusqu’au rivage. En outre, les bandes de zones riveraines s’érodent souvent assez rapidement après avoir été construites. La qualité souvent très bonne du bois dans les zones riveraines constitue un argument de plus en faveur de la coupe dans ces zones. L’enjeu consiste ici à déterminer le moment à partir duquel la récolte réalisée dans les zones riveraines crée un risque élevé de dégradation écologique, tout en gardant à l’esprit que les zones tampons créent des routes d’accès pour la faune sauvage dans l’ensemble du paysage. Lorsqu’un cours d’eau possède une valeur récréative, l’impact visuel doit aussi être pris en compte.

4.5 Gestion de l’accès

Les routes et laies forestières constituent l’un des principaux enjeux en matière d’aménagement des ressources naturelles dans toute forêt boréale, et la situation n’est pas différente en Abitibi. Sur le plan technique, la question revêt un double aspect : la construction de chemins d’accès et la réglementation de leur utilisation. Toutefois, en pratique, ces aspects sont presque indissociables.

Les controverses entourant l’accès s’expliquent par la multiplicité des impacts, des groupes d’intérêts et des perspectives. Certaines Premières nations et des intervenants (comme les pourvoyeurs de tourisme en région éloignée, les animateurs de loisirs en arrière-pays et les groupes environnementalistes) préfèrent que l’accès soit limité et leur utilisation restreinte. Plus il y a de régions éloignées ouvertes, plus le concept d’éloignement (souvent confondu avec l’absence de chemin d’accès) prend de la valeur. De nombreux autres animateurs en loisirs, quelques Premières nations et autres utilisateurs de la forêt réclament davantage de routes et la non-réglementation de leur utilisation. Ils ont formé un groupe de pression influent et prolixe militant en faveur d’un accès motorisé sans entraves aux terres publiques lorsque les chemins existent. Un sous-groupe de celui-ci fait fi des efforts déployés pour contrôler l’utilisation des chemins d’accès. Le passage de motoneiges et de véhicules tout-terrain (VTT) est particulièrement difficile à réglementer de manière efficace. Comme les routes praticables l’hiver et les laies forestières peuvent être utilisées par les motoneiges et les VTT, une fois un chemin ou une laie forestière ouverts, il est difficile d’empêcher qu’ils soient utilisés et qu’ils demeurent ouverts.

Dans les deux provinces, les chemins d’accès pour l’exploitation du bois d’œuvre, qui constituent la majorité des chemins d’accès, nouveaux et existants, en Abitibi, sont aménagés par le truchement du processus d’aménagement forestier. Les activités d’exploration minière sont aussi susceptibles de mener à la création de nouveaux chemins d’accès, mais les équipes d’exploration ont tendance à utiliser les routes existantes jusqu’à ce qu’elles découvrent un gisement potentiel, auquel moment le nouvel accès désiré a plus de chance d’être construit. Les laies forestières sont communément tracées à travers des zones vierges aux fins d’exploration, mais elles sont souvent grossières et ne conviennent pas aux véhicules, sauf peut-être les VTT et les motoneiges.

L’accès aux forêts est, en général, aménagé et construit au besoin, et doit passer par l’étape de la consultation du public et des intervenants, qui fait partie du processus d’aménagement forestier. Toutefois, il n’existe aucun processus stratégique d’aménagement de l’accès, même dans le cadre d’un plan d’aménagement forestier, permettant d’élaborer une stratégie d’ensemble sur l’accès qui satisferait tous les intérêts. En matière d’accès, les décisions sont principalement fondées sur la quantité de bois d’œuvre concernée, les coûts engendrés par l’atténuation des impacts sur les valeurs et la capacité de ce faire. Au Québec, tous les chemins d’accès deviennent la propriété du gouvernement provincial et leur utilisation n’est pas restreinte, sauf en ce qui concerne les mesures de prévention contre l’incendie. L’Ontario exige maintenant que les nouveaux chemins d’accès soient dotés d’un plan de cycle de vie intégrant le déclassement lorsque le chemin est temporaire. Les chemins déclassés peuvent éventuellement devenir impraticables pour les camions, mais continuer à être utilisés par les VTT et les motoneiges.

