Agence de santé publique du Canada / Public Health Agency of Canada
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Volume 16, No 3- 1996

 

  Agence de santé publique du Canada

Rôle de l'acide folique dans la prévention des néoplasies du col : survol de la littérature
Maureen Carew

Introduction

Malgré une réduction importante de l'incidence et de la mortalité associées au cancer du col utérin au cours des 40 dernières années, cette maladie demeure un important problème de santé au Canada. En 1995, environ 1 300 nouveaux cas seront diagnostiqués et 370 Canadiens mourront de ce type de cancer 1. L'introduction du frottis de Papanicolaou au début des années 1950 a beaucoup contribué à réduire l'incidence des lésions invasives et des décès dus à ce cancer; des données récentes semblent néanmoins indiquer que les taux d'incidence et de mortalité ne sont plus en baisse 1.

Comme outil de dépistage, le frottis de Pap possède une piètre sensibilité 2, et l'on ne devrait entreprendre un dépistage de masse qu'après avoir mis en place des systèmes d'information et des mesures strictes de contrôle de la qualité 3. D'autres recherches sur l'étiologie et la prévention du cancer du col utérin doivent être effectuées et l'on devrait peut-être miser davantage sur la prévention primaire que sur la détection et le traitement précoces.

Un certain nombre de facteurs de risque associés au cancer du col utérin ont été cernés, notamment le tabagisme, la parité, l'utilisation de contraceptifs oraux, les rapports sexuels avec plusieurs partenaires et l'infection par le virus du papillome humain (VPH)4. L'influence de divers facteurs nutritionnels tels que les folates, la vitamine C, la vitamine E et les caroténoïdes sur l'épithélium cervical ont également été étudiés.

Nous présentons dans cet article un examen critique et une synthèse des publications portant sur le lien entre l'apport en folates et le risque de néoplasie cervicale. L'oncogenèse est un processus complexe qui est influencé par divers facteurs, d'origine le plus souvent génétique ou environnementale. De même, lorsqu'on étudie la nutrition et le cancer du col utérin, il faut considérer que l'action des micronutriments alimentaires est probablement conjuguée plutôt qu'indépendante. Comme il est difficile de mesurer l'interaction entre les micronutriments, les études épidémiologiques ont porté surtout sur des effets particuliers plutôt que sur des effets interdépendants. C'est la raison pour laquelle nous sommes limités dans le présent article à étudier le rôle distinct des folates (mais nous présentons lorsque c'est possible les effets indépendants d'autres micronutriments qui ont été étudiés).

Cette vitamine du groupe B est appelée folate lorsqu'elle se retrouve dans les aliments ou acide folique lorsqu'elle est administrée sous forme de supplément (comme dans les préparations multivitaminiques). Le rôle des folates dans la carcinogenèse et dans le traitement du cancer a été longuement étudié au cours des 40 dernières années. Un corpus de plus en plus étendu de données épidémiologiques laisse entendre que la carence en folates peut jouer un rôle dans la survenue du cancer du col utérin, possiblement en interaction avec d'autres facteurs de risque.

Comme la carence en folates peut exercer des effets différents selon le stade de la dysplasie, il est utile de comprendre la progression naturelle des lésions cervicales vers la maladie invasive. Les dysplasies ou les néoplasies intra-épithéliales cervicales (CIN) ont été conventionnellement réparties en trois degrés selon des critères cytologiques : CIN I pour les dysplasies très légères à légères, CIN II pour les dysplasies modérées, et CIN III pour les dysplasies sévères. L'épithélium dysplasique, en particulier le CIN I, peut redevenir normal; on parle alors de régression. Bien que les publications fassent état de taux de régression divergents, jusqu'à 60 % des lésions légèrement dysplasiques peuvent redevenir spontanément normales en relativement peu de temps (6 à 12 mois)5.

On ne fait actuellement guère de distinction entre le CIN III et le carcinome in situ. Dans les lésions de bas grade (atypie et CIN I), la proportion de l'épithélium occupée par les cellules anormales est très faible, alors que dans les lésions de haut grade, un plus grand nombre de cellules présentent des anomalies nucléaires et sont indifférenciées. Une fois que les cellules dysplasiques envahissent l'épithélium basal, le cancer est dit invasif 6. On ignore à quel stade les facteurs nutritionnels entrent en jeu. Nous examinerons donc séparément les effets des folates sur les dysplasies cervicales et le cancer invasif.

