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2001
Vers l'établissement d'un cadre éthique adéquat pour l'élaboration de la politique en matière de biotechnologie
Préparé pour
Le Comité permanent de la bonne intendance du Comité
consultatif canadien de la biotechnologie.
Janvier 2001
Table des matières
-
Introduction
-
Biotechnologie
-
Dépistage
génétique
-
Aliments transgéniques
-
Systèmes de valeurs en place
-
Intérêt public
-
Les dimensions morales (1) :
L’éthique procédurale
-
Les dimensions morales (2) : Les concepts
-
L’autonomie
-
La justice
-
Les responsabilités
-
Conclusions
-
Ouvrages consultés
-
Introduction
La biotechnologie a le pouvoir d’engendrer un changement
social d’envergure. Elle a déjà
influé sur la vie des citoyens canadiens et elle nous
amène à remettre en question certaines valeurs et
attitudes fondamentales des Canadiens. Il semble certain que son
influence s’accentuera au fil du temps.
D’importantes responsabilités morales se greffent
à ce pouvoir. C’est pourquoi la gestion
adéquate de cette technologie requiert un débat
moral prudent. Il est donc essentiel de déterminer
quelles valeurs et pratiques morales particulières
devraient orienter la politique en la matière.
Le présent document a pour but de déterminer et
d’expliquer certains volets éthiques fondamentaux
nécessaires à l’établissement
d’une politique nationale moralement adéquate en
matière de biotechnologie. On y précise avant tout
l’utilisation du terme « biotechnologie » puis
on donne deux exemples clés de la biotechnologie qui
seront utilisés à l’appui des explications
subséquentes. Ensuite, le document présente un
cadre éthique à plusieurs volets qui orientera les
débats d’ordre moral concernant la politique en
matière de biotechnologie. Il porte ensuite sur les
différentes façons de traduire ces diverses
considérations d’ordre moral en assignant des
tâches particulières.
-
Biotechnologie
Pour élaborer un cadre éthique orientant
l’établissement d’une politique en
matière de biotechnologie, il convient avant tout de
déterminer l’envergure du domaine.
L’utilisation indécise et ambiguë du terme
« biotechnologie » ajoute à la
complexité de l’établissement de normes
d’éthique, puisque le but des lignes directrices
proposées semble si vaste et divers2. Cette ambiguïté
ressort clairement dans les documents produits en 1998 par le
Groupe de travail de la Stratégie canadienne en
matière de biotechnologie en vue de stimuler le
débat public concernant la politique gouvernementale et
elle réapparaît dans le document sommaire faisant
suite aux consultations3. Le
principal Document pour les consultations en table ronde (SCB,
1998a) définit au départ la biotechnologie comme
« un terme qui couvre une gamme étendue
d’outils et de moyens scientifiques…[ayant recours]
à des organismes vivants, ou à des parties
d’organismes vivants dans la production de nouveaux
produits. Elle fournit également de nouvelles
méthodes de production » (SCB, 1998a, p. 3). Les
exemples qui suivent visent des méthodes bien connues et
non menaçantes comme l’utilisation de levure pour
produire de la bière, du pain et du vin4. Mais l’incidence rassurante
des associations avec des technologies qui existent depuis
longtemps est trompeuse puisque, en fait, le terme «
biotechnologie » est principalement employé pour
faire référence aux nombreuses technologies
nouvelles qui identifient et manipulent de l’information
génétique ou modifient des structures
génétiques. En fait, quelques lignes plus loin
dans le même document, on précise clairement que le
document sera axé sur « les techniques les plus
récentes de la biotechnologie, comme le génie
génétique et la technologie de l’ADN,
… [y compris] la modification ou la duplication de
l’information génétique, ou encore son
transfert d’un organisme à l’autre »
(SCB, 1998a, p. 3)5.
Je suivrai la méthode adoptée dans les documents
de consultation et me limiterai aux formes
génétiques de la technologie. Je me concentrerai
également sur les biotechnologies dans les domaines de la
santé et de la production d’aliments puisque la
biotechnologie est principalement utilisée dans ces
domaines. Les documents de consultation présentent de
manière persuasive les bienfaits possibles de ces formes
de technologie . Ils affirment que tous les Canadiens peuvent
espérer tirer parti de ces technologies (SCB, 1998b, p.
2), faisant écho à l’enthousiasme des
nombreux auteurs qui saluent les avantages que pourrait procurer
une utilisation efficace et efficiente des biotechnologies, en
particulier dans le domaine de la santé et de la
production d’aliments (p. ex., Brown, 2000; Fletcher,
1998; Grace, 1997; Khoury, 1996).
Avant d’étudier certaines questions morales
associées à ces formes de biotechnologie
implicitement prometteuses, j’aimerais cependant
m’écarter brièvement de l’approche
adoptée dans les documents de consultation. Tandis que
ces documents font uniquement allusion aux domaines de
l’innovation biotechnologique prometteurs sur le plan
social, j’aimerais souligner que certaines formes de
biotechnologie sont d’emblée inacceptables sur le
plan moral. La biotechnologie pourrait bien engendrer, mais
aussi alléger de nombreuses souffrances. Par exemple,
elle est à l’origine d’armes biologiques qui
risquent beaucoup de nuire aux êtres humains et à
d’autres organismes vivants. La biotechnologie peut
également alimenter des menaces terroristes sans
précédent en facilitant la production de
matière hautement toxique dont le déploiement
nécessite une infrastructure relativement petite. Elle
facilite également les programmes eugéniques
efficaces et les pratiques d’amélioration
génétique de l’homme qui modifient notre
approche à l’égard de la reproduction
humaine et de la diversité. Par ailleurs, de nombreuses
formes de biotechnologie portent en elles le pouvoir et le
besoin d’envahir des domaines autrefois
considérés comme relevant du domaine de
l’information privée et personnelle (Murray et
Botkin, 1995; Shulman, 2000). Il faut donc peu
d’imagination pour trouver des raisons de
s’inquiéter des répercussions de
l’amélioration des connaissances en biotechnologie.
Les décideurs doivent affronter avec
honnêteté le pouvoir de faire le bien et le mal
inhérent à ces nouveaux outils technologiques. Il
est troublant que les documents de consultation (SCB, 1998a) et
l’énoncé subséquent de la
Stratégie canadienne en matière de biotechnologie
(1998b) ne fassent même pas mention de ces dangers6.
Je vais maintenant suivre les documents de consultation et ne
plus discuter des formes de biotechnologie que l’on peut
qualifier sans détour d’essentiellement nuisibles.
Contrairement à ces documents, cependant, je suis
opposée au postulat selon lequel bon nombre des
technologies peuvent tout simplement être acceptées
comme étant pleinement bénéfiques. Je vais
me concentrer sur les nombreuses technologies qui ont des effets
mitigés, c’est-à-dire sur les formes de
biotechnologie dont les avantages sont accompagnés de
risques, soit pour leurs utilisateurs soit pour d’autres
personnes. À cette fin, je vais examiner deux types de
biotechnologie, l’une dans le domaine de la santé
et l’autre dans le domaine de la production
d’aliments, les deux principaux domaines
d’application actuels. Je passerai brièvement en
revue certains bienfaits et torts possibles associés
à chaque type de technologie.
-
Dépistage
génétique
Selon les documents de consultation, « plus de 90 p.
100 des produits de la biotechnologie offerts sur le
marché mondial sont reliés à la
santé » (SCB, 1998a, p. 3). Dans le Document
de consultation du secteur de la santé
(Santé Canada et coll., 1998), on fait état
de quatre domaines d’activité
différents dans le chapitre intitulé «
Protection de la santé » : surveillance,
diagnostic, traitement et prévention. Dans chaque
catégorie, d’importantes questions
éthiques doivent être soulevées
concernant l’incidence ultime des technologies
existantes et prévues. Penchons-nous en particulier
sur le dépistage génétique,
activité associée à la surveillance
et au diagnostic (et, idéalement, à la
prévention également). On dit des tests de
dépistage qu’ils peuvent « confirmer la
présence d’une maladie donnée,
indiquer que la maladie fera son apparition plus tard, ou
révéler une prédisposition accrue
à la maladie » (Santé Canada, 1998, p.
4). Ce sont ces dernières utilisations axées
sur l’avenir qui me préoccupent.
On ne peut nier l’attrait de ces dépistages.
En cette ère de médecine scientifique, il
semble évident que plus on en sait sur les voies
suivies par les maladies, meilleures sont les chances de
les prévenir. Pour de nombreux types de maladie, la
détection à un stade précoce
améliore les chances de guérison ou, au
moins, la gestion efficace (Bansal, 2000). Le diagnostic
à un stade précoce de la plupart des formes
de cancer, par exemple, a tendance à
améliorer les chances de survie à long
terme. Il semble donc raisonnable d’espérer
que la détection à un stade précoce
d’une prédisposition génétique
à une maladie donnera aux individus les
connaissances qui pourraient les aider à
éviter de contracter cette maladie. Par exemple, en
sachant qu’elles sont plus
prédisposées que la moyenne à
souffrir de certaines formes de maladies cardiaques,
certaines personnes seraient peut-être
motivées à faire plus d’exercices,
à avoir un régime plus
équilibré et à éviter de fumer
(Murray et Botkin, 1995).
Bien sûr, la valeur de ces conseils
personnalisés est incertaine puisque, dans la
plupart des cas, il s’agit de conseils de
santé publique déjà
recommandés à chacun. Comme nul n’est
invulnérable aux maladies cardiaques, chacun a
raison de suivre les règles d’un style de vie
sain. Ceux qui savent qu’il y a dans leur famille
des antécédents de maladie cardiaque sont
généralement conscients de la
nécessité de faire preuve d’une
extrême prudence. On ne sait pas bien dans quelle
mesure il leur sera utile d’apprendre quel est, pour
eux, le niveau précis de risque de souffrir
d’une forme donnée de maladie cardiaque. Dans
tous les cas, un test négatif indiquant
qu’ils ne sont pas porteurs du gène affectant
les membres de la famille souffrant tôt de maladies
cardiaques ne peut être interprété
comme une autorisation de fumer ou de renoncer aux
exercices, même si cela peut avoir cet
effet-là.
Non seulement cette information pourrait
s’avérer moins utile qu’on
l’aurait espéré, mais elle pourrait en
fait se révéler nuisible. Le
problème, c’est que cette technologie
présente le « diagnostic » d’un
avenir probable, mais non d’une maladie en cours. En
d’autres termes, elle constitue un moyen de
créer une catégorie de gens qui sont «
présymptomatiquement malades ». Les
répercussions d’une telle étiquette
sont fort problématiques. D’abord, nombre des
personnes plus prédisposées que la moyenne
à contracter une maladie n’en seront jamais
atteintes, mais elles pourraient en arriver à se
considérer elles-mêmes ou certaines parties
de leur corps comme des « bombes à
retardement » (Bluman, 1999; Geller et coll., 1997;
Parens, 1996).
Pensez à la façon dont s’est
déroulé le premier dépistage
génétique général visant
à déceler une prédisposition à
une maladie chez un nombre important d’adultes alors
en bonne santé. Il s’agit du test de
dépistage des gènes BRCA1 et BRCA2, une
série d’anomalies génétiques
associées à 5 à 10 p. 100 des cancers
du sein (Inglehart et coll., 1998). Ce test
s’adresse aux femmes dans la famille desquelles il y
a des antécédents de certains types de
cancer du sein. Tandis qu’un test positif ne
signifie pas nécessairement qu’une femme aura
le cancer du sein (ou, en cas de test négatif,
qu’elle ne l’aura pas), les femmes chez
lesquelles on décèle l’un de ces deux
gènes risquent beaucoup plus d’être
atteintes du cancer à un moment donné de
leur vie. Les stratégies à leur disposition
pour réduire ce risque sont peu encourageantes.
À tout le moins, on leur conseillera de se faire
suivre et de se soumettre régulièrement
à un dépistage. On pourrait leur conseiller
de subir une mastectomie bilatérale prophylactique
et une ablation des ovaires, en plus de prendre du
tomoxifène, puissant médicament toxique
ayant de nombreux effets secondaires graves (Schrag et
coll, 2000)7. Par
ailleurs, elles risquent de ne plus avoir accès
à une assurance-santé et également de
perdre leur emploi et, dans certains cas, leur partenaire
intime. Elles seront également confrontées
à un dilemme personnel lorsqu’elles devront
décider que révéler à leurs
sœurs et à leurs filles (Steel et coll.,
1999)8.
Ces technologies présentent pour les utilisateurs
d’autres problèmes d’envergure
différente qui dépassent le difficile calcul
des risques et des avantages. Michel Foucault (1973)
affirmait qu’une surveillance médicale de
routine encourageait chacun à intérioriser
le regard du clinicien au point de ne ressentir son corps
non directement comme une partie de soi-même, mais
indirectement comme l’objet de l’approbation
ou de la préoccupation d’un
spécialiste. En nous surveillant constamment et en
nous considérant comme un sujet clinique, nous
traitons notre corps (et parfois notre esprit) comme des
objets imparfaits qui nécessitent une attention
clinique régulière et un ajustement.
L’utilisation du dépistage
génétique en vue d’élargir le
répertoire de surveillance clinique de routine
favorise l’hypothèse aliénante selon
laquelle une maladie dangereuse peut survenir à
tout moment et que nous sommes tributaires de
l’intervention de spécialistes qui
reconnaîtront la maladie et interviendront. Il
s’agit d’un phénomène culturel
qui échappe au contrôle de toute personne.
Ainsi, même si quelqu’un choisit luimême
de renoncer à certaines de ces technologies de
surveillance et de diagnostic génétiques (p.
ex., dépistage génétique et imagerie
pour le cancer du sein), cette personne demeurera
confrontée à une compréhension
culturelle de son corps en tant qu’objet
adéquat d’une surveillance de routine.
Par ailleurs, l’élaboration et la
normalisation même des technologies de
dépistage génétique contribuent au
phénomène social qu’Abby Lippman
(1991; 1998) a surnommé «
généticisation », cette tendance
à supposer que les gènes seuls sont
principalement responsables de notre état de
santé, que la génétique peut
expliquer les grandes différences physiques et
comportementales chez les gens et que les connaissances et
les manipulations génétiques peuvent
résoudre la plupart des problèmes de
santé. La généticisation ne tient pas
compte du fait que les gènes agissent dans des
environnements particuliers et témoignent rarement
des traits de caractère ou des perspectives
d’avenir d’une personne9. L’attitude de la
généticisation détourne
l’attention des facteurs sociaux et environnementaux
(p. ex., mauvaise alimentation), qui sont connus pour leur
influence sur la santé, au profit des efforts
visant à déterminer les variations
génétiques individuelles et à y faire
face10.
Cette tendance à passer sous silence les dimensions
sociales et environnementales de la santé au profit
des caractéristiques biologiques n’est pas
propre aux technologies du dépistage
génétique visant à déceler la
prédisposition aux maladies. C’est une
pratique que l’on observe également pour de
nombreuses autres innovations technologiques dans les
soins de santé. Chacune entraîne des
coûts que représentent les occasions
manquées de mener d’autres stratégies
en vue d’améliorer la santé des
Canadiens et d’autres personnes (Gorenstein, 1996).
