Contexte législatif : aide médicale à mourir (projet de loi C-14, tel que sanctionné le 17 juin 2016)

Partie 3 – Analogie avec la loi du Québec

L’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 52, Loi concernant les soins de fin de vie le 5 juin 2014. La Loi est entrée en vigueur 18 mois plus tard, le 10 décembre 2015. Cette loi était le fruit d’un grand nombre d’études, de consultations et de délibérations qui ont commencé par la création de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité à la fin de 2009. Le travail de la Commission s’est échelonné sur deux ans pendant lesquels elle a :

  • entendu 32 experts (février/mars 2010);
  • publié un document de consultation publique en mai 2010 (6 558 réponses et 273 mémoires ont été reçus entre mai 2010 et juillet 2011);
  • tenu des audiences publiques (239 personnes et groupes ont été entendus pendant 29 jours d’audiences dans 8 villes entre septembre 2010 et mars 2011);
  • procédé à 21 rencontres avec des experts en Europe (en juin 2011); et,
  • tenu 51 séances de travail qui ont alimenté ses délibérations (de juin 2011 à mars 2012).Note de bas de la page 51

La Commission a déposé son rapport en mars 2012, et a recommandé une nouvelle forme de soins appelée « aide médicale à mourir » devant « se situer à l’intérieur d’un continuum de soins de fins de vie »Note de bas de la page 52. La Commission a aussi décrit des critères précis qui devraient être respectés, et recommandé des critères « clairs et précis afin d’en faciliter l’évaluation, mais toutefois suffisamment généraux pour permettre au médecin de recourir à son jugement professionnel dans chaque cas »Note de bas de la page 53.

Tout particulièrement, en plus des critères exigeant que le patient soit « en fin de vie » et éprouve des souffrances insupportables, la Commission a recommandé que la « situation médicale [du patient] se caractérise par un déclin avancé de ses capacités, sans aucune perspective d’amélioration ». La juge Smith de la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui a présidé l’affaire Carter en première instance a expressément adopté ce critère, faisant état du rapport de la Commission spéciale, lorsqu’elle a conclu que [Traduction] « le terme “personne atteinte d’une maladie grave et irrémédiableˮ devrait s’appliquer uniquement aux personnes dont la situation médicale se caractérise par un déclin avancé de leurs capacités, sans perspective d’améliorationNote de bas de la page 54 ». Les recommandations de la Commission spéciale ont finalement été adoptées dans le projet de loi 52, qui a été déposé à l’Assemblée nationale en juin 2013, et adopté en juin 2014.

En général, les critères d’admissibilité dans le Code criminel sont semblables à ceux de la Loi concernant les soins de vie du Québec.Note de bas de la page 55 D’une part, le texte législatif en matière de droit pénal a pour but d’être plus général en ce qui a trait au lien temporel entre le problème de santé de la personne et le moment prévu de sa mort. La loi du Québec exige que le patient soit « en fin de vie », alors que le texte législatif en matière criminelle prévoit que « la mort […] est devenue raisonnablement prévisible », ce qui est un concept légal plus commun, et peut-être un critère plus flexible en ce qu’il ne requiert pas de pronostic précis quant à l’espérance de vie de la personne. D’autre part, la loi du Québec n’exige pas expressément que le problème de santé de la personne lui cause des souffrances insupportables, alors que le projet de loi C-14 l’exige. Il faut également signaler que les modifications au Code criminel permettent ce que l’on appelle communément l’aide au suicide et l’euthanasie volontaire, alors que la loi du Québec ne permet seulement que cette dernière.

Partie 4 – Énoncé des répercussions possibles liées à la Charte

La ministre de la Justice a examiné le projet de loi afin de déterminer sa conformité au regard de la Constitution, incluant au regard de la Charte au terme de ses obligations prévues à l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. L’examen effectué a pris en considération, entre autres, les objectifs et caractéristiques du projet de loi tels que décrits ci-haut dans la Partie 1; la preuve fournie par les sciences sociales et les rapports législatifs, gouvernementaux et de consultations aussi décrits dans la Partie 1; la preuve liée aux approches et expériences des autres pays et États en matière d’aide médicale à mourir telle qu’énoncée dans les parties 2 et 3; et les avis et constats des tribunaux dans Carter, incluant la Cour suprême du Canada.

La liste non exhaustive ci-après des répercussions possibles sur les droits et libertés garantis par la Charte est présentée afin de contribuer aux débats publics et parlementaires, et conséquemment, afin de faciliter le dialogue entre le législateur et les tribunaux. De plus, la ministre de la Justice a déposé un addendum au présent Contexte législatif à la Chambre des communes et l’a publié sur le site Web du ministère de la Justice. La présente partie du Contexte législatif devrait donc être lue de pair avec l’addendum, qui explique la posititon du gouvernement quant à la constitutionalité du projet de loi C-14 et la justification de l’approche adoptée dans le projet de loi.