Méthodes

Nous avons retracé les études sur le sujet en faisant une recherche dans MEDLINE pour la période de janvier 1984 à mai 1995 (inclusivement), en dépouillant les bibliographies jointes aux articles retracés et en communiquant directement avec des experts dans le domaine. Nous n'avons pas tenu compte des études inédites.

Nous avons utilisé pour cette recherche les mots clés MeSH (Medical Subject Heading) de la National Library of Medicine : «cervical neoplasia» (qui incluait des termes plus spécifiques «cervical intraepithelial neoplasia», «dysplasia» et «invasive cancer» ou «carcinoma») et la vedette-matière «folate» (incluant l'acide folique et toutes les formes de cette vitamine).

Nous avons élagué la liste de références en excluant les études non publiées en anglais, les études qui ne portaient pas sur le rôle des folates ou de l'acide folique comme facteur nutritionnel dans l'apparition des néoplasies cervicales ainsi que les études faites sur des animaux. Vingt articles pertinents ont été retenus, dont 11 portaient sur des recherches originales. On trouvera aux tableaux 1 et 2 un résumé de l'évaluation critique de ces 11 études.

Folates et dysplasies cervicales

Whitehead et coll. ont été les premiers, en 1973, à établir un lien entre les folates et le cancer du col utérin; ils ont noté l'aspect mégaloblastique des cellules épithéliales du col chez les utilisatrices de contraceptifs oraux contenant des hormones stéroïdes 7. Même s'il n'existait aucun signe systémique apparent de carence, l'administration de suppléments oraux d'acide folique s'est accompagnée d'une disparition des altérations cytologiques en l'espace de trois semaines. Ils ont émis l'hypothèse que la carence en folates se situait au niveau des organes récepteurs à cause de la stimulation hormonale; c'est ainsi qu'a été introduit le concept de carence vitaminique localisée.

L'effet de la supplémentation orale en acide folique sur l'évolution des dysplasies cervicales a été évalué dans deux essais d'intervention clinique 8,9. En 1982, Butterworth et coll. ont indiqué que l'administration quotidienne de suppléments d'acide folique pendant trois mois était associée à une amélioration des cotes attribuées aux dysplasies chez 22 sujets comparativement à 25 témoins ayant reçu un placebo 8. Bien que le plan d'étude soit solide sur le plan théorique, les problèmes méthodologiques suivants ont été cernés :

  • L'échantillon était de petite taille (47 sujets).

  • Les résultats n'ont pas été ajustés pour tenir compte de l'effet de facteurs de risque connus ou d'autres variables confondantes.· Le taux de participation était faible : seulement 47 des 78 sujets inscrits ont terminé le protocole.

  • Aucun renseignement sur les taux d'observance et d'abandon n'a été fourni.

Un dosage des vitamines sériques a révélé que les concentrations érythrocytaires des folates étaient plus faibles chez les utilisatrices de contraceptifs oraux que chez celles qui n'en prenaient pas. Toutefois, ces résultats peuvent ne pas être fiables parce qu'on n'a pas établi les taux de base des folates sériques et érythrocytaires. On a prélevé des échantillons de sang à divers moments durant l'étude et les témoins (employés d'hôpitaux) n'étaient pas comparables aux cas.

Les sujets ont subi trois frottis de Papanicolaou au cours de l'étude; les résultats ont été classés de 1 à 5 selon la gravité des anomalies cytologiques (1 : moins sévères; 5 : carcinome in situ). On a ensuite établi une cote moyenne pour les dysplasies pour chaque groupe et comparé les cotes obtenues à l'intérieur des groupes et d'un groupe à l'autre au moyen d'un test de t. La validité et la fiabilité de ce système de cotation n'ont pas été analysées.

