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Volume 22, No 1-
2001

[Table des matières]


  Agence de santé publique du Canada

Le fardeau économique des problèmes de santé mentale au Canada

Thomas Stephens et Natacha Joubert


Résumé

Cette étude tente d'évaluer de façon globale le fardeau économique que représentent les problèmes de santé mentale au Canada en 1998. Elle cherche en particulier à estimer le coût des services non médicaux qui n'ont pas été calculés dans des publications antérieures et de chiffrer l'invalidité de courte durée associée aux problèmes de santé mentale dont la valeur a été sous-estimée dans le passé d'après la démarche dépeinte dans cet article. Le coût des consultations de psychologues et de travailleurs sociaux non remboursées par le régime public d'assurance-maladie s'élevait à 278 millions $, alors que la perte de productivité associée à la dépression et à la détresse à court terme a été évaluée à 6 milliards $. Les données comportent plusieurs limites, qui semblent indiquer qu'il s'agit de sous-estimations. Le fardeau total estimé de 14,4 milliards $ fait des problèmes de santé mentale l'une des maladies les plus coûteuses au Canada.

Mots-clés : Canada; dépression; détresse; coût économique; population


Introduction

Cette étude vise à fournir une estimation globale du fardeau économique que représentent les problèmes de santé mentale au Canada. Nous voulons ainsi compléter les estimations publiées par Santé Canada (Fardeau économique de la maladie au Canada, 1993 [FEMC, 1993])1 et discuter de certains des problèmes liés aux données qui ont été cernés au cours de cet exercice complexe d'analyse. Bien que les coûts économiques directs et indirects ne constituent qu'un aspect du fardeau d'une maladie, ils peuvent servir à orienter la planification de programmes et l'établissement de priorités.

Une étude récente effectuée par le Bureau du cancer de l'ancien Laboratoire de lutte contre la maladie (LLCM) de Santé Canada estime que le fardeau économique des maladies mentales au Canada s'élevait à 7,8 milliards $ en 19931, ou à 8,4 milliards $ en dollars de 1998. Les troubles mentaux se classent au septième rang sur la liste des 20 catégories nosologiques dont les coûts ont été estimés dans des publications. Les coûts directs associés au traitement de troubles mentaux diagnostiqués par un médecin atteignaient 6,3 milliards $ (1998), soit 3,9 milliards $ pour les soins hospitaliers, 887 millions $ pour d'autres soins en établissement, 854 millions $ pour les soins médicaux et 642 millions $ pour les médicaments de prescription. Les coûts indirects additionnels qui s'établissaient à 3,0 milliards $ comprenaient les journées de maladie à court terme (866 millions $), l'invalidité de court durée (1 700 millions $) et les décès prématurés (400 millions $), bien que ces derniers montants ne se limitent pas aux troubles diagnostiqués.

Ces coûts ont été estimés dans une perspective sociale et incluent à la fois les coûts directs (internes) et indirects (externes), les calculs étant basés sur les hypothèses conventionnelles. Par exemple, la valeur de la perte de productivité associée à une retraite anticipée étaient fondés sur la valeur actuelle des gains pour toute la vie d'une personne qui prend sa retraite tôt à cause d'un trouble mental. Bien que cette approche comporte certaines limites (p. ex. les économies réalisées au titre des soins de santé qui sont associées au décès prématuré n'ont pas été prises en compte), elle assure une certaine uniformité pour toutes les catégories de maladies et permet d'effectuer une comparaison assez juste du fardeau économique des maladies.

Toutefois, si l'on s'intéresse particulièrement au fardeau économique global que représentent les problèmes de santé mentale, cette façon de procéder comporte certaines limites plus importantes. Tout d'abord, ne sont inclus dans les coûts directs que les troubles diagnostiqués traités par un médecin (codes 290-319 de la CIM-9). Par définition, ces problèmes sont soumis à l'attention du système de santé mais n'incluent pas les troubles comme la détresse ou la dépression qui ne sont pas traitées par un médecin ou d'autres professionnels de la santé offrant des services couverts par le régime public d'assurance-maladie.