Comme ils encouragent et favorisent les investissements
dans la recherche de solutions biotechnologiques aux
problèmes de santé, les gouvernements
risquent de se retrouver avec moins de ressources humaines
et financières pour mener d’autres
stratégies visant à améliorer la
santé des gens. En mettant l’accent sur le
dépistage génétique et d’autres
types de solutions technologiques aux problèmes de
santé, on a tendance à adopter une vision
biomédicale du monde qui présuppose que la
meilleure façon de régler les
problèmes de santé consiste à relever
et à corriger les défauts chez les patients.
L’approche qui consiste à examiner les
prédispositions génétiques aux
maladies pour essayer de modifier
l’expérience de vie de la personne (ou,
parfois, sa composition génétique) repose
sur des hypothèses problématiques selon
lesquelles le milieu social et physique dans lequel elle
vit est acceptable et qu’il nous faut seulement nous
assurer que la personne est mieux adaptée à
son environnement. Par ailleurs, dans la mesure où
il accapare des ressources publiques limitées au
détriment des réformes sociales requises et
sème la confusion concernant le rôle des
facteurs sociaux eu égard à la maladie et
à l’injustice, le dépistage
génétique pourrait bien aller à
l’encontre des intérêts
généraux en matière de santé
des membres défavorisés de la
société (Bowman, 1995; Caplan, 1994;
Lebacqz, 1998; Sagar et coll., 2000).
-
Aliments transgéniques
En ce qui concerne la production d’aliments, il est
également facile de constater les avantages
possibles de la biotechnologie. Par exemple, les documents
de consultation parlent avec enthousiasme de la
capacité des cultures et des animaux
transgéniques d’améliorer la nutrition
dans le monde. Plus précisément, ils disent
qu’il « est essentiel d’utiliser la
biotechnologie pour augmenter la capacité de
production alimentaire mondiale alors que la situation de
l’environnement est préoccupante, que les
terres arables sont limitées et que la population
augmente » (SCB, 1998a, p. 2). Par ailleurs, le
Document de consultation du secteur de la
santé énumère plusieurs
façons dont la biotechnologie agricole peut
contribuer à la santé et au bien-être
de l’homme, dont cellesci : « le
développement d’aliments plus sains aux
qualités nutritives supérieures »; les
modifications des cultures qui « élimineront
à toutes fins pratiques les carences alimentaires
chez les êtres humains et les animaux »; une
meilleure « accessibilité des produits
thérapeutiques »; la production «
d’une source abondante et peu coûteuse de
composés présentant des avantages sur le
plan de la santé »; la prévention des
maladies, « en accroissant la présence dans
les aliments des composés connus pour leurs effets
physiologiques bénéfiques » (p. ex.,
caroténoïdes et quercétine-a); et le
« développement de nouveaux aliments pour les
Canadiens qui souffrent de troubles liés à
des intolérances alimentaires » (p. ex.,
maladie cœliaque) (Santé Canada et coll.,
1998, p. 6-7).
Malgré ces perspectives intéressantes, on
observe toutefois une importante prudence de la part du
public à l’égard des aliments
transgéniques. La Stratégie canadienne en
matière de biotechnologie fait allusion aux
préoccupations du public, mais les associe à
des « lacunes en matière d’information
» et à des « lacunes dans la
sensibilisation et la compréhension des
consommateurs » (SCB, 1998b, p. 2-3), excluant
implicitement tout fondement empirique de ces
préoccupations. On ne peut cependant pas
réduire toutes les préoccupations à
des questions d’ignorance, de superstition ou de
résistance au changement. Il y a de solides
arguments scientifiques mettant au jour les risques se
rattachant à certaines utilisations agricoles de la
biotechnologie11.
Certaines préoccupations sont très courantes
: de nombreuses personnes s’inquiètent de la
sécurité des aliments issus de
transformations moléculaires transgéniques.
Par exemple, d’aucuns craignent que les aliments
transgéniques risquent de créer des
allergies nouvelles d’origine alimentaire, et ce, en
raison du fait que les modifications
génétiques prévoient
l’introduction de nouvelles protéines dans
des aliments traditionnels, et que les allergies soient
reliées aux protéines (FAO/OMS, 2000).
Certains craignent que la transmission de gènes
d’une espèce à une autre
n’entraîne la transmission de nouveaux
micro-organismes ou de nouveaux types de substances
toxiques pour lesquelles les humains n’ont pas eu le
temps de développer une résistance
adéquate (FAO/OMS, 2000). Par ailleurs, certains
effets redoutés peuvent ne pas se faire sentir
immédiatement. Cependant, les changements rapides
créés par la biotechnologie ne laissent pas
beaucoup de temps pour étudier à fond les
répercussions à long terme et nombre de
critiques pensent que, souvent, la vérification de
la sécurité des nouveaux produits est
inadéquate (De Angelis, 1992; Goldsmith et coll.,
1992; Pimm, 1991).
Une autre préoccupation courante a trait à
l’incidence sur l’environnement de
l’introduction d’espèces agricoles
nouvellement fabriquées. On s’inquiète
des façons dont les nouvelles espèces (ou,
plus probablement, les modifications des espèces
existantes) influeront sur l’écologie dans
laquelle elles sont introduites (Fox 1996; Mikkelson et
coll., 1996; Paulkaitis et Roossinck, 1996). Le fait que
les pratiques agricoles nuisent depuis toujours aux
écologies existantes (Thompson, 2000)
réconforte peu les citoyens qui
s’inquiètent de la dégradation
généralisée de l’environnement.
Les écologistes s’alarment surtout du fait
que la plupart des utilisations de la biotechnologie
agricole à ce jour ont principalement visé
l’élaboration de végétaux plus
tolérants aux herbicides et aux pesticides que
d’autres plantes, c’est-à-dire
qu’elles visent une plus grande utilisation de
certains produits chimiques toxiques en agriculture
(Goldsmith et Hildyard, 1990; Shiva, 1993)12.
Par ailleurs, il y a lieu de s’inquiéter de
la promesse même exprimée dans les documents
de consultation concernant la capacité de la
biotechnologie d’aider à nourrir les
personnes des pays en développement qui souffrent
de la faim. On s’inquiète surtout de
l’élaboration de technologies GURT (genetic
use restriction technologies) visant à créer
des semences stériles. Désignés sous
le nom de marques de commerce intimidantes comme «
Terminator » et «Traitor », ces
gènes ont pour seul but d’empêcher la
repousse d’une deuxième
génération. L’introduction de ces
gènes peut être importante si la production
à grande échelle de certaines cultures
génétiquement modifiées donne lieu
à de graves menaces environnementales, puisque, en
théorie au moins, l’utilisation de ces
gènes permettra l’élimination de
nouvelles espèces dangereuses. Mais leur
utilisation courante signifie également que les
agriculteurs qui plantent ces semences
génétiquement modifiées ne pourront
perpétuer cette vieille tradition, qui consiste
à utiliser les semences récoltées
l’année précédente pour
produire la suivante. Chaque année, ils devront
s’approvisionner chez le fabricant, qui leur vendra
les semences au prix du marché. Par ailleurs, cette
technologie permettra aux producteurs de modifier les
semences pour qu’elles ne germent qu’en cas
d’utilisation par les agriculteurs d’engrais
ou de pesticides particuliers. C’est donc une
technologie qui augmentera la dépendance des
agriculteurs à l’égard des marchands
de semences et de produits connexes; un tel changement
risque beaucoup d’augmenter les coûts
agricoles. Pour les petits cultivateurs en particulier, ce
changement sera dévastateur. Le risque
d’accélérer – au lieu de
réduire – la malnutrition dans les pays en
développement est important (Goldsmith et Hildyard,
1991; Shiva, 1993)13.
Dans le même esprit, des questions ont
été soulevées quant à la
probabilité que la biotechnologie améliore
vraiment la nutrition dans les pays en
développement. L’exemple qui revient le plus
souvent concernant l’utilité de la
biotechnologie sur le plan nutritionnel pour les pays en
développement est la production du riz
transgénique enrichi à la vitamine A
(appelé Golden Rice). Il faudra encore des
années avant que ce projet ne se concrétise.
Par ailleurs, même si le développement a
été financé à l’aide de
deniers publics, la recherche a été
confiée à une multinationale qui produit des
semences (AstraZeneca, maintenant Syngenta) en vue du
brevetage et de la mise en marché (RAFI,
septembre-octobre 2000). Ainsi, il demeure difficile de
mesurer sa disponibilité et l’incidence
qu’elle aura sur la santé des gens dans les
pays pauvres. Entre-temps, les chercheurs de
l’industrie s’attachent surtout à des
modifications nutritionnelles des cultures au profit de
consommateurs plus aisés.
Les énigmes qui ressortent même de ces
discussions superficielles sur deux variétés
de biotechnologie soulignent le besoin de prêter
attention aux valeurs éthiques lorsqu’on
établit des politiques régissant
l’élaboration et l’adoption de formes
particulières de la biotechnologie. Les
conséquences possibles des innovations
particulières dans chaque type de biotechnologie et
des changements susceptibles d’être
provoqués par l’incidence combinée de
plusieurs exemples de chaque sorte de technologie sont
énormes. Dans certains cas pris
séparément et, sûrement,
collectivement, on peut s’attendre à ce
qu’elles provoquent des changements spectaculaires
dans la vie des gens et des sociétés.
Par ailleurs, il est peu probable que l’incidence de
ces technologies se fasse sentir de manière
uniforme. Il est évident que certains types de
risques touchent en grande partie ceux qui choisissent
d’investir dans des technologies
particulières ou encore les consommateurs
immédiats de cette technologie. Le fait que
d’autres types de risques qui menacent
principalement ceux qui, en tant que tiers, n’ont
aucun contrôle direct sur l’adoption de la
technologie, est moins apparent. Par exemple, les
frères et sœurs des personnes qui choisissent
de se soumettre à un dépistage
génétique pourraient se voir refuser une
assurance-santé ou une assurance-vie s’ils
n’acceptent pas de se soumettre aux mêmes
tests (Boetzkes, 1999; Rhodes, 1998; Steele et coll.,
1999). Et il se peut que le gagne-pain des pêcheurs
de saumon soit détruit par suite de
l’utilisation de pesticides créés pour
certaines cultures transgéniques (Birmingham et
Tinker, 1999; Tangwa, 1999). Il incombe aux gouvernements
de protéger les intérêts de toute
personne touchée par les nouvelles technologies,
que ce soit par la consommation directe ou par des
retombées accidentelles. Étant donné
que les conséquences associées à ces
technologies sont à la fois complexes et mixtes, il
est particulièrement urgent que la politique
gouvernementale repose sur une analyse morale claire.
-
Systèmes de valeurs en place
Pour effectuer l’analyse morale requise, il nous faut
avoir recours à un cadre éthique adéquat
qui nous permette d’identifier et d’étudier
toutes les valeurs morales en cause. Plus
précisément, il nous faut trouver des
façons de déterminer et d’analyser
adéquatement tous les aspects moraux pertinents. De
nombreux éthiciens recommanderaient l’adoption
d’une théorie morale particulière qui
jetterait les bases de toute enquête morale, mais je ne
crois pas qu’un seul système de valeurs puisse
tenir compte de tous les aspects moraux pertinents et les
structurer. Je suggère donc que nous nous concentrions
sur deux stratégies complémentaires (l’une
axée sur les procédures et l’autre
axée sur le fond) grâce auxquelles nous pourrions
accorder une attention suffisante à tous les aspects
moraux pertinents.
Tout d’abord, j’aimerais expliquer brièvement
pourquoi je m’oppose au choix d’une seule
perspective théorique. Ma réticence est due au
fait que je sais qu’on pourrait faire appel à de
nombreux systèmes de valeurs différents pour
établir la politique régissant la biotechnologie.
Comme je l’ai déjà dit ailleurs, la
sélection d’un système de valeurs
particulier joue un rôle déterminant dans le genre
de considérations éthiques dont on tiendra compte
pour la question à l’étude (Sherwin, 1999;
Sherwin, 2000). Si nous adoptons un cadre moral
conséquentialiste (utilitaire), par exemple, nous
viserons (uniquement) à essayer d’envisager et de
comparer les conséquences possibles d’autres moyens
d’action. Par contre, si nous adoptons un point de vue
déontologique (axé sur le devoir), nous essayerons
de faire en sorte que les politiques en question soient
conformes à une série d’obligations morales
fondamentales. Comme ces deux types de considérations
sont valables sur le plan moral, elles devraient faire
l’objet de nos débats moraux, tout comme les
aspects moraux importants du problème
évoqués par d’autres grandes théories
morales comme l’éthique des soins et
l’éthique féministe14. Différentes
théories morales nous aideront à élargir
notre réflexion dans plusieurs voies. Aucune perspective
théorique ne suffira à elle seule pour saisir tous
les aspects moralement pertinents des moyens d’action
à l’étude.
Ainsi, lorsque nous étudierons des questions de principe
complexes, nous devrions chercher activement des perspectives
morales qui nous aideront à déterminer et à
étudier autant de dimensions morales du problème
que possible. Il nous faudra à cette fin adopter des
stratégies délibératives qui favoriseront
la prise en compte de diverses considérations morales.
Néanmoins, la mise au jour des facteurs moralement
pertinents ne donne pas toujours lieu à une solution
morale unique. Dès lors, le fait d’avoir
déterminé tous les aspects moralement pertinents
d’une situation ne signifie pas nécessairement que
nous saurons comment régler un dilemme moral. Même
si ces outils moraux axés sur le fond (théories)
excluent certaines options, ils ne permettent pas toujours de
trouver la meilleure solution. Dans ces cas, nous devons faire
appel à des stratégies efficaces susceptibles de
donner lieu à une décision acceptable sur le plan
éthique. Seule une procédure adéquate sur
le plan éthique permettra de résoudre ces divers
types d’ambiguïtés.
Il nous faut alors avoir recours à deux approches
complémentaires, l’une axée sur les
procédures et l’autre axée sur le fond. Bien
que j’aborderai ces deux stratégies
séparément, dans les faits, elles devraient
être adoptées simultanément de
manière intégrée. Ensemble, elles
fournissent certains des principaux outils nécessaires
à l’étude obligatoire des divers aspects
moraux tout au long du processus d’établissement de
politiques. Il est intéressant de noter que les deux se
rejoignent dans un domaine de la considération morale
inhérent à l’établissement de la
politique gouvernementale : l’intérêt public.
Je commencerai donc mon explication en abordant
l’intérêt public car il s’appuie sur
les dimensions de l’éthique axées sur les
procédures et le fond et semble être
l’élément fondamental du rôle du
gouvernement dans la gestion du développement et de
l’utilisation de la biotechnologie.