Butterworth et son équipe ont effectué en 1992 9 un deuxième essai comparatif randomisé à double insu. En tout, 235 sujets présentant un CIN I ou II ont été répartis au hasard en deux groupes : l'un recevant 10 mg d'acide folique, l'autre un placebo chaque jour pendant 6 mois. Après ajustement pour tenir compte des facteurs de confusion possibles, on n'a observé aucune différence significative entre les sujets recevant un supplément et les témoins en ce qui concerne l'état des dysplasies, les résultats des biopsies ou la prévalence de l'infection à VPH. On estimait que les résultats étaient fiables vu que la taille de l'échantillon et la sélection des sujets étudiés étaient elles-même fiables. Les taux élevés de régression des néoplasies, d'après les données cytologiques, relevés dans le groupe recevant un placebo et chez les sujets qui prenaient un supplément d'acide folique (66,3 % et 63,7 %, respectivement) peuvent expliquer l'absence de différences significatives entre les deux groupes.

Dans un certain nombre d'études cas-témoins, on a examiné la relation entre la carence en folates et l'apparition d'une dysplasie cervicale 10-12. Butterworth et coll. ont étudié notamment des femmes en âge de procréer qui fréquentaient la clinique d'un service de santé de comté pour un examen médical courant ou pour des conseils dans le domaine de la planification familiale 3 . Toutes les femmes dont les frottis de Pap étaient anormaux ont été orientées vers une clinique de colposcopie, où a été pratiqué un second test de Pap de même qu'un examen gynécologique, un frottis pour la détection de pathogènes, un examen des produits de raclage pour la détection du VPH et des prélèvements sanguins en vue du dosage de 12 indices nutritionnels, dont les concentrations érythrocytaires de folates.

Il s'agissait de la première étude de ce type à mettre en évidence une interaction entre la concentration de folates et les facteurs de risque de dysplasie cervicale. Bien que le risque de dysplasie cervicale ne fut pas associé aux concentrations plasmatiques de nutriments, un faible taux érythrocytaire de folates contribuait à intensifier l'effet de l'infection par le VPH. Le rapport de cotes (ajusté) pour le VPH-16 s'établissait à 1,1 chez les femmes dont les concentrations de folates étaient supérieures à 660 nmol/L, mais atteignaient 5,1 (intervalle de confiance à 95 % [IC] = 2,3-11) chez les femmes qui présentaient des taux plus faibles.

Parmi tous les articles dépouillés, seule cette étude tentait de vérifier la classification des cas et des témoins. Les frottis provenant du centre de planification familiale qui étaient négatifs à la colposcopie ont été réévalués, et les faux positifs ont été exclus. Afin de réduire encore plus le risque de résultats faussement positifs, les cas qui ne présentaient pas de lésions visibles à la colposcopie ont également été exclus. Sur les 237 témoins potentiels, un a été reclassé parmi les cas et 66 ont été exclus en raison de données cytologiques ou colposcopiques non concluantes. Malheureusement, comme on n'a pas prélevé d'échantillons histologiques, il a été impossible d'évaluer la sensibilité et la spécificité des frottis de Pap.

VanEenwyk et coll. ont effectué une autre étude cas-témoins visant à évaluer le lien possible entre le CIN et les concentrations de folates dans le sérum, les globules rouges et le régime alimentaire 10. Ils ont également examiné l'association entre la vitamine C et le CIN. Après ajustement pour tenir compte des facteurs de confusion potentiels, ils ont découvert que les concentrations érythrocytaires de folate et de vitamine C exerçaient un effet protecteur. Ils ont divisé les taux de micronutriments en quartiles, le chiffre 4 désignant le quartile le plus élevé et 1, le plus faible. Pour ce qui est des concentrations érythrocytaires de folates, les rapports de cotes (avec intervalles de confiance à 95 %) après comparaison des quartiles 4, 3 et 2 avec le quartile 1 était 0,1 (0-0,4), 0,6 (0,2-2,0) et 0,5 (0,2-1,9), respectivement.

Dans le cas de la vitamine C, les rapports de cotes s'élevaient à 0,2 (0-0,7), à 0,6 (0,2-1,6) et à 0,6 (0,2-1,8), respectivement. Il faut user de prudence dans l'interprétation de ces résultats car les chercheurs n'ont pas éliminé le risque de biais de renvoi ou de non-réponse. Les cas comme les témoins ont été recrutés parmi la clientèle de deux services de consultations d'hôpitaux, et on ignore si ces patientes étaient représentatives de la communauté. Si les sujets étudiés se démarquent de la population dont ils font partie, alors les véritables effets des folates peuvent être soit sous-estimés soit surestimés.