Un grand nombre de Canadiens dont les problèmes de santé mentale sont traités à l'extérieur du système médical ne sont pas comptabilisés dans ces calculs des coûts directs de la maladie basés sur les services médicaux. Selon les données de l'Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) de 1996-19972, seulement 21 % des Canadiens qui ont consulté un psychologue pour des problèmes de santé mentale ont également consulté un médecin de famille ou un psychiatre au cours de l'année précédente, alors que 29 % qui ont consulté un travailleur social ont également vu un médecin. Comme 4 % des Canadiens étaient déprimés et que 20 % ont été classés comme souffrant de détresse en 1996-19973, les coûts directs associés à leurs problèmes de santé mentale pourraient être considérables, mais la plupart seraient exclus du FEMC, qui porte exclusivement sur les services assurés par l'État.

Le FEMC comporte une autre limite, qui influe sur les coûts indirects des problèmes de santé mentale, soit la méthode utilisée pour imputer une invalidité brève à certaines catégories de maladies. À la différence des coûts directs, les coûts indirects dans l'analyse du FEMC ne se limitent pas aux troubles diagnostiqués, mais incluent toute raison de santé associée à la réduction de l'activité normale. On attribue ces coûts à des catégories nosologiques spécifiques en s'appuyant sur les données de l'Enquête sociale et de santé du Québec1. Bien que les données du Québec soient une base disponible pour attribuer l'invalidité de court durée aux différentes catégories nosologiques, elles comportent des lacunes importantes au chapitre de la validité et de l'applicabilité. Premièrement, les déclarations attribuant une réduction de l'activité à des problèmes de santé mentale sont d'une validité douteuse parce qu'une proportion importante de ces attributions est fondée sur des déclarations de tiers concernant d'autres membres du ménage. Deuxièmement, même si ces déclarations étaient d'une exactitude à toute épreuve, l'application des données du Québec pour 1992-1993 à l'ensemble de la population canadienne est contestable : en 1994-1995, les résidents du Québec étaient les moins nombreux à indiquer qu'ils souffraient de détresse - 13 % contre une moyenne de 17 % dans les autres provinces3. Un faible taux d'attribution de problèmes à la détresse au Québec entraîne une sous-estimation des coûts d'invalidité de courte durée causés par des problèmes de santé mentale comme la détresse, dont le coût a été estimé à 811 millions $ dans le FEMC, 1993 (866 millions en dollars de 1998).

La présente analyse vise à combler ces lacunes et à fournir une estimation plus complète du fardeau économique des problèmes de santé mentale au Canada. Nous donnons ainsi suite à l'une des recommandations contenues dans le rapport du FEMC1, à savoir «améliorer les sources de données et perfectionner les méthodes permettant de cerner les composantes des coûts directs et indirects afin de fournir une information plus détaillée sur des maladies particulières» (p. iv).


Méthodologie

Source de données

Les données utilisées dans les analyses originales de cette étude proviennent du fichier «partagé» de l'ENSP de 1996-1997. Le fichier partagé est pratiquement identique au fichier à grande diffusion, mais inclut certains détails qui ont été enlevés du fichier à grande diffusion pour protéger la confidentialité des répondants. Les estimations de la population et les valeurs en dollars ont été ajustées pour correspondre aux chiffres de 19984,5.

L'ENSP est une enquête bisannuelle effectuée par Statistique Canada pour décrire l'état de santé et les déterminants de la santé; l'échantillon de 1996-1997 est représentatif des ménages canadiens. Les données sur les indicateurs de la santé mentale dans la présente étude ont été recueillies au moyen d'une entrevue personnelle effectuée auprès d'environ 77 000 personnes de 12 ans et plus2.

Définitions des problèmes de santé mentale

Nous avons utilisé les questions de l'ENSP sur la dépression et la détresse pour obtenir des données sur les problèmes de santé mentale. L'échelle de détresse comprend de nombreux symptômes d'anxiété (p. ex. se sentir nerveux, agité) et, alliée à l'échelle de dépression, donne un aperçu assez complet des problèmes de santé mentale de la population. La dépression était définie conformément à la définition de Statistique Canada2 comme une probabilité de 90 % ou plus d'avoir eu un épisode de dépression majeure au cours de l'année écoulée; le taux global de prévalence s'élève à 4 %. À la différence de la dépression, il n'y a pas de définition vérifiée de façon indépendante de la «détresse intense» pour la mesure employée dans l'ENSP. Nous avons utilisé comme définition la réponse «beaucoup» ou «un peu» à la question «Dans quelle mesure ces sentiments perturbent-ils votre vie ou vos activités de tous les jours?», peu importe le niveau de détresse dans l'échelle de 24 items précédant la question sur l'impact. Selon cette définition, 15 % des Canadiens souffriraient de détresse.

