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Analyse des services d'avocats de garde requis selon l'arrêt Brydges


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4.0 LA CAPACITÉ DU SUSPECT ARRÊTÉ OU MIS EN DÉTENTION DE COMPRENDRE LA TENEUR DE LA MISE EN GARDE FAITE PAR LES POLICIERS

4.1   Introduction

Les personnes arrêtées ou mises en détention par les policiers ont souvent les facultés gravement affaiblies par l'usage de l'alcool ou d'autres drogues, parce qu'elles souffrent de troubles mentaux ou de développement ou n'ont pas beaucoup d'instruction. En outre, l'arrestation et la détention sont des processus qui suscitent souvent de vives émotions, la crainte et - pour la plupart des gens - une grande confusion. L'arrestation s'effectue parfois par la force (p. ex., menottes) et il arrive que le suspect soit physiquement entravé ou même blessé. Enfin, l'arrestation est un événement qui peut être très embarrassant pour le suspect. Dans ces circonstances, il est difficile de savoir si les suspects sont en mesure de bien comprendre les renseignements que leur communiquent les policiers au sujet de l'existence de l'aide juridique et de l'accès à un avocat de garde. Même si, une fois rendu au poste de police, un autre policier informe à nouveau le suspect de son droit à l'assistance d'un avocat, il est possible que l'effet des drogues qu'il a consommées, des troubles mentaux, son retard de développement, son manque d'instruction, ses craintes et sa confusion l'empêchent de bien utiliser les renseignements qui lui ont été transmis. En particulier, il est très fréquent que le suspect qui utilise des drogues très fortes souffre d'amnésie et ne soit pas en mesure de se souvenir de la mise en garde - ou de certaines parties de celle-ci - que lui a donnée un policier.

Un thème central de la présente étude est la nécessité de reconnaître que, même si la police respecte scrupuleusement le contenu de la mise en garde exigée par l'arrêt Brydges, le droit à l'assistance d'un avocat ne veut pas dire grand-chose en pratique lorsque le suspect ne comprend pas bien le contenu de la mise en garde que lui donne un policier. Nous allons donc examiner dans ce chapitre la jurisprudence pertinente canadienne et analyser ensuite la recherche empirique touchant cette question essentielle.

4.2   La jurisprudence canadienne

Dans l'arrêt de principe Evans(1991), la Cour suprême du Canada a déclaré que les policiers doivent informer les suspects de leur droit à l'assistance d'un avocat en utilisant des termes qu'ils sont en mesure de comprendre. Dans Evans, l'accusé était « affligé d'un handicap mental s'approchant de l'arriération » (1991, p. 304). Les policiers connaissaient l'état de santé mentale de l'accusé, mais ils n'ont pas tenté de s'assurer qu'il comprenait vraiment à quel moment et comment il pouvait exercer son droit à l'assistance d'un avocat. La Cour suprême a jugé qu'il y avait eu violation des droits reconnus par l'alinéa 10b) et par conséquent, qu'il y avait lieu d'écarter, aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte, certaines déclarations incriminantes faites par l'accusé à la police. Pour reprendre les paroles du juge McLachlin :

Une personne qui ne comprend pas son droit n'est pas en mesure de l'exercer. L'objet de l'al. 10b) est d'exiger des policiers qu'ils fassent connaîtreà la personne détenue son droit à l'assistance d'un avocat. Dans la plupart des cas, il est possible de conclure, d'après les circonstances, que l'accusé comprend ce qui lui est dit. ... Mais lorsque, comme en l'espèce, il y a des signes concrets que l'accusé ne comprend pas son droit à l'assistance d'un avocat, les policiers ne peuvent se contenter de la récitation rituelle de la mise en garde relative à ce droit de l'accusé; ils doivent prendre des mesures pour faciliter cette compréhension. [p. 305]