Les initiatives visant à élaborer des stratégies d’ensemble relatives à l’accès ont largement échoué. À une quasi-exception près, applicable à la région sous étude, il existe la Stratégie de tourisme en région éloignée (aire naturelle) du district de Cochrane, qui a été mise sur pied entre 1993 et 1997 en réponse à une demande de « changement de catégorie » ou « bump-up request » pour une évaluation environnementale (en vertu de la législation provinciale) ayant lieu au cours d’un processus d’aménagement forestier, et à la complexité générale de certains enjeux dans la région. La stratégie a repéré une zone à l’intérieur du district de Cochrane où le tourisme éloigné constituait la principale activité. Dans cette zone, l’exploitation forestière est interdite, et la chasse et la pêche qui y sont exercées par le public doivent uniquement emprunter les modes d’accès traditionnels. La stratégie indique comment l’accès aux lacs individuels situés dans le district est classé et aménagé. Cette approche en apparence simple n’a pas encore été appliquée ailleurs, peut-être parce qu’elle implique un long processus et suscite une certaine méfiance de la part des exploitants d’entreprises touristiques. Plus récemment, ces derniers ont commencé à en reconnaître les avantages et à considérer cette stratégie de manière plus positive.

Un accès non réglementé suppose un certain nombre d’incidences écologiques éventuelles, toutes négatives, notamment :

  • l’épuisement rapide des stocks de poissons – qui se produit lorsque l’accès est étendu à des régions possédant des lacs de petite ou de moyenne taille auxquels personne n’a jamais accédé;
  • la surexploitation et la persécution des animaux à fourrure et des carnivores;
  • la perturbation par les hommes d’espèces sensibles à l’influence humaine, notamment (en Abitibi) le caribou;
  • la pénétration de prédateurs et de concurrents dans de nouveaux territoires;
  • la pénétration de plantes exotiques et envahissantes ainsi que d’organismes nuisibles dans de nouveaux territoires;
  • l’augmentation des incendies dus à la négligence humaine.

Noss (1995) indique la chose suivante : « Si je devais choisir un indicateur permettant d’évaluer et de comparer l’intégrité écologique des régions boisées, ce serait la densité des routes, car ce sont ces dernières qui rendent possibles la plupart des perturbations du fait de l’homme et qu’elles ont des effets cumulatifs qui persistent aussi longtemps que l’assiette demeure en place. »

Recommandation 8. Les gouvernements provinciaux doivent mettre à la disposition des aménagistes forestiers les outils appropriés pour réglementer l’utilisation et la densité des routes, et s’assurer que la réglementation est adéquatement appliquée.

Des mesures diverses peuvent être appliquées pour réglementer l’accès le cas échéant, notamment le recours à la signalisation, l’installation de barrières et d’obstacles comme les bermes sur les routes. Les ponts peuvent aussi être supprimés. Dans de nombreux cas, ces mesures sont considérées comme très efficaces lorsqu’elles empêchent effectivement le passage des véhicules – mais les motoneiges et VTT sont plus difficiles à arrêter. Le choix de l’emplacement d’un pont sur une route qui sera plus tard déclassée devrait être réalisé dans l’esprit du processus de déclassement. La réglementation de l’accès devrait être suivie de programmes de sensibilisation (par ex., expliquer pourquoi le gouvernement limite l’accès). En outre, elle est utile lorsqu’un comité consultatif sur la forêt, à l’échelon local, ou une table de gestion intégrée des ressources est d’accord avec l’approche et a contribué à sa mise en œuvre. Il est aussi nécessaire qu’il y ait un degré raisonnable d’exécution forcée de la réglementation.

Recommandation 9. Il convient d’élaborer des stratégies régionales d’ensemble régissant l’accès, de préférence, comme partie intégrante des plans régionaux d’aménagement du territoire, mais, en leur absence, de favoriser des plans autonomes.

Alors que l’élaboration de stratégies régionales d’ensemble régissant l’accès ne résoudra pas toutes ces questions, elle constitue un point de départ utile. Une stratégie régionale sur l’accès exigerait, au minimum, un processus décisionnel bien conçu, qui, en principe, repérerait les buts et les objectifs, les zones d’accès (y compris les régions éloignées), les mesures de contrôle de l’accès privilégié ou autorisé, et des approches d’aménagement qui viseraient à améliorer la fonctionnalité des routes permanentes. À défaut de quoi, les décisions et différends en matière d’accès continueront à être traités au cas par cas, ce qui aura pour effet d’occulter les aspects cumulatifs et stratégiques de l’accès.

