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Volume 22, No 1-
2001

[Table des matières]

 

  Agence de santé publique du Canada

L'état d'entreposage des armes à feu longues gardées à domicile, au Québec

Michel Lavoie, Lise Cardinal, Antoine Chapdelaine et Danielle St-Laurent


Résumé

Cette enquête a été réalisée en 1994, pour décrire l'état d'entreposage des armes à feu (AAF) gardées à domicile, au Québec. Trente cinq pour cent (175/504) des participants ayant une AAF longue entreposée à leur domicile contrevenaient aux règlements canadiens sur l'entreposage des AAF, le plus souvent (85 % des cas; n = 149) parce qu'au moins une arme longue était entreposée en étant à la fois opérante et accessible. Trente sept pour cent des participants affirmaient que personne, y compris eux-mêmes, n'avait utilisé leur(s) arme(s) longue(s) au cours des 12 derniers mois précédant l'enquête. Ces résultats suggèrent deux pistes d'action concernant les AAF longues gardées à domicile : rendre ces armes soit inopérantes ou inaccessibles pour augmenter le taux de conformité à la réglementation sur l'entreposage des AAF et se départir des AAF non utilisées. Les résultats de cette enquête n'ont jamais été publiés et s'avèrent les seuls du genre à être disponibles pour le Québec.

Mots clés : arme à feu; domicile; enquête; entreposage


Introduction

Au Canada, entre 1989 et 1997, 1 252 décès par arme à feu (AAF) ont été observés en moyenne, chaque année : 80 % sont des suicides, 15 % des homicides, 4 % des «accidents», et 1 % de causes indéterminées1. Environ le tiers de ces décès (30 %) ont été observés au Québec2. La majorité (au moins 3 sur 4) des décès par AAF au Québec sont liés à la décharge d'une arme longue (un fusil ou une carabine), et plus rarement à une arme de poing (un pistolet ou un revolver)3. Une étude réalisée au Québec sur 425 cas de suicide par AAF répertoriés entre le 1er septembre et le 31 décembre 1996 révèle que 30 % des victimes n'étaient pas propriétaires de l'arme en cause et que dans la plupart des cas, celle-ci n'était pas entreposée de façon sécuritaire4.

En 1992, le Canada arrivait au sixième rang parmi 26 pays ayant un produit national brut élevé (selon la classification de la Banque mondiale) concernant le taux de décès par AAF (taux pour 100 000 de population ajusté pour l'âge), avec un taux de 4,31, comparativement à 14,24 aux États-Unis (premier rang) et à 0,05 au Japon (dernier rang)5. En 1993, les coûts directs et indirects associés aux décès et aux blessures causés par une AAF au Canada étaient estimés à 6,6 milliards de dollars6.

Des enquêtes cas-témoins réalisées aux États-Unis ont démontré que la présence d'une AAF dans un domicile augmentait le risque de décès par balle chez les membres de la maisonnée et leurs proches : les personnes vivant dans un domicile où il y avait une AAF étaient 4,7 fois plus à risque de suicide7 et 2,7 fois plus à risque d'homicide8 que celles vivant dans un domicile sans AAF. Le risque de suicide était multiplié par neuf (9,0) si l'arme à feu gardée à domicile était chargée (par rapport à un domicile sans AAF) comparativement à trois (3,0) si l'arme était verrouillée ou rendue inopérante7. Par ailleurs, les membres d'une maisonnée où il y avait une AAF étaient 22 fois plus à risque de mourir par balle (suicide, homicide ou accident) que de tuer un intrus avec une AAF pour se protéger9.

Pour réduire le nombre de victimes par AAF, plusieurs experts considèrent important de diminuer l'accessibilité aux AAF : 1) en réduisant le nombre de domiciles où une AAF est présente ou 2) en améliorant l'état d'entreposage des AAF gardées à domicile10,11. Au Canada, la Loi sur le contrôle des armes à feu comporte des dispositions au regard de l'une et l'autre stratégies12. Les dispositions relatives aux règles d'entreposage des AAF sont en vigueur depuis janvier 199313. Ces dispositions stipulent qu'une AAF, pour être rangée de façon sécuritaire, doit être non chargée, rendue inopérante ou inaccessible, et de préférence, être placée dans un lieu distinct de celui de ses munitions13.