Il existe une association assez étroite entre la dépression et la détresse : 53 % des personnes déprimées faisaient également état d'une détresse et 24 % des personnes souffrant de détresse étaient déprimées. Afin d'éviter que ces personnes soient comptées en double, toutes les analyses dans cet article ont porté sur les deux groupes à tour de rôle - toutes les personnes déprimées, ensuite les personnes souffrant de détresse qui ne sont pas déprimées.

Coûts directs

Le FEMC, 1993 s'est servi d'une approche «descendante» pour estimer les coûts directs de la maladie. Autrement dit, on a commencé par un total connu pour les coûts de santé et on les a répartis entre diverses catégories nosologiques, selon le principal diagnostic pour les soins reçus. Nous sommes par contre obligés dans la présente étude d'utiliser une approche «ascendante», qui tente d'estimer le volume des soins non médicaux associés aux problèmes de santé mentale, puis les coûts afférents.

L'ENSP a déterminé le nombre de consultations auprès de chaque type de professionnels de la santé (psychologues, travailleurs sociaux, médecins et autres professionnels de la santé) au cours des douze mois précédents, pour des raisons physiques, affectives ou de santé mentale? L'enquête a également examiné séparément les consultations de psychologues, de travailleurs sociaux, de médecins et autres, pour des raisons affectives ou de santé mentale, mais n'a pas établi le nombre de ces consultations de santé mentale. Pour estimer le nombre de consultations de travailleurs sociaux et de psychologues pour des raisons de santé mentale, nous avons combiné les données obtenues à ces deux questions distinctes. En outre, pour exclure les consultations de psychologues et de travailleurs sociaux remboursées par le régime public d'assurance-maladie (p. ex. dans les hôpitaux) qui ont déjà été prises en compte dans les previsions du FEMC et pour pallier le fait que nous ne disposions pas de données sur le lieu de la consultation, nous avons corrigé le nombre total de consultations pour tenir compte de la proportion de consultations de psychologues ou de travailleurs sociaux sans consultation d'un médecin. Comme nous l'avons mentionné précédemment, 79 % des sujets ont consulté un psychologue et 71 % ont vu un travailleur sociala.

Le nombre de consultations de psychologues et de travailleurs sociaux par l'ensemble des personnes déprimées et des personnes souffrant de détresse mais non de dépression est tiré de l'ENSP, a été ajusté pour tenir compte de la proportion de consultations en établissement et a été ajusté par la suite en fonction d'une croissance démographique de 1,4 % entre 1996-1997 et le milieu de 19984, puis a été multiplié par le coût moyen de telles visites (125 $)b.

Pour ce qui est des médicaments, les données de l'ENSP comportent des limites importantes. Elles se bornent aux déclarations de prise de médicaments au cours du mois précédent et aucune information ne nous permet d'estimer la fréquence annuelle d'utilisation. À moins qu'on puisse obtenir la fréquence d'une autre source récente et comparable, le coût de ces médicaments doit être limité au coût estimé par le FEMC, 1993, qui n'inclut que les ordonnances rédigées dans le cadre des soins médicaux.

Coûts indirects

Les coûts indirects des problèmes de santé mentale qui ne sont pas entièrement comptabilisés dans l'analyse du FEMC, 1993 sont, pour les raisons mentionnées ci-dessus, les coûts liés aux jours de travail perdus à court terme à cause de la dépression ou de la détresse. Dans notre étude, le nombre de jours de travail perdus à court terme est calculé à partir des réponses aux questions de l'ENSP sur les jours d'invalidité au cours de deux semaines (jours de réduction d'activité + jours au lit). Le nombre en excès de jours d'absence associés à la dépression s'obtient en comparant les jours d'invalidité des personnes déprimées par rapport à ceux des personnes non déprimées puis, parallèlement, ceux des personnes souffrant de détresse par rapport à ceux des personnes n'en souffrant pas. Bien que la raison de santé invoquée pour le congé n'a pas été établie avec certitude et qu'il faille présumer qu'elle est liée à la santé mentale, cette procédure est analogue à celle qui consiste à attribuer le nombre excédentaire de journées de maladie aux fumeurs7.