Ce raisonnement a été repris et développé dans le jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada prononcé dans l'affaire Bartle(1994), dans laquelle le juge en chef Lamer a déclaré que « les autorités doivent prendre d'autres mesures afin que la personne détenue comprenne les droits que lui garantit l'al. 10b) dans le cas où elles savent que « les circonstances indiquent que la personne détenue ne comprend peut-être pas les renseignements que les autorités lui communiquent » (p. 302). Toutefois, les tribunaux ont interprété cet énoncé de la manière suivante : c'est seulement lorsque les policiers sont au courant de l'incapacité du suspect à bien comprendre les renseignements qui lui sont transmis qu'ils sont tenus d'aller au-delà de la simple récitation de la formule habituelle. Si , par exemple, dans Kennedy (1995), l'accusé avait été conduit à l'hôpital après avoir eu un accident de voiture. Le policier a demandé des échantillons sanguins à Kennedyet il l'a informé en même temps de son droit à l'assistance d'un avocat. L'accusé a déclaré qu'il comprenait ce qu'on lui disait et a fourni l'échantillon demandé. Le médecin qui l'a pris en charge a déclaré qu'il pensait que Kennedyétait « lucide » à ce moment-là et « savait ce qu'on lui demandait » (p. 176). Il existe néanmoins des preuves indiquant que l'accusé se plaignait de douleurs à la tête et que son échantillon sanguin montrait une alcoolémie de 240 mg d'alcool par 100 ml de sang. L'accusé soutenait de son côté qu'il n'avait « aucun souvenir précis de ce qui s'était passé » après que les policiers soient arrivés sur les lieux de l'accident. Il a déclaré qu'il avait « tr 32;s mal à la tête » et affirmé qu'il ne se souvenait ni de la demande d'échantillon de sang qu'on lui avait faite, ni des conseils fournis concernant son droit à l'assistance d'un avocat (p. 176). Le juge a rejeté l'accusation de conduite avec un taux d'alcoolémie « supérieur à 80 » - en partie - p our le motif que l'accusé n'avait pas « compris correctement le contenu de son droit de consulter un avocat » (p. 177). La Cour d'appel de Terre-Neuve a fait droit à l'appel interjeté par la Couronne et ordonné un nouveau procès.

Parlant au nom de la majorité des juges de la Cour d'appel, le juge Marshall a déclaré que le juge de première instance avait commis une erreur, parce qu'il avait uniquement examiné la façon dont Kennedyavait compris les déclarations que lui avaient faites les policiers au sujet de son droit à l'assistance d'un avocat et non pas à la question de savoir si la policière s'était correctement acquittée de son obligation d'informer l'accusé « en des termes compréhensibles des éléments essentiels de son droit à l'assistance d'un avocat ». D'après le juge Marshall :

Le droit que possède la personne détenue est donc celui d'être informée correctement. Cette personne ne bénéficie pas d'une protection absolue dans le cas où elle ne saisirait pas l'importance des renseignements qui lui sont transmis. Le volet informationnel du droit à l'assistance d'un avocat ne consiste pas à s'assurer si la personne détenue a compris la communication mais si les éléments essentiels de ce droit lui ont été correctement communiqués. Il ne s'agit donc pas tant de savoir si le message a été compris, mais plutôt s'il était compréhensible. [p. 181, nos soulignés].

Le juge Marshall a poursuivi en déclarant que la capacité du suspect de comprendre ce qu'on lui dit peut être « un facteur pertinent » lorsqu'il s'agit de déterminer si les policiers se sont acquittés de leur « obligation en matière d'information » : il n'y a toutefois lieu de tenir compte de ce facteur que s'il existe des indications qui devraient alerter les policiers à la probabilité que le suspect « n'a pas correctement compris ou saisi » l'importance du droit à l'assistance d'un avocat. Le juge a estimé « qu'en l'absence de signes montrant une absence de compréhension, il suffit que ces éléments soient adéquatement communiqués au suspect » (p. 182). Compte tenu des preuves incontestables montrant que l'accusé était dans un état d'ébriété avancée et se plaignait de douleurs à la tête, il est intéressant de s'interroger sur la gravité que doivent avoir les symptômes indiquant des facultés affaiblies pour que les policiers soient tenus de s'assurer que le suspect comprend bien la nature de son droit à l'assistance d'un avocat aux termes de l'alinéa 10b) de la Charte.

Il est également important de rappeler que la Cour suprême du Canada a fixé un seuil relativement faible pour ce qui est de déterminer si l'accusé ou le suspect a véritablement la capacité d'exercer son droit à l'assistance d'un avocat aux termes de l'alinéa 10b) de la Charte ou d'y renoncer. L'arrêt qui fait autorité sur ce point est l'arrêt Whittle(1994). Whittle souffrait de schizophrénie et d'hallucinations auditives qui l'ont amené à faire des déclarations incriminantes à la police; le tribunal a néanmoins estimé qu'il avait la « capacité cognitive limitée» exigée pour pouvoir renoncer validement à son droit à l'assistance d'un avocat. Ce qu'on appelle le critère de « la capacité cognitive limitée » a été formulé pour la première fois par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêtTaylor(1991), une affaire concernant l'aptitude de l'accusé à subir un procès. Parlant au nom de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Whittle, le juge Sopinka a déclaré que les juges doivent appliquer la même norme pour décider si les accusés ont la capacité mentale nécessaire pour exercer n'importe lequel de leurs droits avant le procès (y compris le droit à l'assistance d'un avocat) ou pour y renoncer. Pour reprendre les paroles du juge Sopinka :

Le critère de l'état d'esprit conscient ... comporte un élément psychologique limité selon lequel l'accusé doit avoir une capacité cognitive suffisante pour comprendre ce qu'il dit et ce qui est dit.Cela inclut la capacité de comprendre une mise en garde selon laquelle la déposition pourra être utilisé contre l'accusé.

