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Analyse des services d'avocats de garde requis selon l'arrêt Brydges


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3.0 LA MISE EN GARDE MIRANDA AUX ÉTATS-UNIS : L'EXPÉRIENCE AMÉRICAINE DU MODÈLE ADOPTÉ PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS L'ARRÊT Brydges

3.1   Introduction

La Cour suprême du Canada a déclaré dans l'arrêt Brydges(1990) que les policiers avaient l'obligation d'informer les suspects mis en détention ou arrêtés non seulement de leur droit de recourir à l'assistance d'un avocat, mais également de leur droit à l'aide juridique et à un avocat de garde 24 heures par jour (lorsqu'un tel programme existe). En outre, il découle de l'arrêt Brydges que l'omission de la part des policiers de fournir ces renseignements constitue une violation du droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés et que les tribunaux ont la possibilité d'écarter aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte les preuves obtenues à la suite de cette violation. Le raisonnement sous-jacent qu'a tenu la Cour suprême dans l'arrêt Brydges ressemble de façon frappante à celui qu'a adopté la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt bien connu Miranda v. Arizona(1996). Par conséquent, pour mieux comprendre l'effet que pourrait avoir l'arrêt Brydges sur l'application de la loi au Canada, il convient d'examiner rapidement l'expérience qui a été acquise aux États-Unis pour ce qui est de la mise en œuvre de l'arrêt Miranda au cours des trente dernières années.

3.2   L'arrêt Miranda

Dans l'affaire Gideon v. Wainwright (1963), la Cour suprême des États-Unis a reconnu que les accusés avaient, conformément au sixième amendement de la Constitution des États-Unis, droit à un avocat commis par le tribunal lorsqu'ils étaient trop pauvres pour retenir eux-mêmes les services d'un avocat (Jacobs, 2001; 10; Pitts, 2001; Uelmen, 1995). Trois ans plus tard seulement, dans Miranda v. Arizona(1966), la Cour suprême s'est penchée sur les garanties contre l'auto-incrimination accordées par le cinquième amendement et a déclaré que les personnes se trouvant sous la garde des policiers avaient le droit d'être informées expressément de leur droit de consulter un avocat désigné pour eux si elles n'ont pas les moyens financiers de rémunérer un avocat (Crawford, 1995). D'après l'arrêt Miranda, les policiers sont tenus d'informer les suspects arrêtés ou mis en détention de quatre éléments principaux : le droit de garder le silence, le principe selon lequel tout ce que dit le suspect pourrait être utilisé contre lui devant une cour de justice, le droit à un avocat et, dans le cas où le suspect n'a pas les moyens d'en retenir un, le droit d'avoir un avocat commis d'office avant d'être interrogé.

L'arrêt Miranda a marqué un tournant dans la jurisprudence concernant les interrogatoires policiers. Avant Miranda, une confession était jugée non admissible dans le seul cas où elle avait été obtenue de façon involontaire (par des menaces, la contrainte ou des promesses) : après Miranda, une confession est généralement exclue si le suspect n'a pas reçu les mises en garde appropriées (Hendrie, 1997). L'arrêt Miranda est certainement une des décisions les plus fameuses qu'ait prononcées la Cour suprême des États-Unis. En fait, dans Dickerson v. The United States(2000), le juge en chef Rehnquist a déclaré (p. 443) que « Miranda s'est intégré à la pratique policière normale au point où les mises en garde font maintenant partie de notre culture nationale ». Il semble en outre que les policiers américains respectent automatiquement les conditions énoncées dans l'arrêt Miranda. Par exemple, d'après une étude effectuée par Leo (1996), les détectives fournissent les mises en garde Miranda appropriées dans tous les cas où ils sont juridiquement tenus de le faire[10] . De plus, Leo (1996) a déclaré que l'arrêt Miranda avait amélioré la qualité des services policiers aux États-Unis[11] (voir également Leo, 2001; Thomas et Leo, 2001). Les conclusions de la présente étude indiquent que les policiers canadiens pensent que la mise en garde Brydges est donnée correctement dans tous les cas d'arrestation et de détention, même si les suspects estiment que les conditions énoncées par la Cour suprême du Canada sont loin d'être toujours respectées.