Cet article présente les résultats d'une enquête réalisée en 1994, pour décrire les conditions d'entreposage des AAF gardées à domicile au Québec14, au regard de la réglementation canadienne sur les AAF13. Ces résultats représentent donc une estimation du niveau de conformité à cette réglementation, peu de temps après son entrée en vigueur. Ils n'ont jamais été publiés et s'avèrent les seuls du genre à être disponibles pour le Québec.


Méthodologie

La population cible était constituée des résidants du Québec qui, au 1er septembre 1994, étaient âgés de 18 ans ou plus et possédaient au moins une AAF entreposée à leur domicile. L'enquête a été réalisée auprès de 515 propriétaires d'AAF. Ces personnes ont été identifiées à partir d'un échantillon aléatoire de 4 654 ménages sélectionnés au moyen de l'annuaire téléphonique du Québec. Ces ménages ont été sélectionnés en respectant le poids démographique des régions administratives du Québec. Seulement 17 % (n = 792) de ces ménages comportaient au moins une AAF entreposée par un adulte.

Le propriétaire de l'arme (ou des armes) entreposée(s) dans chacun de ces ménages a été invité à participer à l'enquête. En tout, 524 propriétaires d'AAF ont accepté cette invitation, mais neuf d'entre eux ont abandonné pendant la période de collecte des données. Le taux de participation est donc de 65 % (515/792). Quatre vingt dix huit pour cent (n = 504) des participants ont déclaré garder au moins une arme longue (fusil ou carabine) à leur domicile, mais seulement 7 % (n = 36) ont déclaré garder au moins une arme de poing (pistolet ou revolver). Seuls les résultats observés auprès des 504 propriétaires d'armes longues sont présentés. La marge d'erreur maximale pour un échantillon de cette taille (n = 504) s'établit à plus ou moins 4,4 %, selon un seuil alpha de 0,05.

Les données ont été recueillies du 1er au 13 septembre 1994, soit environ un an et demi après l'entrée en vigueur des règles d'entreposage13 relatives à la Loi sur le contrôle des armes à feu au Canada12 (1er janvier 1993). La collecte des données était sous la responsabilité d'une firme de sondage professionnelle reconnue, «Le Groupe Léger & Léger Inc.». Les données ont été recueillies directement auprès des propriétaires d'armes longues lors d'entrevues téléphoniques. Les entrevues ont été réalisées par des enquêteuses professionnelles bilingues au moyen d'un questionnaire pré testé et standardisé apparaissant sur un écran d'ordinateur. Les données ont été saisies en cours d'entrevue. En moyenne, les entrevues ont duré 12 minutes.

L'état d'entreposage des armes longues a été décrit au regard des règlements canadiens sur l'entreposage des AAF13. Selon ces règlements, une arme longue est entreposée de façon sécuritaire si les trois critères suivants sont respectés : l'arme doit être non chargée (premier critère); elle doit être inopérante ou inaccessible (deuxième critère); et ses munitions doivent être rangées en sécurité (troisième critère). Selon cette réglementation, une arme longue est déchargée (premier critère) s'il n'y a pas de munitions dans le chargeur. Pour être inopérante (deuxième critère), il faut que l'arme longue soit munie d'un dispositif qui permet de la verrouiller individuellement, ou bien qu'elle soit dépourvue d'une pièce essentielle à son fonctionnement (ex. : culasse). Pour être inaccessible (deuxième critère) l'arme longue doit être rangée dans un lieu verrouillé et solide. Un lieu est jugé solide s'il est difficile à forcer et à défoncer. Il peut s'agir d'un compartiment, d'un contenant ou d'une pièce. Quant aux munitions (troisième critère), elles doivent être rangées dans un lieu distinct de celui de l'arme. Il est également permis de ranger les munitions avec l'arme si le lieu de rangement est inaccessible (lieu verrouillé et solide). Dans ce cas, le lieu de rangement doit toutefois être un contenant ou un compartiment, et non une pièce.

L'état d'entreposage des armes longues a été décrit en questionnant chacun des participants au regard d'une seule arme longue pour des raisons d'ordre pratique et méthodologique (plusieurs questions sont nécessaires pour évaluer l'état d'entreposage de chaque arme). Ainsi, lorsqu'un participant déclarait garder plus d'une arme longue à son domicile, une seule arme était sélectionnée au hasard. Le cas échéant, l'arme était choisie à partir d'une liste comprenant l'ensemble des armes déclarées par le répondant concerné, au moyen d'un logiciel conçu à cette fin.