4.6 Effets cumulatifs

La majeure partie de l’Abitibi est aménagée en tenures forestières. Elle possède une longue histoire d’extraction minérale, les rivières sont aménagées de manière à générer de l’hydroélectricité, et les ressources halieutiques et la faune sauvage sont exploitées par les résidents de la localité et les touristes. Alors que chacun de ces usages (et d’autres) est réglementé de manière indépendante et surveillée à des degrés divers, il n’existe aucun processus permettant de tenir compte de manière explicite des incidences qu’ont les autres usages sur la définition d’un régime d’aménagement propre à une ressource, ou qui tente de tenir compte des incidences de l’aménagement sur la définition d’une approche d’aménagement intégré visant les ressources de la région. Des inquiétudes ont été émises quant au fait que les effets cumulatifs des industries de la gestion des ressources naturelles n’ont pas été évalués et ne sont pas pris en compte dans le processus d’aménagement forestier. Des cadres d’évaluation des effets cumulatifs existent, mais, à la connaissance des personnes interrogées, ils n’ont jamais été appliqués en Abitibi.

Les consultants considèrent les préoccupations exprimées au sujet des effets cumulatifs comme un autre aspect de la discussion entourant « l’aménagement à objectifs intégrés du territoire ». La principale raison sous-jacente à un aménagement à objectifs intégrés est de permettre aux planificateurs de tenir compte de tous les impacts. L’évaluation des effets cumulatifs est plus évidente dans sa dimension temporelle – les effets cumulés de toutes les sources se doivent d’être envisagés dans le temps.

Dans le cadre d’un processus décisionnel, il convient idéalement d’évaluer les effets cumulatifs des activités exercées dans divers secteurs sur de longues périodes. Ce serait là une caractéristique ou un avantage inhérents à un processus d’aménagement régional bien conçu, qui réunit à une même table un éventail pertinent de parties intéressées. Le fait de réaliser un aménagement de l’accès au cas par cas, sans le bénéfice d’un document définissant une orientation générale, est le signe par excellence d’un désintérêt pour la question des effets cumulatifs.

Recommandation 10. Les futures évaluations environnementales réalisées dans la région devraient tenir compte des effets cumulatifs sur l’environnement des activités existantes ou envisagées d’exploitation des ressources.

4.7 Autochtones

Les thèmes clés du sixième critère SFM élaboré par le CCMF (voir Tableau 5) concernent le respect des valeurs autochtones et leur intégration au processus décisionnel. À cette fin, il convient d’encourager et de faciliter la participation des autochtones aux aspects de gestion des ressources naturelles, qui vont de la planification aux ententes et permis en matière d’exploitation forestière. De nombreux autochtones aimeraient aussi toucher une partie des redevances. La plupart des autochtones croient que le respect de leurs droits et des traités devrait prévaloir dans toute décision ou entente en matière de ressources naturelles – position qui est illustrée par leur participation à l’élaboration de la norme boréale nationale du Forest Stewardship Council.

Le respect des droits des autochtones et des traités, conjugué à une participation autochtone effective dans les perspectives économiques fondées sur les ressources, contribuerait à la conservation à plusieurs niveaux. Par exemple, il favoriserait la viabilité des collectivités autochtones en aidant à résoudre les dysfonctionnements importants au sein de ces communautés sur les plans de l’emploi et de la société. Il permettrait aussi d’encourager la conservation du patrimoine naturel, puisque les autochtones sont de grands pêcheurs de poissons et chasseurs de gibiers – à long terme, leur participation à l’aménagement de la faune sauvage est nécessaire. Enfin, de nombreux autochtones possèdent un savoir traditionnel susceptible d’améliorer la qualité d’ensemble de l’aménagement forestier, pour peu qu’il soit intégré à l’aménagement et à l’utilisation des forêts.

Au sein du secteur forestier, des mesures ont été prises afin d’inclure les collectivités autochtones dans la planification et l’aménagement des forêts et d’encourager leur participation au secteur forestier. Ces incitatifs comprennent des exigences en matière de certification, des exigences juridiques et l’orientation du gouvernement provincial. Toutefois, comme l’a indiqué un représentant autochtone au cours de l’atelier de Rouyn-Noranda, il existe d’importantes différences dans la manière dont les deux gouvernements abordent le sujet des Premières nations.