Seuls 102 des 166 cas potentiels ont participé à l'étude (61 %), et le taux de réponse chez les témoins était encore plus faible, soit 52 %. Les auteurs ont tenu compte du risque de biais dû à la non-réponse en recueillant des données sur l'âge, l'origine ethnique, le code postal et le mode de paiement des services médicaux pour tous les participantes. Les taux de réponse étaient plus faibles parmi les femmes de 18 à 24 ans et celles qui ont assumé elles-mêmes le coût des services médicaux reçus. Vu que les cas et les témoins étaient appariés pour l'âge, la non-réponse chez les sujets plus jeunes ne devrait pas influer sur les résultats. Le plus faible taux de réponse chez les femmes qui assumaient leurs frais médicaux pourrait avoir créé cependant un biais de sélection, les groupes socio-économiques supérieurs (assurance privée) et inférieurs (assistance publique) étant surreprésentés dans l'échantillon.

Une autre étude rétrospective effectué par McPherson a révélé l'existence d'une association entre l'apport en folates et le risque de dysplasie cervicale 11. Les chercheurs ont recueilli de l'information sur le régime alimentaire, les caractéristiques démographiques et les facteurs de risque connus de cancer du col utérin en faisant remplir un questionnaire à 75 cas et à 84 témoins. Les femmes qui consommaient moins de 397 mg par jour de folates étaient 2,66 fois plus nombreuses à présenter une dysplasie que celles qui consommaient plus de 397 mg par jour. Comme au moment de la présente analyse, nous ne disposions que d'un résumé décrivant cette enquête, une évaluation critique de la méthodologie n'a pas été éffectuée.

Buckley et coll. ont réalisé une étude cas-témoins moins rigoureuse portant sur la relation entre les micronutriments alimentaires (folates, vitamine C, vitamine E, rétinol et caroténoïdes) et les dysplasies cervicales chez des Indiennes des états-Unis 12. Un faible apport en vitamine C, en vitamine E et en folates était associé à une augmentation du risque de CIN. Lorsqu'on comparait l'apport le plus faible à l'apport le plus élevé, les rapports de cotes (IC à 95 %) pour le folate, la vitamine C et la vitamine E était de 3,31 (1,87-5,84), 3,03 (1,78-5,15) et 1,65 (1,07-2,53), respectivement.

Malgré le très haut taux de réponse chez les cas comme chez les témoins ( >90 %), l'étude présentait certaines lacunes sur le plan méthodologique.

  • Les cas ont été sélectionnés d'après les antécédents de dysplasie au cours de l'année précédente. Comme les lésions dysplasiques peuvent régresser durant cette période, il est possible qu'on ait introduit un biais dû à une erreur de classification.

  • L'instrument (le questionnaire) utilisé pour mesurer l'apport alimentaire n'a pas été validé.

  • Les résultats n'ont pas été ajustés pour tenir compte de facteurs de confusion possibles (caractéristiques démographiques, comportementales, facteurs de risque connus). Par exemple, le groupe témoin provenait d'une couche socio-économique supérieure à celle des témoins. Ainsi, la situation socio-économique peut avoir faussé l'association entre les macronutriments alimentaires et les dysplasies cervicales.

Un résumé des études portant sur les liens entre les folates et les dysplasies cervicales est présenté au tableau 1. Le premier essai d'intervention clinique effectué par Butterworth 8 a fait ressortir une amélioration dans les modifications dysplasiques après administration d'un supplément d'acide folique; toutefois, cette étude présentait d'importantes limites sur le plan méthodologique. Un deuxième essai comparatif randomisé, méthodologiquement plus rigoureux, qui a été réalisé par le même chercheur n'a révélé aucune association entre les folates et le cancer du col utérin 9.