-
Intérêt public
La portée et les dimensions des conséquences
possibles des innovations en biotechnologie étaient un
solide argument moral en faveur de l’établissement
de politiques gouvernementales qui géreront
l’éventail complexe d’avantages et de risques
liés à ces technologies dans le meilleur
intérêt des Canadiens. En fait, tout
l’exercice de consultation, qui vise à
réviser une politique nationale en matière de
biotechnologie, est un énoncé implicite du sens
des responsabilités du gouvernement fédéral
par rapport au développement et à la production de
biotechnologies au Canada. Les divers documents de consultation
reconnaissent explicitement que le sens des
responsabilités du gouvernement en ce qui a trait
à l’élaboration d’une politique
détaillée et cohérente en matière de
biotechnologie est axé sur des « valeurs
canadiennes » (SCB, 1998b, p. 8). Cette politique consiste
en une vision (ou un énoncé d’un
idéal poursuivi), une série de principes
directeurs (normatifs) et un ensemble défini
d’objectifs particuliers (SCB, 1998b, p. 8- 9)15. Chacun de ces volets comporte une
dimension normative (ou chargée de valeur) et
représente des choix éthiques particuliers qui
méritent un examen minutieux.
Le gouvernement doit jouer un rôle de chef de file
lorsqu’il établit la politique en matière de
biotechnologie. Il est simplement impossible pour les gens de
travailler en vase clos afin de se protéger contre
certains risques possibles de cette technologie, et les gens ne
seront probablement pas en mesure non plus de tirer pleinement
parti des avantages sans une action collective. Dès lors,
il est essentiel que le gouvernement prenne les devants et
élabore et mette en œuvre des politiques qui
protégeront le bien-être des citoyens et
préserveront les institutions précieuses de la
société. On décrit
généralement cette responsabilité morale
comme un devoir d’agir dans
l’intérêt public.
Il est donc étonnant qu’aucun des documents de
consultation ne fasse explicitement état du concept
d’intérêt public. Ils font tout au plus part
de l’intention sous-jacente de promouvoir les
intérêts des Canadiens. Le document principal pour
les consultations en table ronde énonce sa tâche
d’entrée de jeu : trouver « des
mécanismes permettant de veiller à ce que les
produits de la biotechnologie améliorent la santé,
la qualité de vie et l’environnement des Canadiens
tout en créant des emplois et en stimulant la croissance
économique » (SCB, 1998a, p. 1). Il poursuit en
disant que « le gouvernement du Canada travaille de
concert avec divers partenaires pour trouver les meilleurs
moyens de faire profiter les Canadiens des avantages
éventuels de la biotechnologie » (SCB, 1998a, p.
1). La vision qu’il propose est « que le Canada
devienne un chef de file mondial en biotechnologie afin
d’améliorer la qualité de vie des Canadiens
sur les plans de la santé, de la sécurité
et de l’environnement, tout en favorisant la croissance
économique » (SCB, 1998a, p. 8). Le document
rédigé à l’issue des consultations
présente une version de la vision qui n’est plus
restreinte, où les composantes demeurent (pratiquement
les mêmes), mais dont l’ordre d’importance a
changé :
La perspective de la SCB est la suivante :
Améliorer la qualité de vie des Canadiens
sur les plans de la santé, de la sécurité,
de l’environnement et du développement social et
économique en donnant au Canada une position de chef
mondial sérieux en matière de
biotechnologie (SCB, 1998b, p. 8, mis en
évidence dans l’original)
On peut donc vraisemblablement déduire de ces
déclarations que le gouvernement du Canada poursuit ces
objectifs dans le cadre de la responsabilité qui lui
incombe, qui consiste à protéger et à
promouvoir l’intérêt public.
L’absence d’une allusion explicite à
l’intérêt public pourrait bien
refléter l’ambiguïté liée
à l’expression « intérêt public
». Il s’agit d’un concept vague dont la
pertinence a divisé les théoriciens politiques. Le
« public » ne semble pas former une entité
unique ayant des intérêts clairs et
évidents. Il est composé de nombreux individus et
groupes différents qui ont des intérêts
divers chevauchants et parfois conflictuels. Néanmoins,
il existe certaines similitudes. La plupart des
théoriciens contemporains peuvent au moins être
d’accord avec John Locke quand il dit que
l’État a le devoir de protéger les droits
naturels des individus. Bon nombre définissent
l’intérêt public comme la protection des
droits individuels et l’établissement de
procédures équitables pour arbitrer de
manière impartiale des intérêts
opposés (Benn, 1967). (En d’autres termes, tandis
que l’engagement à l’égard de
l’intérêt public semble être un
engagement envers une valeur morale de fond, la meilleure
façon de le respecter consiste à déployer
des efforts en matière de procédures.)
Certains théoriciens, par exemple Virginia Held (1984),
ont laissé entendre que nous utilisons le concept
d’intérêt commun pour
représenter des choses particulières qui profitent
à tous les membres d’un État. Ainsi,
l’expression « intérêt commun »
fait référence aux choses pour lesquelles tous les
membres d’une société ont un
intérêt. Mme Held cite en exemple le
fait d’éviter l’holocauste nucléaire :
tous les membres de la société ont un
intérêt à cet égard. Par ailleurs, il
est dans l’intérêt commun
d’éviter une catastrophe écologique comme la
destruction des réserves d’eau douce par suite
d’une utilisation excessive de produits chimiques
agricoles toxiques.
Pour compliquer davantage la question, il y a un
troisième concept à prendre en compte, à
savoir les biens collectifs. Les biens collectifs sont
des avantages qu’on ne peut obtenir qu’au moyen
d’une action collective. Par exemple, les contrats au sens
de la loi ne peuvent exister que dans le contexte d’un
État et d’une forme d’institution
légale. Il n’existe pas de système juridique
privé (même si certains sont en faveur
d’intérêts privés particuliers). Il
existe également de nombreux services qui ne sont
pratiques que si les citoyens collaborent pour les
établir et les appuyer – par exemple, les soins de
santé, la défense nationale, le maintien de
l’ordre, les services de pompiers et la lutte contre la
pollution sont des services qui profitent à tous et sont
mieux administrés en tant qu’institutions
publiques. Tandis que bon nombre des biens collectifs
représentent également des intérêts
communs, d’autres ne le sont pas puisque certaines
pratiques nécessitant une action collective à
l’échelle de la société ne profitent
pas à tous les membres de cette société.
(Mentionnons comme exemple extrême une institution de
l’esclavage approuvée légalement.)
Un système de réglementation et
d’évaluation des nouvelles biotechnologies
constitue un bien collectif en ce sens qu’il peut
uniquement être établi grâce à une
action collective. Pour montrer qu’il fait
également partie de l’intérêt
commun, nous devrions démontrer que (presque) tous
les citoyens profitent d’un tel système.
Étant donné l’échelle de risques et
les avantages possibles de plusieurs nouvelles biotechnologies,
il semble probable qu’une structure
bénéficiant d’un soutien public et
permettant d’évaluer et de réglementer les
nouvelles biotechnologies entrerait dans la catégorie de
l’intérêt commun ainsi que du bien
collectif16. Par ailleurs, un
tel système relève au sens technique du terme de
l’intérêt public puisque certaines
biotechnologies peuvent menacer les droits de la personne de
membres de la société. Par exemple, le recours au
dépistage génétique pour exclure de
certaines professions les personnes ayant une
prédisposition à certaines formes de cancer
soulèverait des préoccupations quant au respect
des droits de la personne.
L’expression « intérêt public »
est utilisée par les gens pour désigner les trois
concepts, c’est-à-dire qu’elle inclut non
seulement l’interprétation technique (soit la
protection des droits individuels et l’utilisation de
procédures équitables pour arbitrer des
intérêts opposés), mais aussi la promotion
de l’intérêt commun et des biens collectifs
nécessitant une coordination de l’État. En
d’autres termes, les citoyens recherchent des valeurs de
fond aux fins de l’élaboration des politiques
gouvernementales. Les citoyens comptent sur leur gouvernement
pour mettre en place des dispositions sur la
sécurité qui fassent en sorte qu’aucune
nouvelle technologie ne soit adoptée si elle leur est
nuisible ou si elle est nuisible à la
société dont ils dépendent17. Lorsque l’incidence de
certaines technologies n’est pas claire ou que les
avantages et les risques sont mal répartis, ils attendent
du gouvernement qu’il établisse les
procédures adéquates pour décider quand
autoriser la mise en œuvre et quand demander des
restrictions. Il est courant de lire que
l’intérêt public inclut les institutions
requises pour protéger les citoyens contre tout dommage
prévisible ainsi que celles requises pour promouvoir le
bien-être de chacun.
Dans ce sens, l’intérêt public a des
dimensions positives et négatives,
c’est-à-dire qu’il témoigne de
l’intérêt à promouvoir le
bien-être et celui à éviter les dommages.
Les pouvoirs publics sont tenus de porter attention aux deux
types de préoccupations, et les documents de
consultation, en particulier le document élaboré
à l’issue des consultations (SCB, 1998b), font
état d’engagements à l’égard
des deux genres d’activité18. Lorsque ces deux objectifs sont
contradictoires, les gouvernements doivent décider de
leur priorité. C’est la possibilité de
conflit grave entre le bien-être de certains et les
risques qui planent sur d’autres qui rend si difficile
l’élaboration de la politique en matière de
biotechnologie.
Le ton des documents de consultation indique clairement que le
gouvernement canadien est préoccupé par sa
responsabilité de tenir compte de la dimension positive
de l’intérêt public. Les documents insistent
sur le fait qu’une solide politique en matière de
biotechnologie profitera aux Canadiens et représentera la
dimension positive de sa prise en compte de
l’intérêt public. Par exemple, l’un des
objectifs énoncés pour le processus de
renouvellement de la biotechnologie consiste à
s’assurer que « le développement de la
biotechnologie se déroule de façon responsable et
éthique et à l’avantage maximum des
Canadiens, aujourd’hui et dans l’avenir »
(SCB, 1998a, p. 1). Le document établi à
l’issue des consultations décrit la biotechnologie
comme offrant « des avantages économiques
considérables, surtout sur le plan des exportations et de
la création d’emplois, ainsi que des bienfaits
importants en matière de santé, de
sécurité et d’environnement » (SCB,
1998b, p. 1). Tandis que les documents diffusés avant les
consultations publiques étaient vagues quant à la
portée – soit profiter à tous les Canadiens,
à la plupart des Canadiens ou simplement à
certains Canadiens – le dernier document promet
explicitement que « tous les Canadiens… tireront
avantage de cette nouvelle transformation » (SCB, 1998b,
p. 2).
Dans cette interprétation implicite de
l’intérêt public, selon laquelle il
réside dans une politique maximisant les bienfaits de la
biotechnologie, le Groupe de travail de la Stratégie en
matière de biotechnologie a décidé de
mettre l’accent sur la dimension positive et de ne pas
faire grand cas des possibilités négatives du
développement de la biotechnologie. En fait, comme je
l’ai déjà mentionné, les documents de
consultation sont remplis d’exemples des bienfaits
possibles de la biotechnologie; ils ne font aucune allusion
explicite aux dommages éventuels. Même dans le
document établi à l’issue des consultations,
tout en faisant état de la réticence
exprimée par les Canadiens concernant les risques de
certaines biotechnologies, on parle surtout de « lacunes
dans la sensibilisation et la compréhension des
consommateurs » (SCB, 1998b, p. 3), plutôt que des
dangers réels associés à certaines
technologies. En faisant la promotion des avantages positifs,
ces documents placent implicitement le gouvernement dans une
position qui fait porter le fardeau de la preuve à ceux
qui en limiteraient le développement,
c’est-à-dire qu’ils présument le
bienfait global du développement de la biotechnologie et
refusent d’imposer des limites aux nouvelles technologies
à moins qu’on ne puisse démontrer des
problèmes de sécurité bien définis.
Cette approche s’écarte du sentiment
général et de certaines conventions
internationales importantes. Le principe de prudence
cité à maintes reprises fait état des
préoccupations publiques et scientifiques sur les risques
inhérents associés à de nombreuses formes
de la biotechnologie. Ce principe a été
enchâssé dans plusieurs déclarations et
traités internationaux, y compris la
Déclaration de Rio sur l’environnement et le
développement des Nations Unies (ONU, 1992) et le
Traité sur l’Union européenne
(1992).
Malheureusement, il n’existe aucune définition qui
fasse autorité pour ce principe grandement
recommandé 19. Pour
combler ce vide, un groupe international de scientifiques, de
responsables gouvernementaux, d’avocats et de militants
dans le domaine de l’environnement s’est
réuni en janvier 1998 à Wingspread, au Wisconsin,
pour rédiger un protocole d’accord
décomposant le principe de prudence en quatre volets :
-
Les gens ont le devoir de prendre des mesures pour
prévenir les dommages.
-
Le fardeau de la preuve du caractère inoffensif
d’un nouveau procédé, technologie,
activité ou produit chimique incombe aux promoteurs,
et non au public.
-
Avant d’utiliser un nouveau procédé,
technologie ou produit chimique ou de mener une nouvelle
activité, les gens sont tenus d’examiner tout un
éventail de solutions de rechange, y compris le statu
quo.
-
Les décisions appliquant le principe de prudence
doivent être ouvertes, informées et
démocratiques et inclure les parties touchées.
(Wingspread, 1998)
En d’autres termes, le principe de prudence exprime
l’obligation de prendre en compte les
préoccupations relatives aux risques avant de poursuivre
le développement de toute nouvelle technologie. Il exige
que l’élaboration de la nouvelle technologie ne se
poursuive que si l’on peut démontrer qu’elle
est inoffensive ou nécessaire. L’accent est mis sur
la dimension négative de l’intérêt
public en insistant sur l’obligation de protéger le
public contre tout dommage ultérieur.
Le principe de prudence est au cœur d’un important
débat animé et son interprétation
précise nécessite une analyse politique et morale.
Néanmoins, compte tenu de l’importance
accordée au principe de prudence dans l’approche
adoptée par d’autres pays à
l’égard de la biotechnologie et dans diverses
ententes internationales – y compris certaines dont le
Canada est signataire, comme la Déclaration de Rio sur
l’environnement et le développement de 1992
–, il est surprenant que les documents de consultation
fassent entièrement abstraction de ce principe. Comme le
montre l’étude de Pollara et Earnscliffe (2000), la
plupart des Canadiens pensent que le Canada a déjà
adopté un principe similaire. Certes, de nombreux
Canadiens bien informés (p. ex., l’Institut
canadien du droit et de la politique de l’environnement)20ont proposé une version
du principe de prudence qui jetterait les bases de la politique
canadienne en matière de biotechnologie. Il semble donc
que les Canadiens doivent débattre de
l’interprétation adéquate de ce principe et
qu’il faille établir un processus officiel pour
déterminer la version que les Canadiens souhaitent
approuver. Le but sous-jacent de la protection des
intérêts individuels et collectifs a un rôle
fondamental à jouer dans les responsabilités du
gouvernement à l’égard de
l’intérêt public.
Maintenant que nous avons étudié un domaine
où les questions éthiques axées sur le fond
et les procédures sont intimement liées, il serait
bon d’examiner de plus près ces deux aspects du
débat moral et de les démêler afin de mieux
comprendre le rôle important de chacun.