Depuis 1998, le gouvernement québécois a signé plusieurs conventions avec les communautés autochtones, notamment les Cris de la baie James, ainsi qu’une entente tripartite avec les Algonquins of Barriere Lake (dans l’Outaouais), et le gouvernement du Canada. De petites parties des territoires couverts par ces deux accords empiètent sur la région de l’Abitibi sous étude. C’est pour cette raison, et parce que ces accords représentent un précédent intéressant, susceptible de mener à la conclusion d’ententes analogues avec les communautés autochtones de l’Abitibi, que nous décrivons brièvement les points saillants de l’un de ces accords : la convention conclue avec les Cris de la baie James.

La Paix des Braves est l’entente la plus importante conclue entre les Premières nations et le gouvernement, dans l’histoire du monde, soit 3,5 milliards de dollars sur 50 ans, plus une participation aux bénéfices tirés des ressources naturelles extraites des terres cries. Neuf communautés cries au Québec ont voté pour donner leur accord à cette entente le 30 janvier 2002. D’une part, l’étendue considérable de la Convention de la Baie James et du Nord québécois assure aux peuples cris résidant au nord de la région de l’Abitibi, sous étude, une expansion des activités d’Hydro-Québec et des emplois supplémentaires. D’autre part, le détournement nécessaire de la rivière Rupert et la construction de la centrale hydroélectrique d’Eastmain de 1 200 MW anéantiront certaines lignes de piégeage cries et perturberont les vies, à un prix que certains estiment important puisqu’il s’agit du mode de vie traditionnel des Cris.

Les dispositions de la convention relatives à la foresterie visent, entre autres, à mettre en place un régime de foresterie concret et adapté prévoyant des règles et des procédures particulières destinées à mieux réconcilier les activités d’exploitation forestières avec les activités de chasse, de pêche et de piégeage des Cris. Les mesures spéciales prévues par cette convention auront une incidence directe sur l’industrie forestière du Québec. Près de 2 millions de mètres cubes seront soustraits de la possibilité annuelle de coupe actuelle. Qui plus est, 350 000 mètres cubes seront transférés aux Cris à partir des territoires couverts par des permis d’exploitation forestière détenus par l’industrie. L’industrie estime que ces changements coûteront 1,25 million de dollars supplémentaires par an (les Cris sont censés revendre à profit les 350 000 mètres cubes de bois à l’industrie).

Des volumes de bois ont été attribués à de nombreuses communautés des Premières nations ailleurs au Québec. Par exemple, un plan conjoint de foresterie a été élaboré avec les Atikamekw de Manawan et un accord de gestion de la faune et de la forêt a été conclu avec les Micmacs de Gesgapégiag. À l’exclusion des 350 000 mètres cubes donnés aux Cris en vertu de l’entente de la Paix des Braves, les volumes attribués aux collectivités et aux sociétés des Premières nations du Québec sont passés de 247 000 mètres cubes en 1998 à 651 000 mètres cubes en 2003. Ces volumes excluent ceux octroyés aux communautés des Premières nations en vertu de contrats passés avec les diverses industries forestières pour les interventions en matière de récolte, de transport, de construction de routes et de sylviculture.

Enfin, le gouvernement du Québec a négocié avec les Innus, les Montagnais et les Atikamekw afin de préciser leurs droits traditionnels et leur permettre de mieux se développer sur les plans social et économique. Un accord a été conclu en 2002 avec les Innus afin d’augmenter leur territoire, de reconnaître l'autonomie de leur gouvernement et de reverser 3 % des royautés qui leur sont versées pour l’extraction des ressources naturelles situées dans le Nitassinan (leurs terres traditionnelles).