Restreindre l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est devenue raisonnablement prévisible

Le fait de restreindre l’accès seulement aux personnes dont le décès est raisonnablement prévisible est susceptible d’avoir une incidence sur les dispositions suivantes :

  • l’article 7 de la Charte, qui prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale;
  • le paragraphe 15(1) de la Charte, qui vise à protéger contre la discrimination fondée sur de nombreux motifs, y compris les déficiences physiques.

Le fait de priver des personnes éprouvant des souffrances intolérables d’une aide légale leur permettant de mettre fin à leurs jours pourrait porter atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne. Ceci pourrait avoir une incidence sur les droits que l’article 7 de la Charte garantit à ceux qui éprouvent des souffrances intolérables imputables à un problème de santé grave et incurable, mais dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible; ce qui pourrait inclure des personnes atteintes seulement d’une maladie mentale, et des personnes physiquement handicapées qui n’ont pas la capacité physique de mettre fin à leurs jours. Les personnes atteintes d’une maladie mentale ou d’un handicap n’auraient accès à l’aide médicale à mourir que si elles satisfont à tous les critères d’admissibilité.

Il pourrait également y avoir atteinte aux droits à l’égalité si la restriction de l’accès à l’aide médicale à mourir aux situations de fin de vie est considérée comme un traitement différent des personnes fondé sur leur handicap, maladie ou affection distincte. Par exemple, une personne qui souffre intolérablement d’ une maladie mais dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible serait traitée différemment, en termes d’ accès, par rapport à quelqu’un souffrant intolérablement d’une autre maladie faisant en sorte que sa mort est raisonnablement prévisible. La restriction pourrait également être considérée comme un traitement différent à l’égard d’une personne dont le handicap fait en sorte qu’il lui est impossible de se donner la mort sans assistance, par rapport à celle qui en est capable sans que le droit pénal y fasse obstacle.

Justification :Le fait de restreindre l’aide médicale à mourir seulement aux personnes dont la mort est raisonnablement prévisible permet à celles-ci d’opter pour une mort médicalement assistée paisible lorsque leur situation médicale est telle que, à leur point de vue, leur processus de mort serait autrement douloureux, troublant, effrayant et porterait atteinte à la dignité. Cette approche respecte l’autonomie pendant le processus de mort, tout en accordant la priorité au respect de la vie humaine et à l’égalité de toutes les personnes, indépendamment de leur maladie, handicap ou âge. Elle favorise également la réalisation de l’objectif de prévention du suicide, ainsi que la protection des personnes vulnérables. En reconnaissant la complexité des enjeux juridiques et sociaux associés à l’aide médicale à mourir, cette approche établit un équilibre approprié entre des droits, intérêts et valeurs opposés. Cette dernière considération s’applique également à d’autres répercussions possibles examinées ci-après.

Restreindre l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes « capables » (aucune directive anticipée)

La restriction de l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes capables écarte la possibilité qu’une personne prenne des dispositions, par directive anticipée, pour obtenir une aide médicale à mourir; ce qui pourrait porter atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que garantit l’article 7, et au droit à l’égalité prévu au paragraphe 15(1).

Il pourrait y avoir atteinte à l’article 7 parce qu’une personne aux prises avec la perspective de souffrances intolérables pourrait devoir faire face au choix de mettre fin à sa vie plus tôt qu’elle ne le voudrait (par suicide ou peut-être en demandant une aide médicale à mourir) ou risquer de perdre à jamais l’accès à l’aide médicale à mourir une fois sa capacité perdue. Il pourrait également y avoir atteinte au paragraphe 15(1) parce que la personne dont le handicap, l’affection ou la maladie lui causant des souffrances intolérables, et la privant de sa capacité de consentir, ne serait pas en mesure d’avoir accès à l’aide médicale à mourir dans les mêmes circonstances que la personne dont le handicap, l’affection ou la maladie ne la prive pas de cette capacité à consentir.

Justification : Les directives anticipées n’offrent généralement pas une preuve fiable du consentement d’une personne au moment de la prestation de l’aide médicale à mourir. Le fait d’exiger qu’une personne soit capable de consentir au moment de la demande d’aide offre une meilleure protection aux personnes vulnérables, tout particulièrement lorsque son état d’esprit et/ou ses souffrances ne peuvent être établis de façon concluante. Une telle exigence protège également contre les effets néfastes d’hypothèses erronées quant à la qualité et la valeur de la vie dans certaines circonstances.