-
Les dimensions morales (1) :
L’éthique procédurale
Les approches procédurales de l’éthique
s’avèrent essentielles puisque, dans de nombreux
cas, il est difficile de proposer une solution morale
précise à un problème donné21. Le point objectif
d’Archimède – à partir duquel
quelqu’un pourrait passer en revue toutes les options
morales pertinentes, puis déterminer avec assurance
quelle serait la meilleure solution morale –
n’existe pas. Si l’on considère par exemple
que, face à des questions complexes, des individus
raisonnables ne s’entendent pas sur une solution qui soit
moralement appropriée, mieux vaut souvent établir
des procédures équitables pour aborder les
questions difficiles plutôt que de tenter de
décider, dès le départ, quelles
décisions morales devraient lier les individus. En fait,
on a mis sur pied le Comité consultatif canadien de la
biotechnologie (CCCB) en partie pour qu’il suscite un
débat significatif permettant d’éclairer le
processus décisionnel du gouvernement dans ce domaine
complexe. La question procédurale est alors de savoir
comment le Comité s’y prend pour remplir son
mandat, qui est de stimuler le débat et d’aider
à résoudre les conflits d’ordre moral.
La tâche la plus simple du CCCB est peut-être
d’établir la liste des sujets qui tombent dans les
limites de l’intérêt commun en matière
de biotechnologie. Il peut s’agir, par exemple, de
l’élaboration de procédures jugées
raisonnables pour s’assurer qu’aucun produit
n’est accepté qui puisse nuire grandement à
la santé des Canadiens, à l’environnement ou
à l’économie dont dépend la
prospérité du pays. De telles procédures
comporteraient un système pour surveiller la
sécurité et l’efficacité des
produits, de même que le degré
d’honnêteté dans les communications. Toute
réflexion sur l’intérêt commun exige
qu’on porte attention aux incidences, tant à long
terme qu’à court terme, des diverses innovations
technologiques, évaluées en fonction de leurs
effets sur le bienêtre des citoyens et de la
société canadienne. Comme on l’a
mentionné ci-dessus, cela nécessite
l’adoption de mesures particulières, comme le
principe de précaution, pour protéger
l’intérêt public et en faire la promotion.
Au-delà de ces exemples précis concernant les
intérêts communs des Canadiens, je crois
qu’il existe aussi un intérêt commun à
mener une action morale à l’échelle
mondiale; un tel intérêt illustre clairement
qu’il existe un intérêt collectif,
puisqu’il ne peut être respecté que par une
action collective en vue de réglementer les initiatives
individuelles. Cette réflexion exige que l’on
élabore des politiques visant à garantir que notre
gouvernement et nos industries n’adoptent pas dans des
pratiques qui mettent en cause le bien-être des
populations vivant dans les régions économiquement
vulnérables du monde22.
Comme je l’ai déjà mentionné, le
gouvernement a un devoir moral de protection et de promotion de
l’intérêt public, qui est d’arbitrer
équitablement les intérêts rivaux en
établissant des procédures justes qui soient
ouvertes à toute la gamme d’intérêts
en cause. Une grande difficulté liée à ce
devoir consiste à déterminer les nombreux
intérêts qui pourraient être en jeu. Le
développement des habiletés en matière de
perception morale (grâce à la connaissance des
multiples théories éthiques et à celle des
diverses perspectives culturelles) peut aider à
détecter où se trouvent nombre des
intérêts pertinents (Sherwin, 2000). Il est aussi
essentiel, cependant, de mettre en place un processus ouvert et
souple qui permette de recueillir les opinions de ceux dont les
intérêts sont peut-être souventnégligés ou mal perçus.
Les organismes invités à se prononcer sur les
intérêts divergents en présence invitent
généralement les représentants des parties
à se rencontrer et à rechercher une solution au
conflit par voie de médiation ou de négociation.
En pareils cas, il est sage de parler d’«
intervenants » et d’inviter les parties
intéressées représentant les groupes
touchés à se joindre aux participants et à
fournir leurs avis sur les programmes d’action. Dans le
contexte qui est celui de la biotechnologie, les principaux
intervenants seront les chercheurs, les producteurs et les
consommateurs. Chaque groupe a des intérêts
évidents en jeu, lesquels pourraient ou non
coïncider avec ceux de leurs vis-à-vis; il est donc
important que des représentants de chaque groupe
touché s’engagent activement à
déterminer et à promouvoir leurs
intérêts particuliers.
Il n’est pas toujours évident, toutefois, de
définir ce qu’on entend par « intervenant
». Il arrive souvent que ceux qui seront les plus
concernés par une politique ne prévoient pas à
l’avance quelles seront ses répercussions. Si, par
exemple, une biotechnologie agricole donnée pollue
l’environnement parce qu’elle exige un épandage
accru d’engrais chimique, de nombreuses personnes qui
n’estimaient pas avoir un quelconque intérêt
« positif » dans la mise au point de cette technologie
peuvent subir un tort sérieux à la suite de son
usage. Ou encore, si une technologie comme le dépistage
génétique pour détecter une
prédisposition à la maladie d’Alzheimer devient
la norme, de nombreuses personnes se verront obligées de
s’y plier, qu’elles le veuillent ou non23.
L’une des raisons pour lesquelles les groupes de
consommateurs s’opposent à la vente
d’aliments modifiés génétiquement
mais non étiquetés comme tels, c’est que
l’absence d’information enlève aux
consommateurs la possibilité de refuser ce genre de
produits si telle est leur intention. Beaucoup de gens qui, en
fin de compte, deviennent des intervenants parce qu’on
leur a imposé de nouveaux produits ne perçoivent
pas immédiatement l’intérêt
qu’ils pourraient avoir plus tard dans la politique dont
il est question maintenant. Dans d’autres cas, certains
sont concernés par des pratiques avec lesquelles ils
n’ont rien à voir directement. C’est ainsi,
par exemple, que beaucoup de personnes handicapées
affirment qu’elles se sentent concernées par
l’attitude publique, préjudiciable à leur
groupe, qui est implicitement véhiculée par
l’usage que font les autres du dépistage
anténatal (Asch et Geller, 1996).
Ainsi, l’intérêt public qui consiste à
protéger les droits de la personne et à arbitrer
les intérêts rivaux ne peut être dignement
garanti que si l’on prend des mesures pour s’assurer
que tous les intérêts pertinents sont
représentés. Une stratégie importante
à cet effet est d’inviter aux débats des
participants dont la réflexion s’étend
au-delà des intérêts exprimés par
ceux qui se présentent comme intervenants. Ce rôle
est généralement assumé soit par des
experts qui doivent être neutres, soit par des citoyens
qui n’ont fait connaître au préalable aucun
intérêt d’ordre personnel dans le
débat. En fait, un examen complet des perspectives
morales pertinentes devrait vraisemblablement exiger ces deux
types d’intervenants. Les experts peuvent apporter des
renseignements nécessaires aux discussions et les
citoyens, représenter l’intérêt public
concerné. Les uns et les autres ont des comportements
tout à fait différents de ceux et celles qui se
présentent comme intervenants et dont le rôle est
de représenter des intérêts précis.
Un autre type de participant devrait aussi être
présent lors des discussions, et c’est le citoyen
militant qui s’intéresse précisément
aux politiques en question. Associés d’habitude aux
mouvements populaires ou aux organisations non gouvernementales
(ONG), les citoyens militants ont examiné de
manière poussée la question à
l’étude et ils cherchent à exercer une
influence politique sur le programme d’action pertinent.
Ils ne sont pas des intervenants au sens courant
puisqu’ils ne retireront probablement pas
d’avantages personnels de l’implantation des
technologies en question, tout en apportant un point de vue
particulier qui doit faire partie du débat. (En
général, ils adoptent un point de vue
intéressé mais ne recherchent pas un avantage
personnel.) Ils représentent souvent les
intérêts indirects de citoyens qui seront
touchés par les technologies sans avoir voulu
expressément en faire usage. De telles personnes
fournissent au débat d’importants renseignements
ainsi que des intérêts bien définis; ils
présentent par conséquent un point de vue qui doit
être entendu dans les groupes où
s’élaborent les politiques.
La distinction entre le rôle du citoyen et celui de
l’intervenant doit être aussi nette que possible. Ce
n’est pas que les intervenants ne soient pas des citoyens
ou que les citoyens n’aient pas
d’intérêts à défendre, mais
plutôt que la participation de celui qui représente
un groupe d’intérêt précis est fort
différente de la participation d’un citoyen
concerné qui agit dans l’intérêt du
bien collectif d’utilité publique. Les deux
rôles sont également importants lorsqu’il
s’agit de déterminer quelle politique doit aider
à trancher entre des intérêts rivaux; mais
ils ne sont pas équivalents et l’on ne doit pas les
prendre l’un pour l’autre.
Le rôle du citoyen ne doit pas non plus être
réduit à celui du consommateur. Les consommateurs
de technologies sont des intervenants ayant des
intérêts déterminés : ils ont besoin
de produits sécuritaires, fiables et d’un prix
abordable, accompagnés de renseignements
appropriés et protégés contre
l’exploitation. Quand elles portent leur chapeau de
consommateur, ces personnes tiennent pour acquis que les
produits en question seront mis au point et
commercialisés et elles chercheront à influencer
les conditions de leur distribution. À
l’opposé, ceux qui exercent d’abord un
rôle de citoyen — c’est-à-dire
qu’ils ne représentent pas
d’intérêts particuliers – voudront
être capables de mettre en question la valeur même
de l’intérêt que l’on porte à
certains produits. On s’attendra plutôt à ce
que ces personnes se penchent sur les conséquences
possibles de ces produits sur la société dans son
ensemble, non seulement sur ceux qui veulent les acquérir
et les utiliser24.
Du reste, il est très important que les tables rondes
chargées de départager les intérêts
rivaux prêtent une oreille attentive à ceux et
celles qui, dans la société, sont le plus
fréquemment laissés pour compte. Elles doivent
notamment être attentives à la situation des
groupes qui courent les plus grands risques lorsque sont
appliquées certaines technologies. Les participants aux
tables rondes doivent être conscients de la façon
dont les structures actuelles favorisent certains groupes
sociaux au détriment des autres, et ce, afin de prendre
des mesures qui éviteront que l’on retombe dans ces
mêmes scénarios (Bulger, 1996; Bowman, 1995; Dove,
2000; Lebacqz, 1998). Les représentants des groupes qui
sont déjà désavantagés dans la
société et perdront probablement du terrain quand
certaines technologies sont adoptées, devraient obtenir
un statut spécial. Les personnes souffrant de handicaps,
par exemple, devraient participer aux débats sur
l’expansion des programmes de dépistage
génétique; de même, celles qui
s’intéressent surtout à la faim dans les
pays en voie de développement devraient être
présentes lorsque sont prises des décisions sur
l’homologation de brevets tels que ceux portant sur des
denrées de base comme le riz basmati25. Le rôle de ces
représentants est tout à fait différent
tant de celui des représentants des groupes qui
bénéficieront de la technologie dont il est
question, d’une part, que de celui des citoyens de la base
qui participent aux débats et dont on s’attend
à ce qu’ils prennent en considération tous
les aspects de la question, d’autre part.
Il est important, lorsqu’on invite les intervenants
officiels à donner leur avis, que le gouvernement ne
restreigne pas les discussions à ceux d’entre eux
qui ont des intérêts financiers évidents en
jeu. De plus, il est important que les procédures
reflètent les différents niveaux de pouvoir
associés aux différentes positions adoptées
par les intervenants. Les industries, dont les capitaux et les
espoirs de gros profits sont importants, peuvent avoir des
ressources beaucoup plus grandes pour financer
l’éducation et la formation de leurs
représentants que les groupes de bénévoles
qui agissent comme porte-parole des citoyens concernés.
Ils peuvent aussi jouir d’une plus grande influence
auprès des hommes politiques et des décideurs,
d’un meilleur accès aux médias pour faire
passer leur message et d’une plus grande expérience
de la négociation. Il est alors important, quand on a
affaire aux groupes d’intervenants, de voir à ce
que les procédures reflètent le niveau
d’intérêt des participants et qu’elles
évitent le plus possible toute déformation des
débats par les puissants groupes
d’intérêt particuliers.
-
Les dimensions morales (2) : Les concepts
Bien qu’un processus moralement approprié soit un
élément essentiel d’une bonne politique dans
le domaine moral complexe de la biotechnologie, ce processus ne
peut opérer dans le vide. Nous avons besoin de certaines
valeurs morales substantielles pour aider à orienter le
processus et à trier les solutions moralement acceptables
qui sont recensées, de celles qui sont moralement
problématiques. Plus haut, à la section 3,
j’ai présenté les raisons pour lesquelles
toutes les principales théories morales, à cet
égard, contribuent d’une certaine manière
à nos débats. Je ne vais toutefois pas
m’aventurer dans le très vaste projet qui
consisterait à présenter les différentes
théories morales qui pourraient jeter de la
lumière sur divers aspects moraux de la politique en
matière de biotechnologie. Je vais plutôt
m’intéresser à deux concepts clés
– l’autonomie et la justice – qui sont au
cœur de la plupart des principales théories
morales. Étant donné leur rôle majeur dans
de nombreuses théories éthiques, ces deux concepts
représentent une composante importante des exigences
substantielles de tout débat d’ordre moral portant
sur l’établissement d’une politique
gouvernementale. En explorant certains modes de fonctionnement
de ces concepts au sein des différentes théories
morales, ainsi que dans les débats entourant la politique
gouvernementale, j’espère les rendre familiers en
tant qu’outils efficaces pour identifier les exigences
morales complexes que comporte l’établissement
d’une politique en matière de biotechnologie et
pour y donner suite.
Dans la poursuite de mon analyse de ces concepts, je vais de
nouveau m’éloigner du cadre fourni par les
documents de consultation puisqu’ils n’accordent que
très peu d’attention aux concepts d’autonomie
et de justice. Dans ces documents, le rôle de ces concepts
est, de manière générale, implicite,
puisqu’ils apparaissent – vraisemblablement –
sous l’étiquette générique de «
valeurs des Canadiens »; ce rôle
s’imprègne aussi des énoncés
généraux sur l’importance qu’il y a
à s’assurer que les avantages de la biotechnologie
reviennent aux Canadiens.
Puisqu’il existe des nuances importantes sur la
façon dont chacun de ces concepts doit être
interprété, et ce, chez les éthiciens
eux-mêmes, je m’arrêterai un moment sur la
manière dont chacun des termes devrait fonctionner dans
le contexte des discussions portant sur
l’élaboration de la politique en matière de
biotechnologie. Je vais d’abord présenter
l’usage le plus commun qui est fait de ces termes et
ensuite proposer une autre interprétation de type «
relationnelle », tendant à saisir certains des
aspects moraux délaissés par la démarche
dominante. Je dirai pourquoi la seconde interprétation,
moins familière, saisit certaines dimensions morales
essentielles qu’on doit aborder au moment
d’établir une politique en matière de
biotechnologie, et pourquoi elle saisit mieux l’esprit des
recommandations procédurales.
