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Étude sur les services juridiques au Nunavut

Rapport définitif

16 octobre 2002

  1. 3.0 PRESTATION DES SERVICES : DEMANDE, STRUCTURE ET QUALITÉ
    1. 3.1 INCIDENCE DE LA STRUCTURE DES TRIBUNAUX

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3.0 PRESTATION DES SERVICES : DEMANDE, STRUCTURE ET QUALITÉ

Différents facteurs, présentés en détail dans cette section, ont une incidence sur la demande de services juridiques ainsi que sur le mode de prestation et la qualité des services de ce genre qui sont offerts au Nunavut :

  • la structure des tribunaux (CJN et cours des juges de paix);
  • la géographie;
  • la culture;
  • les ressources humaines limitées.

3.1 INCIDENCE DE LA STRUCTURE DES TRIBUNAUX

3.1.1 Cour de justice du Nunavut

Les répondants considèrent que la CJN est bénéfique pour le Nunavut parce qu'il s'agit d'une cour propre au territoire, où siègent des juges résidants connus pour les efforts colossaux qu'ils ont déployés afin de comprendre la spécificité du Nunavut et d'y être ouverts. La Cour et sa juge principale sont tenus en estime pour les déplacements pénibles qu'ils effectuent, pour leur connaissance des collectivités et pour l'énergie qu'ils mettent à obtenir des commentaires de la collectivité et à faire participer les aînés dans les séances du tribunal.

Cependant, ceux qui contribuent directement à la prestation des services à la CJN ont généralement l'impression que, bien que la structure des circuits ait été régularisée et que la Cour puisse traiter les affaires civiles et familiales dans les cours de circuit, les intervalles entre les circuits et le temps accordé à la conduite des affaires de la Cour pendant les tournées sont toujours source de frustration majeure. Les répondants s'entendent pour dire qu'en général, les cours de circuit se rendent moins fréquemment dans les collectivités isolées depuis la création du Nunavut et que, quand elles y sont, elles ne restent pas assez longtemps.

Selon la CJN, en 2001, il y a eu 46 cours de circuit sans jury tenues à l'extérieur d'Iqaluit ainsi qu'une cour tenue dans la capitale pendant au moins deux semaines tous les mois. La CJN a aussi mené 15 procès devant jury en 20019.

Vers la fin de la présente étude, on a annoncé la nomination d'un troisième juge permanent à la CJN. Toutefois, la Cour avait prévu ses tournées comme s'il était déjà en place, en comptant sur des juges suppléants du sud du Canada pour effectuer ces circuits. Selon la CJN, on a fait appel à des juges suppléants 49 fois en 200110. Il est donc peu probable que les cours de circuit soient plus fréquentes ou passent plus de temps dans les collectivités après cette nomination. Le tableau suivant montre l'ébauche du calendrier des tournées pour 2002, qui présume la présence de trois juges de la CJN.

