Volume 21, No 2- 2000
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Recension de livre
Volume 21, No 2 - 2000
The Burden of Disease Among the Global Poor:
Current Situation, Future Trends, and Implications for Strategy
par Davidson R. Gwatkin et Michel Guillot
Washington (DC) : la Banque mondiale, 2000;
vii + 44 pages; ISBN 0-8213-4619-9
Les auteurs de cette nouvelle publication de la Banque mondiale commencent
par expliquer l'importance d'une information sur le fardeau de la maladie,
qui soit propre aux pauvres. Ils font valoir que l'identification
récente de l'augmentation rapide du fardeau des maladies non transmissibles
(MNT) parmi la population mondiale n'est pas «congrue», étant
donné que les «pauvres» (dans tous les milieux) sont
plus exposés au risque de contracter des maladies transmissibles
(MT) que ne le sont les «riches».
Pour corriger cette lacune, les auteurs comparent le fardeau de la maladie
chez les 20 % de la population mondiale qui vivent dans des pays
où le revenu par habitant est le plus bas et chez les 20 %
qui vivent dans les pays où le revenu par habitant est le plus
élevé. Ils concluent que 59 % des décès
et des incapacités enregistrés «chez les 20 %
les plus pauvres» sont attribuables à des maladies transmissibles,
tandis que, chez les plus riches du monde, 85 % des décès
et des incapacités sont attribuables à des maladies non
transmissibles. Ils analysent ensuite les retombées des stratégies
de réduction des maladies au cours de la période de 1990
à 2020 pour les 20 % de la population mondiale les plus pauvres
et les 20 % les plus riches. Ils concluent qu'une diminution rapide
des maladies transmissibles réduirait l'écart entre les
riches et les pauvres d'ici 2020, mais qu'une accélération
de la diminution globale des MNT augmenterait, en fait, l'écart.
À la fin de l'ouvrage, on trouve des parties traitant des interprétations
et des conséquences des stratégies.
L'étude aurait été menée pour faciliter l'application
de la nouvelle politique sur la santé de la Banque mondiale,
qui accorde la priorité à l'amélioration de la santé,
de la nutrition et des conditions de vie des populations pauvres du monde.
Même si les auteurs admettent qu'il y a des problèmes d'ordre
conceptuel et méthodologique, l'étude doit non seulement
être prise en considération, mais elle doit aussi être
soumise à un examen critique rigoureux du fait qu'elle a été
publiée sous l'égide de la Banque mondiale.
L'incitation à la publication a été une étude
sur le fardeau mondial de la maladie publiée sous la direction
de Murray et Lopez, selon laquelle les maladies non transmissibles avaient
dépassé, en 1990, les maladies transmissibles comme principale
cause de mortalité dans le monde (56 % de tous les décès,
à l'exclusion des décès par suite de traumatismes,
qui comptaient alors pour 10 %; les 34 % restants était
attribuables aux maladies transmissibles). On prévoit que d'ici
2020 les maladies non transmissibles seront à l'origine de 73 %
de la mortalité mondiale, tandis que les maladies transmissibles
n'entraîneront que 15 % des décès. Cette
analyse des tendances, qui intégrait aussi la notion d'années
de vie sans invalidité (DALYs disability-adjusted
life years) qui a servi à la présente publication, a
fait l'objet d'une grande diffusion1.
Essentiellement, Gwatkin et Guillot font une comparaison globale entre
les pays les plus pauvres et les pays les plus riches du monde. Le lecteur
doit comprendre que les expressions «les 20 % les plus pauvres»
et «les 20 % les plus riches» s'appliquent non pas aux
gens, mais aux pays. Les pays ne sont pas expressément nommés,
mais on peut présumer qu'il s'agit dans un cas de pays comme le
Rwanda, Haïti et l'Afghanistan, et dans l'autre, de pays comme le
Japon, la Suisse et les États-Unis.
La situation réelle à l'intérieur de ces pays n'est
pas examinée, si bien que l'approche comporte un risque important
de sophisme écologique, défini dans le dictionnaire de l'Association
internationale d'épidémiologie comme un biais susceptible
de survenir lorsque l'association observée entre des variables
groupées ne représente pas nécessairement l'association
existant au niveau individuel2. Le biais est aggravé
par une analyse fondée sur les quintiles (le premier et le dernier)
qui exclut 60 % de la population mondiale (du deuxième au
quatrième quintile), dont la plus grande partie vit aussi dans
des pays en voie de développement.
Les auteurs considèrent le vieillissement de la population et
les progrès réalisés dans la lutte contre les maladies
transmissibles chez les nourrissons et les enfants comme les principales
causes de l'émergence des maladies non transmissibles dans
les pays moins développés. Sans nier l'importance de ces
facteurs, il ne faut pas non plus oublier le puissant effet de la mondialisation
qui suscite des migrations rurales-urbaines. Ces déplacements entraînent
une modification des tendances au chapitre des déterminants de la
santé qui, à leur tour, sont à l'origine de transitions
épidémiologiques. Les pauvres ne peuvent guère résister
aux conséquences défavorables de ces tendances. Pour ce
qui est des solutions, on ne semble pas tenir compte du cycle de la vie,
des méthodes de prévention axées sur la famille ou
sur la communauté ni de la possibilité d'élaborer
des interventions peu coûteuses (notamment non médicamenteuses)
dans des systèmes intégrés de soins de santé
primaires.