Chaque participant a été invité à répondre à une série de questions spécifiques afin de préciser : si son arme était munie d'un dispositif permettant de la verrouiller individuellement; si elle était pourvue de toutes ses pièces; si le lieu où elle était rangée était un contenant, un compartiment ou une pièce; si ce lieu était verrouillé; et, le cas échéant, si ce lieu était difficile à forcer ou à défoncer; si les munitions étaient rangées avec l'arme ou dans un lieu distinct de celui de l'arme; et finalement, si l'arme était chargée.

Les réponses de chacun des participants étaient analysées en cours d'entrevue, au moyen d'un programme informatique, pour déterminer si l'état d'entreposage de l'arme était ou non conforme aux trois critères retenus. Au terme de cette analyse, chaque participant était classé selon deux catégories : «non-contrevenant» (l'arme longue étudiée respecte les trois critères retenus) ou «contrevenant» (l'arme longue étudiée ne respecte pas au moins l'un des trois critères retenus). Les non-contrevenants étaient réputés entreposer leur arme longue de façon sécuritaire, et les contrevenants, de façon non sécuritaire.


Résultats

Les participants sont en majorité âgés entre 35 et 54 ans (53 %). Les hommes (n = 465) sont neuf fois plus nombreux que les femmes (n = 50). Dans 96 % des cas, la langue parlée est le français. Neuf fois sur dix, les participants habitent avec une autre personne. Ils résident plus souvent en milieu rural (60 %) qu'en milieu urbain (40 %). La majorité des participants (64 %) déclarent avoir complété 12 années ou moins de scolarité.

En moyenne, les participants gardent 2,7 armes longues à leur domicile. Trente deux pour cent n'en gardent qu'une, 29 % deux, 18 % trois, et 21 % quatre ou plus. Les trois armes longues les plus populaires sont par ordre décroissant, le fusil de calibre 12 (55 %), la carabine de calibre .22 (42 %) et le fusil de calibre .410 (24 %). Dans 22 % des cas, les participants déclarent que d'autres personnes ont accès à leur(s) arme(s). Trente sept pour cent des répondants affirment que personne, y compris eux-mêmes, n'a utilisé l'une de leurs armes au cours des 12 derniers mois précédant l'enquête.

La chasse (87 %) est de loin le premier motif évoqué par les participants pour posséder une arme longue (tableau 1). Une très faible proportion des participants déclarent posséder une AAF pour l'auto-protection (3 %) ou pour chasser les prédateurs ou les animaux nuisibles (1 %). Au moment de l'enquête, 91 % des participants disaient avoir déjà suivi une formation sur le maniement des armes à feu, et 53 % des participants savaient qu'une loi régissait l'entreposage des AAF, au Canada.

Les résultats observés démontrent que 65 % (n = 329) des participants avaient au moins une arme longue entreposée de façon sécuritaire à leur domicile, au moment de l'enquête (respect des trois critères). De façon plus spécifique, presque tous les participants ont indiqué que l'arme longue au sujet de laquelle ils étaient questionnés était entreposée non chargée (99,6 %; premier critère), et que les munitions de cette arme était rangées en sécurité (91 %; troisième critère). Par contre, 70 % des propriétaires ont déclaré que l'arme longue étudiée était inopérante ou inaccessible (deuxième critère).

En contrepartie, ces résultats démontrent que 35 % (n = 175) des participants contrevenaient à au moins l'un des trois critères d'entreposage retenus. La probabilité d'être contrevenant était plus grande (tableau 2) pour les participants ayant le français comme langue parlée (p < 0,05); pour ceux dont au moins une arme longue était accessible à une tierce personne (p < 0,05); et enfin, pour ceux ignorant qu'au Canada, l'entreposage des armes longues était régi par une loi (p < 0,05). Cependant, les autres variables étudiées ne sont pas associées à l'état d'entreposage des armes longues (p >= 0,05): âge (18-34; 35-54; 55+); sexe (homme, femme); lieu de résidence (rural, urbain); années de scolarité complétées (<= 12, > 13); revenu familial (< $40 000, >= $40 000); habite seul (oui, non); présence d'enfants de moins de 18 ans (oui, non); nombre d'armes possédées (1, 2, 3, 4+); motifs de possession des armes (chasse, tir à la cible, collection); calibre des armes (12, .22, .410); arme(s) non utilisée(s) au cours des 12 derniers mois (oui, non); et antécédents de formation sur les AAF (oui, non).