Restreindre l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux adultes (exclut les mineurs matures)

La restriction de l’aide médicale à mourir aux adultes (personnes âgées d’au moins 18 ans) pourrait porter atteinte aux droits des « mineurs matures », tout particulièrement les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité, garantis par l’article 7 et à leur droit de ne pas faire l’objet de discrimination sur le fondement de l’âge, garanti par le paragraphe 15(1). Les mineurs matures sont reconnus comme ayant le droit à un degré d’autonomie en ce qui a trait à leurs traitements médicaux dans certaines circonstances.

Justification : Le fait de limiter l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes adultes permet de protéger les mineurs, lesquels sont particulièrement vulnérables eu égard à leur âge et leur handicap, affection ou maladie. Compte tenu des intérêts uniques en jeu, établir un seuil d’âge pour l’accès à l’aide médicale à mourir, au lieu d’adopter une approche fondée sur une évaluation individualisée de la maturité comme cela se fait relativement à la prise de décisions de refuser un traitement médical, est justifié. Le respect du refus par un mineur mature d’un traitement médical non voulu est différent d’un acquiescement à une demande de mesures actives pour entraîner la mort. Étant donné que d’autres études seront entreprises sur l’accès possible à l’aide médicale à mourir pour des mineurs matures, y compris sur la nécessité et le caractère adéquat de mesures de sauvegarde additionnelles en vue de les protéger, le projet de loi établit un juste équilibre entre les divers intérêts importants en question.

Suffisance des mesures de sauvegarde pour protéger les personnes vulnérables

Des mesures de sauvegarde qui seraient insuffisantes pour prévenir les abus ou les erreurs pourraient porter atteinte aux droits à la vie ou à la sécurité des personnes vulnérables garantis par l’article 7. Il se peut que l’article 7 oblige le Parlement à maintenir des interdictions criminelles quant au fait d’enlever intentionnellement la vie, et dans ce contexte, à mettre en œuvre des mesures de sauvegarde solides en vue de prévenir les abus et les erreurs. Ceci constituerait un nouveau type de réclamation en vertu de l’article 7.

Justification : L’obligation du Parlement de maintenir des interdictions criminelles efficaces à l’encontre du geste de mettre fin intentionnellement à la vie fait partie inhérente de son rôle de législateur. Le projet de loi établit un équilibre approprié entre la protection des personnes vulnérables et le fait de garantir l’accessibilité de l’aide médicale à mourir aux personnes admissibles qui désirent l’obtenir. Les personnes les plus vulnérables n’auront pas accès à l’aide médicale à mourir et des mesures de sauvegarde appropriées visent à garantir que l’aide médicale à mourir ne sera accordée qu’aux personnes admissibles qui consentent à la recevoir.

Liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé

La décriminalisation de l’aide médicale à mourir donnera lieu à des demandes qui seraient susceptibles d’aller à l’encontre du droit de conscience ou des croyances religieuses de certains fournisseurs de soins de santé. La liberté de conscience et de religion est protégée contre l’ingérence gouvernementale par l’alinéa 2a) de la Charte. Le projet de loi n’a pas pour effet de contraindre les fournisseurs de soins de santé à fournir une telle aide qui pourrait par ailleurs porter atteinte aux droits que leur garantit l’alinéa 2b).

Les mesures de sauvegarde imposent un fardeau excessif limitant indûment l’accès

Si les mesures de sauvegarde imposent un fardeau tel qu’elles limitent indûment l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes admissibles, elles pourraient porter atteinte aux droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité, que garantit l’article 7.

Justification : Le projet de loi établit un équilibre approprié entre la protection des personnes vulnérables et le fait de garantir l’accessibilité de l’aide aux personnes admissibles qui désirent obtenir une aide médicale à mourir. Les mesures de sauvegarde sont raisonnables et appropriées pour garantir que les personnes remplissent les critères d’admissibilité et, plus important encore, pour valider leur intention et consentement.

Exigences relatives aux témoins

L’exigence voulant que la demande écrite et signée d’aide médicale à mourir soit devant deux témoins pourrait porter atteinte au droit à la protection de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Charte. Dans certaines circonstances, des personnes pourraient être tenues de dévoiler leur intention de mettre fin à leur vie à des personnes à qui elles ne se confieraient pas habituellement.

Justification : Compte tenu des intérêts très importants en jeu, il est raisonnable dans les circonstances d’exiger que la demande signée d’aide médicale à mourir soit faite en présence de deux témoins indépendants, même si le respect d’une telle exigence risque accessoirement de contraindre une personne à divulguer des renseignements hautement personnels. Une telle exigence est également compatible avec les pratiques et traditions juridiques associées à la signature de documents juridiques d’importance.

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