Tableau 3.1 : Ébauche du calendrier des tournées (2002) 11

SEMAINE COLLECTIVITÉ PROCÉDURE SEMAINE COLLECTIVITÉ PROCÉDURE
7-11 janvier Iqaluit/Pond Inlet/Clyde River Rôle
Sans jury
2-5 juillet Iqaluit Rôle
14-18 janvier Cape Dorset Sans jury 15-19 juillet Iqaluit Semaine de procès
21-25 janvier Iqaluit Semaine de procès 22-26 juillet Kitikmeot no 2 Sans jury
28 janvier-1er février Pangnirtung/Qikitarjuaq
Kitikmeot no 1
Sans jury
Sans jury
6-9 août Iqaluit Rôle
4-8 février Iqaluit Rôle 12-16 août Kitikmeot no 1 Sans jury
11-15 février Baker Lake/Rankin Sans jury 19-23 août Iqaluit/Kitikmeot Semaine de procès
18-22 février Iqaluit/Kimmirut Semaine de procès 26-30 août Pond Inlet/Clyde River
Coral Harbour/ Dorset
Sans jury
Sans jury
25 février- 1er mars Igloolik/Hall Beach
Coral Harbour/Dorset
Sans jury
Sans jury
3-6 septembre Pangnirtung/
Qikitarjuaq
Sans jury
4-8 mars Iqaluit
Kitikmeot no 2
Rôle
Sans jury
9-13 septembre Iqaluit
Igloolik/Hall Beach
Rôle
Sans jury
11-15 mars Iqaluit Semaine de procès 16-20 septembre Arviat/Rankin Inlet Sans jury
25-28 mars Sanikiluaq Sans jury 23-27 septembre Iqaluit Semaine de procès
2-5 avril Cape Dorset Sans jury 30 septembre-4 octobre Sanikiluaq Sans jury
8-12 avril Iqaluit
Kitikmeot no 1
Rôle
Sans jury
7-11 octobre Iqaluit Rôle
22-26 avril Iqaluit
Pond Inlet/Clyde River
Semaine de procès
Sans jury
15-18 octobre Cape Dorset Sans jury
29 avril-
3 mai
Arctic Bay/RB/GF
Arviat/Rankin Inlet
Sans jury
Sans jury
21-25 octobre Iqaluit
Arctic Bay/RB/GF
Semaine de procès
Sans jury
6-10 mai Iqaluit Rôle 28 octobre-
1er novembre
Kitikmeot no 2
Baker Lake/Rankin
Sans jury
Sans jury
13-17 mai Pangnirtung/Qikitarjuaq Sans jury 4-8 novembre Iqaluit
Kitikmeot no 1
Rôle
Sans jury
21-24 mai Coral Harbour/Dorset Sans jury 18-22 novembre Iqaluit
Pond Inlet/Clyde River
Semaine de procès
Sans jury
3-7 juin Iqaluit
Kitikmeot no 1
Rôle
Sans jury
25-29 novembre Coral Harbour/ Dorset Sans jury
10-14 juin Igloolik/Hall Beach
Baker Lake/Rankin Inlet
Sans jury
Sans jury
2-6 décembre Iqaluit
Pangnirtung/
Qikitarjuaq
Rôle
Sans jury
17-21 juin Iqaluit Semaine de procès 9-13 décembre Arviat/Rankin Inlet Sans jury
24-28 juin Cape Dorset Sans jury 16-20 décembre Iqaluit
Igloolik/Hall Beach
Semaine de procès
Sans jury

Kitikmeot no 1 - Cambridge Bay et Kugluktuk; Kitikmeot no 2 - Kugaaruk, Gjoa Haven, Taloyoak; RB - Repulse Bay; GF - Grise Fiord

Le calendrier réel de la cour de circuit peut être très différent du calendrier planifié. La demande (c'est-à-dire le nombre d'affaires à instruire) peut modifier le programme de la Cour de façon importante, lui permettant de quitter une collectivité avant la date prévue ou la forçant à reporter des affaires jusqu'à la prochaine visite. Il s'agit, la plupart du temps, d'affaires familiales ou civiles, ce qui a probablement une incidence disproportionnée sur les femmes, car elles sont plus susceptibles d'être touchées par une cause en droit de la famille). Lorsque la Cour arrive dans la collectivité, il se peut que le rôle se réduise de façon importante à mesure que le procureur de la Couronne examine les chefs d'accusations qui ont été portés. Même si les cours de circuit réagissent souvent à des situations indépendantes de leur volonté (par exemple, la longueur du rôle ou les changements au rôle après leur arrivée dans la collectivité), le caractère imprévisible des visites de la cour et de la durée de ces visites peut être difficile à comprendre pour les membres de la collectivité et contribuer au stress que subissent tous les membres du système juridique.