En exerçant son droit à l'assistance d'un avocat ou en y renonçant, l'accusé doit avoir la capacité cognitive limitée qui est nécessaire pour être apte à subir son procès. Il doit être en mesure de communiquer avec un avocat pour lui donner des instructions et il doit saisir le rôle de l'avocat et comprendre qu'il peut se passer des services d'un avocat même si ce n'est pas au mieux de ses intérêts. Il n'est pas nécessaire que l'accusé ait une aptitude analytique. Le degré de capacité cognitive est le même que celui qui est exigé à l'égard de la règle des confessions et du droit de garder le silence. Comme je l'ai mentionné précédemment, l'accusé doit avoir la capacité mentale qui découle d'un état d'esprit conscient. [p. 31, nos soulignés].

Essentiellement, pourvu que l'accusé ait « un état d'esprit conscient », peu importe qu'il agisse de façon irrationnelle parce qu'il souffre de troubles mentaux ou qu'il n'a pas la capacité d'analyser la situation clairement parce qu'il souffre de troubles de développement ou de lésions cérébrales; le tribunal estimera qu'il a la capacité de renoncer au droit à l'assistance d'un avocat. Si l'on applique le raisonnement qui a été tenu dans l'arrêt Whittle au contexte de la mise en garde donnée par les policiers à un accusé au sujet de son droit à l'assistance d'un avocat et de la possibilité d'avoir accès aux services Brydges, il est évident que l'obligation imposée aux policiers de veiller à ce que l'accusé comprenne le sens de la mise en garde n'est pas très exigeante. Sur ce point, il importe   de noter qu'un éminent juriste canadien, Don Stuart, a affirmé (2001, p. 287 et 288) que la Cour suprême du Canada aurait dû saisir l'occasion, dans un arrêt comme Bartle(1994), d'élargir la portée de l'obligation imposée aux policiers et de les forcer à « prendre des mesures pour veiller à ce que la personne détenue comprenne vraiment » les renseignements qui lui sont communiqués.

L'affaire Noël(2001) est un exemple instructif de ce qui peut arriver lorsqu'on applique une norme aussi peu exigeante pour évaluer la capacité de comprendre la mise en garde donnée par les policiers. Dans cette affaire, l'accusé avait été inculpé de meurtre au premier degré. Avant de faire des déclarations incriminantes à la police, Noël avait été informé de ses droits aux termes de l'alinéa 10b) de la Charte et s'était abstenu de demander les services d'un avocat. Les preuves indiquaient que Noël ne savait ni lire ni écrire et un témoin de la Couronne a même affirmé que Noël avait un QI s'élevant « tout juste » à 75 (par. 102). La Cour d'appel du Québec a néanmoins confirmé la conclusion du juge de première instance selon lequel Noël possédait « une capacité cognitive suffisante pour comprendre la mise en garde » et qu'« il avait compris et décidé sciemment de ne pas consulter un avocat avant de faire ses déclarations » (par. 47).

Dans son jugement dans l'arrêt Latimer(1997), le juge en chef Lamer a fait une suggestion intéressante selon laquelle, dans certains cas, les policiers devraient être tenus de fournir davantage d'informations à la personne détenue ou accusée parce qu'elle a des besoins spéciaux. Sur ce point, le juge en chef a pris l'exemple d'une personne ayant une déficience visuelle ou « dont la connaissance de la langue du ressort est insuffisante pour comprendre les renseignements donnés sur les avocats de garde » (par. 38). Il ne semble toutefois pas que le juge en chef ait voulu étendre cette obligation au cas des suspects qui ont un trouble de développement ou mental. On pourrait fort bien soutenir que la Cour suprême du Canada devrait adopter un principe voulant que la nature exacte de l'obligation des policiers de fournir certains renseignements doit s'apprécier en fonction de la capacité de l'accusé à utiliser les renseignements qui lui sont communiqués.Si ce principe devait être adopté, les policiers devraient recevoir une formation appropriée pour que les personnes ayant une incapacité et celles qui ne parlent pas la langue des policiers comprennent bien la nature et la portée des « services Brydges» qui peuvent être offerts dans une province ou un territoire donné.