Pour étayer leur interprétation des questions de prévention
et de rentabilité, les auteurs citent abondamment le document très
respecté Disease Control Priorities in Developing Countries
(Les priorités de la lutte contre la maladie dans les pays
en voie de développement), publié pour le compte de la Banque
mondiale en 19933. L'auteur de ces lignes s'y rapporterait
également, mais pour que la comparaison soit juste, il convient
de préciser que les maladies transmissibles et les maladies non
transmissibles comportent des différences fondamentales en ce sens
que pour les MT, l'accent doit être mis sur la prévention
primaire, tandis que pour les MNT il faut miser sur la prévention
secondaire et les traitements palliatifs. Aussi ne serait-il guère
surprenant qu'une analyse globale finisse par privilégier des interventions
contre les maladies transmissibles plutôt que contre les maladies
non transmissibles.
Certes, s'attaquer aux causes profondes de la pauvreté serait
beaucoup plus profitable pour la santé des pauvres du globe, qu'ils
souffrent de maladies transmissibles ou non transmissibles (d'ailleurs,
ils souffrent des deux) que de soutenir qu'il n'est pas approprié
pour le moment de se pencher sur l'émergence des maladies non transmissibles.
Diviser le cadre décisionnel en maladies transmissibles et non
transmissibles est simpliste, et c'est peut-être même un schéma
hérité de la pensée médicale traditionnelle.
Pourquoi la Banque mondiale ne fonderait-elle pas plutôt ses décisions
sur l'évaluation du fardeau de la maladie, de l'efficacité
des préventions et de la rentabilité de certaines interventions,
sans égard à la transmissibilité ou non des maladies?
Des mesures comme la lutte contre le tabagisme, l'amélioration
du régime alimentaire et de la forme physique ainsi que l'éducation
relative à la demande de soins et même la promotion de la
qualité des soins là où les services sont déjà
offerts sont, en fait, très faisables dans un grand nombre de pays
en voie de développement, mais ces façons d'aborder les
maladies non transmissibles passent inaperçues dans le document
ou dans ses sources. Par exemple, la prévention des blessures est
l'un des moyens les plus économiques de réduire le fardeau
de la maladie dans toutes les catégories de revenu de tous les
pays; pourtant, la Banque n'a pratiquement rien investi dans ce domaine
jusqu'à maintenant.
Le rôle de la Banque mondiale en matière de santé
internationale a augmenté au cours de la dernière décennie,
éclipsant même celui de l'OMS à de nombreux égards,
et on ne peut nier la nécessité de sa participation à
l'élaboration de politiques de santé. Cependant, cette publication,
dans laquelle les maladies transmissibles et non transmissibles sont juxtaposées
comme si les pays en voie de développement devaient faire
un choix dichotomique, est contestable et n'a rien à voir avec
ce qui se passe réellement sur le terrain.
Lorsqu'une personne tombe malade, que ce soit dans une colonie de squatters
en pleine ville ou dans un village pauvre, faut-il établir les
priorités en fonction de la transmissibilité ou non de sa
maladie? Après tout, dans chaque catégorie, il existe des
exemples d'interventions rentables et non rentables. Même si les
auteurs apportent un élément important et jusqu'ici négligé
au débat, de toute évidence le débat doit se poursuivre
parce que leur analyse n'est pas «congrue» elle non plus.
De même, les analyses sur l'efficacité de la prévention
doivent, en général, être plus poussées et
tenir compte d'un éventail encore plus large de solutions possibles.
En conclusion, cette publication de la Banque mondiale apporte une contribution
importante au domaine de la santé internationale, non seulement
en raison de son approche radicale quant à l'analyse du défi
que pose le «double fardeau» des maladies auquel font face
les pays en voie de développement, mais aussi à cause du
prestige dont elle jouit du fait qu'elle provient d'une institution qui
exerce une influence énorme sur les décideurs, surtout ceux
qui sont associés aux organismes d'aide internationale. Je recommanderais
donc que cet ouvrage figure au nombre des lectures obligatoires de
tous les programmes de cycle supérieur dans le domaine de la santé
publique, en raison des débats qu'il ne manquera pas de susciter,
non seulement en ce qui concerne la méthodologie utilisée,
mais aussi en ce qui concerne les points forts et les points faibles de
l'analyse, des interprétations et des conclusions présentées.
Cote globale : |
Sujet à controverse |
Points forts : |
Révèle la position de la Banque mondiale quant à
la priorité à accorder aux maladies non transmissibles |
Points faibles : |
Analyse grossière susceptible de comporter des biais inhérents |
Lecteurs : |
À lire d'un oeil critique par des étudiants, des universitaires
et des décideurs d'organismes donateurs internationaux |
Références
1. Murray CJL, Lopez AD, rédacteurs. The global burden of disease
summary. Cambridge (MA): Harvard School of Public Health (de la part
de l'Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale),
1996.
2. Last JM, rédacteur. A dictionary of epidemiology. 3e
édition. New York: Oxford University Press (pour l'Association
internationale d'épidémiologie), 1995.
3. Jamison DT, Mosley WH, Measham AR, Bobadilla JL, rédacteurs.
Disease control priorities in developing countries, Oxford University
Press (publié pour le compte de la Banque mondiale), 1993.
Franklin White
Professeur et président
Sciences de la santé communautaire
The Aga Khan University
Karachi (Pakistan)
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