Le gouvernement de l’Ontario a adopté une approche très différente pour traiter avec les Premières nations. Plutôt que de négocier des ententes comme celles du Québec, l’Ontario s’oriente vers la délivrance de permis d’exploitation forestière durable aux communautés autochtones comme la bande de la Moose Cree située dans la région nord des territoires couverts actuellement par des permis d’exploitation forestière. Comme le territoire qui présente un intérêt est situé bien au nord de la province, la plupart des groupes autochtones en Ontario ne bénéficieront pas de ces mises en valeur ou n’y participeront pas. En 1994, l’Évaluation environnementale de portée générale du ministère des Richesses naturelles (MRN) sur la gestion du bois d’œuvre des terres de la Couronne de l’Ontario contient une condition 77 demandant aux aménagistes forestiers de chercher à augmenter la participation des peuples et communautés autochtones au secteur forestier. Des retombées positives en Abitibi se sont produites, dont la création d’une entreprise d’exploitation forestière dynamique et réussie par la Première nation New Post et la participation à des degrés divers de la Première nation Wahgoshig à la forêt modèle du lac Abitibi. Le processus de planification de l’aménagement forestier comprend aussi des dispositions visant un processus autochtone particulier de consultation. Toutefois, les initiatives de l’Ontario visant à traiter avec les peuples autochtones ont été considérées par le gouvernement provincial comme relativement peu prioritaires, et n’ont pas généré beaucoup de résultats tangibles, surtout en comparaison avec le Québec.

Recommandation 11. Il est nécessaire d’accélérer les progrès visant à conférer aux communautés autochtones une participation significative à l’aménagement des ressources, notamment en Ontario.

Au cours de l’atelier de Rouyn-Noranda, un groupe de travail a recommandé la formation d’une table autochtone des forêts, suggérant qu’elle constituerait un porte-parole important en matière de planification et d’aménagement à l’échelle des paysages terrestres. Les consultants estiment qu’une telle table risquerait d’être redondante, car les Premières nations particulières et les conseils tribaux sont en mesure de jouer un rôle, du moins à l’échelon de la présente étude de cas. Dans le contexte provincial, une table de ce genre risque de se disperser en raison des différences régionales; la National Aboriginal Forestry Association est un porte-parole efficace à l’échelon national. En outre, les consultants sont convaincus que la réticence du gouvernement de l’Ontario à réaliser des compromis sérieux constitue l’obstacle principal dans la région sous étude.

4.8 Manque de compétences

Le manque de compétences est une grave préoccupation pour le secteur forestier. Il est surtout illustré au sein des gouvernements provinciaux et des Premières nations.

4.8.1 Communautés autochtones

Le manque de compétences au sein des communautés autochtones constitue un obstacle majeur à leur progrès. En effet, nombreuses sont celles qui sont petites, et il est courant qu’une douzaine de personnes s’occupent seules de l’administration, du développement et de la négociation. Comme ces personnes sont surchargées, les collectivités doivent être très sélectives au sujet des processus auxquelles elles participent. Bien qu’il existe une nouvelle génération de personnes bien formées et bien éduquées, leur influence mettra du temps à se faire remarquer par les personnes extérieures aux communautés. Parallèlement, de nombreux processus qui accueilleraient avec intérêt une représentation des Premières nations ne l’obtiennent pas.

De nombreuses communautés autochtones manquent aussi de ressources financières pour participer pleinement à de multiples processus. Il s’agit là d’une autre limite importante et d’une des raisons pour lesquelles les peuples autochtones préféreraient qu’on leur attribue des permis d’exploitation du bois d’œuvre et des concessions, sinon la propriété pure et simple des ressources.

Un certain nombre de ressources sont mises à la disposition des entreprises en démarrage et des entrepreneurs des Premières nations. Au Québec, la Société touristique des autochtones du Québec aide les entreprises autochtones du secteur du tourisme en leur fournissant des conseils, notamment en marketing et en développement de produit. La Société reçoit l’appui de l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador, Tourisme Québec ainsi que la Commission canadienne du tourisme. Le site web (www.staq.net) recense une activité touristique en Abitibi, basée à Pikogan. En Ontario, l’organisme équivalent est l’Association touristique autochtone du nord de l’Ontario (Northern Ontario Native Tourism Association), dont le siège est à Thunder Bay. Plus généralement, le Programme de développement des entreprises autochtones du gouvernement fédéral vise à fournir de l’aide en matière de planification des affaires, d’études de faisabilité, de développement de produit, de marketing et de gestion.