-
L’autonomie
Le terme « autonomie » signifie
littéralement autogouvernement; on le traduit
fréquemment par « autodétermination
». Il est au cœur d’une bonne part de la
réflexion philosophique moderne, depuis
l’éthique et la philosophie politique
jusqu’à la métaphysique et la
théorie de l’identité personnelle; son
interprétation varie selon le contexte dans lequel
il apparaît. Pour les besoins de ma
présentation, je limiterai mon propos à son
rôle dans les débats entourant
l’éthique et la politique. Dans ce contexte,
le terme s’entend communément de la
description de la liberté individuelle ou de
l’absence de toute ingérence par autrui,
notamment par l’État. Le respect de
l’autonomie de l’individu est la pierre de
touche des États libéraux modernes; on le
retrouve souvent dans les documents sur les droits de la
personne (Kymlicka, 1990).
En son sens le plus élémentaire,
l’autonomie représente l’action qui est
libre de toute influence déterminante
(littéralement, « hétéronomie
» ou gouvernement par les autres) au moyen de la
coercition ou de la manipulation. Le terme est aussi
généralement utilisé pour
décrire l’action qui n’est
également soumise à aucune limite
personnelle (la contrainte ou
l’incompréhension par exemple) qui
empêchent le choix éclairé. Les
philosophes traitent d’habitude l’autonomie
comme l’expression d’une action
délibérée de la part d’un agent
doué de raison et indépendant, lequel
poursuit activement les intérêts qu’il
a déterminés. De la sorte, le principe du
respect de l’autonomie est un engagement à
reconnaître le droit des individus à prendre
certains types de décisions pour eux-mêmes,
décisions qui soient libres de toute coercition,
manipulation, tromperie ou ingérence. En
matière de soins de santé, le principe de
l’autonomie est souvent présenté en
opposition au paternalisme – la pratique selon
laquelle les professionnels de la santé prennent
des décisions sur les traitements à suivre
en se basant sur l’idée qu’ils se font
eux-mêmes de ce qui est dans le meilleur
intérêt de leurs patients, et ce, sans
obtenir un consentement libre et éclairé de
leur part (Beauchamp et Childress, 1994). Il arrive aussi
que les gouvernements agissent de façon
paternaliste, par exemple quand ils passent outre aux
préférences personnelles et obligent les
citoyens à boucler leur ceinture de
sécurité ou à porter un casque
protecteur en conduisant une motocyclette, afin de les
protéger contre de graves blessures
évitables.
Bien que le terme « autonomie » ne soit pas
souvent utilisé dans les documents issus du
processus de consultation, on trouve, du moins, tout au
long de ceux-ci, une reconnaissance implicite de
l’importance d’une réflexion sur
l’autonomie. Ainsi, le principal document comporte
une section intitulée « Aspects
éthiques et sociaux » qui porte sur «
les convictions des Canadiens relatives à la
liberté, à la dignité humaine et
à la non-discrimination » (SCB, 1998a, p.
11). Le document fait également
référence de manière explicite au
contexte créé par la Constitution
canadienne et par la Charte canadienne des droits
et libertés, lesquelles accordent une grande
importance au respect de l’autonomie individuelle.
Lorsque le terme « autonomie » est
utilisé explicitement dans les documents de
consultation, il est défini très
étroitement comme étant
l’équivalent de la liberté de choix
chez le consommateur. Cette définition
apparaît dans une liste de principes et de valeurs
éthiques majeurs, lesquels sont jugés
importants dans les diverses approches en matière
de biotechnologie qu’adoptent d’autres pays.
Dans ce contexte, l’autonomie individuelle est
définie comme le fait de « reconnaître
le droit de chaque personne de prendre des
décisions bien informée sur son utilisation
de la biotechnologie» (SCB, 1998a, p. 2; SCB, 1998b,
p. 7). En effet, l’importance d’appuyer le
choix éclairé des consommateurs concernant
l’utilisation de la biotechnologie prend une place
centrale dans tout le processus de consultation : «
Une des questions essentielles au cœur des
débats sur la biotechnologie est celle de la
confiance des consommateurs et de leur
sérénité devant les nouvelles
technologies basées sur l’ADN » (SCB,
1998a; p. 3). Le premier objectif énoncé
dans le rapport sur la consultation est de « veiller
à ce que les Canadiens aient accès à
des produits et services de biotechnologie qui soient
sûrs et efficaces, à ce qu’ils aient
confiance en ces produits et services et qu’ils en
retirent des avantages » (SCB, 1998b, p. 8).
L’interprétation de l’autonomie comme
choix personnel bien informé reflète une
compréhension commune de ce concept telle
qu’on l’évoque fréquemment dans
des contextes de nature politique. Cet usage reprend des
opinions profondément ancrées sur les
relations des citoyens avec l’État. On fait
précisément référence à
la nécessité d’empêcher
l’État de s’immiscer indûment
dans la quête, par les individus, de leurs
intérêts personnels. L’une des
hypothèses courantes de l’État
démocratique moderne veut qu’il doive exister
une part de vie privée pour l’individu qui
soit hors de la portée de toute ingérence
étatique. Ainsi, dans la pratique, il y a un
consensus au Canada voulant que l’État
s’abstienne de toute intervention dans les affaires
qui relèvent de la liberté personnelle
à moins qu’il y ait un risque très
évident de dommage à des tiers
déterminés26. De nombreux partisans de la
décriminalisation de l’avortement ont
adopté la notion d’autonomie, se
référant au « libre choix » en
la matière et appuyant le droit des femmes de
prendre leurs propres décisions en ce qui a trait
à la poursuite d’une grossesse ou à
son interruption. Le discours de l’autonomie est
souvent repris pour affirmer les droits individuels contre
l’ingérence de l’État en ce qui
a trait aux questions de moralité et d’action
individuelles.
Cette interprétation élémentaire de
l’autonomie est au premier plan de nombreux
débats sur les politiques en matière de
biotechnologie (citons par exemple Geller, 1995;
Goldworth, 1999; Haseltine, 2000; Karjaleinen, 1995;
McCullough, 1998). Tant les producteurs que les
consommateurs (actuels et potentiels) ont tendance
à s’appuyer sur le concept du choix personnel
pour fonder une politique appropriée en
matière de biotechnologie. Les deux groupes
s’opposent à l’idée même
que le gouvernement puisse entraver leur capacité
d’acheter ou de vendre des produits et services en
fonction de leur jugement personnel sur ce qui est dans
leur meilleur intérêt. Il existe un soutien
public important à l’idée que
l’autonomie en tant qu’absence de restrictions
de la part du gouvernement, devrait constituer la position
par défaut. En d’autres mots, les individus
devraient être libres de vendre et d’acheter
des produits comme bon leur semble à moins
qu’il existe un motif majeur pour le gouvernement de
limiter le commerce en ce domaine.
Il y a bien sûr de nombreux fondements à un
motif majeur, comme les risques élevés
inacceptables pour les consommateurs
(l’héroïne par exemple), les menaces
pour l’environnement (p. ex., le transport de
matériaux radioactifs), les menaces portant
atteinte à la structure sociale du pays (p. ex., la
littérature haineuse), etc. Le fardeau de la
preuve, cependant, repose toujours sur les épaules
de ceux qui maintiennent que les dommages potentiels sont
trop grands pour laisser aux individus la liberté
de décider d’acheter le produit en question.
Le principe de l’autonomie, interprété
comme étant la liberté de choix du
consommateur, semble proposer une position
diamétralement opposée à celle du
principe de précaution. Le principe de
l’autonomie suppose que, aussi longtemps qu’un
individu choisit d’acheter un produit ou un service
particulier, les producteurs devraient être libres
de le vendre à moins que l’on ait la preuve
de dommages évidents et spécifiques.
La compréhension de l’autonomie comme
étant la possibilité pour le consommateur de
choisir s’insère parfaitement dans le
contexte des marchés où la
préoccupation première est de
défendre la liberté individuelle
d’acquérir les produits et services
désirés. (Cela rappelle
l’énoncé d’intention du Document
pour les consultations en table ronde [SCB, 1998a] selon
lequel un objectif fondamental des débats publics
est d’accroître « la confiance et
l’assurance du consommateur ».) Selon ce
modèle de liberté de consommation, le
rôle de l’État est double.
L’État est tenu de s’assurer que les
risques associés à des produits particuliers
se situent à des niveaux acceptables, devoir
fréquemment interprété comme
signifiant que les risques auxquels fait face le
consommateur direct sont raisonnables. L’État
a aussi la responsabilité de s’assurer que
les individus sont capables de faire des choix
éclairés en ayant accès à des
renseignements clairs, compréhensibles et fiables,
et qu’on n’exerce aucune coercition contre
eux. Les divers documents issus de la consultation
insistent beaucoup sur ces deux types de
préoccupations.
Il est sans aucun doute important de satisfaire aux
exigences du modèle d’autonomie des
consommateurs lors de l’établissement
d’une politique en matière de biotechnologie.
En d’autres mots, il est essentiel que la
commercialisation de tout produit biotechnologique ait
lieu dans des conditions telles que les consommateurs
puissent prendre des décisions libres et
éclairées. En fait, les études qui se
penchent sur les problèmes moraux liés
à la biotechnologie mettent pour la plupart
l’accent sur les questions entourant la
sécurité et les normes de
l’information (p. ex., Parker et Gettig, 1995;
Modell, 1996; Masood, 1999; Hoskins et coll., 1995). Ces
critères, toutefois, ne sont pas simples.
Arrêtons-nous sur l’exigence d’une
information suffisante pour faire un choix libre dans le
domaine du dépistage génétique. Or,
il est très difficile de comprendre les
renseignements d’ordre génétique
concernant les prédispositions à certains
types de maladie. Cela requiert que l’on comprenne
la théorie des probabilités, la
génétique, la gamme de symptômes
associés à la maladie en question, la
fiabilité et l’efficacité des
interventions à un stade précoce, et de
nombreux autres facteurs (Parens, 1996; Boetzkes, 1999;
Dickens et coll., 1996; Gannett, 1999). La plupart des
experts soulignent que les tests génétiques
ne peuvent être administrés de façon
responsable que dans le cadre d’un counseling
génétique (Biesecker, 1998; Marteau et
Biesecker, 1999), mais il n’y a pas suffisamment de
conseillers dûment formés pour
répondre aux demandes de tests
génétiques disponibles, sans compter les
tests qui seront mis au point dans un proche avenir.
Dans le cas des aliments génétiquement
modifiés, de nombreuses personnes exigent des
étiquettes qui préviennent les consommateurs
que les denrées entre leurs mains contiennent bien
des produits génétiquement modifiés.
Cependant, il est peu vraisemblable que les
étiquettes offrent le niveau d’information
requis pour faire un choix éclairé en ce qui
touche les modifications spécifiques qui sont en
cause, d’une part, et les conséquences
qu’elles pourraient avoir, d’autre part. Quel
niveau d’explication est-il nécessaire
d’avoir, par exemple, avant d’acheter une
friandise contenant de l’huile de canola
génétiquement modifiée? De plus, dans
de nombreux cas, il n’existe pas de données
suffisantes pour fournir des renseignements sur la
sécurité à long terme liée
à la consommation, sur les effets des nouvelles
espèces sur l’environnement ou la
possibilité de nouvelles allergies résultant
des modifications transgéniques (Lagay, 1999;
Lappé, 1994; Reiss, 1998). Il faut se demander si
un choix éclairé est même encore
possible en l’absence de renseignements aussi
importants.
Qui plus est, et même si nous pouvions fournir
davantage de renseignements appropriés, il se
pourrait que le choix du consommateur ne soit pas
davantage éclairé. Pour
l’éclairer davantage, il faudrait que
l’information soit présentée sous une
forme plus accessible. Si les termes utilisés pour
l’étiquetage sont trop techniques pour le
public visé, la simple présence d’une
information ne donne pas l’assurance que les
consommateurs ont accès au niveau de connaissance
dont ils ont besoin pour donner un consentement libre. Et
si l’information est incomplète ou
déformée, comme il arrive fréquemment
dans la publicité, cela peut miner la
liberté du consommateur plutôt que la
soutenir27. Même
si l’on s’en tient au sens le plus
évident de l’autonomie, il faut conclure que
la vente de nombreux produits issus de la biotechnologie
à des consommateurs qui ne peuvent être
adéquatement informés représente une
violation de leur autonomie. Les Canadiens ont besoin
d’un système de réglementation pour
s’assurer que leurs hypothèses touchant la
sécurité du consommateur sont bien
fondées, d’une part, et pour aider à
promouvoir la compréhension qu’exige le choix
éclairé du consommateur, d’autre part.
Bien que le choix éclairé soit important
pour parvenir à l’autonomie individuelle, il
ne saurait tout dire sur l’autonomie. Après
tout, ce n’est pas le choix en lui-même qui
constitue la préoccupation morale essentielle; il
s’agit plutôt de la liberté des
individus de respecter leurs valeurs et de poursuivre
leurs intérêts fondamentaux. La motivation
morale sous-jacente du respect de l’autonomie
individuelle n’est pas, en soi, de rechercher les
choses qu’il préfère, mais de
respecter l’intérêt que porte chaque
individu à l’avancement de ses valeurs
fondamentales.
On peut expliquer de plusieurs façons pourquoi la
pratique du choix éclairé en matière
de consommation peut ne pas arriver à percevoir le
sens, plus profond, de l’autonomie dont on vient de
parler. L’une des difficultés tient à
ce que le choix du consommateur se limite à
l’offre que peuvent faire les producteurs; à
moins que ceux-ci ne présentent un choix tel que
les individus sont aptes à poursuivre la
quête de leurs valeurs et de leurs
intérêts fondamentaux, le choix du
consommateur ne coïncidera pas avec l’autonomie
individuelle. Si, par exemple, tous les agriculteurs ou la
plupart d’entre eux sont décidés
à cultiver des produits génétiquement
modifiés ou à élever des animaux
transgéniques dans le but de les vendre, le
consommateur ne sera plus libre de se
procurer des aliments non modifiés
génétiquement. Il arrive déjà
que de nombreux aliments transformés, offerts dans
les grandes surfaces du Canada, contiennent des
ingrédients issus de produits
génétiquement modifiés comme
c’est le cas pour l’huile de canola (Luoma,
2000). Même si l’on adoptait un
règlement en matière
d’étiquetage, la plupart des consommateurs
trouveraient probablement qu’il est difficile
d’éviter la consommation de toutes les
variétés de produits
génétiquement modifiés. De plus, si
les cultures issues de semences
génétiquement modifiées envahissent
les autres cultures ou si elles permettent à ceux
qui les achètent de fournir une récolte
à des taux très réduits pendant
quelques années, les agriculteurs
indépendants pourraient être incapables de
semer les grains traditionnels d’une manière
qui soit économiquement viable. S’il
s’avère économiquement impossible de
produire des cultures non modifiées ou si la
distribution de telles cultures est limitée
à la suite d’ententes restrictives avec les
gros producteurs, les consommateurs n’auront pas
accès aux produits qu’ils pourraient vouloir
acheter. Dans de telles circonstances, les nouveaux
produits restreignent le choix des consommateurs
plutôt que de l’étendre.
