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Groupe d'étude de l'accès à l'information

 

Notes du Commissaire à l'information pour une allocution devant le Comité consultatif des SMA, Ottawa, Ontario - le 23 février 2001


Je trouve très à-propos que le Comité consultatif des SMA et le Groupe de travail m'aient invité à venir parler de la réforme du système d'accès à l'information du gouvernement fédéral. J'emploie le mot « système »parce que cette réforme déborde la simple modification de la Loi sur l'accès à l'information. Il s'agit, tel que je conçois les choses, de recommander des mesures, et ce sera la tâche du Groupe de travail, pour améliorer l'ensemble du système, notamment à l'égard des aspects suivants : l'administration du système dans les ministères, le financement, le statut et le rôle des coordonnateurs, le leadership et la culture, la gestion de l'information, la divulgation proactive de l'information, etc.

Tandis que je me préparais à la séance d'aujourd'hui, je me suis rendu compte qu'il y avait tant de choses à dire! Le Commissariat et mes prédécesseurs ont proposé de nombreux changements judicieux depuis des années. Je ne les réitérerai pas : ils sont consignés dans des documents publics et sont entre les mains des membres du Groupe de travail. Je n'ai pas l'intention de vous donner ma recette du changement, mais plutôt de vous dire comment les résultats du Groupe de travail seront évalués par les collectivités d'« utilisateurs », c'est-à-dire par les journalistes, les députés, les universitaires, les membres du barreau, les gens d'affaires, les demandeurs d'information multiple, les étudiants et la multitude de gens qui ne recourent que rarement à la Loi. Pour dire les choses simplement : « Comment votre travail d'agents internes du gouvernement sera-t-il jugé par ceux de l'extérieur, à qui la Loi est censée profiter? »

J'espère que le Groupe de travail n'estimera pas qu'il n'a plus besoin de se concerter avec le Commissariat. J'espère que, lorsqu'il aura une première idée de l'orientation que devrait prendre la réforme, il m'en fera part et me demandera mon avis. C'est à ce moment-là que j'aimerais être à nouveau invité par le groupe pour que nous puissions entamer un dialogue et une consultation fructueux. J'espère également avoir la possibilité de partager mon point de vue avec le comité consultatif externe lorsqu'il aura été formé.

Permettez-moi de commencer en vous rappelant le contexte dans lequel s'inscrit cette réforme. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information, en 1983, la plupart des provinces ont adopté des lois, révisé leurs lois et élargi la portée de leurs lois. À quelques exceptions près, la Loi fédérale n'a pas changé depuis 18 ans.

Pourquoi la réforme de la Loi sur l'accès à l'information fédérale est-elle restée un objectif aussi inaccessible? Les mesures unanimement recommandées en 1986 par le Comité permanent de la justice et du Solliciteur général ont été laissées de côté. Il en a été de même des mesures de réforme recommandées depuis 1986 par trois Commissaires à l'information. Plus d'une douzaine de projets de loi d'initiative parlementaire concernant la Loi sur l'accès à l'information sont morts au Feuilleton sans que le gouvernement les ait jamais appuyés. La décision la plus récente et la plus notoire du gouvernement a été de rejeter la liste complète de modifications proposées par John Bryden. (Je parlerai un peu plus loin d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui a fini par prendre force de loi.) Un certain nombre de projets de réforme ont été élaborés au sein de l'administration fédérale, pour finalement être rejetés par le Cabinet ou bloqués au seuil du Bureau du Conseil privé. Les gouvernementaux conservateurs tout autant que les gouvernementaux libéraux ont reculé devant la tâche de concrétiser le grand principe de la transparence, dont les deux partis s'étaient à l'origine faits les défenseurs en appuyant la Loi sur l'accès à l'information.

Encore à l'automne dernier, la ministre de la Justice et la présidente du Conseil du Trésor ont annoncé un énième examen du système fédéral d'accès à l'information. C'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui. Avons-nous plus de chances de réussir que nos prédécesseurs? Et, si nous réussissons, quelle sorte de fruit cet arbre portera-t-il?