4.8.2 Gouvernement provincial

Une politique prolongée de restrictions budgétaires qui a été mise en œuvre par les gouvernements provinciaux de l’Ontario et du Québec a considérablement réduit les ressources octroyées aux ministères. Les récents budgets provinciaux indiquent clairement que les restrictions continueront dans un avenir prévisible. Tant en Ontario qu’au Québec, les ministères chargés des richesses naturelles disposent de moyens limités. La compression des coûts a été atteinte grâce au transfert de la planification forestière et des activités opérationnelles aux titulaires de permis. Les ministères demeurent responsables de la formulation des politiques et de la réglementation, de l’approbation de la planification, ainsi que de l’aménagement de la faune sauvage et des activités de loisirs.

Le MRNFP et le MRN semblent ne pas avoir les compétences suffisantes pour être en mesure de remplir efficacement les responsabilités qu’ils ont conservées. Dans un rapport datant de 2001, le vérificateur général du Québec a repéré une lacune dans la gestion du MRNFP. De nombreuses personnes interrogées ont fait observer que le MRN et les offices de protection de la nature de l’Ontario ont besoin de financement supplémentaire pour assurer un niveau adéquat de personnel et des ressources additionnelles afin d’investir dans la gestion. Au Québec, les forestiers de l’industrie ont indiqué que le MRNFP ne possédait pas les compétences pour analyser et utiliser toutes les données émanant des consultations publiques et inventaires des ressources dressés par l’industrie pour se conformer aux normes et aux règlements provinciaux. Les hauts fonctionnaires du MRNFP ont confirmé que le ministère avait besoin de plus de ressources afin de mieux traiter de ces questions. Les chercheurs du gouvernement provincial manquent également de ressources pour entreprendre des études importantes : ils doivent donc s’en remettre à des approches multipartites. Le sous-financement implique que le gouvernement a du mal à remplir ses obligations, le délai d’achèvement est long, et il n’existe, pour ainsi dire, pas de personnes compétentes pour s’occuper des analyses et des enquêtes qui ne sont pas obligatoires. Par exemple, les vérifications des forêts menées par des entreprises indépendantes citent régulièrement le sous-financement de la collecte des valeurs du MRN, ce qui entraîne des révisions ultérieures exigeant plus de temps; les retards du MRN à délivrer de nouveaux inventaires des forêts sont courants.

L’industrie et d’autres intervenants estiment qu’une meilleure répartition des ressources présentes pourrait améliorer cette situation. Selon eux, le véritable problème n’est pas le manque de financement, mais la forte dépendance vis-à-vis des processus et de normes trop strictes. Par exemple, les exigences du MRNFP obligeront l’industrie à fournir une grande quantité de données d’inventaire pour les régions présentant une grande homogénéité. Nous sommes d’accord qu’il est possible de réduire les délais administratifs, notamment à plus long terme, compte tenu de l’intensification de la certification des forêts. En revanche, nous pensons aussi que le MRN et le MRNFP disposent de ressources insuffisantes pour remplir leurs obligations de façon adéquate.

Le gouvernement ayant accepté un rôle renforcé en matière de réglementation, il faut s’attendre à ce que l’accent soit mis davantage sur les processus. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Un processus bien conçu et bien appliqué peut aider les gouvernements provinciaux à faire respecter les normes de façon plus efficace et cohérente. C’est pourquoi nous ne sommes pas les seuls à considérer comme une force les processus, à long terme, de planification des forêts. Toutefois, quelques personnes interrogées ont fait observer que la nécessité de respecter les processus avait réduit la qualité du contenu et que certains processus annuels de planification des activités et de révision étaient devenus indûment astreignants. Ils ont indiqué qu’un recours excessif au processus avait exacerbé le manque de compétences à l’échelon des organismes provinciaux. En outre, les consultants ont remarqué que peu de fonctionnaires provinciaux ont la possibilité de se déplacer sur le terrain : il arrive souvent que les forestiers de district n’effectuent pas plus de deux ou trois jours de visites de terrain par an.

Recommandation 12. Les gouvernements provinciaux devraient envisager de rationaliser des processus administratifs sélectionnés pour les titulaires de permis qui satisfont de manière régulière aux normes ou les dépassent. Cette mesure d’encouragement éventuelle pourrait être offerte aux aménagistes forestiers certifiés car elle est fréquemment citée.