La figure 1 présente les résultats observés pour les 175 contrevenants : 85 % (n = 149) d'entre eux contreviennent à la réglementation canadienne sur l'entreposage des AAF parce qu'ils ont au moins une arme longue entreposée à leur domicile en étant à la fois opérante (arme non munie d'un dispositif permettant de la verrouiller individuellement et pourvue de toutes ses pièces) et accessible (arme rangée dans un lieu non verrouillé ou bien dans un lieu verrouillé mais non solide - facile à forcer ou à défoncer).

Les 149 contrevenants ayant au moins une arme longue opérante et accessible (non-respect du deuxième critère d'entreposage) ont fait l'objet d'analyses plus détaillées. Dans un premier temps, chacun de ces contrevenants (n = 149) a été invité à répondre à la question suivante : «Si vous deviez améliorer la sécurité dans l'entreposage de vos AAF, quelle action entreprendriez-vous en premier lieu?» (une liste d'actions possibles leur était suggérée mais une seule action pouvait être choisie). Les deux actions les plus souvent mentionnées par ces contrevenants pour améliorer la sécurité de leur arme sont respectivement : 1) le fait de rendre l'arme inopérante, c'est-à-dire la verrouiller individuellement ou lui enlever une pièce nécessaire pour tirer (40 %; n = 60); et, 2) le fait de rendre l'arme inaccessible, c'est-à-dire la garder dans un lieu verrouillé et solide (24 %; n = 36).

Par la suite, chacun de ces contrevenants a été invité à répondre aux questions suivantes : «Pourquoi votre arme est-elle entreposée en étant opérante d'une part, et accessible d'autre part?» et «Qu'est ce qui pourrait vous inciter à rendre votre arme inopérante d'une part, et inaccessible d'autre part?» (aucun choix de réponse ne leur a été suggéré et une seule réponse était compilée pour chaque contrevenant). À chaque fois, la condition d'entreposage à l'étude était définie clairement pour s'assurer que chacun des contrevenants concernés en avait une bonne compréhension (arme opérante; arme inopérante; arme accessible; arme inaccessible).

  • Arme opérante : Pour expliquer le fait que leur arme longue était opérante, les 149 contrevenants concernés ont indiqué que d'autres dispositions de sécurité étaient prises (19 %; n = 28), et que leur arme était bien cachée (7 %; n = 10). La négligence est également une raison invoquée par un certain nombre de contrevenants (7 %; n = 10). Fait à noter, 15 % (n = 22) des contrevenants déclarent qu'aucune raison particulière ne justifiait le fait que leur arme soit gardée à domicile en étant opérante. La présence d'enfants est le principal élément de motivation invoqué par les contrevenants concernés pour les inciter à rendre leur arme longue inopérante (28 %; n = 42). Vingt-huit pour cent (n = 42) des contrevenants déclarent que rien de particulier pourrait les inciter à rendre leur arme inopérante.
  • Arme accessible : Une proportion importante des 149 contrevenants concernés ont déclaré entreposer leur arme longue en étant accessible soit par négligence ou par habitude (13 %; n = 19), ou parce qu'ils considèrent que leur arme est bien cachée (9 %; n = 13). Le fait de ne pas disposer d'un autre endroit pour entreposer l'arme est également une raison invoquée par plusieurs contrevenants (8 %; n = 12). Soulignons que 15 % (n = 22) des contrevenants déclarent qu'aucune raison particulière ne justifie cet état de fait. Ici également, la présence d'enfants s'avère être le principal élément de motivation invoqué par les contrevenants concernés pour les inciter à rendre leur arme longue inaccessible (26 %; n = 39). Cependant, une forte proportion des contrevenants (35 %; n = 52) déclarent que rien de particulier pourrait les inciter à rendre leur arme inaccessible.