Les raisons des échecs antérieurs signalent les pièges dans lesquels il faut éviter de tomber. L'habitude du secret est profondément enracinée dans l'administration fédérale, notamment aux échelons supérieurs de la bureaucratie. Le secret enveloppe les fonctionnaires dans un anonymat relatif sous le couvert de la notion de « responsabilité ministérielle ». Le secret permet également aux gouvernements d'exercer plus de contrôle sur l'information rendue publique. La Loi sur l'accès à l'information - qui permet effectivement à toute personne présente au Canada d'avoir accès à la plupart des documents détenus par le gouvernement dans des délais précis - est une attaque de front contre ces vertus supposées du secret. Les fonctionnaires ont donc toutes les raisons de résister au fonctionnement de la Loi, voire de l'entraver.

Permettez-moi d'ouvrir ici une parenthèse au sujet de la notion de responsabilité ministérielle. Cette notion, bien qu'elle soit souvent présentée comme l'un des fondements appréciés de notre système, est devenue une relique juridique avec l'adoption de la Loi sur l'accès à l'information. Dans un jugement rendu en 1997, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur l'objet et l'effet de la Loi sur l'accès à l'information. Le juge LaForest, parlant au nom de la Cour à cet égard, a déclaré :

« La loi en matière d'accès à l'information a pour objet général de favoriser la démocratie en aidant à garantir que les citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population. »

J'attire votre attention sur les termes « garantir (…) que les politiciens et les bureaucrates demeurent comptables ». J'entends trop souvent les bureaucrates se plaindre d'être trop « exposés » depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information, comme si c'était une situation à corriger. Tout au contraire, la responsabilisation des bureaucrates, par le biais de la transparence, est la pierre angulaire et l'intention même de la Loi. La confusion qui persiste à cet égard risque fort de dévier ou de dévoyer tout effort de réforme sérieux.

On a donc tout lieu de craindre qu'un projet de réforme concocté par des fonctionnaires, qui ne serait pas assujetti à un examen parlementaire public et intégral, tienne compte des préoccupations des bureaucrates au détriment de celles de la population.

La Loi sur l'accès à l'information a modifié considérablement le rapport de forces entre l'État et le citoyen. Et ce, à trois égards. Premièrement, elle a donné au citoyen le pouvoir juridique effectif de consulter les documents détenus par le gouvernement, sauf dans seize cas précisément définis.

Deuxièmement, la Loi a investi le citoyen du pouvoir juridique effectif d'obtenir les documents qu'il demande ou de savoir pourquoi sa demande est rejetée dans un délai de trente jours. Ce délai peut être prorogé, mais toute prorogation est assujettie à des critères objectifs qui doivent être remplis. Troisièmement, la Loi a donné au citoyen qui s'estime lésé par la façon dont le gouvernement traite sa demande de communication le droit de demander la révision indépendante à deux paliers des décisions du gouvernement : le Commissaire à l'information constitue le premier palier et la Cour fédérale du Canada, le second.

Tout projet de réforme proposé par le Groupe de travail actuel sera évalué en fonction de ce critère primordial : le rapport de forces entre l'État et le citoyen est-il affecté et, si c'est le cas, en quel sens? Par exemple, il paraît que le Comité consultatif des SMA a demandé au Groupe de travail de recommander des changements qui pourraient être mis en œuvre avant même que le rapport définitif soit terminé et rendu public. Le pouvoir du gouvernement de modifier la réglementation applicable au système d'accès à l'information est énoncé à l'article 77 de la Loi et il est assez large. Il donne au gouverneur en conseil le pouvoir d'adopter des règlements concernant huit aspects, dont, par exemple, les droits exigibles, et il lui permet d'ajouter (mais non de supprimer) des ministères, des ministères d'État et des organismes ou des agents du gouvernement à la liste des institutions gouvernementales visées par la Loi.

Je m'inquiète à l'idée que des changements importants pourraient être apportés au système avant que le Groupe de travail ait rendu publiques ses recommandations finales et que la population ait eu pleinement la possibilité d'y réagir. Des mesures précipitées seraient tout à fait contraires à l'approche prudente et réfléchie énoncée au départ par la ministre de la Justice et la présidente du Conseil du Trésor.