L’interprétation de l’autonomie comme
libre choix du consommateur est associée à
d’autres difficultés. Ainsi, elle ignore le
fait que les agents individuels sont positionnés
différemment tant par rapport au choix qui leur est
offert que par rapport à la liberté que
possède chacun d’agir en accord avec ses
besoins particuliers et ses valeurs spécifiques.
Ainsi, la capacité des femmes à faire un
choix éclairé concernant l’utilisation
de médicaments délivrés sur
ordonnance est limitée par les protocoles de
recherche qui, parfois, n’examinent les effets des
médicaments que chez les hommes (Mastroianni et
coll., 1994). De plus, l’accès aux aliments
de culture biologique est réservé à
ceux dont les terres sont suffisamment grandes pour y
cultiver leurs propres denrées alimentaires ou qui
ont assez de revenus pour acheter à prix fort des
aliments biologiques. Si les consommateurs se
méfient de la sécurité des aliments
génétiquement modifiés, on peut
s’attendre à ce que les riches soient
capables d’exercer un choix libre et de se procurer
des aliments « traditionnels », mais que les
pauvres, par contre, doivent se tourner vers
d’autres aliments moins populaires (et donc moins
chers). S’il est vrai que tous les individus se
trouvent devant un choix limité, ceux qui ont
relativement moins de pouvoir social ou économique
feront sans doute face à plus de restrictions
encore que la plupart des gens; le plus souvent, ils
n’auront plus de choix possible pour répondre
à leurs intérêts et à leurs
besoins particuliers.
Comme nous l’avons vu, de nombreuses technologies
ont la capacité de redéfinir les
expériences et les espoirs « normaux »
des femmes et des hommes, selon des modes que les
individus ne peuvent contrôler par des actions
personnelles. En tant qu’individus, nous ne pouvons
savoir si, oui ou non, notre corps sera
considéré comme le site d’une
surveillance médicale. Bien qu’une femme soit
capable de s’opposer à certains tests
diagnostics, elle ne peut déterminer comment telles
parties de son corps (les seins ou les os par exemple) et
telle étape du cycle de vie sont définies
comme des sites potentiels de maladie grave. Une femme
dont la sœur, la mère ou la tante souffre
d’un cancer du sein peut renoncer aux tests de
détection du gène BRCA1; mais si son
médecin, son assureur ou son employeur
considèrent que ces tests sont souhaitables, cette
femme trouvera que ses seins et ses gènes
pourraient faire l’objet d’une surveillance,
qu’elle ait ou non accepté de subir les
tests. Dès que l’on reconnaît
généralement que l’usage d’un
type particulier de technologie constitue un comportement
normal et responsable pour promouvoir la santé,
tout individu qui y renonce est automatiquement
classé comme irresponsable (Cole-Turner, 1998;
Geller et coll., 1997; Harper et coll., 2000). Cela
signifie que, au fur et à mesure que les tests
génétiques pour détecter une
prédisposition à des maladies qui
apparaissent tard (maladie cardiaque, cancer du
côlon ou maladie d’Alzheimer par exemple)
deviennent disponibles, ils pourraient porter en eux des
attentes culturelles selon lesquelles les individus
responsables doivent se plier à de
telles procédures comme à des soins de
santé routiniers.
Notre compréhension de l’autonomie
personnelle doit donc prendre en compte les façons
dont celle-ci peut être amoindrie par des
stratégies politiques, économiques, sociales
et culturelles qui sont tout à fait hors de
portée de l’individu. Si nous souhaitons
vraiment promouvoir l’autonomie individuelle, nous
devons élaborer des politiques qui permettront
à tous les individus de déterminer leurs
valeurs et leurs intérêts. Ces politiques ne
doivent pas prêter uniquement attention aux
préférences que les individus manifestent
quand ils sont mis devant une panoplie de
possibilités prédéfinies, mais elles
doivent aussi examiner la nature des choix qui leur sont
proposés. Nous ne devons pas perdre de vue le fait
que les conditions sociales actuelles ainsi que les
stratégies politiques et économiques
influent sur la gamme de choix proposés aux gens,
et que ces choix peuvent fort bien différer pour
les membres des différents groupes sociaux. En
d’autres mots, la défense et la promotion de
l’autonomie exigent plus que la noningérence
dans les préférences actuelles. Elles
exigent aussi que l’on s’efforce activement de
favoriser les conditions dans lesquelles tous les
individus peuvent déterminer leurs valeurs et leurs
intérêts fondamentaux.
Ce concept de rechange, dit de l’« autonomie
relationnelle », est une approche qui
considère les individus comme
intégrés dans la société, leur
identité étant forgée dans le
contexte des relations personnelles et politiques, et
façonnée par un ensemble de facteurs sociaux
tels que le sexe, la race et la classe (Sherwin, 1998;
Mackenzie et Stoljar, 2000). Cela exige que nous
regardions au-delà de l’individu tel
qu’il est présentement constitué, et
que nous explorions les conditions sociales qui
soutiennent (ou entravent) la capacité de chaque
personne à déterminer et à poursuivre
ses propres intérêts. À ce niveau, il
semble qu’il y ait des raisons d’examiner
comment l’accessibilité même à
un certain de choix, de même que l’absence de
choix, peuvent entraver la capacité
d’autodétermination (ou d’autonomie) de
certains. Une telle interprétation de
l’autonomie exige un examen, au niveau
sociétal, des façons de promouvoir les types
de technologies qui favoriseront l’autonomie
personnelle, ainsi que des façons de restreindre
les technologies et les produits qui freinent
l’autonomie personnelle. Ce sens de
l’autonomie suscite une réflexion sur les
répercussions sociales aussi bien que
matérielles des nouvelles technologies
proposées. L’élaboration de politiques
en matière de biotechnologie qui rendent compte des
préoccupations en ce qui touche l’autonomie
relationnelle exigera que l’on porte une grande
attention à l’exigence procédurale
d’inclure les points de vue sociaux
fréquemment exclus.
Par ailleurs, même si une dimension relationnelle
vient enrichir notre compréhension de
l’autonomie, celle-ci ne constitue pas en soi une
base morale suffisante pour établir une politique
gouvernementale. Elle doit être associée
à d’autres valeurs morales pertinentes. Nous
devons être conscients, par exemple, du fait que les
intérêts des individus entrent souvent en
conflit avec ceux de la société. Une telle
analyse ressort clairement du rapport final de la
Commission royale sur les nouvelles techniques de
reproduction (Commission royale, 1992). La Commission
faisait remarquer que de nombreuses approches de
reproduction assistée représentent un
danger, celui de traiter les femmes et les enfants, sinon
certains d’entre eux, comme des marchandises. La
Commission recommandait que soit promulguée
rapidement une loi (toujours attendue) qui limiterait la
portée du choix individuel touchant certaines
techniques de reproduction en interdisant le trafic des
équipements et des services de reproduction (p.
ex., les gamètes, les embryons et les services
gestationnels). Elle sous-entendait que, sans de telles
restrictions, de nombreux individus et couples infertiles
trouveraient difficile de ne pas s’engager dans des
transactions commerciales pour faciliter leur quête
d’un enfant.
Comme nous l’avons déjà noté,
le choix que fait une personne d’utiliser certains
types de biotechnologies aura des répercussions
financières sur d’autres membres de la
société. Les gouvernements provinciaux du
Canada ont la tâche peu enviable
d’établir les priorités en ce qui a
trait à l’utilisation des maigres budgets
consacrés aux soins de santé; manifestement,
ils ne peuvent offrir toutes les ressources
demandées. L’apparition de nombreuses
nouvelles approches des soins de santé faisant
appel à des technologies spécialisées
exerce déjà une forte pression sur des
budgets de santé limités. Pourtant, comme
l’ont noté les auteurs de certains rapports
canadiens (p. ex., le Rapport Lalonde, la Charte
d’Ottawa, le rapport du Forum national sur la
santé et le récent rapport intitulé
Stratégie pour la santé des femmes de
Santé Canada), le recours aux technologies
pour faire face à la maladie ou à ses
menaces n’est que l’un des
éléments d’un programme de
santé digne de ce nom. Pour promouvoir la
santé, les gouvernements doivent aussi entreprendre
différents efforts positifs visant des facteurs
comme la sécurité environnementale, les
conditions sociales favorables (p. ex., la
sécurité économique, physique et
émotionnelle) et les changements au mode de vie (p.
ex., bien se nourrir, faire de l’exercice et ne pas
fumer). Nous devons faire attention de ne pas laisser les
préférences individuelles à
l’égard des méthodes
(bio)technologiques en matière de santé
épuiser des ressources qu’il vaut mieux
utiliser pour s’attaquer aux facteurs sociaux de la
santé. Cette remarque nous amène à
examiner l’autre valeur morale essentielle, la
justice.
-
La justice
L’autonomie, même interprétée
relationnellement, est une valeur fondée sur
l’individu. Elle attire notre attention sur le libre
choix et sur l’action individuelle et nous exhorte
à accorder un statut moral au choix individuel
éclairé. La société est
cependant composée de nombreux individus et, comme
nous le savons, leurs valeurs et leurs
intérêts ne coïncident pas toujours.
Ainsi, une analyse morale complète se doit de
trouver des moyens de réconcilier les
intérêts de tous les individus. Le concept de
justice jette la base théorique de la comparaison
entre le raisonnement moral et l’action. La justice,
comme le respect pour l’autonomie, est
considérée comme une valeur fondamentale des
États libéraux modernes. La justice, elle
aussi, est au cœur de la Constitution
canadienne et de la Charte canadienne des droits
et libertés.
Comme c’est le cas pour l’autonomie, le terme
de « justice » peut aussi donner lieu à
des interprétations aussi nombreuses que diverses,
liées à différentes perspectives
théoriques. Dans le sens le plus
élémentaire du terme, il s’agit de
traiter les individus de manière juste,
équitable et appropriée, de telle sorte que
chacun reçoive ce à quoi il a droit. Les
débats philosophiques sur la justice ont
traditionnellement distingué dans cette notion deux
différentes acceptions : la justice
rétributive et la justice distributive. La
première voit à ce que les personnes
reçoivent ce qu’elles méritent, que ce
soit le châtiment ou la récompense. Elle
comprend à la fois la justice pénale et la
justice compensatrice (le dédommagement des
personnes traitées injustement). Cette forme de
justice n’est pas très répandue dans
le contexte d’une politique en matière de
biotechnologie. Elle pourrait jouer un rôle dans
l’établissement de mécanismes
pénalisant les fabricants et distributeurs de
produits qui causent des dommages aux personnes et
à l’environnement. De telles questions sont
mieux réglées devant les tribunaux.
D’un point de vue moral, il suffit de noter
l’importance de donner accès à la
contestation judiciaire et d’apporter une assistance
financière raisonnable en cas de dommages
causés par les nouvelles technologies.
La plupart des débats sur la justice et les
politiques en matière de biotechnologie font appel
à la notion de justice distributive (p. ex., Fleck,
1998; Karjaleinen, 1995; Lappé, 1994). La justice
distributive voit à assurer une distribution
équitable des bénéfices et des
charges incombant à un groupe donné (ce
pourrait être une famille, une collectivité
ou un pays entier). Les questions de justice distributive
se posent généralement en cas de
pénurie ou de compétition. La plupart des
théoriciens accréditent le principe formel
d’Aristote concernant la justice, lequel exige que
nous traitions les cas semblables de la même
façon et les cas dissemblables de façon
différente. La tâche consiste à
déterminer ce qui constitue le critère
moralement pertinent du traitement semblable ou
différent. En d’autres mots, pour
répondre à la question substantielle de la
justice distributive, il faut que nous déterminions
ce qu’est le principe véritable de la
répartition des bénéfices (ou des
charges) en cause. Les Canadiens, par exemple, estiment
généralement que le principe «
à chacun selon ses besoins » convient
à la répartition des avantages liés
aux soins de santé; mais la plupart d’entre
eux préfèrent le principe « à
chacun selon son mérite » pour la
distribution des emplois et salaires recherchés;
enfin, ils préfèrent le principe «
à chacun selon ses moyens financiers »
lorsqu’il s’agit d’avoir accès
à des produits de luxe. On se réfère
à des principes utiles pour répartir les
charges : « on exige de chacun une part égale
», « on exige de chacun une part
proportionnelle à sa capacité » et
« on exige de chacun une part selon l’usage
qu’il fait ». Le choix pertinent, encore une
fois, varie selon la nature des charges (par exemple, et
respectivement, le service militaire, l’impôt
progressif et les frais d’utilisation).
Les biotechnologies soulèvent d’importants
problèmes de justice distributive. C’est
pourquoi les nombreux auteurs qui se préoccupent
des problèmes éthiques liés aux
biotechnologies, notamment dans le secteur des soins de
santé, mettent l’accent sur les questions de
justice distributive (p. ex., Caulfied, 1998;
O’Mathúna, 1999; Peters, 1998; Steel et
coll., 1999). De façon générale, ils
se demandent qui doit payer pour ces nouveaux services
coûteux et quels en seront les
bénéficiaires. Voilà des questions
essentielles sur lesquelles il faut se pencher avant
d’offrir davantage de tests génétiques
sur le marché canadien. Pour chaque nouveau test
génétique, chaque gouvernement provincial et
territorial devra prendre une décision : est-il
moralement tenu, dans le cadre de son budget
déjà limité, d’absorber les
coûts de tel ou tel test? Chaque gouvernement doit
décider si le dépistage
génétique pour détecter une
prédisposition à des maladies qui
apparaissent tardivement doit être
considéré comme un besoin médical
couvert par la règle de l’universalité
de la Loi canadienne sur la santé. La
solution de rechange consiste à considérer
ces tests comme facultatifs et à les offrir suivant
la formule de rémunération à
l’acte, comme c’est le cas pour une chambre
privée à l’hôpital, la chirurgie
dentaire et certains types de chirurgie oculaire28.
Si les provinces jugent que le dépistage
génétique est médicalement
nécessaire pour certains patients, son coût
se répercutera sur les autres services actuellement
couverts. Non seulement l’administration des tests
eux-mêmes a-t-elle un coût, mais, comme on
l’a mentionné ci-dessus, ils
requièrent aussi beaucoup de counseling si
l’on veut que les résultats soient
significatifs pour les patients. Les patients dont les
résultats sont positifs auront probablement droit
à un suivi médical. Si, par exemple, les
tests de détection du gène BRCA1 sont
positifs chez une patiente, celle-ci peut opter pour une
mastectomie bilatérale et une ablation des ovaires
comme mesures prophylactiques et, de plus, prendre des
médicaments onéreux à titre
préventif. Si les provinces déclarent que
les tests ne sont pas médicalement
nécessaires et qu’elles refusent
d’absorber le coût des soins donnés
à toutes les patientes admissibles, alors, à
moins que les tests soient déclarés
illégaux au Canada, ils ne seront accessibles
qu’aux personnes qui peuvent se les payer.