TABLEAU 1
Motifs invoqués par les participants (n = 504) pour posséder une AAF longue
a

Motifs invoqués %b
Pour la chasse  87,0
Tir à la cible  11,0
Collection   7,0
Un souvenir   5,0
Auto-protection   3,0
Emploi   2,0
Prédateurs, animaux nuisibles   1,0
Autre   1,0
a  Fusil ou carabine.
b  Le total excède 100 %. Certains des participants (n = 504) ayant invoqué plus d'un motif
    de possession (n = 593).


TABLEAU 2
Facteurs associés au respect des critères retenus pour l'entreposage
des armes à feu longues
a

Facteurs Contre-venantsb
(n = 175)
Non-contre-venants
(n = 329)
Total
(n = 504)
% % % (n)
Langue parlée        
Français
Autre
c36c
14
64
86
100
100
(482)
(22)
Savoir qu'une loi régit l'entreposage des AAF        
Oui
Non
NSP/NRP
27
d43c
43
73
57
57
100
100
(267)
(160)
d (77)d
AAF accessible à une autre personne        
Oui
Non
d46c
32
54
68
100
100
(109)
(394)
a  Fusil ou carabine
b  Non-respect d'au moins l'un des 3 critères d'entreposage
c  p < 0,05
d  Non pris en compte


FIGURE 1
Répartition des contrevenants (n=175/504) selon le non-respect des trois critères d'entreposage étudiés concernant les AAF langues (fusil ou carabine)


Répartition des contrevenants (n=175/504) selon
   

Discussion

Forces et limites

Plusieurs aspects de cette enquête méritent d'être soulignés :

  • le taux de participation est de 65 %, ce qui est satisfaisant étant donné le sujet étudié (conditions d'entreposage des AAF) et la méthode de collecte des données (enquête téléphonique);
  • les participants proviennent d'un échantillon aléatoire de 4 654 ménages dont la distribution tient compte du poids démographique des différentes régions administratives du Québec, ce qui est de nature à favoriser une bonne représentativité des résultats observés;
  • l'état d'entreposage des armes longues a été décrit au regard des règlements canadiens sur l'entreposage des armes à feu, ce qui, en plus de constituer une première, permettait de fournir une mesure de base du niveau de conformité à ces règlements pour le Québec;
  • les données sur l'état d'entreposage des armes proviennent des propriétaires d'armes eux-mêmes et non de tierces personnes, ce qui est de nature à en favoriser une meilleure validité15,16;
  • chacun des participants était interrogé sur l'état d'entreposage d'une seule arme longue par rapport à un moment bien précis dans le temps (lors de l'entrevue), ce qui est de nature à réduire la présence de biais d'information lié notamment à la mémoire;
  • le jugement final sur la conformité aux règles d'entreposage des armes relevait des chercheurs et non des propriétaires d'armes, ce qui constitue un avantage étant donné la complexité relative de ce jugement (trois critères devant être considérés).

En contrepartie, les résultats relatifs à l'état d'entreposage des armes longues sont sujets à trois types de biais. Le premier est lié au fait que l'état d'entreposage des armes constitue un comportement rapporté. Certains participants ont pu répondre intentionnellement que leur arme était entreposée de façon plus sécuritaire qu'elle ne l'était en réalité, ce qui aurait pour effet de sous-estimer le nombre de contrevenants.

Le deuxième type de biais est lié au fait que la participation à l'enquête était sur une base volontaire. Dans un tel cas, il est possible que les participants aient, en moyenne, plus tendance à se conformer aux règles d'entreposage relatives aux armes longues que ceux ayant refusé de participer à l'enquête, ce qui aurait également pour effet de sous-estimer le nombre de contrevenants.

Le troisième type de biais est lié au fait d'avoir questionné chaque répondant au sujet d'une seule arme longue. Lorsque plus d'une arme étaient gardées au domicile, il était possible que l'état d'entreposage de l'arme sélectionnée (celle ayant été l'objet du questionnaire) ait été différent de celui des autres armes. Dans le cas où les règles d'entreposage retenues étaient respectées uniquement pour l'arme sélectionnée, cela avait pour effet de sous estimer le nombre de contrevenants; dans le cas contraire, il y a absence de biais.