Cela dit, si l'on décide d'aller de l'avant et de procéder à des changements administratifs anticipés, il sera instructif de voir s'ils concernent les frais applicables à la présentation d'une demande (actuellement fixés à 5 dollars et que la Loi permet d'augmenter, par règlement, jusqu'à concurrence de 25 dollars), les frais de photocopie (actuellement fixés à 20 cents la page) et les frais de recherche et de préparation (actuellement fixés à 10 dollars par heure et par personne).

Toute augmentation des frais sera perçue comme une tentative pour entraver l'exercice du droit d'accès à l'information, et le gouvernement devra justifier ce nouveau glissement du rapport des forces en faveur de l'État.

Permettez que je m'arrête un moment sur cette question. On croit généralement, dans l'administration fédérale, que le droit d'accès fait l'objet d'abus de la part de requérants aux motifs frivoles, d'entreprises commerciales et de demandeurs d'information multiple. Cette conviction est parfaitement injustifiée.

La Loi sur l'accès à l'information est entrée en vigueur le 1er juillet 1983. Nous avons près de dix-huit ans d'expérience en la matière, et nous avons eu quelques surprises. Et la première est l'usage modéré que les Canadiens font de la Loi sur l'accès à l'information. Avant l'adoption de la Loi, le gouvernement avait prévu une moyenne de 50 000 demandes par an pour l'ensemble des institutions gouvernementales (quelque 150) touchées par la Loi. En fait, il a fallu dix ans pour atteindre le seuil des 50 000 demandes. L'année 1999?2000 a été celle où nous avons reçu le plus de demandes depuis l'adoption de la Loi : il y en a eu environ 19 000.

Je veux seulement dire ceci : l'idée répandue comme quoi le volume des demandes de communication est tel qu'il entrave l'administration efficace des affaires publiques est sans fondement. Permettez que j'ouvre une seconde parenthèse au sujet de la récente étude commandée par le SCT sur les coûts de l'accès. Selon moi, cette étude est profondément viciée parce qu'on n'a rien fait pour déterminer assez justement les coûts « par demande » dans les ministères qui gèrent bien la fonction d'accès pour les comparer aux coûts " par demande " dans les ministères s'en tirent moins bien.

Dans les ministères où le système d'approbation comporte plusieurs paliers, où les besoins de communications du ministre sont inclus dans les coûts de traitement d'une demande de communication et où la gestion des documents est désorganisée, les coûts sembleront élevés. Ces coûts élevés ne doivent pas être attribués au droit d'accès comme le laisse entendre l'étude. Je suis tout à fait d'accord pour quantifier et rendre public les coûts d'application de la Loi sur l'accès à l'information, et en fait j'ai encouragé ces efforts. Ce que j'avais en tête, et que je ne cesse d'encourager, c'est la quantification des coûts d'une bonne application de la Loi sur l'accès à l'information. Il est évident qu'une mauvaise application de la Loi coûte très cher.

Lorsque je m'adresse à des groupes de fonctionnaires, je ne manque pas d'entendre des plaintes sur les fameux demandeurs d'information « multiple », ceux qui font de nombreuses demandes, souvent dans le but de revendre l'information (et souvent avec une valeur ajoutée). « La Loi n'a sûrement pas été conçue pour servir à faire des profits! », disent les fonctionnaires. À cet égard, également, l'indignation est sans objet et injustifiée.

Dès le départ, on savait que des entrepreneurs se serviraient de la Loi pour obtenir des renseignements gouvernementaux à des fins commerciales. C'est ce qui se passe dans tous les pays où l'accès à l'information est favorisé. Il est de bonne guerre, économiquement parlant, que les entrepreneurs « exploitent » les réserves gouvernementales de renseignements commercialisables : premièrement, les nouvelles entreprises d'information paient des impôts, et le système fiscal permet de recueillir des recettes plus efficacement que ne le ferait la plus onéreuse des grilles tarifaires pour l'accès à l'information.

Deuxièmement, les demandeurs d'information fournissent au gouvernement des indices valables sur le « trésor » documentaire qu'il possède, et, s'il le désire, le gouvernement peut parfaitement exploiter cette information pour son propre compte. Par exemple, l'ancien ministère du Revenu du Canada avait décidé d'élaborer une version « à vendre » de ses décisions anticipées en matière d'impôt après qu'un demandeur avait obtenu cette information grâce à une demande de communication et avait lancé une entreprise de services proposant des rapports commerciaux contenant ces données.