L'étude cas-témoins la plus rigoureuse a donné des résultats négatifs 13. Les études cas-témoins de VanEenwyk et coll.10 et de Buckley et coll.12 étaient plus faibles sur le plan méthodologique, mais ont mis en évidence le rôle protecteur des folates contre le cancer du col.Comme les résultats de recherche sont contradictoires et qu'un certain nombre de ces études présentent des lacunes méthodologiques, il est impossible de tirer une conclusion concernant le rôle des folates dans l'apparition d'une carcinogenèse cervicale précoce. Il faudra effectuer des études rigoureuses traitant des problèmes de biais associés aux erreurs de classification et valider les instruments d'étude avant de pouvoir répondre à cette question.


TABLEAU 1
Résumé des études sur les folates et le risque de dysplasies cervicales
Auteur
Plan d'étude
Résultats
Rapport de cotes (RC)
Commentaires
Whitehead et al., 19737 Rapport de cas Régression de la mégaloblastose
après l'administration desuppléments d'acide folique
  Plan d'étude faible
Petite taille de l'échantillon
Génération d'hypothèses
Butterworth et al., 19828 Essai comparatif randomisé
Deux groupes, l'un recevant 10
mg de folate et l'autre un placebo
pendant 3 mois
Amélioration des cotes
moyennes obtenues après la
biopsie dans le groupe recevant
une supplémentation
Amélioration de la cote finale
fondée sur la cytologie dans le
groupe recevant une
supplémentation
  Petite taille de l'échantillon (n =
47)
Aucun ajustement pour tenir
compte des facteurs de confusion
Faible taux de participation
Butterworth et al., 19829 Essai comparatif randomisé
Deux groupes, l'un recevant 10
mg de folate et l'autre un placebo
pendant 6 mois
Aucune différence entre les deux
groupes pour ce qui est des
dysplasies
  Plus de 60 % des cas ont
régressé vers une cytologie
normale dans les deux groupes
Butterworth et al., 199213 Étude cas-témoins
Association entre 12
micronutriments et les dysplasies
Aucune association observée,
mais interaction entre de faibles
concentrations de folate et le VPH
Folate <660 nmol/L
VPH nég. RC = 1,3 (0,8–2,1)
VPH pos. RC = 5,1 (2,3–11)
Première étude à mettre en
évidence une interaction
Biais associé à une erreur de
classification réduit au minimum
VanEenwyk et al., 199210 Étude cas-témoins
Risque de CIN et folates
sériques, érythrocytaires et
alimentaires
Effet protecteur des folates
érythrocytaires contre le CIN
Comparaison du quartile le plus
élevé pour les folates
érythrocytaires avec le quartile le
plus faible : RC = 0,2 (0–0,4)
Biais associé au renvoi des cas
et à la non-réponse non exclu
McPherson, 198911 Étude cas-témoins
Risque de CIN et apport
alimentaire en vitamine C, folates
et caroténoïdes
Relation inverse entre l'apport en
folates et le risque de CIN
Comparaison de <397 mg/jour
avec >397
RC = 2,66
Résumé seulement
Évaluation critique n'a pas été
effectuée
Buckley et al., 199212 Étude cas-témoins
Risque de CIN et apport
alimentaire en vitamine C, folates
et vitamine E<
Relation inverse entre l'apport en
vitamine C, en vitamine E, en
folates et le risque de CIN
Comparaison de l'apport le plus
élevé pour chaque élément et de
l'apport le plus faible
Folates : 3,31 (1,87– 5,84)
Vitamine C : 3,03 (1,78–5,15)
Vitamine E : 1,65 (1,07–2,53)
Classification des cas et des
témoins non verifiée
Questionnaire portant sur le
régime alimentaire non validé
Aucun ajustement pour tenir
compte des facteurs de confusion

   

Folates et cancer invasif du col utérin

On ignore si la concentration de folates joue un rôle important dès l'apparition des premières anomalies cervicales ou si elle influe sur la progression du carcinome in situ vers le carcinome invasif. Le cancer invasif du col peut essaimer à distance (métastases) ou envahir d'autres organes et est généralement traité rapidement soit par chirurgie, radiothérapie ou les deux. À la différence du CIN, cette maladie ne peut donc être étudiée dans le cadre d'un essai clinique randomisé. La relation entre les folates (dans le régime alimentaire ou dans le sérum) et le carcinome cervical a surtout fait l'objet d'études cas-témoins. Nous présentons dans ce rapport les résultats de quatre études de ce type.