3.3   Les règles de l'arrêt Miranda considérées comme des obligations constitutionnelles

Dans Dickerson v. United States(2000), la Cour suprême des États-Unis a jugé que les mises en garde de Mirandaétaient des règles constitutionnelles qui ne pouvaient être modifiées par une loi du Congrès. Comme l'a déclaré le juge en chef Rehnquist au début de l'opinion de la Cour suprême (p. 431 et 432) :

Dans Miranda… nous avons jugé qu'il était obligatoire que certaines mises en garde aient été données avant que puisse être admise en preuve la déclaration d'un suspect faite, en détention, au cours d'un interrogatoire. À la suite de cette décision, le Congrès a adopté la disposition 18 U.S.C. § 3501, qui a essentiellement pour but d'énoncer la règle selon laquelle l'admissibilité de ce type de déclaration dépend de son caractère volontaire. Nous déclarons que l'arrêt Mirandaétant une décision constitutionnelle de notre cour ne peut être modifié par une loi du Congrès et nous nous refusons à modifier nous-mêmes cet arrêt. Nous déclarons par conséquent que l'arrêt Miranda et la jurisprudence qui en a découlé devant notre cour régissent l'admissibilité des déclarations faites au cours d'un interrogatoire, et ce tant devant les juridictions fédérales qu'étatiques.

Petrowski (2001) a déclaré que l'arrêt Dickerson n'aura guère d'effet sur les pratiques policières américaines puisqu'il n'a pas modifié la teneur des mises en garde Miranda. En outre, il affirme également qu'après Dickerson, les policiers qui ne respectent pas intentionnellement les règles Miranda pourraient faire l'objet de poursuites civiles pour violation de droits reconnus par la Constitution fédérale. Il y a néanmoins lieu de noter que, tant au Canada qu'aux États-Unis, le plus haut tribunal du pays a jugé que les policiers étaient tenus de donner aux personnes arrêtées ou mises en détention certains renseignements précis concernant leur droit à l'assistance d'un avocat et que ces règles étaient de nature constitutionnelle.

3.4   Différences entre les jurisprudences canadienne et américaine

D'après McCoy (2000, p. 635), les mises en garde données aux suspects au Canada après les arrêts Brydges(1990) et Bartle(1994) sont « plus complètes que les mises en garde Miranda » et « les mises en garde canadiennes informent mieux les suspects de leur droit d'appeler un avocat au téléphone ». Plus précisément, les mises en garde canadiennes demandent au suspect s'il souhaite appeler un avocat « immédiatement », alors que les mises en garde Miranda« se terminent par une question suggestive demandant au suspect s'il est disposé à répondre à des questions en l'absence d'un avocat » (McCoy, 2000, p. 635).

Il est difficile de savoir exactement s'il existe une différence importante en pratique entre la jurisprudence canadienne et la jurisprudence américaine au sujet de la délicate question de savoir si la violation du droit à l'assistance d'un avocat entraîne l'exclusion des preuves obtenues à la suite de cette violation. Aux États-Unis, on croyait au départ que la violation du droit à l'assistance d'un avocat garanti par le cinquième amendement entraînerait automatiquement l'exclusion de toute déclaration obtenue par la suite[12] . Néanmoins, progressivement, un certain nombre d'exceptions ont été apportées à ce principe, et il est loin d'être certain que la violation d'une mise en garde Miranda incite les juges à exclure les déclarations obtenues à la suite d'une telle violation (Philips, 2001; Stuckey, Roberson et Wallace, 2001, p. 62). Par contre, au Canada, il est clair que les juges ont le pouvoir discrétionnaire, aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, d'écarter les preuves obtenues en violation du droit à l'assistance d'un avocat (Harvie et Foster, 1992). D'une façon générale, il semble que les tribunaux canadiens aient généralement tendance à exclure les déclarations et les autres types de preuves « obtenues par la contrainte » (comme les échantillons d'haleine et de sang) lorsqu'elles découlent de la violation des droits qu'accorde l'alinéa 10b) aux accusés[13] .

Il importe de savoir qu'aux États-Unis, le droit fédéral à l'assistance d'un avocat « ne s'applique pas à la prise d'échantillons de sang ou d'haleine effectuée avant le déclenchement de poursuites pénales[14] » (Latzer, 2000, p. 158). Néanmoins, aux termes de l'alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, la personne qui a été mise en détention   pour lui demander de se soumettre à un alcootest est considérée comme étant « détenue » au sens de cette disposition et possède donc le droit de consulter un avocat sans délai, garanti par la Charte(R. v. Therens, 1985).