Les répondants ont attribué la baisse de la fréquence des cours de circuits et de leur durée dans la collectivité à un certain nombre de facteurs, y compris la géographie, les conditions météorologiques, et à la réduction, au fil des ans, des vols réguliers qui desservent les collectivités éloignées du Nunavut. À cause de l'établissement de la Cour à Iqaluit et de sa politique visant à favoriser les voyages sur des vols réguliers plutôt que nolisés, deux journées de la semaine sont souvent perdues en raison du temps de déplacement, lors de nombreuses tournées, en particulier dans les régions de Kivalliq et de Kitikmeot. Plusieurs répondants ont aussi attribué ces contraintes de temps à la décision de la Cour de ne pas se déplacer les fins de semaine. Il en résulte que la Cour ne peut se rendre dans une collectivité que le lundi et commencer l'audience le mardi (ou peut-être le lundi après-midi). La séance doit souvent se terminer le jeudi pour que la Cour puisse repartir le vendredi. Certains répondants ont indiqué que ces semaines de travail raccourcies attribuables au temps de déplacement ont contribué à l'anxiété et à la frustration ressenties par la collectivité à l'égard du système de justice, tout particulièrement à l'extérieur de la région de Baffin, où la CJN est établie.

La structure des cours de circuit (surtout l'intervalle entre les visites et la brièveté des séjours dans une collectivité) a des répercussions diverses sur les clients, sur la nature des conseils et de l'assistance juridiques, sur le mode de prestation et la qualité des services, entre autres :

  • la longueur du rôle;
  • le recours aux juges suppléants;
  • la façon de traiter les cas de violence conjugale et d'agression sexuelle;
  • la difficulté d'accès aux clients;
  • les pressions pour éliminer des cas du rôle;
  • les retards dans les cours de circuit;
  • les changements d'avocat de la défense dans les cours de circuit.

Longueur du rôle

« Un jour, je participais à un atelier au Arctic Islands Lodge. Ils ont traité 80 affaires en trois jours à Cambridge Bay. Ça faisait la queue dans le hall […] »

Les rôles sont surchargés, car la Cour ne se rend pas très souvent dans une collectivité. La charge de travail est parfois si lourde que ni les conseillers parajudiciaires ni l'avocat de la défense ne sont en mesure de traiter toutes les affaires, ni tous les conflits qui peuvent survenir. Les juges présument parfois que l'avocat s'entretiendra avec les clients ou assistera à une séance dans la soirée et même l'ordonnent, ce qui a des répercussions directes sur la qualité des services offerts. En raison de la longueur du rôle et de la brièveté des séjours dans les collectivités, les audiences s'allongent et se tiennent parfois le soir. Souvent, la Cour est incapable d'instruire toutes les affaires portées au rôle dans le délai accordé à cette collectivité. Des affaires sont ajournées, ce qui provoque du mécontentement. En particulier, les affaires familiales et civiles sont souvent ajournées, puisque les affaires criminelles ont préséance.

Quand, dans les collectivités très occupées, le rôle contient 80 chefs d'accusation ou plus, y compris les actions inscrites pour instruction, les contraintes de temps sont extrêmes pendant un séjour de trois jours. Les répondants ont indiqué qu'il y a souvent trop de procès à l'horaire pour le temps que la cour de circuit passe dans la collectivité.

« Je crois que le manque de temps constitue un grave problème. […] Je me prépare le mieux possible. Pourtant, [je] dois apporter 60, 80 dossiers à Kugluktuk pour une journée et demie [...] Il y a de plus en plus d'audiences nocturnes […] Les juges se fatiguent à instruire 30 affaires dans une journée. Des audiences jusqu'à 22 h, et à compter de 9 h le lendemain. Pendant la dernière tournée, la cour a siégé jusqu'à 22 h la première journée à Kugluktuk. Pendant l'avant-dernière tournée, la cour a siégé deux fois tard dans la nuit. »

La CJN rapporte avoir examiné 4 427 chefs d'accusation en 2001, dont 717 (16 p. 100) étaient des accusations envers des adolescents12. Selon les chiffres de la CJN concernant les séances de la Cour à Iqaluit, les tournées et les procès devant jury, ce nombre représente environ 60 chefs d'accusation par séance13.

Dans quelques cas, la longueur du rôle et les contraintes de temps qui en résultent donnent lieu au règlement de l'affaire et à la négociation de plaidoyers. Ces dernières peuvent avoir des conséquences positives ou négatives pour le client (en fait de sentence rendue). Un avocat expérimenté de la CSJN a expliqué qu'il était éprouvant et épuisant de supporter des mois et des mois de déplacements pénibles, suivis de longs jours d'audience et de longues nuits à se préparer pour les procès et à interroger les clients, à cause de l'allongement des rôles et de la diminution du temps dans la collectivité.