Au chapitre 3, nous avons noté que la Cour suprême des États-Unis avait examiné la possibilité d'obliger les policiers à poser des « questions supplémentaires » chaque fois qu'il existait un doute sur les véritables intentions d'un suspect qui semble se préparer à renoncer à son droit à l'assistance d'un avocat. Il serait certainement utile d'explorer les avantages et les inconvénients qu'aurait l'imposition aux policiers canadiens de l'obligation de poser ce genre de « questions supplémentaires », chaque fois qu'il existe un doute sur la façon dont l'accusé comprend les renseignements   communiqués par les policiers qui lui ont donné la mise en garde prévue par l'arrêt Brydges. Les tribunaux pourraient également fort bien élargir la portée de l'obligation des policiers de fournir au suspect les renseignements concernant leurs droits aux termes de l'alinéa 10b) de la Charte. L'examen de la recherche empirique débouche inexorablement sur la conclusion que la capacité d'un suspect détenu ou arrêté de comprendre la mise en garde des policiers est une question qui ne peut être prise à la légère.

4.3   L'examen de la recherche empirique

4.3.1 L'effet de la toxicomanie

La toxicomanieest un problème très courant chez les personnes qui ont des démêlés avec la justice pénale. En fait, l'abus de l'alcool et des autres drogues est souvent à l'origine de déficits neurologiques qui encouragent l'agression et augmentent le risque que ces personnes commettent des actes qui appellent l'intervention des acteurs du système de justice pénale (Boland, Henderson et Baker, 1998). En outre, lorsqu'une personne consomme des drogues de façon abusive et assume la garde et le contrôle d'un véhicule à moteur, elle commet alors une infraction pénale grave qui constitue une des principales cibles des activités des services de police au Canada.

Il a été démontré qu'il y a beaucoup de toxicomanes parmi les délinquants au Canada. Par exemple, selon une étude menée par Boland, Henderson et Baker (1998), deux tiers au moins de la population carcérale fédérale ont des problèmes de consommation abusive de drogue. De la même façon, Brink et al. (2001) ont constaté que 75,7 p. 100 d'un échantillon composé des détenus récemment admis dans un établissement fédéral canadien avaient de lourds antécédents de toxicomanie et Bland et al. (1990) et Roesch (1995) font état de constatations semblables pour ce qui est des détenus dans les établissements correctionnels provinciaux.

L'alcoolest la drogue que les contrevenants ont le plus souvent consommée avant de perpétrer une infraction pénale (Pernanen et al. 2002, p. 15), même s'il est important de savoir que l'alcool est souvent consommé avec d'autres drogues - tant légales qu'illégales (Pernanen et al., 2002, p. 72). La consommation d'alcool a été étudiée par Pernanen et al.(2002) qui a constaté un fort taux de consommation d'alcool (79 p. 100) chez les nouveaux détenus fédéraux au cours d'une période de six mois précédant leur arrestation, tandis que la consommation de drogue illégale est le fait d'un pourcentage plus faible mais non négligeable, soit 52 p. 100 des détenus de l'échantillon (Pernanen, et al. 2002, p. 49). De la même façon, Brink et al.(2001, p. 349) ont constaté que dans leur échantillon de nouveaux détenus fédéraux, 59,4 p. 100 avaient été alcooliques toute leur vie, 31,7 p. 100 étaient dépendants de la cocaïne et 10,9 p. 100 des opiacés.

Il n'existe pas beaucoup d'études canadiennes sur l'état d'ébriété des accusés au moment de leur arrestation ou de leur détention, mais il existe tout de même une étude qui a examiné cette question de façon approfondie. Pernanen, et al.(2002) a examiné un échantillon de personnes qui avaient été arrêtées ou détenues dans 26 collectivités canadiennes pendant une période d'un mois (mai à juin 2000). L'étude a notamment consisté à demander aux policiers si certaines personnes arrêtées consommaient de façon abusive de l'alcool ou d'autres drogues. Les chercheurs ont découvert que près de 40 p. 100 des personnes de sexe masculin et 33 p. 100 de celles de sexe féminin consommaient apparemment de l'alcool de façon excessive (Pernanen, et al. 2002, p. 72). Le tableau suivant présente brièvement les résultats de l'étude :

Personnes arrêtées dans 14 villes canadiennes :
pourcentage des toxicomanes selon le policier ayant effectué l'arrestation

Type de toxicomanie selon le policier

Hommes

(1 544)

Femmes

(334)

Total

(1 878)

Alcool seul

25

17

23

Drogues et alcool

15

16

16

Drogues seules

15

15

15

Non toxicomane

45

53

46

TOTAL

100 %

101 %

100 %

* D'après l'évaluation effectuée par le policier ayant procédé à l'arrestation. Les questions posées étaient « la personne arrêtée consomme-t-elle de l'alcool de façon excessive? » et « La personne arrêtée consomme-t-elle de façon excessive une ou plusieurs drogues illicites? »

Source : Pernanen, et. al.2002, p. 72.