3.5   Miranda et les questions supplémentaires visant à déterminer s'il y a eu renonciation au droit à l'assistance d'un avocat

Dans Davis (1994), la Cour suprême des États-Unis a jugé que les policiers n'étaient pas tenus de cesser d'interroger un suspect, lorsque celui-ci n'avait pas indiqué clairement s'il voulait consulter un avocat ou non. Cependant, le juge O'Connor a déclaré dans le jugement de la cour (1994, p. 461-462) :

… lorsqu'un suspect fait une déclaration ambiguë ou équivoque, il serait souvent souhaitable que les enquêteurs adoptent comme pratique de chercher à savoir si celui-ci veut vraiment consulter un avocat. ... Le fait de poser ces questions contribue à protéger les droits du suspect en veillant à ce qu'il puisse consulter un avocat si c'est ce qu'il souhaite, et réduit les chances que la confession soit déclarée inadmissible parce que le tribunal aura donné une autre interprétation à la déclaration du suspect au sujet de son droit à un avocat. Nous nous refusons toutefois d'obliger les policiers à poser ces questions supplémentaires. Si la déclaration du suspect ne constitue pas une demande non ambiguë et non équivoque de consulter un avocat, les policiers ne sont pas tenus de cesser de l'interroger.

Il semble que la Cour suprême des États-Unis ait écarté la solution consistant à obliger les policiers, conformément à une règle constitutionnelle, à « poser des questions supplémentaires » lorsqu'il n'est pas certain que le suspect a renoncé à son droit à l'assistance d'un avocat, mais la cour reconnaît cependant que ces questions représentent un élément utile de l'arsenal policier. Une des conclusions de la présente étude est qu'en ce qui concerne le Canada, il est difficile de savoir si les suspects comprennent vraiment la mise en garde Brydges que leur donnent les policiers au moment de leur arrestation ou de leur mise en détention . Le recours à des « questions supplémentaires » permettrait peut-être aux policiers de s'assurer que les suspects comprennent bien le sens de la mise en garde qui leur est donnée. Par exemple, les tribunaux canadiens pourraient obliger les policiers à poser des « questions supplémentaires » lorsqu'il existe une raison de craindre que les facultés du suspect sont gravement affaiblies par les drogues ou l'alcool, lorsque celui-ci souffre de problèmes de développement, de troubles mentaux, lorsqu'il ne parle pas couramment le français ou l'anglais ou qu'il entend mal.

3.6   Effet de l'arrêt Miranda sur le travail des policiers

L'effet de l'arrêt Miranda sur l'efficacité du travail des policiers a suscité un certain débat (Leo, 1996; Thomas et Leo, 2001). Par exemple, Crawford (1995, p. 27) affirme que sur le plan pratique, le fait de fournir la mise en garde Miranda empêche souvent les policiers de poursuivre l'interrogatoire du suspect tant qu'un avocat n'y assiste pas. Sur ce point, il est significatif qu'une étude de Leo (1996) indique que près de 25 p. 100 des suspects choisissent d'exercer les droits reconnus par l'arrêt Miranda, ce qui met fin à l'interrogatoire par les policiers ou les empêche d'interroger le témoin.

Cassell et Fowles (1998) ont affirmé que l'arrêt Miranda a en fait « lié les mains des policiers » en imposant des restrictions à leurs méthodes d'interrogatoire : ils voient dans la chute sensible du taux national de solution des crimes une preuve empirique de leur affirmation. En outre, Cassell et Hayman (1996, p. 871) rapportent que le taux des confessions est passé de 55 à 60 p. 100 qu'il était avant à 33 p. 100 après l'arrêt Miranda.

Au Canada, l'effet de l'arrêt Brydges sur les pratiques policières et sur la solution des crimes n'a pas fait l'objet d'une analyse empirique. Il est toutefois significatif qu'au cours de la présente étude, les répondants n'aient pas mentionné que l'arrêt Brydges a gravement compromis la capacité des policiers de faire respecter l'ordre. Si l'arrêt Brydges n'a pas fait l'objet de critiques, c'est presque certainement en partie dû au fait que le droit d'être informé du droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat est un droit constitutionnel depuis l'adoption de la Charte canadienne de droits et libertés en 1982. L'arrêt Brydges n'a fait que modifier le contenu des obligations en matière d'information imposées aux policiers canadiens par la Charte. Par contre, avant l'arrêt Miranda, la Cour suprême des États-Unis n'avait pas imposé aux policiers l'obligation de transmettre aux suspects des renseignements particuliers concernant le droit à un avocat avant de tenter de les interroger (Stuckey, Robertson et Wallace, 2001, p. 60). Il n'est donc guère surprenant qu'à la différence de l'arrêt Brydges, l'arrêt Miranda v. Arizona ait été largement perçu comme une décision qui a bouleversé les pratiques policières en matière d'interrogatoire des suspects aux États-Unis.

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