Recours fréquent à des juges suppléants

Les répondants ont aussi l'impression générale que les ressources du système de justice dans son ensemble sont insuffisantes. En particulier, il manquait un juge pendant l'étude, et ce, depuis trois ans, c'est-à-dire depuis l'établissement de la CJN. Malgré la nomination de juges suppléants pour combler ce vide (en 2001, des juges suppléants ont été en tournée pendant 46 semaines), il y a un manque de continuité et de connaissance, par le juge, de la dynamique particulière du Nunavut et de ses collectivités. Les répondants ont exprimé des réserves à l'endroit des juges suppléants : ils connaissent mal la culture et la région et ils ne sont peut-être pas aussi dévoués pour traiter ces questions que ceux qui résident dans le Nord. En général, les répondants étaient d'accord sur le fait qu'il est souhaitable que le même juge soit assigné à une collectivité particulière, ce qui augmente la connaissance du caractère unique de chacune d'elles et l'ouverture à celles-ci. Le recours aux juges suppléants sera atténué grâce à la récente nomination d'un troisième juge à la CJN, ce qui réduira, par le fait même, la pression qui s'exerce sur les conseillers parajudiciaires et les avocats de la CSJN pour qu'ils apportent aux juges suppléants leurs connaissances de la culture et de la région ainsi que leur expertise juridique.

Traitement des cas de violence conjugale et d'agression sexuelle

Certains répondants se sont dits spécifiquement préoccupés par le traitement des affaires de violence conjugale et d'agression sexuelle par les cours de circuit. Selon eux, on n'offre pas toujours à la victime de produire une déclaration et celle-ci n'est pas toujours utilisée pendant l'audience. De plus, les répondants sont mal à l'aise avec le fait que, dans certaines collectivités, ce sont des agents de la GRC qui recueillent la déclaration de la victime au lieu d'un intervenant chargé d'assister les victimes et les témoins. Lorsqu'on demande à la victime de donner une déclaration, cela augmente les attentes de cette dernière, attentes que le système juridique ne comble pas toujours. Selon les répondants, ces déclarations ne sont pas souvent présentées en cour et il arrive que la victime ne soit pas mise au courant quand son affaire sera entendue. Enfin, toutes les audiences sont publiques, et peu de témoins et de victimes sont autorisés à témoigner derrière un écran, même si elles sont intimidées par la pensée de confronter leur agresseur en public.

Les répondants sont aussi d'avis que certains juges semblent avoir une formation insuffisante en matière de violence conjugale. On a aussi exprimé des inquiétudes particulières concernant le travail dans le système de justice de non-Autochtones (juges et autres). Tout en essayant de tenir compte des différences culturelles, ils risquent de fermer les yeux sur certaines attitudes litigieuses, traditionnelles ou non, en ce qui a trait au rôle des femmes et à la violence dont elles font l'objet (voir également la section 3.3 - Incidence de la culture).

Ces situations influent sur la capacité des conseillers parajudiciaires et des conseillers juridiques de la CSJN, du procureur de la Couronne et d'autres intervenants du système de justice de satisfaire les besoins de leurs clients.

Difficultés d'accès aux clients

Même si les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense se rendent souvent dans une collectivité avant les autres membres de la Cour pour interroger les clients et les témoins, des avocats de la défense indiquent que, souvent, les clients ne profitent pas de la possibilité de rencontrer leur avocat avant la comparution. Ensuite, au moment de l'audience, il est fréquent qu'ils ne veulent pas attendre très longtemps pour s'entretenir avec l'avocat. Cette situation est pire dans les collectivités où il n'y a pas de conseillers parajudiciaires ou si ces derniers sont inexpérimentés. Actuellement, 13 des 28 collectivités nunavutoises n'ont pas de conseiller parajudiciaire résidant. Il y a aussi une insuffisance de conseillers parajudiciaires ayant une formation et une expérience adéquates. Cette situation réduit la qualité de l'aide que ces personnes peuvent offrir aux avocats de l'aide juridique et aux clients avant, pendant et après la tenue des cours de circuit, ce qui ajoute à la charge de travail des avocats de la CSJN déjà surchargés et augmente le nombre d'ajournements et de retards.