Cette étude souligne le rapport qui existe entre le grand nombre d'affaires de conduite avec facultés affaiblies et le fort pourcentage de personnes consommant de l'alcool de façon excessive rapporté par la police (Pernanen, et al., 2002, p. 73). Pour ce qui est des effets de l'alcool, il est essentiel de savoir que la recherche montre que l'amnésie est un symptôme fréquemment associé à l'ébriété (Coles et Jang, 1996; Cunnien, 1986; Wilkinson, 1997). D'après les connaissances empiriques concernant les rapports entre la consommation excessive d'alcool et de drogue, il est possible de se demander si le suspect dont les facultés sont affaiblies par l'alcool ou d'autres drogues a vraiment la capacité mentale de comprendre la mise en garde donnée par les policiers. Il y a également lieu de s'inquiéter du fait qu'il est très probable que le suspect n'est pas en mesure de comprendre correctement les conseils fournis par l'avocat de garde prévu par l'arrêt Brydges. Il est évident que cet aspect est d'une grande importance puisque l'examen de la jurisprudence, dans laquelle la mise en garde prévue par l'arrêt Brydges joue un rôle essentiel, montre que la plupart des affaires concernaient des personnes soupçonnées de conduite avec facultés affaiblies - des affaires reliées à la consommation excessive d'alcool.

4.3.2 L'effet des troubles mentaux

Une autre caractéristique importante du système de justice pénale est le taux élevé de troubles mentaux permanents constatés chez les détenus (Arboleda-Florez, 1998; Bland et. al., 1998; Brink, Doherty et Boer, 2001; ministère de la Sécurité publique et du Solliciteur général, 2001; et Zapf, Roesch et Hart, 1996). Il y a également lieu de noter que les études démontrent que le taux des troubles mentaux graves est beaucoup plus fort chez les détenus que dans la population générale (Bland et. al., 1998, p. 278 et Brink, Doherty et Boer, 2001, p. 353)[15] . Les études portant sur la population carcérale de sexe féminin dans les prisons canadiennes vont dans le même sens (SCC, 1998 cité dans Mason, 2001, p. 135).L'augmentation du nombre des personnes qui souffrent de troubles mentaux admises dans le système correctionnel canadien suscite de graves préoccupations (Bland et. al., 1998, p. 277 et Porporino, 1994, p.1). Il semble que cette augmentation s'explique en partie par la diminution du nombre des lits affectés aux malades psychiatriques dans les établissements qui fournissent des soins hospitaliers de longue durée (Bland et. al. 1998, p. 277 et Endicott, 1991, p. 8). Il est donc possible qu'un bon nombre des personnes qui ont quitté ces établissements utilisent aujourd'hui les ressources du système de santé mentale par l'intermédiaire du système de justice pénale, même si, d'après certains, « l'hypothèse de la criminalisation » n'explique qu'en partie le fait que les établissements correctionnels regroupent un nombre important de personnes souffrant de graves troubles mentaux (Bland et. al., 1998, p. 277; Brink et al, 2001; et Teplin, 1990 et 2000, p. 12). Vitelli (1993, cité dans Zapf, Roesch et Hart, 1996, p. 436) a décrit de façon très suc cincte et directe « l'hypothèse de la criminalisation » :

Il semble que le système correctionnel offre aux sans-abri des services médicaux, dentaires et psychologiques auxquels ils n'auraient pas accès autrement, ce qui les amène à dépendre du système de justice pénale pour obtenir ces services.

Motiuk et Porporino (1991) ont constaté un taux national de prévalence très élevé pour ce qui est des troubles mentaux chez les détenus fédéraux au Canada. Leur étude indique les taux de prévalence d'après les DIS pour les principales catégories de troubles mentaux suivantes : « "organiques" (4,3 p. 100); "psychotiques" (10,4 p. 100); "troubles dépressifs" (29,8 p. 100); "angoisse" (55,6 p. 100); "troubles psychosexuels" (24,5 p. 100); "troubles antisociaux" (74,9 p. 100); "stupéfiants" (52,9 p. 100); et "alcool" (69,8 p. 100) ».