4.9 Gestion du carbone

La gestion des forêts envisagées comme des stocks de carbone n’en est qu’à ses balbutiements, et il n’existe aucune réglementation ou exigence en place. L’Association des produits forestiers du Canada a négocié un protocole d’entente avec le gouvernement du Canada sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce protocole contient des dispositions sur la mise en place de crédits compensatoires liés aux forêts. Les règles d’un système d’échange de crédits compensatoires de carbone du gouvernement fédéral sont en cours d’élaboration, et les crédits compensatoires visant le carbone feront partie du système qui sera inauguré en 2006. Par conséquent, il existe d’excellentes occasions de mettre en place des approches intelligentes et innovatrices qui appuieront la conservation. L’application de l’adage « Pensons globalement, agissons localement » à la gestion du carbone est particulièrement pertinente. Si l’étendue de l’engagement du Canada en vertu du Protocole de Kyoto suscite des interrogations, elle ne constitue pas une condition nécessaire pour faire avancer la cause de la gestion du carbone. Certaines normes de certification contiennent déjà des indicateurs liés à la gestion du carbone.

Les plus grands obstacles à la gestion du carbone sont entre autres :

  • l’incertitude entourant le titulaire des crédits compensatoires de carbone émis relativement aux terres publiques;
  • le manque actuel de marchés fiables pour l’échange de crédits compensatoires de carbone.

Les nombreuses questions et incertitudes de nature scientifique ont tendance à être reliées à la quantification, aux techniques de mesure et aux procédures d’échantillonnage ainsi qu’à la compréhension approfondie des processus biophysiques. De l’avis des consultants, la base existante des connaissances scientifiques est fonctionnelle.

Les aménagistes forestiers commencent à saisir que le piégeage du carbone est une valeur réelle, et qu’une fois les droits de propriété sur les crédits de carbone établis, il occupera une place prééminente dans l’aménagement forestier. Le piégeage du carbone est tout à fait en phase avec les objectifs poursuivis par la conservation. En particulier, la conservation de la biodiversité et la prise en compte de la valeur du carbone sont susceptibles de mener à une réorientation radicale de l’aménagement forestier dans une région où le carbone existe en abondance dans l’humus et les sols, et où les retombées économiques de la production de bois d’œuvre ne sauraient être élevées. Gorham (1991) a évalué que les tourbières du Nord contiennent un tiers du carbone présent dans le sol mondial, et Rouse et al. (2001) ont conclu que les forêts boréales des basses-terres de la Baie d’Hudson constituent des « puits » de carbone alors que les tourbières immergées représentent une source de carbone. Par unité de surface, la forêt séquestre trois fois plus de carbone que ces tourbières.

Recommandation 13. Les gouvernements provinciaux devraient résoudre la question de la propriété des crédits compensatoires de carbone relatifs aux forêts de la Couronne. Ils devraient aussi chercher des moyens de mettre à la disposition des aménagistes forestiers des incitatifs appropriés qui les inciteraient à tenir compte des valeurs du carbone dans la prise de décisions en matière d’aménagement forestier.

4.10 Gestion du caribou

La gestion du caribou constitue la préoccupation principale en Abitibi, et elle cristallise de nombreux enjeux et obstacles mis en évidence dans cette étude. Nous sommes convaincus que la gestion du caribou est une épreuve décisive quant au sérieux avec lequel la société serait prête à traiter la conservation. Un grand nombre des personnes interrogées se sont montrées inquiètes de ce que la société n’était pas prête à faire des efforts sérieux afin de maintenir le caribou dans son aire de distribution géographique actuelle.

Les populations de caribous des bois déclinent en Amérique du Nord depuis les années 1800 et, au cours de cette période, leur aire de distribution géographique s’est repliée vers le Nord. Toutefois, les raisons de ces déclins sont controversées. L’aménagement forestier a été pointé du doigt, tout comme les variations des densités et la répartition des orignaux et des loups (facilitées par la construction de chemin d’accès). Le caribou des bois a été désigné comme une espèce menacée par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada.

Au nord de l’Abitibi, les caribous des bois vivent en nombres raisonnables, mais leurs perspectives de survie à long terme ne sont pas encourageantes. Le caribou est, en général, très sensible à l’influence humaine; par conséquent, l’intensification de l’exploitation des ressources et de l’accès est susceptible d’entraîner une perte régulière de l’aire de distribution géographique. Selon des évaluations récentes du MRN, sa population est en déclin, et l’on craint que le territoire où il est maintenant relégué ne soit qu’un habitat marginal dans le contexte de leur répartition originelle.