De plus, selon les avocats de la défense, il y a rarement des conséquences pour l'accusé qui semble n'avoir pas fait d'efforts pour rencontrer un avocat afin de se préparer à l'audience. Ainsi, en particulier, dans certaines collectivités, même si l'avocat se rend d'avance, il est difficile de trouver et de rencontrer les personnes qui doivent comparaître devant le tribunal, ce qui entraîne des retards et réduit davantage le temps de préparation. Des juges refusent d'aller de l'avant lorsque l'accusé n'est pas représenté. Même si cette affirmation reflète que l'on se préoccupe du droit d'un accusé à un avocat, elle se fonde aussi sur le fait que le traitement d'une affaire est beaucoup plus rapide lorsque les accusés y sont représentés par des avocats. Dans certaines situations, lorsque des accusés n'ont pu être rejoints même si l'avocat est arrivé dans la collectivité avant les autres membres de la Cour, on attend de l'avocat de la défense, et on lui ordonne même, qu'il interroge les clients dans la soirée, ce qui s'ajoute au stress des courtes semaines de travail intense.

Pressions pour éliminer des cas du rôle

Situation peut-être liée à l'espoir de rendre la justice au Nunavut plus accessible et plus rapide, les répondants ont mentionné que la CJN semble très préoccupée par le taux d'affaires classées, c'est-à-dire par la vitesse de traitement d'une affaire. Il en résulte l'exercice d'une pression subtile mais forte sur tous les intervenants du système, ce qui fait que la pratique du droit est très différente de celle dans le sud du Canada : il y a moins de procès, ils sont plus courts, on presse les gens de faire des aveux, les recherches et le temps de préparation sont inadéquats. Ces pressions risquent, à leur tour, de refouler des affaires aux cours des juges de paix, ce qui, selon quelques-uns des répondants, n'est pas toujours approprié ni respectueux de la primauté du droit, si le personnel ne possède pas la formation requise.

De plus, contrairement aux attentes qu'il y avait avant son établissement, l'expérience de la CJN a montré qu'on ne peut tenir les procès devant jury pendant la tournée régulière très chargée de la Cour. Il faut donc traiter les procès devant jury séparément. Même si, en 2001, il n'y a eu que 15 procès devant jury au Nunavut, comparativement à 35 chez son voisin, les Territoires du Nord-Ouest, réserver le temps pour ce type de procès ajoute à la pression générale sur les tribunaux et sur les fournisseurs de services de la CSJN en particulier.

Retards de la CJN

Les retards dans les cours de circuit sont attribuables à un certain nombre de facteurs.

  • Les conditions météorologiques, en particulier pendant les changements de saison, empêchent souvent la Cour de se rendre dans une collectivité et d'instruire les affaires en temps opportun.
  • En raison de rôles très longs, il n'est souvent pas possible, pendant le séjour dans la collectivité, d'instruire toutes les affaires inscrites au rôle.
  • Les avocats de la défense n'ont pas toujours le temps de préparer les affaires pour l'audience, surtout lorsque la Cour visite plus d'une collectivité dans le cadre d'un voyage (l'avocat peut se rendre d'avance dans la première collectivité, mais il doit ensuite se déplacer avec les autres membres de la Cour). Cet état de choses augmente la possibilité que l'avocat demande des ajournements.
  • De nombreux retards sont attribuables au fait que les accusés n'ont pas eu l'occasion de mandater un avocat ou n'ont pas profité de l'occasion qui leur a été offerte de le faire. Même si le fait de n'être pas représenté est le fait du choix exercé par l'accusé ou de l'absence de mesures de sa part, les juges n'instruiront pas l'affaire si un avocat n'est pas assigné. Certains répondants estiment qu'il s'agit d'une approche paternaliste de la part de la magistrature, qui n'encourage pas la prise de responsabilités de la part du client.
  • Les changements d'avocat de la défense, dont on parlera ci-dessous, causent, eux aussi, des retards et des ajournements.