Taux de prévalence national chez les détenus fédéraux selon le DIS en fonction de critères élargis (pondérés)

Troubles

À vie

12 mois

2 semaines

Organiques

4,3

S/O

S/O

Psychotiques

10,4

6,8

4,6

Dépression

29,8

15,6

9,1

Angoisse

55,6

34,8

15,4

Troubles psychosexuels

24,5

S/O

S/O

Troubles antisociaux

74,9

S/O

S/O

Toxicomanie

52,9

16,8

4,2

Alcool

69,8

13,1

0,6

Source :Motiuk et Porporino (1991) [16]

Brink et al(2001) ont constaté que le taux des troubles mentaux actuelétait important parmi leur échantillon de nouveaux détenus fédéraux. En fait, 3,5 p. 100 souffraient de psychose active, 17,3 p. 100 de troubles liés à l'angoisse et 8,4 p. 100 de troubles de l'humeur. Étant donné que la plupart de ces personnes avaient été jugées et condamnées à purger leur peine dans un établissement fédéral très longtemps après leur arrestation, il est probable que le taux des maladies mentales dont souffraient ces personnes au moment de leur arrestation était encore plus élevé.

Les effets traumatiquesde l'arrestation et l'aggravation du stress causé par la détention dans un poste de police ou une prison locale risque d'exacerber les problèmes de santé mentale dont souffrent de nombreux suspects (Blaauw, E., Kerkhof, A. et Vermunt, R., 1998, p. 85). Pour les personnes atteintes de troubles mentaux, la prison peut être un endroit terrifiant (Nami, 2002, p. 2). Herman a également décrit l'effet psychologique que peut avoir un événement traumatisant (comme l'arrestation et la détention) (1992, p, 36, cité par McDonald, 2000) :

Leur niveau de base d'excitation est élevé : leur corps est toujours prêt à parer un danger. Ils réagissent également très brusquement à tout stimulus inattendu associé à l'événement traumatisant.

En outre, les symptômes physiologiques que l'on retrouve chez la personne qui a subi un événement traumatique sont des éléments essentiels qui peuvent vraiment compromettre sa capacité de comprendre des renseignements relativement simples (McDonald, 2000) :

L'individu peut avoir des crises de panique, notamment perdre connaissance, avoir des étourdissements, des tremblements ou un sentiment de perte de contrôle et des rappels sur le traumatisme ou sur les sentiments découlant du traumatisme... Ces préoccupations constituent parfois des obstacles à l'apprentissage. Enfin, cela peut entraîner des problèmes de santé, dont la dépression, ou des problèmes physiques. Un traumatisme peut également affecter la santé physique. N'importe lequel de ces effets peut constituer un obstacle à l'apprentissage et il faut admettre que le traumatisme est une source possible de difficultés d'apprentissage.

4.3.3 L'effet des incapacités

Diverses incapacités peuvent empêcher un suspect détenu par la police de bien comprendre une mise en garde. Par exemple, les incapacités intellectuelles sont plus fréquentes chez les détenus canadiens que dans la population générale (Endicott, 1991, p. 20). Certains ont même émis la théorie que les « handicapés » sont surreprésentés dans les établissements correctionnels parce qu'ils sont « plus facilement arrêtés, plus disposés à confesser leurs actes, plus souvent déclarés coupables et incarcérés la plupart du temps plus longtemps que les délinquants qui ne sont pas retardés » (Allen, 1968, p. 25 cité dans Endicott, 1991).

À la différence des troubles mentaux, qui peuvent être temporaires ou cycliques, les déficiences intellectuelles constituent généralement un obstacle permanent à l'apprentissage (Endicott, 1991, p. 16). D'après Santamour et West (1982, cité dans Endicott, 1991), les déficiences intellectuelles sont souvent associées aux caractéristiques suivantes :

  • faible tolérance à la frustration
  • incapacité de retarder une gratification
  • mauvais contrôle des impulsions
  • faible motivation
  • angoisse face au rejet
  • besoin d'attention
  • facile à convaincre et à manipuler

Il est important de signaler qu'une étude empirique d'envergure menée aux États-Unis confirme le fait qu'il est fréquent que les handicapés mentaux ne comprennent pas les mises en garde données par les policiers - la mise en garde Miranda, dans cette étude (Cloudet. al,2002, p. 4).

Le syndrome d'alcoolisation fœtaleest une forme particulière de déficience intellectuelle qui a fait l'objet d'études approfondies ces dernières années (Boland, Henderson et Baker, 1998). Le syndrome d'alcoolisation fœtale est parfois un obstacle à l'apprentissage et empêche aussi certaines personnes de comprendre les conséquences de leurs actes ou de contrôler leurs impulsions (Boland et. al. 1998, p. 16). Ce syndrome est donc un autre facteur dont il faut tenir compte pour évaluer la capacité d'un suspect de comprendre la mise en garde prévue par l'arrêt Brydges. Il n'existe, à l'heure actuelle, aucune donnée nationale   permettant d'évaluer l'ampleur ou la prévalence de ce phénomène, mais certains chercheurs estiment qu'il y a des dizaines de milliers d'adultes qui souffrent de ce syndrome, à l'insu de tous (« FAS : From Awareness to Prevention », 1992; Donovan, 1992, cité dans Boland et. al, 1998, p. 10).