Lorsque Revenu Canada a lancé son propre service, toutes les demandes de communication à cet égard ont cessé (comme ont cessé, d'ailleurs, les recettes fiscales provenant de ces entreprises privées désormais sans clientèle).

Donc, si on vous propose un barème conçu pour décourager ou pénaliser les demandeurs d'information multiple ou les utilisateurs commerciaux, je vous invite à examiner ce genre de proposition de très près. Si le gouvernement n'est pas prêt, disposé ou apte à exploiter ses propres ressources en matière d'information, pourquoi ne pas laisser des entrepreneurs le faire? Si une institution gouvernementale n'est pas assez astucieuse pour exploiter ses propres ressources en matière d'information, pourquoi ne pas laisser d'autres le faire et se contenter d'en recueillir les fruits par le biais du système fiscal?

Si l'usage modéré de la Loi a été la première surprise, la seconde a été que, même après dix-huit ans, plusieurs grands ministères ne sont toujours pas capables d'offrir un programme d'accès à l'information efficace aux citoyens. Pourquoi un tel échec dans ce domaine de la part d'une gestion compétente par ailleurs?

Les problèmes récurrents du système entrent dans trois catégories :

1. Les retards
2. Le secret excessif
3. Les irrégularités :
- Mauvaises pratiques de traitement des documents
- Emploi des frais et des prorogations de délai pour faire obstacle à l'accès
- Recherches insuffisantes
- Ingérence politique

LES RETARDS

Je commencerai par parler du problème des retards.

La Loi assujettit les ministères du gouvernement à un délai de réponse : il faut répondre aux demandes de communication dans les trente jours suivant leur réception, à moins que le délai ne soit prorogé pour les raisons suivantes :

1. la demande renvoie à un grand nombre de documents (ou suppose une recherche dans un grand nombre de documents) et le délai de trente jours compromettrait déraisonnablement le fonctionnement du ministère; ou

2. on a besoin de plus de temps pour se concerter avec d'autres ministères, d'autres gouvernements ou des tiers du secteur privé.

Dans ce cas, le ministère a le droit de prolonger le délai de réponse aussi longtemps qu'il le souhaite, sous réserve seulement que la prorogation soit raisonnable dans les circonstances et qu'elle ne dépasse pas un an (délai au-delà duquel on ne peut plus déposer de plainte). Si le délai doit être prorogé de plus de 60 jours après la date de réception de la demande, le Commissariat doit en être informé.

Et pourtant beaucoup de ministères n'ont pas été capables de respecter systématiquement ce généreux système de délai de réponse. Le Groupe de travail sera surveillé de près à cet égard : on voudra vérifier s'il recommande des mesures, ainsi que des sanctions, pour mettre fin à ce lamentable manque de respect, qui dure depuis dix-huit ans, des exigences de la loi en matière de délai de réponse.

Le secret excessif

Le deuxième problème que nous constatons dans l'application de la Loi est celui du secret excessif.

La Loi sur l'accès à l'information a un statut quasi constitutionnel. Le droit d'accès fonctionne « nonobstant toute autre Loi du Parlement ». Le Parlement a pris la décision inusitée de formuler l'objet de la Loi en termes clairs :

« 1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux
documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

2) La présente loi vise à compléter les modalités d'accès aux documents de l'administration fédérale; elle ne vise pas à restreindre l'accès aux renseignements que les institutions fédérales mettent normalement à la disposition du grand public. »


Bien que ses dispositions soient une claire invitation à la transparence et malgré le caractère limitatif des exceptions au droit d'accès auxquelles j'ai fait allusion plus tôt, la Loi est trop souvent appliquée comme une loi du secret. Trop souvent, les fonctionnaires appliquent le principe suivant : « En cas de doute, on ne communique pas », et c'est un principe que la Cour fédérale a explicitement rejeté.