Comme la prévalence de la dépression et de la détresse varie suivant la situation sur le marché du travail, nous avons estimé les jours de travail perdus séparément pour les travailleurs à temps partiel, les travailleurs à temps plein et les personnes sans emploi. Comme l'ENSP n'identifie pas les jours de la semaine où l'activité a été réduite, nous avons estimé la proportion de jours ouvrables en présumant que la probabilité qu'un jour soit un jour de congé de maladie est la même pour tous les jours de la semaine et en multipliant le total par 5/7 (jours ouvrables habituels/semaine). On a retranché deux semaines de vacances par année, et le total sur deux semaines a été ensuite multiplié par 25 pour donner une estimation annuelle des jours de travail d'activité réduite. Faute d'une déclaration exacte du nombre d'heures travaillées par semaine, nous avons pondéré le nombre de jours perdus par les travailleurs à temps partiel par un facteur de 0,5 lorsque nous avons estimé leur contribution au nombre total d'heures de travail de la population active. Nous avons calculé la valeur en dollars de ce temps perdu en utilisant le revenu d'emploi moyen des travailleurs à temps plein et à temps partiel publié par Statistique Canada8 et l'avons exprimée en dollars de 1998.

Pour rester fidèles à la démarche du FEMC, 1993, nous avons également calculé les jours d'invalidité des personnes à l'extérieur du marché du travail. Une proportion des journées d'invalidité des travailleurs à temps plein (deux jours sur sept) et des travailleurs à temps partiel (quatre jours et demi sur sept) a été ajoutée à ce total pour tenir compte de la réduction d'activité en dehors des heures ouvrables habituelles. Pour obtenir la valeur de ce temps perdu, nous avons présumé que le travail non rémunéré valait 15 000 $ par année, sur la base d'une salaire horaire de 7,50 $ et de 2 000 heures de travail par année. Cette démarche concorde avec l'approche «généraliste» de la valeur du travail non rémunérée utilisée pour le FEMC, 19939.

Puis, nous avons ajusté le total des jours d'invalidité pour tenir compte du fait que la plupart ne sont pas des jours d'inactivité complète, mais seulement d'activité réduite. Dans le cas des personnes sur le marché du travail, ces jours de «réduction d'activité» représentent 74,1 % de tous les jours d'invalidité sur deux semaines2. Si les jours de réduction d'activité sont pondérés comme équivalant à 0,5 jour au lit, l'ajustement requis pour tenir compte de la proportion de jours de réduction d'activité est donc le suivant : (74,1 x 0,5 + [1 - 74,1] x 1,0) = 0,6285.

a Dans le cas des psychologues, cela correspond assez bien à une estimation de 69 % des heures de service dispensé en cabinet privé (par opposition à des services en établissement) par 1 065 répondants à une enquête de 1999 auprès de 3 240 psychologues inscrits dans le Répertoire canadien des psychologues offrant des services de santé6.

b Nous avons communiqué avec les organismes provinciaux de réglementation des psychologues et des travailleurs sociaux pour obtenir les barèmes de tarifs : 6 ont répondu, ce qui représente 85 % de la population canadienne. Bien que les honoraires varient grandement (de 60 $ à 180 $/séance) à l'intérieur d'une province et d'une province à l'autre, la moyenne pondérée est de 125 $. Ce chiffre a été confirmé comme étant raisonnable par le Répertoire canadien des psychologues offrant des services de santé (P.L.-J. Ritchie, communication personnelle, 13 octobre 2000).