La fugacité du caribou contribue grandement au manque relatif de connaissances à son sujet (les lacunes dans les compétences au plan provincial et l’absence de participation des Premières nations en matière de gestion en sont certainement des facteurs). En réalité, une harde appréciable a été découverte dans la région du lac du Détour il y a moins de 10 ans, et l’on sait que l’aire de distribution géographique de cette harde comprend maintenant des parties de l’Ontario et du Québec.

Le gouvernement ontarien a élaboré un guide en matière de gestion forestière à l’échelon des paysages pour la conservation du caribou des bois. Le principe directeur de ce guide veut qu’une bonne gestion du caribou exige un approvisionnement continu en superficies importantes de régions intactes (au moins 10 000 hectares) fournissant un habitat d’hiver et d’été, compte tenu de l’utilisation actuelle de l’habitat et des exigences futures (OMNR 1999). L’habitat d’hiver – particulièrement crucial – à privilégier, est constitué de forêts de conifères mûres et ouvertes, au couvert de lichen abondant. Essentiellement, l’approche à suivre pour la gestion du caribou est de concentrer l’exploitation forestière sur un nombre relativement restreint de blocs de forêts, de ne pas y exercer d’activités et de limiter l’accès dans le reste de la forêt. Des zones tampons d’un kilomètre de large sans récolte devraient être aménagées autour des zones de vêlage. L’accès aux chemins forestiers ne devrait être que temporaire lorsque ceux-ci sont aménagés dans des espaces d’habitat importants. Une fois la coupe terminée, l’accès aux parcelles devrait être supprimé, et ces dernières devraient être exemptes de toute perturbation pendant au moins 100 ans; de cette manière, les activités d’exploitation effectueront une rotation autour de la forêt pendant une période de 100 à 120 ans. Cette méthode contraste fortement avec les approches plus courantes de gestion consistant à répartir les activités d’exploitation un peu partout dans la forêt de manière à minimiser la perturbation dans son ensemble afin qu’elle ne vise pas une zone en particulier.

Le guide de l’Ontario s’applique au nord-ouest de l’Ontario; ces mêmes lignes directrices ne sauraient s’appliquer telles quelles au nord-est de l’Ontario et au nord-ouest du Québec, en raison des différences écologiques. Toutefois, l’approche principale ne devrait pas changer. À l’heure actuelle, au nord-est de l’Ontario, seuls les sites qui ont été choisis pour leur valeur élevée, comme les zones de vêlage, sont protégés.

Une stratégie de conservation réalisée à l’échelle du paysage en matière de gestion du caribou présente, sur le plan de la conservation, d’autres avantages que la simple protection du caribou. C’est la raison pour laquelle le caribou est un exemple type d’espèce parapluie : la protection du caribou entraîne celle d’un large éventail d’espèces (sous le parapluie de la conservation du caribou). Par exemple, dans le nord-ouest de l’Ontario, les aires d’hivernage du caribou sont normalement de grandes étendues de forêt à dominante de conifères mûrs sur des plaines d’alluvions, d’eskers, de dunes de sable moins fertiles et sèches, et des zones fines de sols rocheux. Le caribou s’épanouit bien dans les territoires où les autres proies de type ongulé sont rares, où les densités de prédateurs sont basses et où la densité des chemins d’accès est faible, voire nulle. Aussi, les autres valeurs qui seraient protégées par une stratégie de gestion du caribou sont, par exemple, la martre, le carcajou et de nombreuses espèces d’oiseaux de la forêt boréale. Les régions éloignées ou dépourvues de chemins d’accès constitueraient également une valeur à intégrer à toute stratégie de gestion du caribou.

Les objectifs de gestion inhérents aux populations de caribous visent à limiter les déclins futurs plutôt qu’à rétablir leurs populations. Les gestionnaires de ressources et la société en général sont confrontés à des choix difficiles en raison de l’incompatibilité apparente entre le caribou et l’aménagement et l’exploitation des ressources. La question clé consiste à savoir si la société est prête à limiter les perspectives d’exploitation des ressources pour sauver le caribou.

Recommandation 14. Il conviendrait d’élaborer une stratégie régionale de gestion du caribou pour la région de l’Abitibi.