Potishman et coll. ont évalué si de faibles concentrations sériques de folates étaient associées À une augmentation du risque de cancer invasif du col utérin dans une population d'Amérique latine 14 . Toutes les patientes porteuses d'un carcinome cervical qui venait d'être diagnostiqué dans quatre principaux centres de traitement (Bogota, Colombie; Mexico, Mexique; Costa Rica; et Panama) ont été invitées À participer À l'étude. Chaque cas de Bogata et de Mexico était apparié À deux témoins hospitalisés du même âge. En ce qui concerne le Costa Rica et Panama, chaque cas était apparié par âge À un témoin hospitalisé et À un témoin dans la collectivité. Quatre-vingt-quinze pour cent des sujets admissibles ont accepté de participer et ont répondu À des questions concernant leur état de santé, leurs antécédents génésiques, leurs caractéristiques démographiques et leurs habitudes alimentaires.

Les concentrations moyennes de folates étaient similaires chez les cas et les témoins. Après ajustement pour tenir compte des facteurs possibles de confusion, on n'a observé aucune association entre le taux sérique de folates et le risque de cancer du col utérin ni d'interaction avec des facteurs connus de risque.

Il est possible que les auteurs n'aient pu observer d'association parce qu'ils ont dosé les concentrations sériques de folates (un marqueur de courte durée du taux de folates) au lieu des concentrations érythrocytaires. Ces dernières sont moins touchées par les fluctuations dans l'apport alimentaire et constituent, de façon générale, une mesure plus fiable des réserves de folates. Comme la période de latence du carcinome du col est relativement longue, il est peu probable que des changements récents dans le régime alimentaire influent sur l'apparition de cette maladie. Peut-être que la mesure des réserves durables de folates aurait été plus utile et aurait produit des résultats différents.

Utilisant la même méthodologie décrite dans l'étude susmentionnée et la même population, Potishman et coll. ont également examiné l'association entre l'apport alimentaire de certains micronutriments (folates, vitamine C, caroténoïdes et rétinol) et le cancer invasif du col 15. Ils ont calculé les apports alimentaires pour certains nutriments d'après des évaluations diététiques; ils n'ont pas toutefois tenu compte de la consommation de suppléments multivitaminiques.

Ils ont noté que le risque de cancer du col était légèrement plus faible lorsque la consommation de jus de fruits était la plus élevée (rapport de cotes = 0,9, p = 0,008), bien qu'ils n'aient pas observé de relation dose-effet lorsque les quantités ingérées augmentaient. Pour ce qui est des nutriments étudiés, les folates n'étaient pas associés À un risque de carcinome cervical. Le risque tendait À diminuer plus l'apport en vitamine C et en caroténoïdes était important.

Même si cette étude comporte des aspects positifs (taux d'observance élevé et collecte de données détaillées sur les facteurs de risque), certains éléments limitent l'interprétation des résultats. D'autres analyses ont montré que les associations alimentaires étaient dues surtout À des réductions de risque chez les sujets de deux régions (Colombie et Mexique) et chez les femmes appartenant aux couches socio-économiques supérieures, ce qui évoque la possibilité d'un biais de sélection.

Les questionnaires utilisés dans les enquêtes diététiques doivent faire l'objet d'une validation minutieuse si l'on veut réduire au minimum, voire éliminer, le risque d'erreur de mesure. Vu que le questionnaire dans cette étude n'a pas été validé, les apports en micronutriments peuvent avoir été soit surestimés ou sous-estimés, et l'effet protecteur des folates peut également avoir été sous-estimé.

Ziegler et ses collègues ont étudié l'association entre le régime alimentaire et les nouveaux cas de cancer invasif du col chez les femmes de race blanche dans cinq régions des états-Unis : Birmingham, Alabama; Chicago, Illinois; Denver, Colorado; Philadelphie, Pennsylvanie; et Miami, Floride 16. Des enquêteurs se sont rendus au domicile de 271 cas et de 502 témoins appariés par âge pour leur poser des questions sur leurs caractéristiques démographiques, leur régime alimentaire et les facteurs de risque connus. On a évalué le régime alimentaire en utilisant les méthodes employées dans la première et la deuxième National Health and Nutrition Surveys (NHANES I et II). On a également déterminé si les participants avaient consommé des multivitamines au cours des 20 années précédentes.