Des répondants et des participants aux ateliers ont déclaré que, selon eux, les reports dans les cours de circuit sont trop fréquents et trop longs. En général, selon les répondants, les affaires familiales et civiles sont plus susceptibles que les affaires criminelles d'être reportées parce qu'elles se trouvent souvent à la fin d'un rôle chargé. Quand on y arrive, il n'y a plus de temps. Par exemple, une des personnes interviewées a souligné que, lors d'une audience récente, toutes les affaires inscrites au rôle ont été ajournées, y compris une enquête préliminaire se rapportant à une affaire d'agression sexuelle, et ce même si le tribunal a siégé pendant deux jours et demi dans la collectivité.

Une avocate était dans mon bureau pour une affaire en droit de la famille à Kugluktuk [elle représentait le client par téléphone]. Elle a attendu jusqu'à minuit que la cause soit entendue, et alors l'affaire a été ajournée.

Les reports ont des effets sur tous les intervenants du système juridique, mais surtout sur les avocats, qui doivent être disponibles pour leurs clients et doivent composer avec leur frustration attribuable au report. Les avocats qui pratiquent en droit de la famille en souffrent plus que ceux en droit pénal, étant donné que les affaires familiales se retrouvent toujours à la fin du rôle et, donc, sont plus souvent reportées. Ce sont en grande partie les femmes qui portent le fardeau des causes reportées, car elles sont les plus fréquemment associées aux affaires relevant du droit de la famille.

Des renseignements statistiques sur le nombre d'ajournements (reports) survenant pendant les cours de circuit ont été recueillis des rôles définitifs. À première vue, le nombre de causes ajournées semble élevé en comparaison avec le nombre total de chefs d'accusation, ce qui confirme les préoccupations de certains répondants en ce qui concerne le grand nombre de reports dans les cours de circuit (voir la figure 3.1 ci-dessous).

Figure 3.1 : Inculpations reportées par rapport au nombre total d'inculpations dans les cours de circuit (septembre 2000 à avril 2002)

Inculpations reportées par rapport au nombre total d'inculpations dans les cours de circuit (septembre 2000 à avril 2002)

Source : Rôles des affaires classées en cour criminelle de septembre 2000 à avril 2002, disponibles au bureau de la CSJN, à Gjoa Haven.

Toutefois, un peu plus de la moitié de ces ajournements surviennent pour des raisons normales (c.-à-d. des raisons qui surviendraient dans n'importe quel tribunal, notamment la préparation à un procès devant jury ou à une enquête préliminaire), comme le montre la figure 3.2 ci-dessous. Le nombre de reports inhabituels en relation avec les inculpations totales n'est donc pas aussi élevé qu'il ne le semble au premier abord.

Figure 3.2 : Ajournements « normaux » par rapport aux ajournements « inhabituels » (septembre 2000 à avril 2002)

Ajournements « normaux » par rapport aux ajournements « inhabituels » (septembre 2000 à avril 2002)

Source : Rôles définitifs de la cour criminelle pour septembre 2000 à avril 2002, disponibles au bureau de la CSJN, à Gjoa Haven.

Nota : Cette figure se fonde sur l'hypothèse que certains motifs de comparution constituent des raisons normales d'ajourner une affaire, alors que d'autres non. Parmi les motifs considérés comme normaux, on retrouve : la reconnaissance ou la dénégation de culpabilité, l'établissement d'une date pour le procès, l'attente d'un rapport prédécisionnel ou présentenciel, d'une audience préliminaire, de la tenue d'un procès devant jury et de la façon dont la Couronne entend procéder.

Changements d'avocat de la défense

Les changements d'avocat de la défense sont source évidente de difficultés pour les clients. Ils constituent aussi une source de stress pour les avocats, qui doivent rapidement se mettre au fait de cas qu'ils ne connaissent pas, faire face au mécontentement du client à cause du changement d'avocat et composer avec leurs propres sentiments face à l'impossibilité de clore une affaire lorsqu'ils ne peuvent la suivre jusqu'à la fin.