De plus, on ne fait que des efforts mitigés pour rendre l'information publique systématiquement, sans attendre les demandes de communication. Même après dix-huit ans, aucun ministère, que je sache, ne procède à une analyse annuelle du contenu des demandes qu'il a reçues et auxquelles il a répondu dans le but de circonscrire l'information qui pourrait être rendue publique systématiquement, par exemple sur un site web.

Pourquoi se plaindre du volume des demandes de communication tant qu'on n'a pas tout fait pour divulguer proactivement l'information, de façon informelle et systématique?

Mon anecdote de la semaine sur le secret excessif concerne l'échec du gouvernement à révéler à la population, une fois que le Cabinet a pris ses décisions, la documentation qui les étaye, l'analyse des problèmes et les options stratégiques proposées au Cabinet. Le Premier ministre Pierre Trudeau avait demandé aux fonctionnaires de divulguer ce genre d'information bien avant que la Loi entre en vigueur. Cela n'a pas été fait. Le Premier ministre Joe Clarke avait réaffirmé cette politique. Et cela n'a toujours pas été fait. Le Parlement a enchâssé cette politique à l'alinéa 69(2)b) de la Loi sur l'accès à l'information, mais le BCP continue de résister. La question est désormais entre les mains d'un juge de la Cour fédérale, qui doit décider si le maintien du secret est justifiable.

Là aussi, le Groupe de travail sera surveillé de près : comment les documents confidentiels du Cabinet seront-ils traités? Toutes les études indiquent que l'exclusion des documents confidentiels du Cabinet devrait pouvoir faire l'objet d'une exception sujette à une révision et que la portée de la définition devrait être substantiellement réduite. Telle qu'elle est formulée, l'exclusion est une invitation à l'abus.

Et, s'agissant du secret excessif, le Groupe de travail sera évalué plus ou moins positivement selon qu'il recommandera ou non une exception objective pour les documents relatifs à l'unité nationale et selon qu'il mettra fin ou non à la « manie du secret » en abrogeant l'article 24 de la Loi. Toutes les études effectuées jusqu'ici indiquent que, à l'exception de l'article 69 (qui devrait être une exemption) et de l'article 24 (qui devrait être abrogé), la Loi maintient un équilibre remarquable entre la nécessité de la transparence et celle du secret. Aucune étude n'a recommandé, et nul n'a pu justifier la nécessité, de prévoir une nouvelle exception objective pour les documents relatifs à l'unité nationale.

Les irrégularités

J'aborde finalement la troisième difficulté associée à l'application de la Loi : les irrégularités ayant trait au traitement des documents, aux recherches, à l'évaluation des frais, à l'application des prorogations de délai et à l'ingérence politique.

Je n'ai pas besoin d'insister sur le problème de la modification et de la destruction de documents. Le problème était suffisamment grave (et le Commissariat a fait enquête sur une demi-douzaine de cas) pour que le Parlement adopte à l'unanimité un projet de loi d'initiative parlementaire criminalisant le fait de manipuler des documents dans le but d'en entraver la communication. Toute tentative du Groupe de travail pour réduire l'importance de cette nouvelle infraction sera accueillie avec dégoût par les députés de tous les partis et par la population dont l'indignation devant les cas de destruction de documents a poussé les députés à proposer et à appuyer la modification législative.

Nous sommes en train de faire enquête sur des plaintes concernant un ministère qui aurait prolongé de trois ans les délais pour le traitement de demandes simples renvoyant à un petit nombre de documents. Nous voyons régulièrement des cas où les recherches sont absolument insuffisantes et bâclées et dont les requérants, considérés comme « trublions », sont priés de payer des frais largement surestimés (et à qui on demande des dépôts prohibitifs). On s'attendra à ce que le Groupe de travail propose des sanctions ou des moyens de dissuader ce genre de comportement.

Enfin, à chaque changement de ministre et à chaque roulement de personnel exonéré, il se produit des cas où le cabinet du ministre entrave la procédure pour ralentir les choses, dicter le moment de la divulgation, orienter l'application des exceptions malgré les objections des spécialistes. Les besoins des ministres en matière de communication ont également trop souvent la préséance sur les droits juridiques des demandeurs d'accès. Ce n'est pas seulement inquiétant : c'est illégal, et les sous-ministres ont l'obligation de veiller à ce que leurs ministres comprennent et respectent leurs obligations juridiques.