Résultats

Coûts directs - consultations de professionnels de la santé autres que des médecins

En 1996-1997, les personnes déprimées de 12 ans et plus qui ont consulté des professionnels pour des raisons de santé mentale ont été à l'origine de près de 1,5 million de consultations auprès de travailleurs sociaux et plus de 850 000 consultations de psychologues (tableau 1). L'équivalent pour 1998 est estimé à 2,38 millions de consultations au total compte tenue d'une croissance démographique de 1,4 %4. De plus, 1,6 million de Canadiens ont dit souffrir de détresse sans être déprimés. Bien que la grande majorité d'entre eux n'aient pas consulté de professionnels de la santé mentale, il faut néanmoins compter environ 280 000 consultations de travailleurs sociaux et 328 000 consultations de psychologues, ce qui est l'équivalent de 616 000 consultations en 1998.

Lorsque la dépression et la détresse sont combinées, on en arrive à un total de près de 3 millions de consultations de psychologues et de travailleurs sociaux en 1998. Environ 2,2 millions de ces consultations ont été faites en dehors des établissements moyennant une rémunération à l'acte (tableau 1). À un tarif de 125 $ chacune, ces consultations ont coûté en tout plus de 278 millions $.

Coûts indirects - jours d'absence du travail

En 1998, près de 678 000 Canadiens sur le marché du travail ont accumulé plus de 39 000 personnes-années en excès de réduction d'activité sur une courte période à cause de la dépression, et deux autres millions de travailleurs comptaient plus de 115 000 personnes-années d'absence du travail liée à la détresse (tableau 2). Chez les Canadiens sans emploi, plus de 76 000 jours d'activité réduite étaient associés à la dépression et 224 000 à la détresse.

Après correction pour tenir compte du travail à temps partiel, de l'inflation et de la prépondérance des jours de réduction d'activité par rapport aux jours au lit, la valeur totale des jours de travail perdus s'élevait à 2,16 milliards $.Un montant équivalant à 3,86 milliards $ en travail non rémunéré a été également signalé par les personnes déprimées et souffrant de détresse. La valeur totale des jours de travail rémunéré et non rémunéré perdus qui est associée à ces troubles s'établissait à 6,02 milliards $ en 1998 (tableau 2).


TABLEAU 1
Nombre de consultations de travailleurs sociaux et de psychologues pour des raisons
de santé mentale, Canada, 12 ans et plus, 1998

Affection

Travailleur sociala

Psychologuea

Totala

1998

Dépression

1 491 423

  858 223

2 349 646

2 382 541

Détresse (sans dépression)

  279 634

  327 604

  607 238

  615 739

Les deux affections

       

- tous les milieux

1 771 057

1 185 827

2 956 884

2 998 280

- rémunération à l'acte seulement

1 257 450

  936 803

2 194 253

2 224 973

a  Source des données non ajustées : Enquête nationale sur la santé de la population, fichier partagé de 1996-1997


TABLEAU 2
Coûts indirects de la dépression et de la détresse, Canada, 15 ans et plus, 1998

Affection

Population touchéea

Jours en surnombre de travail perdus

Coût $

Jours en moyenne
dans 2 semaines
a

Total des
personnes-années

Dépression

       

- travail rémunéré

  677 625

0,84

 39 075

  451 676 778

- travail non rémunéréb

  536 221

2,00

 76 393

  967 268 150

Détresse/sans dépression

       

- travail rémunéré

2 043 168

0,82

115 397

1 711 976 531

- travail non rémunéréb

2 341 064

1,34

224 126

2 892 781 577

Both conditions

       

- travail rémunéré

2 720 793

0,83

154 472

2 163 653 309

- travail non rémunéréb

2 877 285

1,51

300 519

3 860 049 727

Total

5 598 078

1,28

454 991

6 023 703 036

a    Source : Enquête nationale sur la santé de la population, fichier partagé de 1996-1997
b    Inclut la valeur du travail non rémunéré des travailleurs à temps plein et à temps partiel lorsqu'ils sont absents du travail.


   

Résumé

Le tableau 3 résume les coûts directs et indirects de la dépression et de la détresse qui ont été estimés dans la présente étude, ainsi que les coûts directs et les coûts indirects des troubles mentaux traités par des médecins, tels qu'estimés par le LLCM. Compte tenue de l'inflation entre 1993 et 1998, la nouvelle estimation pour le fardeau économique des problèmes de santé mentale est 71 % plus élevée que les estimations antérieures publiées1. Le total s'élève à 14,4 milliards $ en 1998.