Après ajustement pour tenir compte des facteurs possibles de confusion, les chercheurs n'ont découvert aucune association entre le carcinome du col et les quatre micronutriments étudiés (folates, vitamine C, vitamine A ou caroténoïdes). La prise de multivitamines pendant plus de 15 ans semblait jouer un rôle protecteur; un apport important en vitamine C exerçait également un effet protecteur dans le cas des gros fumeurs.

Les méthodes utilisées dans cette étude étaient assez rigoureuses, les taux de participation étaient élevés (73 % pour les cas et 75 % pour les témoins), la puissance était suffisante et les résultats ont été ajustés pour tenir compte des facteurs potentiels de confusion. Un biais de rappel était peu probable vu que les patientes cancéreuses auraient dû surévaluer leur consommation pour embrouiller les résultats, ce qui serait très inhabituel. On estimait que l'évaluation du régime alimentaire était adéquate vu que l'instrument d'étude (un questionnaire semi-quantitatif sur la fréquence de consommation utilisé dans les enquêtes NHANES I et II) avait été jugé valide et reproductible dans d'autres études.

Une quatrième étude cas-témoins (basée sur une population) effectuée par Verrault et son équipe a porté sur la relation entre le régime alimentaire, en particulier l'apport en vitamines A, C et E et en folates, et le risque de cancer invasif du col 17. Faisaient partie des cas 189 femmes porteuses d'un cancer invasif du col diagnostiqué entre 1979 et 1983 dans trois comtés de la région de Seattle. Les chercheurs ont sélectionné les témoins (n = 227) dans la collectivité par téléphone au moyen d'un système d'appel aléatoire. Après ajustement pour tenir compte des facteurs possibles de confusion, ils ont découvert que l'apport en folates et en vitamine A n'était pas lié au risque de cancer du col. Ils ont observé toutefois une relation inverse entre l'apport en vitamines C et E et le risque de cancer du col. La consommation de grandes quantités de jus de fruits et de légumes verts et jaunes exerçait également un effet protecteur.

Cette étude comporte cependant une limite, le questionnaire sur la fréquence de consommation des aliments n'ayant pas été validé. Les auteurs n'ont fourni aucun renseignement sur l'exactitude de cet instrument même si, apparemment, il a déjÀ été utilisé dans des études similaires. Nous ne pouvons ainsi être sûrs que la détermination des groupes alimentaires et les dosages de micronutriments rendaient vraiment compte de l'état nutritionnel des sujets. En outre, la situation socio-économique, facteur de risque connu de cancer du col, n'a pas été prise en considération dans cette étude (bien qu'on ait tenu compte du niveau de scolarité dans l'analyse).

En résumé (voir tableau 2), une seule étude a été très bien menée 16 , et les trois autres enquêtes comportaient quelques lacunes méthodologiques graves 14,15,17 . Les résultats de ces études se recoupent et montrent que les folates ne semblent pas protéger l'individu contre le cancer invasif du col.