Ayant été moi-même ministre, je sais que les ministres peuvent être les victimes des meilleures intentions. Il y a l'enthousiasme bien intentionné du personnel exonéré qui ne voit que la dimension politique des choses et qui ne comprend pas que les ministres, eux aussi, sont assujettis aux lois. Il y a aussi la déférence des sous-ministres, qui n'osent pas dire « non »aux ministres. En tant que Commissaire à l'information, je vois trop souvent des fonctionnaires s'interdire de « dire la vérité au pouvoir » (comme dirait John Tait), dans l'espoir que c'est le Commissaire à l'information qui se chargera de porter les mauvaises nouvelles au ministre.

Les demandes de communication présentées par des journalistes et des membres de l'opposition se heurtent à un service plus lent, un examen plus serré et un traitement plus conservateur en raison de l'importance excessive que l'on accorde aux besoins du ministre, et, lorsqu'on fait les comptes, qui est blâmé? Le ministre, bien sûr. À cet égard également, on s'attendra à ce que le Groupe de travail propose des solutions et fasse preuve de leadership.

Pourquoi ces problèmes persistent-ils?

Pourquoi ces problèmes demeurent-ils si constants? L'analyse de leurs causes nous aidera à comprendre le genre de solutions dont nous avons besoin, et il n'y a pas de mystères concernant ces causes. Ces problèmes ont été étudiés jusqu'à la nausée par le Commissariat, le Conseil du Trésor, Justice Canada, divers comités de sous-ministres et de sous-ministres adjoints et par un comité parlementaire. En voici les causes :

1. des ressources insuffisantes;
2. l'absence de programmes d'éducation ciblés;
3. des procédures et pratiques médiocres (j'englobe ici la question de la mauvaise gestion de l'information);
4. l'insuffisance de délégation de pouvoirs aux coordonnateurs de l'accès à l'information et leur classification sous-estimée;
5. la lenteur des ministres, des sous-ministres et des hauts fonctionnaires à transformer la culture du secret en faisant usage de leur leadership.

Dans un certain sens, cette liste devrait être inversée : c'est le manque de leadership qui est commun à tous ces problèmes. Je dis cela parce que la réduction des ressources qu'ont subi beaucoup de bureaux d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels (AIPRP) depuis huit ans a été directement imputée au principe erroné selon lequel l'AIPRP pouvait être traité comme n'importe quel autre programme aux fins des compressions budgétaires. J'estime que c'était un échec du leadership que de supposer qu'un ministère puisse passer outre à une obligation juridique (donner des réponses dans les délais prévus par la Loi) parce que le gouvernement avait imposé un programme d'austérité. Il aurait fallu faire preuve d'un peu plus de finesse!

Je vous propose de terminer en vous donnant ma recette pour une bonne application de la Loi sur l'accès à l'information dans n'importe quel ministère. Ces mesures peuvent vous être utiles dans le cadre de n'importe quelle initiative pour améliorer le professionnalisme dans le traitement des demandes de communication et pour faire échec à la culture persistante du secret. Il n'est pas besoin de modifications législatives pour cela. C'est là que vos efforts sont nécessaires, et ce n'est pas moi qui vous critiquerai pour être intervenus sur ces fronts avant que le Groupe de travail ait publié son rapport.

Solutions
Premièrement, attribuez à vos préposés à l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels et aux secteurs opérationnels concernés des ressources suffisantes pour répondre au volume prévu de demandes de communication en fonction des tendances relevées. S'il n'est pas nécessaire de prévoir des ressources pour les périodes de pointe, il faut néanmoins disposer d'un plan d'urgence pour ces périodes, par exemple sous la forme d'une liste d'entrepreneurs, d'une entente avec le Conseil du Trésor qui permettra d'emprunter des experts d'ailleurs et/ou d'un plan pour obtenir l'approbation rapide de postes supplémentaires. Le Conseil du Trésor a déjà fait savoir à tous les ministères qu'il accueillera favorablement les demandes de ressources supplémentaires destinées à permettre le respect des délais de réponse.