TABLEAU 3
Résumé des coûts associés aux problèmes de santé mentale, Canada, 1998 (en millions de $)

 

Coût

Sourcea

Traitement

    

- des troubles diagnostiqués

   

- médicaments

   642

LLCM

- médecins

   854

LLCM

- hôpitaux

 3 874

LLCM

- autres établissements

   887

LLCM

- de la dépression et de la détresse

   

- professionnels de la santé mentale
- non affiliés au régime public

   278

Cette étude

Total

 6 257

 

Baisse de productivité

   

- invalidité de courte durée

 6 024

Cette étude

- invalidité prolongée

 1 708

LLCM

- décès prématuré

   400

LLCM

Total

 8 132

 

Total

14 389

 

a Estimations du LLCM tirées de la référence 1, ajustées pour tenir compte d=une
    inflation de 6,68 % entre 1993 et 19985.


   

Analyse

Nos calculs visant à obtenir une estimation plus complète du fardeau économique que représentent les problèmes de santé mentale montrent que les estimations antérieures peuvent être beaucoup trop faibles, surtout parce qu'elles attribuent une part trop petite de la productivité perdue aux problèmes de santé mentale1. La présente étude peut cependant sous-estimer elle aussi la valeur réelle de ce fardeau, à cause de plusieurs limites, notamment les suivantes :

  • Les problèmes de santé mentale qui pour une fois sont pris en compte dans cette analyse se limitent à la dépression et à la détresse. Ces troubles sont importants mais n'englobent pas tous les problèmes de santé mentale; d'autres comme les phobies n'ont pu être comptabilisés, bien que certains symptômes d'anxiété fassent partie de l'échelle de détresse.
  • La définition de la dépression dans l'ENSP est restrictive : elle ne prend en compte que les personnes qui disent être tristes, mélancoliques ou déprimées pendant deux semaines ou plus de suite au cours des douze mois précédents et dont les réponses à une liste de symptômes indiquent qu'il existe une probabilité d'épisode de dépression majeure de 90 % ou plus au cours de l'année écoulée. Cette définition aurait pour effet d'exclure les états dépressifs transitoires; ces personnes pourraient cependant s'être absentées de leur travail ou avoir délaissé d'autres activités habituelles.
  • Il n'était pas possible d'estimer le coût des médicaments en vente libre qui auraient pu être pris pour contrer la dépression et la détresse. Selon l'ENSP, il s'agirait de somnifères, d'analgésiques, de médicaments pour les troubles d'estomac et de laxatifs, mais il n'existe pas de données à l'échelle individuelle sur la fréquence d'utilisation, données dont on aurait besoin pour calculer la consommation annuelle.
  • Il n'est pas sûr que l'ampleur réelle de la réduction de la productivité associée à la détresse et à la dépression soit bien mesurée par la question utilisée dans l'ENSP, «[Au cours des 14 derniers jours], est-ce que vous avez été alité(e) ou a-t-il fallu que vous vous limitiez dans vos activités habituelles à cause d'une maladie ou d'une blessure?» Il semble peu probable que la détresse, en particulier, soit considérée par tous comme une «maladie».
  • Les jours de travail perdus à long terme n'ont pas été comptabilisés dans cette analyse à cause des limites inhérentes aux données, notamment la forte possibilité que la dépression et la détresse soient le résultat aussi bien que la cause de la réduction de l'activité.
  • La valeur de la réduction de la productivité des personnes sans emploi a été considérée comme étant l'équivalent de 15 000 $ par année, chiffre très prudent.
  • Le coût de la violence et du décrochage scolaire précoce qui peuvent accompagner la dépression et la détresse n'a pas été comptabilisé. Nous n'avons pas non plus inclus le coût du tabagisme, de l'abus de drogues et d'alcool pris pour faire face à la dépression et à la détresse, ni le coût du soutien apporté par la famille et les amis aux personnes dans le besoin. Nous n'avons pas non plus estimé l'importante somme de temps consacré au counselling personnel en temps de crise par d'autres professionnels, p. ex. orienteurs dans les écoles, personnel des PAE au travail et le clergé dans la collectivité.