Enfin, il y a des suspects atteints d'une incapacité physique qui les empêche de bien comprendre la mise en garde donnée par les policiers ainsi que les conseils juridiques fournis par l'avocat de garde prévu par l'arrêt Brydges. Par exemple, des problèmes auditifs peuvent empêcher le suspect de comprendre les renseignements fournis par la police ou l'avocat au moment de l'arrestation ou de la mise en détention. En fait, Vernon, Steinberg et Montoya (1999) ont montré que les suspects atteints de surdité n'ont souvent pas les capacités linguistiques nécessaires pour comprendre les mises en garde Miranda. Ils affirment (1999, p. 508) qu'entre 85 et 90 p. 100 des sourds « prélinguistiques » n'ont pas la capacité nécessaire de comprendre l'énoncé écrit de leurs droits. Étant donné que « la plupart des sourds ne comprennent que 5 p. 100 de ce qu'on leur dit en lisant sur les lèvres », il n'est pas possible de leur donner verbalement la mise en garde Miranda(1999, p. 508). Les sourds instruits sont capables de comprendre une mise en garde faite avec l'American Sign Language, mais un accusé analphabète ou dont la capacité de lecture est inférieure à une 6eannée n'est pas en mesure de bien comprendre une mise en garde (1999, p. 508). Vernon, Steinberg et Montoya (1999, p, 510), recommandent par conséquent d'enregistrer sur ruban magnétoscopique l'administration de la mise en garde Miranda pour les accusés sourds et d'utiliser des tests normalisés afin de   déterminer la mesure dans laquelle l'accusé a la capacité de comprendre la mise en garde Miranda. Manifestement, des considérations semblables s'appliquent aux mises en garde prévues par l'arrêt Brydges au Canada.

4.3.4 L'effet des barrières linguistiques

Il est incontestable que les barrières linguistiquesconstituent un problème grave puisque le suspect qui ne comprend pas bien le français ou l'anglais risque fort de ne pas être en mesure de bien comprendre la mise en garde donnée par les policiers ou les renseignements juridiques fournis par l'avocat de garde Brydges. En fait, selon une étude canadienne effectuée par Currie[17] (2000, p. 12), lorsque l'accusé ne parle pas couramment le français ou l'anglais, il est essentiel de lui fournir des services juridiques appropriés dans sa langue.

4.3.5 L'« adulte approprié » comme procédure constituant un mécanisme susceptible de protéger les droits des suspects dont la capacité de comprendre la mise en garde des policiers exigée par l'alinéa 10b) est gravement compromise

En Angleterre et au pays de Galles, des mesures ont été prises pour que les suspects atteints de troubles mentaux et de développement qui sont détenus par la police bénéficient du soutien d'une personne indépendante appelée « l'adulte approprié ». Selon des études, entre 10 et 26 p. 100 des personnes détenues par la police en Angleterre et au Pays de Galles souffrent de troubles mentaux ou de développement (Bucke et Brown, 1997, p. 7). « L'adulte approprié » fournit une assistance immédiate au suspect au poste de police même. Selon les codes de pratique associés à la Police and Criminal Evidence Act 1984(PACE) (loi de 1984 sur la police et les preuves pénales), les policiers sont légalement tenus de demander à un « adulte approprié » de s'occuper des « personnes détenues atteintes de troubles mentaux ou de déficience mentale » (Bucke et Brown, 1997, p. 5).

Bucke et Brown (1997, p. vii) ont constaté que 2 p. 100 des suspects détenus faisant partie de leur échantillon avaient été traités au départ comme des personnes atteintes de déficiences ou de troubles mentaux et que des adultes appropriés s'étaient occupés d'elles dans environ deux tiers des cas. Les auteurs notent également que 60 p. 100 de ces « adultes appropriés » qui se sont rendus au poste de police étaient des travailleurs sociaux, les autres étant des amis ou des voisins, des membres de la famille ou des tuteurs (p. 8). L'« adulte approprié » est tenu de veiller à ce que le suspect comprenne la mise en garde donnée par les policiers et de demander la présence d'un conseiller juridique, si le suspect ne s'en est pas déjà occupé (Nemitz et Bean, 2001, p. 600). L'« adulte approprié » est également tenu d'assister à l'interrogatoire de la police pour en contrôler la régularité et le caractère équitable; il doit également faciliter la communication avec le suspect interrogé (Nemitz et Bean, 2001, p. 601).