Conditions d'entreposage

Selon les résultats observés dans la présente enquête, au moins 35 % des sujets à l'étude ayant au moins une arme longue entreposée à domicile contreviennent aux règlements canadiens sur l'entreposage des AAF13. Rappelons que 89 % (n = 156) des contrevenants déclarent habiter avec au moins une autre personne (dans 59 % des cas, il s'agit d'enfants âgés de moins de 18 ans), et que d'autre part, 29 % (n = 51) des contrevenants avouent que leur arme est accessible à une autre personne, le plus souvent un conjoint (70 %) ou un enfant (40 %).

Les résultats de cette enquête permettent d'estimer à au moins 6 % la proportion des foyers québécois comportant au moins une arme longue entreposée de façon non sécuritaire. Cette estimation a été obtenue en multipliant le pourcentage des foyers québécois où au moins une AAF est entreposée par un adulte (17 %) par le pourcentage de contrevenants parmi les sujets à l'étude (35 %).

Dans la présente enquête, l'état d'entreposage des armes longues n'est pas associé au fait d'avoir suivi une formation sur le maniement des armes à feu : autant de contrevenants que de non-contrevenants ont suivi une telle formation. Cette absence d'association est probablement due au fait que la plupart des participants à l'étude n'ont jamais reçu une formation adéquate sur les conditions d'entreposage des AAF. En effet, au moment de l'enquête, soit en 1994, 91 % des participants ont déclaré avoir suivi une formation sur le maniement des AAF dans le passé. Cependant, avant l'entrée en vigueur des règlements canadiens sur l'entreposage des AAF, soit en janvier 1993, les conditions d'entreposage sécuritaire des armes longues n'étaient pas ou très peu abordées dans les activités de formation. Cette lacune a été corrigée après l'entrée en vigueur de ces règlements, mais la formation «enrichie» a été rendue obligatoire uniquement pour les nouveaux propriétaires d'AAF : les participants à la présente étude qui ont suivi cette nouvelle formation devraient donc être peu nombreux, celle-ci ayant été réalisée en 1994.

À notre connaissance, il n'existe pas vraiment de point de comparaison pour le Québec concernant les conditions d'entreposage des AAF. Cependant, une enquête réalisée en 1999, auprès de 282 propriétaires d'armes longues répartis dans les 10 provinces canadiennes, revêt un certain intérêt17. Mais des différences au plan méthodologique rendent les comparaisons entre ces deux enquêtes plutôt hasardeuses (annexe) : les populations à l'étude ne sont pas vraiment comparables; les critères utilisés pour évaluer l'état d'entreposage des armes longues diffèrent sensiblement; et les questions auxquelles devaient répondre les participants ne portaient pas sur le même nombre d'armes.

Les principaux résultats observés dans l'enquête de 1999 sont quand même présentés à titre indicatif : 99 % des participants ont indiqué que toutes les armes longues qu'ils gardaient à domicile étaient non chargées; 83 % ont déclaré que toutes leurs armes longues gardées à domicile étaient soit rangées dans un lieu verrouillé ou soit rendues inopérantes; et finalement, ils étaient 98 % à déclarer que toutes les munitions de leurs armes longues gardées à domicile étaient rangées de façon sécuritaire, c'est-à-dire soit dans un lieu distinct de celui de l'arme ou soit avec l'arme dans un compartiment verrouillé. Dans cette enquête, environ 17 % des participants ne respectaient pas l'un ou l'autre des critères d'entreposage retenus. Fait à noter, des résultats semblables sont observés pour l'enquête de 1994 si les critères d'entreposage retenus en 1999 sont utilisés (résultats non présentés).

Pistes d'action

Les résultats de notre étude suggèrent quelques pistes d'action pour augmenter le taux de conformité aux règlements de la Loi canadienne sur l'entreposage des armes à feu13. Dans 85 % des cas où le propriétaire d'une arme longue contrevient à cette loi (149/175), l'AAF est à la fois opérante et accessible. Pour augmenter le taux de conformité à cette loi, il semble donc pertinent d'encourager les propriétaires d'AAF longues à les rendre soit inopérantes (ex. : munir l'AAF d'un dispositif de verrouillage) ou inaccessibles (ex. : garder l'AAF dans un lieu solide et verrouillé). Soulignons que ces deux mesures sont celles les plus souvent identifiées par les contrevenants parmi une liste de mesures pour améliorer la sécurité de leurs armes. La présente enquête montre également que pour convaincre les contrevenants d'appliquer ces mesures, il faudrait les sensibiliser au fait que, ce faisant, ils protégeraient leurs enfants, ceux des voisins ou de leurs proches.