Toutes les limites susmentionnées auraient pour effet de sous-estimer le fardeau économique réel. Seule une limite - la co-morbidité - pourrait gonfler ces estimations.

Bien qu'il soit possible d'estimer les jours en surnombre d'absence du travail associée à la dépression et à la détresse (tableau 2), il n'y a pas moyen de savoir si les problèmes de santé mentale sont la cause première de la perte de productivité ou s'il existe une affection concomitante à l'origine, vu que l'ENSP ne fournit pas ce détail (et, comme nous l'avons mentionné, d'autres sources comme l'Enquête sociale et de santé du Québec ne permettent pas de le savoir). Si des troubles autres que des problèmes de santé mentale sont à l'origine de la baisse de productivité associée à la dépression et à la détresse dans cette analyse, ils semblent cependant être limités : les personnes déprimées déclarent la moitié des troubles physiques concomitants (1,8) signalés par les personnes souffrant d'affections physiques chroniques (3,3) (G. Torrance, communication personnelle, 1er mai 2000). S'il est vrai qu'il existe une association entre la dépression et le nombre de problèmes de santé physique, de même qu'entre la détresse et la santé physique, ce lien est modeste dans le cas des personnes qui souffrent d'un ou deux problèmes physiques3.

Toutes ces limites font que les estimations présentées dans cet article sont probablement assez prudentes. Nous pouvons donc conclure avec assez d'assurance que le fardeau économique des troubles mentaux - traités par des médecins ou non - s'élève au minimum à 14,4 milliards $ par année.

Répercussions

Les principales répercussions de cette étude sont similaires à bien des égards à celles décrites dans une analyse récente de l'état de santé mentale des Canadiens3. L'élément nouveau est le montant en dollars.

Ces résultats donnent nettement à penser que la promotion de la santé mentale des Canadiens serait un bon investissement, non seulement pour prévenir les problèmes de santé mentale mais aussi pour réduire le fardeau économique impressionnant qui en découle. La présente analyse démontre que ce fardeau est beaucoup plus élevé que ce qui avait été évoqué dans les études antérieures1; en effet, les coûts seraient beaucoup plus élevés que ce qu'indiquent les données disponibles, en raison des nombreuses limites décrites ci-dessus.

Qui plus est, le nombre de personnes souffrant de détresse peut croître, suivant en cela la tendance observée au chapitre de la pauvreté des enfants, de la disparité des revenus, du travail à temps partiel imposé, de la monoparentalité, du chômage chez les jeunes et de la baisse des dépenses dans les domaines de la santé, du bien-être et de l'éducation3,10. Il est frappant de voir que les jeunes affichent maintenant les taux de détresse les plus élevés dans la population, alors qu'il avaient les taux les plus faibles il y a 20 ans3,10. Cette tendance laisse entrevoir la possibilité que les jeunes de la cohorte actuelle aient des problèmes toute leur vie, tendance exacerbée par la forte baisse du soutien fourni par la collectivité et le système de santé mentale. La situation continuera de se détériorer tant et aussi longtemps que les réseaux de soutien personnel et le filet de sécurité sociale ne seront pas remis en état et entretenus. Il peut être très difficile de maintenir les avantages possibles que retirent les enfants et les jeunes des divers programmes lorsqu'il n'y a pas de soutien dans la famille et la collectivité11. On peut accroître le soutien social en favorisant le développement de relations enrichissantes dans la famille et l'environnement social - c'est-à-dire l'école, le milieu de travail, la collectivité et les institutions12.

Il est sûr qu'en offrant seulement un plus grand nombre de «services», on ne répondra pas efficacement aux besoins en santé mentale de la population. Comme environ 60 % des personnes souffrant de problèmes de santé mentale ne reçoivent pas de soins d'un professionnel de la santé, le vide apparent à combler au chapitre des services est simplement trop énorme. Ce dont on a de toute évidence besoin c'est d'un type différent d'investissement pour promouvoir la santé mentale de la population. De façon générale, il pourrait s'agir de mesures visant à doter les individus et les communautés des ressources dont elles ont besoin et de favoriser la résilience chez les personnes de tout âge13,14. La contribution importante des problèmes de santé mentale au fardeau général de la maladie est prise en considération par un nombre croissant de pays, dont le Canada, les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États membres de l'Union européenne, qui sont tous en train d'élaborer des plans d'action ou d'autres initiatives pour promouvoir la santé mentale de leur population11. Comme le montre notre analyse, les dollars ainsi investis ne constitueraient qu'un investissement infime par rapport au fardeau économique que la société devra supporter si rien n'est fait.