Les répondants n'ont pas été en mesure de quantifier l'ampleur des changements d'avocat de la défense et étaient généralement incapables de préciser si ces changements étaient plus fréquents dans les cours de circuit que dans les cours résidantes. Il n'existe pas de statistiques à ce sujet à cause de l'absence générale de rapports de fermeture (voir la section 1.2.3 pour les détails).

Néanmoins, les répondants sont fortement d'avis que les changements d'avocat surviennent fréquemment dans les affaires qui sont traitées conformément à la politique de la CSJN en matière d'admissibilité présumée. Ce fait est particulièrement important puisque la grande majorité des services qu'offre la CSJN le sont en vertu de cette politique.

C'est dans le Legal Aid Bulletin #97-1 (publié le 25 juillet 1997) que l'admissibilité présumée a été présentée. On la décrit de la façon suivante :

À partir du 1er janvier 1997, toute personne doit être présumée financièrement admissible aux services d'un avocat de circuit ou de service. Ces services peuvent être offerts sans considération de l'admissibilité financière, c'est-à-dire sans demande ni approbation d'aide juridique [traduction].

La politique d'admissibilité présumée est unique au Nunavut et aux T.N.-O. Ailleurs au Canada, l'aide juridique n'est accordée qu'aux personnes qui démontrent, en en faisant la demande, qu'elles sont défavorisées sur le plan économique.

Cette politique fait appel à des avocats de service dans les cours de circuit pour qu'ils représentent tous les accusés qui comparaissent et qui désirent être représentés par un avocat, jusqu'à ce que l'accusé décide de plaider non coupable. Ce procédé est plus efficace pour tous, car il élimine les retards que provoquerait l'obligation pour tous les accusés de remplir une demande et d'attendre qu'elle soit approuvée avant de pouvoir être représenté par un avocat. Comme le révèle la figure 3.3 ci-dessous, il y a de deux à quatre fois plus d'inculpations donnant lieu à l'admissibilité présumée que celles donnant lieu à une demande d'aide juridique.

Figure 3.3 : Inculpations couvertes par l'admissibilité présumée comparativement aux inculpations ayant donné lieu à une demande d'aide juridique (septembre 2000 à avril 2002)

Inculpations couvertes par l'admissibilité présumée comparativement aux inculpations ayant donné lieu à une demande d'aide juridique (septembre 2000 à avril 2002)

Source : Rôles définitifs et rôles supplémentaires de la cour criminelle, de septembre 2000 à avril 2002, disponibles au bureau de la CSJN à Gjoa Haven.

Nota : Cette figure se base sur l'hypothèse que tous les motifs de comparution, à l'exception des procès, des audiences préliminaires et des audiences relatives à l'établissement des conditions de la peine avec sursis, sont couverts en vertu de l'admissibilité présumée. Par conséquent, aucune demande d'aide juridique n'a été présentée. Le nombre de chefs d'accusation indiqué sur cette figure est bien plus élevé que le nombre de demandes reçues, parce que la plupart des gens sont inculpés sous plusieurs chefs d'accusation, mais ils ne remplissent qu'une seule demande.

Selon quelques-uns des répondants, il y aurait un lien entre l'admissibilité présumée et le changement d'avocat pour deux raisons :

  • Il n'y a aucune garantie que l'avocat qui est de service pendant une tournée dans une collectivité sera aussi de la prochaine tournée. Ainsi, comme la majorité des clients vus par un avocat de service, conformément à la politique d'admissibilité présumée, n'ont pas d'avocat de l'aide juridique assigné, une certaine discontinuité est inhérente au système. Celle-ci est aggravée lorsque, habituellement à cause des contraintes de temps de la cour de circuit, des affaires sont reportées et que les accusés doivent comparaître en cour une deuxième fois et y seront probablement représentés par un autre avocat de service;
  • Dans certains cas, à cause de la charge de travail excessive pendant la tournée, l'avocat de service demande l'ajournement de la cause parce qu'il n'a pas eu le temps de se préparer ou qu'il sait qu'il ne sera pas de la prochaine tournée. Quelques répondants estiment que cette pratique (demander un ajournement afin d'éviter de s'occuper d'une cause) pose particulièrement problème lorsque l'avocat de service est un avocat de pratique privée.