Les résultats de l'étude indiquent une autre piste d'action intéressante : elle vise à réduire le nombre d'armes gardées à domicile. En effet, plus d'un tiers (37 %) des participants affirment que leur(s) arme(s) n'a (n'ont) pas été utilisée(s) par eux-mêmes ou par quelqu'un d'autre, au cours des 12 mois précédant l'enquête. Fait à noter, ces proportions sont encore plus élevées chez les contrevenants que chez les non-contrevenants. Il semble donc pertinent de sensibiliser les personnes possédant une arme non utilisée à s'en départir.


Remerciements

Nous tenons à remercier Messieurs Michel Lemieux et Pierre Duchesnay de la firme de sondage «Le Groupe Léger & Léger Inc.» à Québec, qui étaient responsables de la collecte des données. Cette enquête n'aurait pas été possible sans l'appui du Comité intersectoriel sur la violence familiale et l'entreposage sécuritaire des armes à feu au Québec (CCAAF), du Centre canadien des armes à feu du Ministère de la Justice du Canada, et des Directions régionales de la santé publique de Québec et de la Montérégie.


Références

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15.    Ludwig J, Cook PH, Smith TW. The Gender Gap in Reporting Household Gun Ownership. Am J Public Health. 1998; 88:1715-18.

16.    Azrael D, Miller M, Hemenway D. Are household firearms stored safely? It depends on whom you ask. Pediatrics. 2000; 103(3):1-6.

17.    Angus Reid Group. Safe Storage Knowledge and Practice: Overview of Findings. For the Canadian Firearms Centre. July 23, 1999.

Références des auteurs

Michel Lavoie, Lise Cardinal et Antoine Chapdelaine, Direction de la santé publique de Québec, et de l'Institut national de santé publique du Québec (Québec)

Danielle St-Laurent, Institut national de santé publique du Québec (Québec)

Correspondance: Dr Michel Lavoie, Direction de la santé publique de Québec, 2400 d'Estimauville, Beauport (Québec) G1E 7G9; Téléc. : (418) 666-2776; Courriel : lavoie.michel@ssss.gouv.qc.ca

Références des auteurs

Michel Lavoie, Lise Cardinal et Antoine Chapdelaine, Direction de la santé publique de Québec, et de l'Institut national de santé publique du Québec (Québec)

Danielle St-Laurent, Institut national de santé publique du Québec (Québec)

Correspondance: Dr Michel Lavoie, Direction de la santé publique de Québec, 2400 d'Estimauville, Beauport (Québec) G1E 7G9; Téléc. : (418) 666-2776; Courriel : lavoie.michel@ssss.gouv.qc.ca

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ANNEXE
Différences d'ordre méthodologique entre les deux enquêtes : Québec - 1994 et Canada - 1999

Populations non comparables : Dans l'enquête de 1999, seulement 40 participants sur 282 provenaient du Québec : cela a d'autant plus d'importance que dans l'enquête de 1994, l'état d'entreposage des armes longues était associé à la langue parlée des participants.

Nature des critères d'entreposage : Contrairement à l'enquête de 1994, celle de 1999 considère qu'un lieu est inaccessible dès qu'il est verrouillé peu importe s'il est ou non solide (difficile à forcer ou à défoncer). Le fait d'être moins sévère pour déclarer inaccessible un lieu d'entreposage donné a pour conséquence d'augmenter le nombre de participants jugés «conformes» à deux des trois critères proposés dans les règlements canadiens sur l'entreposage des armes longues soit : celui relatif à l'entreposage des armes longues dans un lieu inopérant ou inaccessible (deuxième critère), et celui concernant la possibilité de ranger une arme avec ses munitions dans un même lieu à condition que ce dernier soit un contenant ou un compartiment inaccessible (troisième critère).

Nombre d'armes longues considérées : En 1994, le respect des critères d'entreposage a été évalué en questionnant chaque répondant au regard d'une seule arme longue (lorsque plus d'une arme étaient gardées à domicile, une seule arme était choisie au hasard); alors qu'en 1999, chaque répondant devait considérer l'état d'entreposage de l'ensemble de ses armes.


Dernière mise à jour : 2002-10-02 début