Deuxièmement, éduquez tous les employés qui jouent un rôle dans le traitement des demandes de communication et faites-le de façon systématique, régulière et ciblée. Autrement dit, le programme d'éducation destiné au personnel ministériel sera différent, à certains égards, du programme destiné aux cadres supérieurs ou aux fonctionnaires de secteurs opérationnels, mais il doit y avoir des programmes d'éducation permanents dans tous les ministères.

Troisièmement, dressez un plan d'acheminement du travail qui permette de réduire les paliers de décision/approbation, qui fixe l'échéance de chaque étape (recherche, examen, approbation, etc.) et qui permette de mesurer les progrès, de procéder à un suivi et de prendre des mesures en cas de non-respect.

J'ouvre ici une parenthèse au sujet du problème de la gestion des documents dans l'administration fédérale. Pour que le programme d'accès fonctionne, il faut que les fonctionnaires sachent quelle information le ministère contrôle, où elle se trouve, comment aller la chercher et comment faire la preuve, objectivement, que la recherche est exhaustive. Cela n'est pas seulement nécessaire pour l'amélioration du programme d'accès, mais aussi pour le bon fonctionnement gouvernemental de manière générale. Ce serait le sujet d'un discours en tant que tel, et on pourrait y évoquer l'incapacité du MAECI à trouver des exemplaires de communications diplomatiques entre le Canada et la Russie au sujet du récent incident de conduite en état d'ébriété d'un diplomate : c'est finalement la police d'Ottawa qui a fourni des exemplaires de ces documents au MAECI ! Je résisterai à la tentation d'en dire plus à ce sujet, mais c'est une question que le Groupe de travail ne saurait ignorer : elle est absolument fondamentale.

Quatrièmement, il est indispensable que les coordonnateurs de l'AIPRP soient des membres sûrs de la haute direction ayant pleins pouvoirs pour répondre aux demandes de communication sans dépendre d'une série d'approbations. Les coordonnateurs sont trop souvent sous-classifiés et ne sont que des préparateurs de dossiers qui doivent laisser à des fonctionnaires d'échelons plus élevés le soin de prendre les vraies décisions. S'agissant des approbations, les sous-ministres devraient suivre ce simple conseil : trouvez un coordonnateur de confiance et laissez-le tranquille!

Enfin, la haute direction doit se rendre compte que l'attitude de ses membres à l'égard de l'accès à l'information déteint sur tout le ministère. Si les employés ont le sentiment que le respect de la loi n'est pas une priorité pour leurs dirigeants, il y aura des retards, des frais surestimés, de l'antagonisme à l'égard des requérants, des recherches insuffisantes, un nombre croissant de plaintes et davantage de visites de la part de mes enquêteurs. Lorsque les dirigeants décident de ne pas conserver de procès-verbaux des réunions et conseillent aux autres de ne rien consigner par écrit, lorsqu'ils perpétuent les mythes relatifs aux requérants « qui exagèrent », lorsqu'ils tolèrent que les besoins du ministre l'emportent sur les droits juridiques des citoyens, lorsqu'ils ne favorisent pas une culture de la transparence en général, les employés répètent parfaitement le message.

J'entends très souvent de hauts fonctionnaires dire « On ne me demande pas d'aimer cette loi, on me demande seulement de l'appliquer ». C'est une attitude boudeuse qui se transmet de façon destructrice aux échelons inférieurs. Si bien qu'elle soit conçue, une loi sur l'accès à l'information ne sera une bonne loi que si les fonctionnaires la rendent opérationnelle. Les tribunaux, la population, les députés, les médias, presque tous les groupes de la société croient fermement au droit d'accès à l'information; ils appuient les mesures qui consolident la Loi sur l'accès à l'information, ils sont convaincus que la transparence améliore la qualité de notre gestion des affaires publiques et consolide notre démocratie. Je demande aux hauts fonctionnaires d'entendre ce message et de faire preuve d'un peu d'enthousiasme pour ce programme dans leurs ministères, car il n'est pas près de disparaître. Cela pourrait constituer votre meilleure contribution au travail de ce groupe.

Je vous remercie de m'avoir reçu et de m'avoir écouté attentivement. Je propose maintenant de passer à une communication à deux voies : avez-vous des questions ou désirez-vous me faire part d'observations générales?

 

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Mise à jour: 2001-08-15
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