Si les tests ont vraiment une valeur médicale,
cette décision serait injuste et probablement
illégale. S’ils n’ont pas une valeur
médicale élevée, ils ne devraient
être offerts à personne, surtout pas à
ceux et celles qui sont terrifiés à
l’idée de contracter une maladie grave qui
est répandue dans leur famille.
Les questions liées à la justice
distributive en matière de santé doivent
aborder les problèmes des macromesures et des
micromesures budgétaires. Cela signifie
qu’elles doivent non seulement fournir des
orientations sur les façons de répartir les
ressources en santé entre de grandes
catégories comme les mesures préventives,
les diagnostics, les soins de courte durée et les
soins chroniques, mais aussi déterminer quels
malades devraient avoir accès à certains
soins particuliers (comme la pose d’une
prothèse de la hanche) et à quelles
conditions. De plus en plus, les fonds de la recherche en
santé proviennent de sources privées
(conjointement avec des fonds publics ou non).
Étant donné que les investissements
privés ne sont effectués que dans
l’espoir qu’il en résulte
d’éventuels profits, et qu’on ne peut
prévoir des profits futurs que s’il existe
des produits et services commercialisables à
vendre, la recherche en santé ne peut que
s’intéresser aux approches technologiques.
Les innovations en matière de santé qui
dépendent de changements sociaux tels que la
protection de l’environnement,
l’amélioration des conditions sociales, une
meilleure sécurité pour les personnes
menacées de violence familiale, les mesures de
santé publique (la salubrité de l’eau
potable par exemple), l’éducation à la
santé et des services de santé mentale
efficaces n’ont pas l’habitude
d’être rentables. Si les budgets de la
santé doivent surtout servir à
développer des innovations biotechnologiques
coûteuses, il y aura probablement moins
d’argent disponible pour mener à bien des
mesures de santé publique éprouvées
comme celles mentionnées. Manifestement,
d’importantes questions relatives à la
justice distributive doivent être abordées en
ce qui a trait à l’organisation la recherche
en santé et à l’adoption de nouvelles
biotechnologies dans le domaine des soins de santé.
Dans le domaine de la biotechnologie agricole, les
questions de justice distributive ont trait aux
répercussions du brevetage des semences et des
animaux traditionnels et génétiquement
modifiés, de sorte que l’accès
devienne plus coûteux et soit limité pour les
pauvres. La concentration des intérêts
économiques entre les mains d’un petit nombre
de multinationales contrôlant la distribution des
semences, la fabrication des produits chimiques
nécessaires à la croissance des grains,
ainsi que les marchés de la distribution des
récoltes pourrait résulter en des charges
démesurées pour les consommateurs par
rapport aux profits des producteurs (RAFI,
novembre-décembre 2000). Si les coûts des
innovations agricoles issues de la biotechnologie sont
assurés en grande partie par ceux qui ont peine
à survivre, alors les questions de justice
deviennent particulièrement graves.
Aussi importantes que soient les questions de justice
distributive, un cadre en matière de justice qui se
limite aux problèmes liés à la
distribution équitable est insuffisant pour
intégrer toutes les préoccupations
pertinentes touchant la justice dans le domaine de la
biotechnologique. Iris Marion Young (1990) a montré
que le paradigme de la distributivité eu
égard à la justice tend à exclure,
à tort, les questions de justice sociale, notamment
celles qui concernent « l’élimination
de la domination et de l’oppression
institutionnalisées » (Young, 1990, p. 15).
En mettant l’accent sur la justice distributive,
nous portons attention à l’affectation des
biens et des ressources, et nous pouvons ne tenir aucun
compte des structures sociales et institutionnelles qui
influent sur les mécanismes de distribution.
L’attention portée à la justice
sociale nous force à passer des questions de
distribution, où les individus sont
considérés « d’abord comme des
possesseurs et des consommateurs de biens, à un
contexte plus large qui inclut aussi l’action, les
décisions d’agir et les moyens mis à
disposition pour améliorer les capacités et
les mettre à profit » (Young, 1990, p. 16).
Les biens sociaux, notamment les droits, les occasions
d’avenir, le pouvoir et la dignité
personnelle, ne peuvent être abordés de
manière appropriée dans un cadre
conçu pour régir la distribution des biens
matériels. La justice sociale exige que nous
réfléchissions à la distribution
injuste qui est faite de ces types de biens sociaux dans
une société rongée par le sexisme, le
racisme et autres formes de répression. Elle nous
force à réfléchir aux moyens
d’être plus équitables en ce qui
concerne ces avantages moins tangibles, lesquels ne
peuvent être partagés sous forme
d’unités de valeur avec des individus
particuliers, comme on le fait d’une quantité
de biens matériels.
Pour comprendre les problèmes associés
à la justice sociale, nous devons élaborer
une compréhension relationnelle de la justice qui
soit en parallèle avec la conception relationnelle
de l’autonomie dont il a été question
ci-dessus29. Dans ce
cas-ci, également, nous devons abandonner un point
de vue naïf voulant que les individus soient
distincts et indépendants et qu’ils ne soient
pas touchés par leurs relations avec les autres.
Les individus ne sont pas des entités abstraites
interchangeables touchés de manière
comparable par chaque politique. Au lieu de cela, ils sont
socialement situés dans des circonstances
historiques particulières, façonnés
par leurs relations sociales et politiques complexes. Ils
appartiennent à toute une gamme de groupes sociaux,
et ces groupes se trouvent dans des relations de pouvoir
complexes – notamment des relations
d’oppression et de domination – les uns par
rapport aux autres. Pour saisir le sens de ce
phénomène, nous devons jeter un coup
d’œil sur ce qu’ont été
les mécanismes et les processus de distribution au
fil du temps. Pour promouvoir la justice auprès des
gens, nous avons besoin de recenser les manières
dont les structures institutionnelles désavantagent
certains groupes et en avantagent d’autres.
L’attention que nous portons à la justice
sociale nous conduit à soulever des questions sur
la politique en matière de biotechnologie qui
diffèrent des questions que pose la justice
distributive. Aux questions de paiement et
d’accès à l’ordre du jour, on
ajoute celles qui se rapportent aux moyens de promouvoir
une plus grande égalité eu égard au
respect, au statut et à l’influence des
individus dans la société. Cela exige que
nous examinions les obstacles structurels et
l’influence probable des innovations
proposées sur ces caractéristiques. Du point
de vue de la justice sociale, il n’est plus
suffisant de se demander si un tel désire un
produit donné et peut se permettre de
l’acheter. Nous devons aussi nous demander comment
la disponibilité du produit ou du service pourra
toucher d’autres personnes, notamment les membres
des groupes opprimés. Nous devons prendre
très au sérieux, par exemple, la
manière dont l’apparition de solutions
technologiques aux problèmes de santé peut
favoriser les intérêts des individus
privilégiés qui peuvent se permettre de
telles innovations, mais désavantager les pauvres.
Ces derniers font face au double problème
d’être incapables d’avoir accès
à ces produits et, en même temps, de perdre
tout accès aux besoins sanitaires de base
(nutritionnels par exemple), alors que les ressources
publiques limitées sont réallouées
afin de fournir l’infrastructure requise aux
méthodes technologiques coûteuses. En
conséquence, le cadre de justice sociale recommande
que nous fassions davantage que de nous assurer que les
pauvres aussi bien que les riches ont accès au
dépistage génétique; il exige que
nous nous occupions des causes sociales aussi bien que
génétiques de la maladie.
La recherche d’aliments génétiquement
modifiés recèle un grand espoir, celui de
bénéficier aux gens affamés comme aux
gens prospères. Il y des raisons de craindre que,
sans eux, la Terre ne puisse produire suffisamment de
denrées alimentaires traditionnelles pour nourrir
la population qui croît sans cesse. Les aliments
génétiquement modifiés laissent
espérer que l’on fera un usage plus efficient
des approvisionnements en eau fraîche et en terre
arable qui vont diminuer. Toutefois, comme nous
l’avons vu, à moins que l’on se
préoccupe de justice sociale, nous courons le
risque de concentrer le pouvoir entre les mains de ceux
qui produisent les technologies nécessaires et
d’accroître la dépendance de ceux et
celles qui sont sans ressources (Tangwa, 1999). Aucune
politique nationale en matière de biotechnologie ne
peut combler l’écart énorme entre les
riches et les pauvres du monde, mais il est possible de
demander que l’on se mette en quête de
nouvelles innovations dans les domaines qui donneront plus
de pouvoir aux plus désavantagés. Ainsi, il
est possible de s’assurer que les petits
cultivateurs ne seront pas contraints d’utiliser
uniquement les semences qui ne pousseront que si on
emploie de l’engrais et des herbicides dispendieux.
Le Canada a besoin d’une politique en matière
de biotechnologie qui soit ouverte et sensible aux
questions de la justice sociale aussi bien que de la
justice distributive.
-
Les responsabilités
Il est très évident que la nouvelle biotechnologie
soulèvera des défis moraux difficiles. Les
individus ne peuvent maîtriser les conditions sociales et
matérielles sur lesquelles reposent les options qui se
présentent à eux. De plus, de nombreuses
conditions préalables à l’autonomie et
à la justice sociale ne peuvent être satisfaites
que grâce à l’action politique. Il est par
conséquent essentiel que les gouvernements assument la
responsabilité de réglementer et de gérer
ces puissantes technologies dans l’intérêt de
leurs citoyens.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les citoyens
s’attendent à ce que leurs gouvernements
protègent l’intérêt commun aussi bien
que l’intérêt public et en assument la
promotion en arbitrant de manière équitable les
conflits d’intérêts. Ils s’attendent
également à organiser et à faciliter les
intérêts communs dont bénéficient la
plupart des citoyens et qui ne violent les droits de qui que ce
soit. Évidemment, ce sont là des
responsabilités essentielles pour les gouvernements. Le
gouvernement est l’agent responsable de la création
et du maintien des institutions nécessaires pour assurer
la poursuite de ces différents types
d’intérêt. Il est donc chargé
d’assumer un rôle de chef de file en
s’assurant que l’intérêt commun et les
biens communs sont respectés, et que
l’intérêt public, qui consiste à
résoudre les conflits d’intérêts
d’une manière juste et équitable, est
protégé.
Pour connaître les meilleurs moyens de parvenir à
ces résultats, le gouvernement doit stimuler le dialogue
sur les valeurs pertinentes qui doivent faire partie des
politiques d’orientation. C’était là
bien sûr, en ce qui concerne le Canada, l’intention
déclarée des documents de consultation. Les
efforts pour obtenir les commentaires étaient cependant
trop rigoureusement orientés et trop portés vers
l’industrie. Les conversations consistaient en de
brèves discussions en table ronde fondées sur des
renseignements à caractère unilatéral. De
plus, le gouvernement a pris une décision inacceptable en
mettant sur un pied d’égalité les citoyens
concernés et les autres « intervenants »
– c’est-à-dire qu’il a tout simplement
traité ces citoyens comme une autre voix à la
recherche de son avantage personnel, au sein d’une
assemblée de lobbyistes. Une meilleure approche
consisterait à fournir aux citoyens
intéressés l’occasion de s’informer
sur la nature complexe et obscure de ces technologies afin de
leur permettre d’aborder sérieusement les enjeux.
Les stratégies comme la création de tribunes pour
les citoyens promettent davantage de colliger les valeurs des
Canadiens que les ateliers rassemblant, sur invitation, des
intervenants particuliers (Koshland, 1996; Gaskell et coll.,
2000; Loka, 1999; Masood, 1999; Priest, 2000).
Le Comité consultatif canadien de la biotechnologie
(CCCB) a été établi pour informer les
Canadiens et susciter des débats sur les
conséquences morales et sociales entourant ces nouvelles
technologies. Pour réaliser son mandat, le Comité
doit être clair quant aux critères éthiques
que doit respecter toute politique en matière de
biotechnologie. Il doit par exemple déterminer sa
position par rapport au principe de précaution largement
suivi. Il doit également établir des directives
morales claires en ce qui concerne ces valeurs importantes que
sont l’autonomie et la justice. De plus, le Comité
doit élaborer des procédures moralement
défendables pour s’assurer qu’il tient compte
de toutes les options morales pertinentes et qu’il est
capable de donner la parole aux groupes vulnérables qui
pourraient ne pas participer aux importants forums
stratégiques. À cette fin, il faut que, dans ses
pratiques, le CCCB ait l’esprit ouvert, qu’il
n’exclue personne et soit à l’écoute,
ceci afin d’obtenir la confiance des citoyens
intéressés représentant des points de vue
actuellement ignorés, et qui ne participent pas
directement à l’élaboration des politiques.
Du reste, dès qu’il « découvre »
les valeurs nationales sur les sujets en question, le
gouvernement est tenu de donner force de loi à des
politiques appropriées, éclairées par ces
réflexions et ces dialogues. Il devra promulguer et
appliquer les lois qui témoignent des
intérêts et des valeurs de ses citoyens, notamment
les couches les plus vulnérables de la population. De
cette façon, il est essentiel de clarifier les relations
entre le CCCB et les décideurs du gouvernement. Les
Canadiens veulent s’assurer qu’une fois que le CCCB
aura recueilli leurs points de vue, leurs idées sauront
influer sur l’établissement d’une politique
nationale et que leur message ne se perdra pas au cours des
différents mandats des ministres responsables.
Il y a bien sûr une limite à ce que n’importe
quel gouvernement national peut accomplir dans le domaine de la
biotechnologie. Les industries concernées transcendent
les frontières nationales; la plupart d’entre elles
évoluent sur le marché mondial et non pas
national. Les producteurs refusent la réglementation
nationale sous prétexte que les restrictions locales
créeraient un désavantage économique
injuste à leur endroit au sein d’un marché
mondial compétitif. Ils menacent de
déménager leur production dans un autre pays si
l’on fait fi de leurs intérêts. En même
temps, les consommateurs recourent à Internet pour faire
leurs achats à l’étranger, mettant les
gouvernements dans l’impossibilité
d’interdire l’accès à quelque produit
que ce soit, pourvu qu’il soit sur le marché.
De même que les individus ne peuvent devenir autonomes en
s’isolant des activités de leurs concitoyens, de
même les nations ne peuvent établir de
stratégies industrielles en s’isolant des
politiques des autres pays. Aucun pays ne peut se donner une
stratégie industrielle qui diffère trop des
stratégies de ses voisins. Nos leaders politiques doivent
se déplacer au-delà de nos frontières et
faire pression sur la scène internationale en faveur
d’une réglementation internationale qui favorisera
des utilisations sécuritaires et salubres de la
biotechnologie, tout en interdisant le développement de
ses formes dangereuses. Les Canadiens s’attendent à
ce que leur gouvernement exerce un leadership au sein
d’organismes internationaux comme les Nations Unies (y
compris l’Organisation des Nations Unies pour
l’éducation, la science et la culture [UNESCO]),
l’Organisation mondiale de la santé, la Banque
mondiale, le CODEX et l’Organisation mondiale du commerce,
en ce qui a trait à la réglementation pertinente
en matière de biotechnologie30.