Par contre, certains répondants ne voyaient pas nécessairement de lien entre l'admissibilité présumée et les changements d'avocat de la défense. Par exemple, dans les régions de Kitikmeot et de Kivalliq, ce sont toujours les mêmes avocats de la clinique qui sont les avocats de service. Ainsi, s'il y a ajournement, ils continuent de représenter les mêmes clients. Dans une région, on avait adopté une méthode qui vise à réduire les possibilités de changement et selon laquelle l'avocat de service qui représentait un client était responsable du dossier jusqu'à ce que tous les chefs d'accusation aient été traités. Mais ce système a disparu, car, à un certain point, tous les avocats étaient responsables d'un dossier sur tous les rôles de la Cour, ce qui n'était pas efficace.

La majorité des répondants ont aussi fortement insisté sur le fait que, s'il y a quelques problèmes liés à l'admissibilité présumée, le système lui-même est valable pour le Nunavut. Ils étaient d'avis qu'il est beaucoup plus efficace d'avoir un avocat de service que d'attendre qu'une demande soit remplie, traitée et approuvée. On gagne en efficacité, pour les circuits peu chargés, en n'ayant pas à envoyer un grand nombre d'avocats en tournée.

« L'effort de jumeler deux avocats à chaque tournée accable le groupe d'avocats, met de la pression sur les avocats qui pratiquent au Nunavut. »

La CSJN élabore actuellement un plan afin de tenter de gérer l'ampleur des changements d'avocat dans les circuits. Selon ce plan, on assigne deux avocats de la CSJN aux circuits surchargés. Un avocat traite les nouveaux cas et l'autre, ceux qui ont été reportés lors de la tournée précédente. Cette méthode fonctionne bien, à condition que la CSJN ait les ressources humaines nécessaires et que son budget lui permette de couvrir la dépense additionnelle occasionnée par l'envoi de deux avocats en tournée.

3.1.2 Cours des juges de paix

Depuis la création du Nunavut, on a soutenu les efforts importants déployés par un administrateur d'expérience et à temps plein pour nommer et former des juges de paix nunavutois, souvent Inuits. Les juges de paix du Nunavut ont assumé d'importantes responsabilités en instruisant les enquêtes sur le cautionnement ou les audiences de justification. Mais, malgré les efforts de formation accélérée destinée aux juges de paix du Nunavut, seulement un tiers d'entre eux environ peut se charger des processus de détermination de la peine et environ le sixième seulement possède un niveau d'attestation suffisant pour présider à des procès. Même si les juges de paix les plus qualifiés sont surtout envoyés dans les collectivités les plus occupées, il est clair que les cours des juges de paix du Nunavut ne sont pas encore en mesure d'assumer toute la charge laissée par l'élimination de la Cour territoriale. Des efforts sont en cours pour donner une formation aux juges de paix afin qu'ils puissent instruire les affaires relevant du tribunal pour adolescents et du droit de la famille. On spécule même que certains juges de paix pourraient se charger des enquêtes préliminaires, mais il faudra encore bien des années avant qu'un nombre suffisant de juges de paix soient compétents dans ces domaines.

Par conséquent, la CJN fait face à une charge de travail considérablement accrue dans une société où les taux de criminalité et les problèmes sociaux connexes (voir la section 2.1) influent sur la longueur des rôles de la Cour et sur la gravité des cas. Cette situation ajoute aux pressions exercées sur les avocats de l'aide juridique de tenter de représenter, dans les collectivités, le maximum de clients lors de séances du tribunal à l'horaire comprimé.


9Rapport annuel de la Cour de justice du Nunavut, 2001.
10Ibid.
11Fourni par la CSJN.
12Rapport annuel de la Cour de justice du Nunavut, 2001.
134 427 chefs d'accusation / (12 audiences à Iqaluit + 46 circuits + 15 procès devant jury) = 60,6 inculpations/séance.


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