Les résultats de cette analyse ont également des répercussions dans le domaine de la recherche, notamment en ce qui concerne la collecte de données dans les futures enquêtes menées dans la population. Afin de calculer adéquatement les coûts directs et indirects, il est essentiel de déterminer a) la raison invoquée par le répondant pour réduire ses activités normales, de façon à pouvoir prendre en compte la co-morbidité, b) si les services de santé mentale reçus ont été pris en charge par le régime public d'assurance-maladie et c) la fréquence d'administration et la dose des médicaments en vente libre pris pour des raisons de santé mentale. Pour accroître la validité de ces déclarations, les réponses devraient être obtenues directement des répondants; les déclarations de tiers ne devraient pas être acceptées. Même si l'on améliore les données, le fardeau économique que représentent les problèmes de santé mentale continuera probablement d'être sous-estimé tant que ces derniers ne seront pas signalés aussi ouvertement que les problèmes de santé physique.

Remerciements

Cette étude a bénéficié de l'aide financière de l'Unité de promotion de la santé mentale de Santé Canada; George Torrance, de Santé Canada, nous a donné accès au fichier partagé de l'ENSP de 1996-1997. George Torrance, Doug Angus et des évaluateurs anonymes ont formulé des commentaires constructifs après lecture des versions antérieures de cet article.


Références

1.    Moore R, Mao Y, Zhang J, Clarke K, Laboratoire de lutte contre la maladie. Fardeau économique de la maladie au Canada, 1993. Ottawa: Santé Canada, 1997.

2.    Statistique Canada. Enquête nationale sur la santé de la population, 1996/97. Fichier de données partagées et fichier de données à grande diffusion.

3.    Stephens T, Dulberg CS, Joubert N. La santé mentale de la population canadienne : une analyse exhaustive. Mal Chron Can 1999;20 (3)118-126.

4.    Statistique Canada. CANSIM-matrices 6367-6378 et 6408-6409.

5.    Statistique Canada. Indice des prix à la consommation, classification de 1996, annuels, Canada, sommaire historique CANSIM, Matrice 9957.

6.    Doody K. CRHSPP registrants speak: "Tell us more about the CRHSPP." Rapport 2000, 7 (1), 10.

7.    Choi BK, Robson L, Single E. Estimation des coûts économiques de l'abus de tabac, de l'alcool et des drogues illicites : Étude des méthodologies et des sources de données canadiennes. Mal Chronic Can 1997; 18(4):149-165.

8.    Statistique Canada . Gain des hommes et des femmes. No au catalogue 13-217-X1B.

9.    Statistique Canada. Travail non rémunéré des ménages. Le Quotidien, 20 déc. 1995.

10.    Stephens T. Population Mental Health in Canada. Ottawa: Unité de promotion de la santé mentale, 1998.

11.    Joubert N. Promoting the best of ourselves : Mental health promotion in Canada. International Journal of Mental Health Promotion 2001;3:35-40.

12.    Cohen S, Underwood LG, Gottlieb BH. Social Support Measurement and Intervention. New York: Oxford University Press, 2000.

13.    Pransky J. Prevention: The Critical Need. Springfield: Burrel Foundation and Paradigm Press, 1991

14.    Durlak J & Wells AM. Primary prevention mental health programs for children and adolescents : A meta-analysis review. American Journal of Community Psychology 1997; 25:115-152.

Références des auteurs

Thomas Stephens, Department of Public Health Sciences, University of Toronto ; et Faculté d'Administration, Université d'Ottawa ; et Thomas Stephens & Associates.

Natacha Joubert, Division promotion santé mentale, Santé Canada, Ottawa (Ontario)

Correspondence : Thomas Stephens & Associates, PO Box 837, Manotick, (Ontario) K4M 1A7; Télécopieur : (613) 692-1027; Courriel : tstephens@cyberus.ca

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Dernière mise à jour : 2002-10-02 début