Les dispositions relatives à l'« adulte approprié » sont appliquées dans le cadre des services d'avocats de garde qui permettent aux suspects détenus par la police en Angleterre ou au pays de Galles d'avoir accès à un avocat qui se rend au poste de police. Idéalement, l'« adulte approprié » et l'avocat de garde collaborent pour veiller à ce que les besoins particuliers des suspects atteints de troubles mentaux ou de développement soient remplis lorsqu'ils sont détenus par les services de police. En particulier, l'adulte approprié peut veiller à ce que le suspect ait accès à une aide juridique et que les policiers prennent les mesures qui s'imposent pour s'assurer que le suspect comprend bien les renseignements qui lui sont fournis par les policiers. Lorsque le suspect semble ne pas avoir cette capacité, l'adulte approprié est parfois en mesure de demander à un professionnel de la santé mentale d'évaluer la santé mentale du suspect avant que les policiers ne procèdent à son interrogatoire (Medford, Gudjonsson et Pearce, 2000). De la même façon, l'avocat de garde veille à ce que, lorsqu'il existe un doute au sujet de l'état mental d'un client, un « adulte approprié » soit nommé pour s'en occuper, lorsque cela n'a pas encore été fait. En outre, l'avocat de garde doit faire les démarches nécessaires pour obtenir qu'un tel suspect soit examiné par un professionnel médical ou de la santé mentale.

Il est difficile de savoir si les pratiques actuelles associées au mécanisme de l'« adulte approprié » en Angleterre et au pays de Galles sont véritablement efficaces (Medford, Gudjonsson et Pearce, 2000). Par exemple, Nemitz et Bean (2001, p. 604) ont déclaré que « les contrevenants atteints de troubles mentaux se trouvant dans les postes de police sont rarement signalés ou traités, et encore moins protégés comme ils le devraient ». Laing (1996) a lancé une mise en garde comparable et il rapporte que les services de police mentionnent souvent que le nombre des suspects atteints de troubles mentaux dont ils devaient s'occuper ne fait qu'augmenter. Laing affirme également qu'il n'y a pas suffisamment de professionnels de santé mentale qui sont capables de travailler dans les postes de police pour dépister les suspects atteints de troubles mentaux ou de développement. La présence, dans les postes de police, de professionnels de la santé mentale ayant reçu une bonne formation et ayant beaucoup d'expérience éviterait que ces suspects ne soient happés par le tourniquet de la vie des sans-abri, des troubles mentaux et de l'incarcération au sein du système de justice pénale. Laing (1996, p. 7) propose donc qu'il y ait des « psychiatres de garde » qui seraient chargés d'évaluer les personnes détenues dans les postes de police. Si l'on voulait répondre aux besoins des détenus atteints de troubles mentaux et de développement, il serait très souhaitable que l'avocat de garde travaille en collaboration avec l'« adulte approprié » et le psychiatre de garde (si l'on devait créer ce genre de poste à l'avenir).

En combinant le mécanisme de l'« adulte approprié » avec le programme d'avocats de garde qui existe en Angleterre et au pays de Galles, on pourrait élaborer un modèle qui pourrait être adopté par le Canada pour répondre aux besoins des suspects qui se trouvent sous la garde des policiers et dont la capacité d'exercer les droits garantis par l'alinéa 10b) est diminuée en raison de divers types de déficiences. Dans le contexte canadien, l'« adulte approprié » pourrait fort bien être un travailleur social (Littlechild, 1996) et un avocat de garde pourrait être affecté à certains postes de police particulièrement occupés. L'avocat de garde jouerait un rôle essentiel pour veiller à ce que dans le cas où les besoins particuliers de leurs clients n'ont pas été encore pris en compte par les policiers, l'on procède à des examens médicaux et psychiatriques avant que les policiers ne les interrogent. De la même façon, lorsqu'un « adulte approprié » n'a pas encore été nommé, l'avocat de garde serait chargé de trouver une telle personne pour aider   le suspect. Dans les postes de police très occupés, des psychiatres de garde seraient chargés d'effectuer un examen rapide des suspects qui semblent atteints de troubles mentaux. Les autres types d'incapacités seraient confiées à des professionnels appropriés (les difficultés auditives à des médecins, la déficience intellectuelle à des psychologues cliniques, etc.). L'avocat de garde pourrait jouer un rôle essentiel d'orientation des clients vers les services appropriés, et il serait donc souhaitable que les avocats chargés de fournir ces services reçoivent une formation qui leur permette de reconnaître les différents types d'incapacité et les façons dont les organismes et les prof essionnels de l'extérieur doivent intervenir dans ces cas-là.

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