Les citoyens ont aussi une responsabilité. Bien
qu’aucun de nous ne puisse, de lui-même,
élaborer une politique en matière de
biotechnologie, nous ne pouvons pas nous permettre de ne rien
faire et d’attendre que notre gouvernement agisse de
façon responsable dans le domaine de la biotechnologie.
Au Canada, les programmes, contradictoires, des nombreux
ministères responsables de l’établissement
d’une stratégie nationale en matière de
biotechnologie sont massivement favorables à ceux dont la
mission est de promouvoir, et non pas de restreindre,
l’industrie. En tant que citoyens, les Canadiens doivent
s’informer eux-mêmes tant sur les risques que sur
les avantages des diverses biotechnologies. Individuellement et
collectivement, nous devons manifester clairement notre
désir de politiques qui reflètent des valeurs
morales aussi bien qu’économiques.
-
Conclusions
La biotechnologie présente de nombreux défis
moraux de taille. Certains sont des variantes de
problèmes traditionnels (les dommages causés par
les pratiques agricoles à l’environnement, par
exemple). D’autres sont nouveaux (la difficulté qui
consiste à assurer un suivi des restrictions alimentaires
tout au long du processus de transformation transgénique
des produits alimentaires, par exemple31). La plupart de ces défis
doivent être recensés et abordés par les
consommateurs et les producteurs. Mais nombreux sont ceux qui ne
peuvent être réglés au moyen d’actions
individuelles. Une action collective est nécessaire si
les Canadiens veulent réussir à recenser les
défis moraux que pose la biotechnologie et à les
relever. C’est la responsabilité du gouvernement
d’assurer le leadership dont on a besoin pour mener cette
évaluation et cette action morales.
La présente étude vise à mettre en
lumière certains défis moraux que pose la
biotechnologie en ciblant deux types de technologies : le
dépistage génétique pour détecter la
prédisposition à des maladies
particulières, et la production d’aliments
génétiquement modifiés.
L’étude fait un rapide survol de certains des
avantages et des risques complexes associés à
chacun de ces types de biotechnologie, mentionnant au passage
que, souvent, les avantages reviennent à des personnes
différentes de celles qui assument les risques
technologiques. Elle présente enfin certains des
éléments essentiels d’un cadre
éthique que l’on peut utiliser pour recenser et
résoudre les nombreuses questions morales que posent les
diverses formes que prend la biotechnologie.
L’étude examine l’obligation morale
particulière du gouvernement de défendre et de
promouvoir l’intérêt public défini
comme étant la protection des droits individuels et
l’élaboration de procédures
équitables pour résoudre les conflits. Elle se
penche aussi sur les notions connexes
d’intérêt commun et de bien collectif. Ces
trois concepts mis ensemble soulignent de façon
éclatante l’importance de l’action
gouvernementale en matière de réglementation des
biotechnologies. Ils équivalent à un
impératif moral voulant que soient mis en place des
principes et des procédures (comme
l’éclaircissement du principe de précaution)
qui protégeront les Canadiens (et les autres individus)
contre les dommages causés par la biotechnologie, tout en
favorisant l’accès à ses avantages.
L’étude examine ensuite deux éléments
clés du cadre éthique proposé, auxquels on
aura recours pour élaborer une politique gouvernementale
réglementant la biotechnologie :
-
Élaboration d’approches procédurales pour
les débats en matière éthique. Ces
approches nécessitent de véritables
consultations publiques et des débats ouverts,
auxquels participent une grande diversité de
Canadiens, notamment des citoyens de la base, des
intervenants, des représentants d’ONG et des
représentants des groupes économiquement
faibles qui pourraient être particulièrement
touchés par la technologie en question.
-
Élaboration de deux concepts (autonomie et justice)
qui doivent jouer un rôle de premier plan dans toute
recherche éthique en matière de biotechnologie.
On examine les interprétations traditionnelles
données à ces deux concepts (respect du choix
individuel et distribution équitable des charges et
des avantages). On présente ensuite une autre
interprétation, dite relationnelle, pour chacun des
concepts; on recommande l’utilisation de celle nouvelle
interprétation dans l’élaboration
d’une politique en matière de biotechnologie.
Selon l’étude, la politique en matière de
biotechnologie doit être respectueuse de ces deux valeurs
– l’autonomie et la justice –, qu’elles
sont interprétées relationnellement ou
traditionnellement.
Enfin, l’étude tire certaines conclusions morales
particulières concernant les différentes
responsabilités du gouvernement canadien, du CCCB et des
citoyens considérés individuellement, dans la mise
en place d’une politique nationale moralement
adéquate en matière de biotechnologie. Ces
recommandations servent à illustrer le propos et
n’ont rien d’exhaustif. L’étude
n’entend pas rendre compte de toutes les
considérations et stratégies morales essentielles
à l’établissement d’une politique
nationale en matière de biotechnologie. Son objectif est
plus modeste. Il s’agit de proposer des
éléments clés, sur lesquels on jette de la
lumière, qui constituent des composantes essentielles
d’un cadre moralement adéquat pour
l’établissement et l’adoption d’une
stratégie nationale en matière de biotechnologie.
-
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Kong, 1996, p. 85-107.
-
1 Avec l’aide de Patrycja
Maksalon.
-
2 Par ailleurs, en vertu de la politique gouvernementale
du Canada, certains domaines de la biotechnologie sont suffisamment
distincts pour nécessiter leur propre analyse d’ordre
éthique. Par exemple, les technologies de reproduction
humaine et de manipulation génétique ont fait
l’objet d’une étude par une commission royale et
un comité consultatif auprès du sous-ministre de la
Santé a été créé.La recherche en
biotechnologie impliquant des humains (ou des animaux) a
été principalement abordée dans les
procédures régissant tous les types de recherches sur
les humains (ou les animaux).
-
3 Même si ces documents ont été
élaborés dans le but précis d’amorcer un
débat public à un moment donné, ils
n’ont pas encore été remplacés par les
documents révisés en profondeur qui reflètent
les résultats des consultations publiques. Il existe un seul
document sommaire préparé immédiatement
après les consultations publiques (SCB, 1998b). Ce document
de suivi présente des propositions de politique presque
identiques tout en abordant moins de questions de manière
moins approfondie que la série antérieure de
documents de consultation. Par ailleurs, sa distribution a
été très limitée. Je me fierai donc
principalement aux documents de consultation mieux connus (SCB,
1998a) qui expriment de la façon la plus complète
à ce jour les connaissances et les attitudes du gouvernement
canadien à l’égard de la biotechnologie.
-
4 On retrouve la même formulation dans le document
produit en réponse au processus de consultation publique
(SCB, 1998b, p. 2).
-
5 Comme le montre Reiss en 1998, la plupart des ouvrages
adoptent cette pratique qui consiste à limiter le terme
« biotechnologie » aux nouvelles technologies
génétiques.
-
6 Par exemple, l’énoncé de la
Stratégie canadienne en matière de biotechnologie de
1998 (SCB, 1998b) indique simplement que « tous les
Canadiens, qu’ils soient producteurs ou consommateurs et en
incluant les habitants des petites collectivités et des
régions rurales de tout le pays, tireront avantage de cette
nouvelle transformation. » (p. 2). Elle passe
carrément sous silence les dommages que pourrait
créer cette technologie.
-
7 Selon une étude récente menée en
Europe, le fait de prescrire le tomoxifène aux femmes qui
n’ont pas encore le cancer du sein mais qui sont
considérées comme étant à risque les
expose à un risque élevé inacceptable de
cancer de l’endomètre (Bergman et coll., 2000).
-
8 Par ailleurs, il est possible que les résultats
soient inexacts et que de faux résultats négatifs ou
positifs donnent lieu à des conclusions inadéquates
et à la prise de mesures erronées. Voir Collins,
1996; Eccles, 2000; Inglehart et coll., 1998.
-
9 La complexité de l’activité et de
l’interaction des gènes est bien connue en sciences
mais son importance a tendance à être minimisée
dans les promesses publiques concernant les fruits de la recherche
génétique. Voir, par exemple, Dover et Flavell, 1982;
Ho, 1987; Miller, 1997; Pollard, 1988.
-
10 Voir, par exemple, le rapport publié
l’an dernier par Santé Canada et intitulé
Stratégie pour la santé des femmes de
Santé Canada (1999).
-
11 De nombreux spécialistes insistent sur le fait
que ces risques sont faibles, mais peu d’entre eux affirment
que la biotechnologie ne présente aucun risque important.
(Pour une explication plus détaillée de cette
question et d’autres préoccupations du public
concernant la biotechnologie agricole, voir Thompson, 2000.)
-
12 Voir RAFI (novembre-décembre 2000) pour un
exposé de ce point de vue.
-
13 Devant les fortes pressions du public, les
responsables de deux géants génétiques, Zeneca
et Monsanto, ont promis publiquement de ne pas procéder au
développement commercial de cette technologie (Lettre
ouverte du P.D.G. de Monsanto, Robert B. Shapiro, à Gordon
Conway, président de la Fondation Rockefeller, et à
d’autres, le 4 octobre 1999). Sur Internet : (http://www.monsanto.com/monsanto/gurt/default.htm).
Lettre de. D.A. Evans, directeur de la
recherchedéveloppement de Zeneca Agrochemicals, à
Richard Jefferson, CAMBIA, Australie, datée du 24
février 1999, publiée dans UNEP/CBD/SBSTTA/4/Inf.3
Supplementary information to UNEP/CBD/SBSTTA/4/9/Rev.1, «
Consequences of the Use of the New Technology for the Control of
Plant Gene Expression for the Conservation and Sustainable Use of
Biological Diversity », 18 mai 1999, Shapiro, 1999.
Néanmoins, malgré l’opposition du public, des
gouvernements nationaux et des Nations Unies, près de 40
brevets ont été délivrés dans ce
domaine et la mise à l’essai de ce type de technologie
se poursuit. Harry Collins, vice-président de la principale
entreprise en cause (Delta and Pine Land Seed Company) a
annoncé que l’entreprise n’avait jamais vraiment
ralenti, qu’elle n’avait pas de retard et qu’elle
allait de l’avant en vue de la commercialisation. «
Nous n’avons jamais vraiment tiré notre épingle
du jeu. » (RAFI, mars-avril 2000).
-
14 L’éthique des soins nous oblige à
étudier les répercussions de nos politiques sur la
satisfaction des besoins humains et la promotion de saines
relations interpersonnelles auprès des gens.
L’éthique féministe nous oblige à
établir des politiques qui réduiront au lieu
d’intensifier les effets des formes existantes
d’oppression systématique dans la
société.
-
15 L’un des objectifs exprimés est de
« conférer au Canada une position de chef de file
mondial moralement et socialement responsable en matière
d’élaboration, de commercialisation, de vente et
d’utilisation des produits et services de la biotechnologie
». (SCB, 1998b, p. 9).
-
16 On peut cependant facilement imaginer que
l’intérêt à court terme de certaines
personnes à l’égard d’un accès
libre au marché en tant que producteurs ou consommateurs
éventuels de produits particuliers pourrait entraver leur
capacité de reconnaître les avantages que leur
procurerait un tel système.
-
17 On trouve dans Pollara et Earnscliffe (2000) la
preuve que les Canadiens attendent une telle gestion de la part de
leur gouvernement. Les auteurs concluent qu’il existe une
présomption générale selon laquelle
quelqu’un, quelque part, est chargé de surveiller et
de réglementer la salubrité des aliments et que la
plupart des Canadiens réorganiseraient
l’activité du gouvernement pour l’assortir
d’un double objectif : limiter ou réglementer les
pratiques afin de minimiser les risques, et promouvoir le
développement de façon à maximiser les
avantages.
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18 À l’annexe A intitulée «
Les 10 thèmes clés du plan d’action de la SCB
» (SCB, 1998b), les points 2, 4, 5, 6, 8 et 10 sont
clairement axés sur les efforts visant à promouvoir
le bien-être tandis que le point 3 et certains aspects des
points 1 et 7 semblent être axés principalement sur la
protection contre ces dommages.
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19 D. Vanderzwaag (1999) a relevé 14 formulations
différentes dans des traités et d’autres
déclarations.
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20 Voir Winfield, 1996.
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21 En réalité, la position
théorique particulière en matière
éthique que représente l’éthique de la
communication peut être interprétée comme
étant avant tout rattachée aux stratégies
procédurales. Voir Benhabib et Dallmayr, 1990.
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22 Pour obtenir des exemples de considérations
morales mondiales, voir Marteau et Biesecker, 1999; Sagar et coll.,
2000; Tangwa, 1999.
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23 Ces personnes, par exemple, pourraient se voir
refuser une assurance-maladie ou une assurance-vie si elles
refusent de subir le test en question.
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24 Ceux qui, par exemple, ont une proche parente
atteinte d’un cancer du sein auront une optique
différente quant à l’opportunité
d’introduire des tests nationaux pour détecter les
gènes BRCA1 ou BRCA2 de ceux qui sont
préoccupés par les suites qu’entraînent
ces tests sur l’attitude du public face à la “
généticisation ” et aux budgets de soins de
santé existants.
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25 On trouvera sur le site de la Rural Advancement
Foundation International (http://www.etcgroup.org/) des
détails sur la controverse entourant le brevetage du riz
basmati.
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26 Ce consensus a trouvé son expression la plus
fameuse, au Canada, lorsque le premier ministre Trudeau a fait
adopter des amendements majeurs aux dispositions du Code
criminel en 1969, amendements qui se voulaient un
avertissement : l’État n’a pas à
s’occuper des chambres à coucher du pays.
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27 Les lois fédérales pour interdire la
publicité directement destinée aux consommateurs
concernant les médicaments délivrés sur
ordonnance invoquent un motif majeur, soit des preuves selon
lesquelles une telle publicité, dans presque tous les cas,
induit le public en erreur, lui donnant une fausse idée des
avantages et des risques associés aux médicaments en
question.
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28 Dans certains cas, les services médicaux
reconnus comme étant nécessaires, comme certains
types de chimiothérapie, ne sont tout simplement offerts
à personne plutôt que de les mettre à la
portée de ceux qui ont les moyens de les payer moyennant des
frais.
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29 La dimension relationnelle de
l’égalité et son rapport avec la théorie
de la justice sont expliqués en détail par Christine
Koggel (1998).
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30 Le document produit à la suite des
consultations énonce clairement l’engagement du
gouvernement canadien à travailler de concert avec ces
organismes internationaux (SCB, 1998b, p. 6).
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31 Ainsi, certaines personnes qui évitent de
consommer des produits d’origine animale pour des motifs
d’ordre spirituel ou des raisons de santé peuvent
être mal à l’aise à l’idée
de manger des légumes qui ont été
modifiés pour résister au gel grâce à
l’incorporation d’un gêne résistant au
froid provenant du pingouin ou de l’omble de
l’Arctique.
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