TABLEAU 2
Résumé des études sur les folates et le risque de cancer invasif du col utérin
Auteur
Plan d'étude
Résultats
Rapport de cotes (IC à
95 %)
Commentaires
Potishman et al., 199114 Étude cas-témoins
Association entre une faible
concentration de folates sériques
et le cancer du col
Aucune association observée
Concentrations sériques de
folates divisées en quartiles (Q4 :
élevée; Q1 : faible)
Q1 : 1,00
Q2 : 1,01 (0,7–1,6)
Q3 : 1,06 (0,7–1,6)
Q4 : 1,05 (0,7–1,6)
Résultats pour la population
latino-américaine étudiée moins
généralisables
Dosages des folates sériques
(marquer peu durable) au lieu
des folates érythrocytaires
Potishman et al., 199115 Étude cas-témoins
Association entre l'apport
alimentaire en vitamine C, en
folates, en rétinol, en
caroténoïdes et le cancer du col
Aucune association entre l'apport
en folates et le risque de cancer
du col
Risque tend à diminuer plus
l'apport en vitamine C et en
caroténoïdes augmente
Comparaison des apports
importants et faibles
Vitamine C : 0,69 (0,5–0,9)
Bêta carotène : 0,68 (0,5–1)
Situation socio-économique qui
peut être un facteur de confusion
Aucun renseignement sur la
validité et la fiabilité du
questionnaire
Résultats pour la population
latino-américaine étudiée moins
généralisables
Ziegler et al., 199016 Étude cas-témoins
Association entre l'apport
alimentaire en vitamines C, A, en
folates, en caroténoïdes et le
cancer du col
Absence d'association entre le
cancer du col et l'un des
micronutriments étudiés
RC pour tous = 1 Méthodologie rigoureuse
Verrault et al., 198917 Étude cas-témoins
Association entre l'apport
alimentaire en vitamines A, C, E,
en folates et le cancer du col
Aucune association observée
pour les folates et la vitamine A
Relation inverse entre l'apport en
vitamines C, E et le risque de
cancer du col
Comparaison des apports
importants et faibles
Folates : 0,8 (0,3–1,7)
Vitamine C : 0,5 (0,2–1,0)
Vitamine E : 0,4 (0,2–0,9)
Aucun renseignement sur la
validité et la fiabilité du
questionnaire

   

Conclusion

Les chercheurs s'intéressent depuis longtemps aux aspects nutritionnels de l'épidémiologie des néoplasies cervicales. Divers micronutriments ont été étudiés et, si la présente étude porte surtout sur le rôle de l'acide folique, nous reconnaissons que plusieurs facteurs alimentaires combinés influent probablement sur les altérations cytologiques de l'épithélium cervical. Les inexactitudes dans la mesure de la consommation et les erreurs de classification des cas et des témoins à l'aide du test de Pap sont venues compliquer les évaluations de l'association entre l'acide folique et les néoplasies cervicales.

Les résultats des études sur les liens entre l'acide folique et les dysplasies cervicales sont contradictoires. L'administration d'un supplément d'acide folique ne semblait pas jouer un rôle protecteur dans un essai comparatif randomisé effectué récemment 9. Une étude cas-témoins rigoureuse a mis par ailleurs en évidence l'action réciproque de faibles concentrations érythrocytaires de folates et du VPH-16 sur le risque de cancer du col 13 . Une autre étude cas-témoins de VanEenwyk et coll.10 comportait d'importantes lacunes méthodologiques, mais a révélé l'existence d'une association inverse entre les concentrations de folates et le risque de cancer du col. Bien que l'on ne dispose pas de données concluantes à l'appui du rôle protecteur joué par les folates, on peut penser que les dysplasies cervicales peuvent résulter d'une interaction entre certains micronutriments dans l'alimentation et d'autres facteurs de risque tels que le VPH. Des études plus rigoureuses sur le plan méthodologique devaient être effectuées pour clarifier la relation entre les folates et les dysplasies cervicales.

La consommation de folates ne semble pas exercer un effet protecteur contre le carcinome invasif du col. Les quatre études cas-témoins qui étaient relativement rigoureuses ont abouti à des résultats négatifs. S'il demeure possible qu'une telle relation existe, il semble plus plausible que les micronutriments alimentaires exercent leurs effets durant les premiers stades de la carcinogenèse plutôt que lorsque des tumeurs agressives invasives se sont développées.

Un dépouillement exhaustif des recherches portant sur le rôle d'autres micronutriments alimentaires dépassait la portée de la présente étude, mais dans bien des études susmentionnées, l'apport d'autres nutriments, en particulier la vitamine C, semblait jouer un rôle protecteur contre le cancer du col. Il convient donc de pousser plus à fond l'évaluation des effets distincts et conjugués de divers micronutriments alimentaires sur l'épithélium cervical.

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Références des auteurs

Maureen Carew, Résidente en Médecine sociale et épidémiologie, Université d'Ottawa, a/s Christina J. Mills, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, Pré Tunney, Localisateur postal : 0601E2, Ottawa (Ontario) K1A 0L2

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Dernière mise à jour : 2002-10-29 début